Benjamin s'installe sur mon lit sans un mot pendant que je ferme doucement la porte de ma chambre derrière nous. Il a l'air épuisé, vidé de toute énergie . Je me revois quelques années en arrière à la mort de ma mère.
Il garde la tête baissée, les coudes sur les genoux, le regard dans le vide, une ombre dans les yeux que je ne connais que trop bien. Je l'ai longtemps eu dans les miens.
- Depuis combien de temps tu n'as pas dormi Benjamin ?
- Je ne sais pas, murmure-t-il
- Allonge toi, tu dois te reposer un peu.
Il s'exécute et je vais chercher le plaid sur mon fauteuil pour le mettre sur lui. J'allais faire demi tour pour m'installer plus loin mais il m'attrapa le bras.
- Reste à côté de moi.
Ce n'est pas un ordre mais presque une supplication.
Je m'allonge à ses côtés sans un mot de plus. Je reste là quelques instants à l'observer, son visage fatigué, sa mâchoire crispé, ses paupières lourdes. Il ferme les yeux, mais je sais qu'il ne dort pas encore.
J'en profite pour regarder mon téléphone que j'ai volontairement ignoré depuis plusieurs heures et vois plusieurs notifications d'appel manqué de mon père et de la conversation de groupe avec les filles:
Solène: T'ES OU ????
Julia: Pourquoi t'as disparu comme ça ? Préviens quand tu sèches !
Julia: Ça va ????
Solène: Dis-nous au moins si t'es vivante bordel !
Un petit sourire m'échappe, malgré la situation. Elles sont toujours si dramatiques. Je réponds rapidement
Moi: Je vais bien. Je suis avec Benjamin. J'avais raison de m'inquiéter
Solène: Qu'est-ce qu'il a ?
Julia: C'est grave ?
Moi: Je ne vais pas parler à sa place mais oui c'est grave. Il en parlera si il en a envie. On se voit demain, bisous
Au bout de quelques minutes il ouvre brusquement les yeux, la respiration saccadée. Je pose mon téléphone.
- Je peux pas
- Tu ne peux pas quoi ?
- Dormir. Ça me renvoie directement dans ce cauchemar bien trop réel.
- Il faut que tu dormes, tu ne tiendra pas dans cet état. Je reste là, je ne bougerais pas c'est promis.
Je vois ses yeux perdus, paniqués à l'idée de replonger dans les émotions qui le dévorent. D'un geste un brin maternelle je l'attire vers moi et passe mon bras sous son cou et guide sa tête à se poser sur le haut de ma poitrine. Il se laisse guider et prend place de façon instinctive, sa main se plaçant presque naturellement sur ma hanche. Peu à peu son cœur se calme au rythme du mien et sa respiration se calque sur la mienne, la crise de panique qui pointait le bout de son de son nez a été évité de justesse.
Je me rappelle toutes ces crises quelques années en arrière, plus forte les une que les autres, cauchemar sur cauchemar et ces torrents d'émotions ravageurs.
Ma main trouve le chemin de ses cheveux, et comme mon père quand j'étais petite, je lui caresse doucement pour l'apaiser et l'aider à trouver le sommeil.
Au bout de quelques minutes je le sens complètement relâché, pris de quelques spasmes je sais que cette fois il s'est endormi et je suis heureuse de pouvoir lui offrir ces quelques instants de répit.
Je ne sais pas combien de temps nous restons ainsi, ça me semble durée des heures mais cette parenthèse de douceur vient de prendre fin avec le bruit du claquement de la porte d'entrée.
Benjamin se redresse en sursaut comme réveillé d'une paix intérieur bien trop douce. Je crois qu'il met quelques instant à remettre son esprit en ordre. Il me regarde un peu perdu
- C'est mon père.
- Je vais y aller
- Non tu ne bouges pas d'ici. Je m'en occupe.
Je ne le laisse pas protester et je me lève d'un bond et ouvre doucement la porte pour me glisser hors de ma chambre. J'arrive jusqu'à la cuisine où mon père est entrain de poser ses affaires.
- Ah, te voilà. Dit-il en relevant la tête.
Son regard se pose sur moi et son expression se ferme légèrement.
- Je croyais avoir été assez clair là dernière fois que tu as séché les cours, sans prévenir. Tu m'expliques pourquoi je paye un abonnement téléphonique si tu n'es pas capable de te servir de ton portable quand c'est nécessaire ?
- J'ai .. J'ai eu un truc à gérer et je n'ai pas penser..
Il arque un sourcil, attendant plus d'explications
Je pourrais lui mentir, lui dire que je ne me sentais pas bien, mais je sais que ça ne passera pas, mon père me connais. Alors je soupire et choisis d'être honnête.
- Un ami n'allait pas bien, et je suis partie plus tôt pour être avec lui.
Ses yeux se plissent légèrement
- Un ami ?
- Oui. Il s'appelle Benjamin, il est dans ma classe.
- Donc il a aussi séché et toi tu suis.
- Ça n'a rien à voir papa, vraiment. C'était grave, il ne pouvait pas rester tout seul.
- Il est ici ?
J'hésite une seconde avant de hocher la tête.
- Il a juste besoin d'un endroit où être ce soir, je dis prudemment.
- Est-ce qu'il a des ennuis qui pourraient t'entraîner avec lui ?
- Non papa, c'est pas ce genre de problème.
- Quel problème alors ?
- C'est sa vie privé, sache juste que je sais ce que je fais et que je ne ferais pas tout ça si ce n'était pas important. Si je n'étais pas déjà passé par tout ça.
Mon père me fixe et comprend. Il passe une main sur son visage, soupire, puis croise les bras.
- Mia... Tu aurais pu me prévenir.
- Je sais. Désolé.
Il secoue la tête, son regard s'adoucissant légèrement.
- Il peut rester, finit-il par dire, mais demain matin il rentre chez lui.
Je hoche rapidement la tête
- Merci.
Il soupire encore.
- C'est pas un hôtel ici, Mia.
- Je sais.
- Et il dors sur le canapé.
Je grimace, hésitant à argumenter.
- Papa... c'était des jours compliqués pour lui dernièrement, il ne dormira pas bien dans le canapé, il sera mieux dans ma chambre. Il fera des cauchemars si je ne suis pas là.
Son regard protecteur capture mes iris
- Mia.
- Il ne va rien se passer, dis-je rapidement
Il me fixe avant de soupirer une dernière fois.
- Ok mais porte ouverte. Venez manger il est tard.
Je lui souris pour seule réponse et je repars en direction de ma chambre.