Je ferme les yeux un moment, et je perçois instantanément son agacement. Ses bras s'enroulent autour de moi, me maintenant près de lui alors qu'il se tient là, droit comme un piquet, tel un rempart protecteur entre moi et tout ce qui pourrait m'affecter.
— T'es en sécurité maintenant, Ely, murmure-t-il.
—Sécurité, hein...? Pff, quelle sécurité... —
Je me laisse aller contre lui alors que mon corps se relâche, incapable de garder un semblant d'équilibre. Je sens son bras se tendre pour me soutenir, sa main se pose fermement dans mon dos pour me stabiliser, et je remarque que sa respiration s'intensifie. Il m'attire plus près, mon visage contre sa poitrine, et je ressens la chaleur de son corps contre le mien.
— Tout va bien... murmure-t-il, ses doigts caressant doucement mes cheveux. Tu m'entends ?
J'hoche faiblement la tête, mais ça ne suffit pas. J'ai l'impression de m'éloigner de tout, ma respiration devient de plus en plus difficile, et chaque mouvement me paraît plus pénible que le précédent. Et, bordel, je lutte. Je lutte contre la fatigue, mais mon traitre d'esprit s'enfonce tout de même dans l'obscurité.
Je dois rester éveillée, encore un peu plus longtemps.
Mon corps est soulevé du sol. Ses bras sont solides autour de moi, me tenant comme si j'étais une plume fragile dans un monde prêt à m'écraser. Lui, par contre, est comme une forteresse, impénétrable.
Je me laisse porter tout en ressentant ses muscles se contracter sous la pression. Sa mâchoire est serrée et il ne prononce pas un mot. Alors, je me laisse aller un peu plus dans ses bras. Un léger grognement de frustration s'échappe de lui face à mon geste, résonnant comme un écho d'inquiétude. Il me redresse légèrement contre lui, et son regard capte mon regard vaseux avec une intensité inébranlable. Son bras se resserre autour de ma taille, me procurant une étreinte à la fois ferme et protectrice.
— Reste avec moi.
Ce n'est pas une demande, mais plutôt un ordre clair et net.
Pourtant, il n'a pas besoin de prononcer ces mots. Son corps collé au mien, son souffle chaud qui caresse mon cou, me prouvent qu'il ne me laissera pas m'échapper une seconde, même si j'essayais. Même si je le désirais. Je ne pourrais pas, et même si j'en avais envie, je ne le ferais pas. Parce que, pour la première fois de ma vie, cette sensation étrange de plénitude et de sérénité me supplie de ne pas le faire.. Et je vais l'écouter.. bordel, je vais l'accueillir..
— D'accord... murmuré-je à peine.
C'est tout ce que j'ai à dire. La fatigue m'épuise, mais je n'ai pas le droit de la laisser prendre le dessus. Je sais que les blessures sont superficielles et que ce ne sont pas les coups qui m'ont épuisé. Ce sont les souvenirs.. Les siens.. ceux, que je prie le ciel de m'arracher..
Je sors brusquement de mes pensées et de ma torpeur, quand un bruit métallique rompt le silence avec un grincement. Avant même que je puisse comprendre d'où provenait le bruit, il entre dans une voiture noire, style berline. Il se hisse à l'intérieur de l'habitacle avec moi en prime sur ses genoux. Son corps se rapprochant du mien d'une manière encore plus protectrice.
À l'intérieur, il me redresse légèrement de nouveau, juste assez pour que ma tête repose contre sa nuque, où la chaleur de sa peau et son parfum de musc et de tabac me procurent un certain réconfort. Ses cheveux sombres effleurent mon visage quand il baisse la tête vers moi.
Je sais qu'il le fait car son souffle frôle ma pommette et que sa main retire l'une de mes mèches qu'il place derrière mon oreille. Autour, tout semble s'évanouir un peu. Je frémis à nouveau lorsqu'une douleur à la tête me provoque un léger trésaillement.
— J... je vais pas tenir longtemps... soupiré-je faiblement de fatigue, alors que chaque syllabe ressemble à une mise à l'épreuve.
Je serre les dents, ma lèvre inférieure coincée sous la pression de mes crocs. J'essaye malgré moi de réprimer un gémissement de douleur comme je le peux. Mais la fatigue me ronge de l'intérieur et m'engloutit peu à peu dans ses abîmes, pendant que mes forces s'évaporent une à une.
Je sens sa main se poser doucement sur mon épaule, une pression légère mais suffisante pour me réconforter. Il est là. Il me soutient, même dans ma faiblesse, et c'est tout ce dont j'ai besoin pour puiser un peu de force pour tenir encore un instant.
Le bruit de la fenêtre qui s'ouvre me sort de ma léthargie. J'entends le tatoué discuter avec le ténébreux, sans vraiment saisir leurs paroles. La brume ne me permet pas d'entendre clairement, mais j'arrive à percevoir le ton de sa voix : des ordres rapides, des mots proférés à la hâte. Puis le vrombissement du moteur retentit avant que la voiture ne démarre rapidement sur la route, dévorant les kilomètres dans l'obscurité.
Mon corps se laisse aller contre lui, les yeux à demi fermés, ma respiration hachée par des grognements que j'essaie de retenir. Je m'efforce de dissimuler ma faiblesse, mais elle me ronge sans cesse. Mes muscles tremblent.
Après quelques minutes, je remarque que la voiture ralentit, accompagnée d'un léger frisson dans l'air, indiquant que nous approchons de notre destination. Inconsciemment, je relève la tête, bien que la douleur légère dans ma tête rende presque impossible cette initiative. Le moteur rugit un peu moins fort, les roues crissent lorsqu'on tourne sur une allée plus privée avant que la voiture ne s'immobilise totalement. Il me redresse légèrement contre lui pour me soutenir sans effort, presque comme s'il était fait pour me porter dans ces moments où mes forces me trahissent. La porte s'ouvre dans un cliquetis avant que cette dernière ne se referme.
L'air frais de la nuit me saisit soudainement, m'amenant à me confronter à la réalité. J'ai à peine le temps d'assimiler le froid que je me concentre sur lui quand je l'entends murmurer de nouveau quelque chose à Roy qui descend de la voiture à son tour. Ses mots sont portés par le vent, et je ne sais pas ce qu'il lui dit, mais cela n'a pas d'importance. Tout ce que je veux, c'est sentir la sécurité qu'il m'apporte, me blottir contre lui, ignorer la douleur, ignorer tout ce qui se cache dans l'obscurité de cette nuit. Il est là, il m'enserre dans ses bras, et pour un instant, je veux m'abandonner complètement à cette sensation de calme et de protection. Quand la porte du bâtiment s'ouvre presque sans bruit. La chaleur qui me frappe me fait vite comprendre qu'on est rentrés à l'intérieur. Je ferme les yeux un instant, juste pour essayer de faire disparaître les bruits de la ville, les images sanglantes de l'extérieur. J'inspire, j'expire, lentement pour laisser l'air pénétrer dans mes poumons. Je n'ai pas besoin de mots. Je sais que tout ira bien à partir de maintenant.
Arrivée dans une pièce plus grande, il me dépose délicatement sur un canapé, ses gestes empreints de soin, comme s'il avait peur de me briser. Il me place dans la position la plus confortable possible, puis s'agenouille à côté de moi, son regard perçant se posant sur mes blessures. Il ne dit rien. Ses yeux se déplacent sur mes plaies, avant que sa main n'effleure mon front où une coupure profonde laisse encore s'échapper quelques gouttes de sang séché. À son toucher, un frisson me parcourt, et je vois son visage se fermer imperceptiblement en fronçant les sourcils. Ses doigts glissent doucement sur ma peau, me frôlant sans vraiment me toucher. Il ne parle pas, il n'en a pas besoin. Le simple fait qu'il reste près de moi, attentif à chacune de mes réactions, me dit tout ce que je dois savoir.
Un petit soupir m'échappe, mais ma gorge se serre alors que je me crispe légèrement à cause de la pression sur mon front, là où le sang imprègne encore ma peau. Il prend une légère inspiration et se redresse, son corps se tendant légèrement. Ses mains se déplacent, cherchant probablement un kit de premiers secours. Il ne me quitte pas des yeux. Ses lèvres se serrent en un rictus à peine perceptible.
Il n'aime pas me voir dans cet état... Pourquoi ?
Je sens l'émotion bouillonner dans l'air entre nous, une émotion qu'il cache avec une efficacité presque militaire. Il s'incline de nouveau sur moi, chaque mouvement marqué par une concentration silencieuse. Ses doigts reviennent vers mon visage, cette fois pour essuyer doucement le liquide qui souille mon front. Je ne bouge pas, je le laisse faire, même si chaque fibre de mon corps réagit à sa proximité.
Un frisson me parcourt à nouveau, léger mais intense. Mes muscles se tendent sous le contact de sa main, cette main qui semble hésiter un instant avant de reprendre son geste. Je reste immobile, malgré l'envie de m'éloigner, de briser cette tension silencieuse qui s'installe entre nous. Il ne me parle toujours pas, mais je n'ai pas l'intention de lui parler non plus. Son regard reste sur moi, lourd de tout ce qu'il ne dit pas, de tout ce qu'il cache sous sa carapace. Ses gestes sont empreints d'une douceur qu'il essaie de cacher, mais je ne peux pas être dupe. Ce n'est pas simplement la douceur d'un homme qui prend soin d'une personne blessée. C'est la douceur d'un homme qui, sous cette couverture de contrôle, se laisse toucher par la fragilité qu'il ne veut pas admettre.
Alors je craque comme une imbécile.. et je finis par parler.
— Ça va aller, ce n'est rien. murmuré-je de ma voix rauque pour couper court au silence oppressant de la pièce.
Les mots s'échappent de mes lèvres, mais je réalise qu'il ne me croit pas. Je le sens, car il ne me répond toujours pas. Néanmoins, je remarque un léger changement dans sa respiration. Elle s'apaise, se maîtrise, même si la tension qui traverse chaque muscle de son corps me dit qu'il est toujours sur ses gardes. Il comprend que je suis plus forte que ce que je laisse transparaître, mais cette faiblesse qu'il perçoit en moi le trouble plus qu'il ne voudrait l'avouer.
Cependant, je suis trop épuisée pour contester ou analyser la situation, alors je me laisse porter. Son regard m'enveloppe d'une douceur ferme, m'empêchant de sombrer davantage dans la fatigue. Il se tient là, solide, tel un phare dans un brouillard trop épais pour que je puisse m'y retrouver seule. Mes pensées sont confuses et désordonnées, comme si elles tentaient de se dérober à moi. De se faire la malle.
— Ely... Reste avec moi.
Je n'arrive pas à croiser son regard, mais je sens son attention peser sur moi, comme une présence constante qui m'observe. Je prends une inspiration tremblante, mais elle vacille, se heurtant à la douleur sourde qui pulse dans chaque fibre de mon corps. Tout autour de moi semble hors de portée.
— Je vais bien... murmuré-je, même si la faiblesse dans ma voix trahit le mensonge.
Mes paupières se ferment malgré moi, chaque seconde me laissant un peu plus faible. Je sens sa main chaude effleurer ma joue et je m'y abandonne. Ce n'est pas une caresse timide ou un simple accident ; c'est un geste assuré et protecteur. Je ne sais pas si c'est sa force ou son désespoir qui me retiennent ainsi, mais je n'arrive pas à m'en détacher.
Il se redresse finalement avec un calme maîtrisé, disparaissant un instant de mon champ de vision avant de revenir. Ses mains sûres et déterminées tiennent tout ce qu'il faut pour désinfecter mes blessures. Il commence à soigner les coupures, et je me tends légèrement lorsque le produit froid entre en contact avec ma peau. Pourtant, il est méthodique, précis, d'une douceur presque déconcertante pour quelqu'un comme lui. Je l'observe malgré la lourdeur de ma fatigue. Ses traits sont tendus, son regard perdu dans une lointaine mélancolie, et je sais qu'il ne se contente pas de soigner mes blessures. Il y a plus que ça, une douleur muette qu'il tente de panser, un vide qu'il cherche à combler.
Peut-être que dans mes cicatrices, il voit les siennes...?
Quand il termine enfin, il se recule d'un pas, juste assez pour ne plus être contre moi, mais pas assez pour me laisser seule.
— Ninia est toujours fâchée ? demandé-je lasse de ce silence, ma voix légèrement empreinte d'hésitation.
Une culpabilité sourde m'étreint, comme un poids lourd sur ma poitrine, en me rappelant que je l'ai laissée derrière moi, que je l'ai fuie, encore et encore. Cette pensée me ronge, me fait douter de tout ce que je fais. Elle me suit, silencieuse mais persistante, me rappelant sans cesse que je ne fuis pas que les autres, je me fuis moi-même à chaque fois.
Il se retourne puis reste là, le regard figé sur moi, comme s'il réfléchissait à ce qu'il pourrait dire. Puis finalement, il relève les yeux vers moi.
— Elle s'inquiétait pour toi avant de partir. Mais ça ira.
Il n'y a ni reproche ni froideur dans ses mots. Juste cette douceur presque inattendue, qui glisse entre ses lèvres. Peut-être qu'il tente de faire disparaître l'angoisse en moi, ou peut-être qu'il essaie de calmer le tourbillon qu'il est, tout aussi perdu que moi.
Je ne sais pas.