« J'aurais aimé tomber sur toi il y a quatre ans ». J'aurais aimé aussi lui épargnée tout ce qu'elle a vécu avec ce petit con. Elle ne m'a pas tout raconté mais j'en sais déjà assez pour comprendre qu'elle a été plus malheureuse qu'elle n'aurais dû.
- Moi aussi, j'aurais voulu que tu tombes sur moi plutôt que sur lui. Aller viens, il faut retourner en cours
Je l'ai raccompagnée jusqu'au portail du lycée, et le sourire qu'elle m'a adressé m'a presque fait oublier les ombres qui pesaient encore sur elle. Presque.
Les jours qui ont suivi, j'ai essayé de garder mes distances tout en gardant un œil sur elle. Pas par manque d'envie de la voir, au contraire, mais parce que je savais que Valentin rôdait toujours. Il avait ce don étrange de toujours être là où il ne fallait pas, de toujours surveiller Mia comme un prédateur qui refuse de lâcher sa proie.
Mais malgré mes efforts, les circonstances nous ramenaient toujours l'un vers l'autre. En cours, dans les couloirs, même dans ce foutu parc où elle semblait souvent chercher un refuge après les cours. Je n'avais jamais été doué pour jouer les indifférents.
Trois jours plus tard, j'étais encore assis à côté d'elle en cours d'histoire. Le prof déblatérait sur un événement que je n'écoutais qu'à moitié, et Mia griffonnait des notes dans son cahier. Je me penchai vers elle, désireux de briser le silence qui nous enveloppait.
- T'as l'air épuisée.
Elle releva la tête, ses traits tirés.
- Je dors mal, murmura-t-elle.
Je n'eus pas le temps de répondre. La porte de la salle s'ouvrit brusquement, interrompant le cours. Un surveillant entra, son visage fermé.
- Benjamin Beaulieu, on te demande au bureau du proviseur.
Un frisson glacial me traversa. Je savais que ça n'était jamais bon signe. Tous les regards se tournèrent vers moi. Mia, assise à mes côtés, fronça les sourcils, inquiète.
- Qu'est-ce que t'as fait ? chuchota Noah derrière moi.
J'ignorai la question, rassemblant mes affaires en vitesse. Mon cœur battait plus vite que je ne l'aurais voulu. Je me levai, sentant le regard insistant de Mia sur moi.
- C'est rien, murmurai-je avant de quitter la classe.
Le surveillant ne dit pas un mot tandis que je le suivais à travers les couloirs. Je m'attendais à tout sauf à ce que je vis en arrivant devant le bureau de monsieur Legoff : mon père, debout, les traits tirés, parlant à voix basse avec le proviseur
Mon cœur manqua un battement.
- Papa ? Qu'est-ce que tu fais là ?
Il se tourna vers moi, son visage marqué par une gravité que je ne lui voyais presque jamais.
- Benjamin, il faut qu'on parte. Tout de suite.
- Quoi ? Pourquoi ?
Monsieur Legoff posa une main sur son épaule et prit la parole à sa place.
- Ton petit frère, Louis, a eu un accident ce matin. Il est à l'hôpital.
Le sol sembla se dérober sous mes pieds.
- Qu'est-ce qui s'est passé ? Il va bien ?
Mon père répondit avant qu'il ne puisse ouvrir la bouche :
- Non il ne va pas bien, c'est grave, on y va.
Les mots résonnèrent comme une gifle. Je me tournai vers le proviseur, cherchant une lueur d'espoir dans son expression. Mais il baissa les yeux.
- Je t'expliquerai en chemin, reprit mon père en attrapant mon sac que j'avais lâché, d'un geste impatient.
Je ne me souviens pas vraiment de ce qui s'est passé ensuite. Les mots flottaient autour de moi sans que je puisse les attraper. On traversa le lycée en silence, et je remarquai vaguement quelques élèves qui nous observaient depuis les fenêtres. Parmi eux, Mia.
Son visage inquiet s'imprima dans ma mémoire alors que je montais dans la voiture.
Le trajet fut un brouillard de pensées confuses. Je n'arrêtais pas de me demander ce qui avait pu arriver à Louis. Il avait cinq ans. Un gamin plein de vie, un peu casse-cou mais tellement intelligent. Mon père n'avait rien dit de plus, et je n'avais pas osé poser de questions.
Quand nous sommes arrivés à l'hôpital, une infirmière nous conduisit directement vers une petite salle d'attente où elle nous demanda d'attendre le médecin.
Je m'assis, incapable de tenir en place.
- Papa, tu sais ce qui s'est passé ? Et maman elle est où ?
Il hocha la tête, mais sa voix était rauque quand il répondit :
- Il avait une sortie scolaire a la base de loisirs aujourd'hui, maman l'a accompagné. Il est tombé d'un jeu, sur la tête.
Je sentis mon estomac se nouer.
- Et... il va s'en sortir ?
Il ne répondit pas tout de suite.
- Les médecins font tout ce qu'ils peuvent.
Ces mots suffirent à déclencher un flot d'émotions que je m'efforçai de contenir. Je m'appuyai contre le mur, fixant un point invisible devant moi. Louis devait s'en sortir. Il devait.