La rentrée a déjà eu lieu il y a deux jours, et pourtant, je n'ai toujours pas mis les pieds dans ce foutu lycée. Nouveau quartier, nouvelle maison, nouveau lycée... et je vais déjà me faire remarquer en arrivant après tout le monde. Génial. Moi qui comptais me fondre dans la masse, c'est raté.

Pour couronner le tout, mon père a insisté pour m'accompagner. Comme si j'avais trois ans et que c'était ma première rentrée en maternelle. Vous pourriez croire que c'est une attention touchante, mais ne vous y trompez pas : il ne fait jamais rien sans raison. Bruno Beaulieu, chef d'entreprise à l'agenda surchargé, n'a clairement pas le temps pour ça. S'il est là, c'est uniquement pour me rappeler que je suis sous surveillance.

- Je te préviens, Benjamin. Cette fois, tu te tiens à carreau. C'est ta dernière chance. Fais-toi discret, pour une fois.

- Ouais, c'est sûr que débarquer après tout le monde, ça passe inaperçu...

Son regard se durcit instantanément. Celui-là même qui ferait trembler n'importe qui. Sur moi, il n'a plus aucun effet. J'ai arrêté d'essayer de lui plaire il y a longtemps.

Sans un mot de plus, j'ouvre la portière et sors de la voiture. J'ai à peine fait trois pas que je sens déjà des regards se poser sur moi. Merci papa et ta BMW flambant neuve pour cette arrivée en toute discrétion.

À l'entrée, un surveillant me dirige vers le bureau du proviseur. Après un bref échange où l'homme me toise comme s'il cherchait déjà à anticiper les ennuis que je pourrais causer, il m'escorte jusqu'à ma salle de classe. Devant la porte B04, il frappe avant d'entrer.

- Monsieur Blanchard, je vous amène un retardataire. Benjamin Beaulieu intègre la Terminale 3 à partir d'aujourd'hui.

Le prof, un vieux type aux cheveux blancs clairsemés, lève à peine les yeux de son bureau.

- Très bien, allez vous asseoir là.

Il désigne une place libre à côté d'une fille aux longs cheveux bruns, plongée dans ses notes. Le proviseur s'éclipse, et je prends place à côté d'elle en silence.

Le cours reprend comme si de rien n'était. J'ouvre mon cahier et tente de suivre, mais j'ai déjà l'impression d'être largué. Je jette un coup d'œil sur le cahier de ma voisine. Son écriture est soignée, et elle note tout avec application.

- Hé, tu pourrais me passer les cours que j'ai manqués ?

Elle tourne la tête vers moi. Ses yeux noisette sont expressifs, vifs.

- Oui, si tu veux. Je n'ai pas tout avec moi, mais je peux te faire des photocopies.

Elle est sympa. Et mignonne, aussi.

- Cool, merci...

Je laisse ma phrase en suspens, attendant qu'elle complète.

- Mia.

J'aime bien son prénom. Simple, mais joli. Je lui souris, mais avant qu'elle ne puisse répondre, sa chaise bascule sur le côté, elle pivote brusquement, percutée par un coup dans le pied arrière.

Le bruit résonne dans la salle, interrompant le vieux Blanchard en plein monologue sur les fonctions exponentielles.

- Mademoiselle Alves, vous souhaitez peut-être nous en dire plus sur cette fonction ?

Elle relève la tête, confuse.

- Non, monsieur...

- Alors silence.

Le prof reprend son cours, impassible. Mia, elle, se retourne aussitôt vers l'auteur du coup.

- C'est quoi ton problème ?

Elle chuchote, mais je perçois l'agacement dans sa voix. Elle n'est pas du genre à faire un scandale, mais elle ne compte pas non plus se laisser faire.

- Fais pas la maline. Arrête ça tout de suite, ça va mal finir.

Le mec derrière nous lui lance cette menace d'un ton bas, tranchant.

Mia se remet en place, mais son visage est crispé. Elle fixe son cahier, m'ignorant totalement jusqu'à la fin du cours.

Je ne sais pas ce qui se passe entre eux, mais une chose est sûre : c'est le genre d'histoire dans laquelle je ne veux pas être mêlé.

Si je veux rester loin des problèmes, je ferais mieux de rester loin d'elle.