L'air glacé de la nuit s'écrase contre mon visage alors que e marche sans but précis, les poings toujours serrés.
La gifle de mon père brûle encore sur ma joue, mais c'est mon orgueil qui me fait le plus mal. Il m'a mis dehors. Comme si j'étais un étranger. Comme si je ne faisais plus partie de cette famille.
Les rues sont vides. Les lampadaires projettent des halos blafards sur le bitume mouillé. Je traîne mes pas sans réfléchir, chaque muscle tendu sous le poids de ma rage. J'ai besoin d'un endroit où aller. N'importe où, du moment que ce n'est pas cette foutue maison.
Les options sont réduites et la seule qui me semble possible c'est Tony.
Tony, c'est un mec de mon ancien lycée. Il a deux ans de plus que moi mais c'était impossible de ne pas le connaître, on a fini par devenir pote et c'est là que les ennuis ont commencés. C'était le genre de mec qui pouvait t'obtenir n'importe quoi si tu avais de l'argent, il était toujours dans des affaires louches. J'ai commencé à le suivre dans certaines soirées, a sécher quelques cours. C'est là que mon père à décider de me changer de lycée, il voulait m'éloigner des mauvaises fréquentations, et il avait plutôt bien réussi, j'avais coupé les ponts depuis.
Sans réfléchir, je fouille dans ma poche et en sors mon téléphone. J'ai envie d'appeler Mia. Une part de moi veut lui dire ce qui vient de se passer, lui demander de l'aide. Mais l'autre, celle qui me consume et qui hurle, m'en empêche. Elle a déjà trop fait pour moi. Elle mérite mieux que ce bordel.
Je finis par appeler Tony.
- Beaulieu bordel, ça fait un bail !
- J'ai besoin d'un endroit où dormir.
Il ne pose pas de questions, comme d'habitude, il se contente de me dire qu'il m'envoie son adresse par message et je m'y rends en silence, l'esprit embué.
Quand j'arrive, il m'accueille avec son éternel sourire en coin, une clope entre les lèvres et un joint coincé derrière l'oreille.
- Putain, t'as une salle gueule vieux.
- J'ai connu mieux.
- Ouais, j'imagine que si je suis ta seule option, c'est que c'est la merde. Entre, fais comme chez toi.
L'odeur de tabac froid et de weed m'agresse dès que je passe le seuil. Des cendriers pleins traînent sur la table basse, des bouteilles vides sont éparpillées un peu partout. Rien à vraiment changé. Il allume une autre clope et me tend une bière.
- Alors, qu'est-ce qui t'amène ?
- Des galères avec mes parents.
Je lui raconte les grandes lignes, il hoche la tête sans insister. C'est ça que j'aime chez lui: Il ne pose jamais de questions.
Je m'installe dans un coin du canapé, les yeux rivés sur mon téléphone.
Vingt-quatre appels manqués. Mia. Maria.
Je verrouille l'écran.
J'ai l'impression que si je réponds, je vais m'effondrer. Alors, je ne fais rien, je laisse le silence s'installer en enchaînant les bières.
Ça fait deux jours que je suis chez Tony et que je ne suis pas retourné en cours. Je n'ai répondu à aucun message, aucun appel. Mais le dernier message de Maria tourne en boucle dans ma tête
Maria: L'enterrement a lieu à 10h, si jamais...
Suivis d'une photo du faire-part de décès avec toutes les informations.
Je l'imagine hésiter en écrivant ces mots, se demander si j'aurai la force de venir.
C'est le moment ou jamais de récupérer ma moto pendant qu'il ne sont pas là.
Je ne suis pas fait pour les funérailles. Je ne sais pas gérer ça. Pas quand il s'agit de mon frère. Je n'ai pas ma place là-bas.
Mais je me rends au cimetière malgré tout.
Je reste en retrait, à bonne distance. Je les vois tous rassemblé autour de cette boîte en bois. Mes parents, ma famille. Des inconnus venus pleurer un enfant qu'ils ne connaissaient même pas. Ma mère s'effondre, secouée de sanglots. Mon père reste figé à ses côtés, le regard vide.
Quand tout est terminé, je disparais. Je monte sur ma moto et fonce droit devant, sans savoir où je vais.
***
Je ne sais même pas comment on s'est retrouvés là. Tony a entendu parler d'une fête et m'a traîné avec lui.
Je bois. Encore et encore. J'ai l'impression que l'alcool étouffe la colère, que ça me permet de tout oublier, même si ce n'est que pour quelques heures.
Jess, une fille de mon ancien lycée, s'installe sur mes genoux. Elle rit trop fort, parle trop près de mon visage. Mais je m'en fou. Tout ce que je veux, c'est ne plus penser.
Une bouteille passe de main en main. Tony me l'a tend. Je la prends dans réfléchir et bois jusqu'à sentir le rhum me brûler la gorge. Jess me prend la bouteille des mains pour boire à son tour et Tony me tend son joint. Je le porte à mes lèvres mais avant d'avoir le temps de tirer dessus, il disparaît. Mon esprit met quelques secondes avant de se reconnecter, mes yeux se lèvent vers un petit diable qui tient mon joint entre ses doigts fins.
- Rends-moi ça, Mia.
- Alors c'est comme ça que tu noies ta peine ?
- Apparemment.
- C'est ça que tu fais depuis plus d'une semaine ? On s'inquiète tous et toi tu t'amuse ?
- J'ai l'air de m'amuser là ? Laisse moi sombrer et arrête de vouloir sauver la terre entière ! J'ai pas besoin de toi et ta pitié ! Retourne à tes drames d'adolescente avec ton mec toxique et fou moi la paix, tu sais pas ce que je vie.