En ce début d'automne, le marché s'éveille dans une symphonie de couleurs chatoyantes et de voix animées. Les étals débordent de récoltes fraîches, des teintes orangées des citrouilles aux rouges éclatants des pommes. Les marchands, emplis d'enthousiasme, vantent leurs produits tandis que les clients, inspirés par la saison, se pressent pour faire leurs emplettes. C'est au milieu de cette effervescence automnale que je me fraye un chemin, panier à la main, à la recherche des meilleurs légumes pour la demeure de la veuve Hayward, l'esprit déjà occupé par les corvées domestiques qui m'attendent.
Je déambule à travers les allées animées du marché du village Blanchefleur, niché au cœur de la région d'Édenia. Cette région est réputée pour sa production de blé, de viande, de miel, de fruits et de légumes, qui approvisionnent tout le royaume, en constituant un véritable atout. Mes pas me dirigent naturellement vers les étals colorés où je choisis soigneusement des pommes de terre, des navets et des panais, véritables joyaux de la terre. L'air est empreint d'une douceur enivrante, mêlant les effluves sucrés des fruits mûrs à l'arôme rafraîchissant de la lavande qui s'échappe d'un stand voisin. Une vendeuse, vêtue de teintes éblouissantes, m'interpelle avec ses sachets de pot-pourri, une invitation olfactive à l'évasion. Elle explique que ces sachets parfumés sont non seulement destinés à embaumer les pièces de la maison, mais aussi à être placés dans les armoires pour protéger les vêtements des insectes et les parfumer délicatement. Contemplant ces petits trésors parfumés, je me demande si je devrais en acheter pour Madame Hayward. Serait-elle dérangée par cette fragrance ? Personnellement, je la trouve apaisante. Peut-être que cela lui ferait du bien après tout. Mais une dépense supplémentaire pourrait aussi attirer sa colère...
Il y a dix ans, Madame Hayward m'a achetée alors que j'étais encore une enfant pour servir au sein de son domaine. Je n'avais pas vraiment le choix, c'était ça ou finir à la rue. J'ai donc accepté mon destin, résignée à une vie de servitude. Elle est une faë austère qui règne sur son domaine avec une poigne de fer. Mes journées sont rythmées par la monotonie des tâches ménagères : les courses au marché, l'entretien de la propriété, le lavage du linge, le nettoyage des fenêtres... Les corvées pèsent lourd sur mes épaules, mais je m'efforce de les accomplir avec dévouement. Un labeur éreintant qui ne laisse guère de place à l'épanouissement personnel.
Je refuse finalement poliment les sachets de lavande et m'approche d'un nouveau vendeur à côté, proposant de sublimes choux verts. Je lui lance un sourire, espérant établir un contact amical. Mais à ma grande surprise, il sursaute et me lance un regard mauvais :
- Casse-toi, l'hybride, grogne-t 'il en crachant à mes pieds.
Ses mots me frappent de plein fouet. L'insulte est cinglante, et son ton rempli de mépris ne laisse aucun doute sur ses intentions. Je baisse les yeux, essayant de contrôler la vague de tristesse et de colère qui me submerge. Je respire un bon coup, reprenant mon calme avant de m'éloigner. J'ai l'habitude, malheureusement, ce genre d'incident n'est pas nouveau pour moi, ma vie n'a jamais été ordinaire.
Être une hybride. Quelle malédiction. Demi-faë, demi-humaine. L'union interdite. Comment pourrait-on accepter ce qui n'aurait jamais dû exister ? Les histoires de ma naissance hantent chaque recoin de ma conscience. Pour une humaine, une grossesse avec un faë est une sentence de mort quasi certaine. Ces deux mondes, si différents, se heurtent brutalement dans le ventre de la mère. Son corps ne peut pas supporter la création d'un être issu de deux races si différentes. Les faës, avec leurs longues oreilles pointues, leurs silhouettes imposantes, leurs os solides, cette longévité qui semble défier le temps lui-même et parfois même, leurs pouvoirs magiques. Comment une femme humaine pourrait-elle survivre à cela ? La plupart choisissent de se débarrasser du fœtus dès qu'elles en ont l'occasion, prenant des plantes médicinales pour interrompre ce processus dangereux. Seuls quelques rares cas, grâce à l'intervention d'un guérisseur, voient la lumière du jour. Et même alors, c'est un miracle s'il y a des survivants parmi les deux entre la mère et l'enfant. Quant aux femelles faës, leur fierté et leur conception de la pureté les empêchent même d'imaginer une telle grossesse. Une union avec un humain ? Impensable. Et même si l'improbable arrivait, leur corps, aussi robuste soit-il, rejetterait souvent le fœtus. Ces hybrides, ces enfants illégitimes, ne sont que des accidents, nés de la curiosité de quelques mâles faës qui osent franchir cette frontière proscrite.
Ainsi, je marche dans ce marché, invisible aux yeux de tous. Invisible, surtout parce qu'ils ne veulent pas me voir. Dans leurs regards, je ne suis qu'une anomalie, une créature maudite. Même ceux qui détournent les yeux peuvent ressentir mon aura, étrange et différente. Ils ne comprennent pas ce qu'ils perçoivent, mais ils savent que je ne suis ni tout à fait humaine, ni tout à fait faë. C'est dans leurs expressions furtives, dans leurs gestes nerveux, que je perçois qu'ils ressentent ma différence sans vraiment la comprendre. Les humains et les faës semblent capturer cette énergie indéfinissable qui émane de moi, quelque chose de vaguement troublant, de difficile à ignorer. Ainsi, qu'une luminosité subtile sur ma peau, un éclat doré qui trahit mon héritage faë. La veuve Hayward m'a par ailleurs acquise pour une bouchée de pain auprès de l'orphelinat où j'ai grandi. Ma naissance étant associée à la mort et au malheur en raison de nombreuses grossesses et accouchements tragiques, elle a pu obtenir une servante à bas prix. Ma vie est marquée par cette singularité que personne ne semble vouloir réellement comprendre.
Je me libère de mes pensées, le cœur lourd et la gorge serrée, et il me reste encore à rendre visite au boucher. Il connaît mes exigences, surtout en ce qui concerne la viande ; la veuve est particulièrement difficile à satisfaire. Elle n'accepte que les meilleurs morceaux tout en refusant de payer le prix plus élevé. Voilà au moins un avantage d'être hybride : le boucher ne discute pas trop sur les prix, pressé que je quitte son établissement rapidement. Soudain, une clameur retentit dans l'air, brisant la quiétude matinale.
- Maman ! Maman !
Le cri déchirant d'un enfant résonne dans tout le marché, me provoquant un frisson d'angoisse. Les cris se mêlent au brouhaha ambiant, créant une atmosphère de confusion et d'urgence. Une petite main se crispe sur ma jambe, me tirant de mes pensées. Je baisse les yeux et découvre un jeune faë d'environ quatre ou cinq ans, le visage rougi par les pleurs, ses yeux verts implorant mon aide. Mon cœur se serre de compassion pour cet enfant perdu, mais une question brûlante me taraude l'esprit : qui est-il ? Et pourquoi m'appelle-t-il "maman" ?
- Je... Je suis désolée, mon cœur. Tu fais erreur. Je ne suis pas ta maman.
J'observe la foule du regard, à la recherche d'un parent qui pourrait le réclamer, mais en vain.
- Peut-être devrions-nous nous adresser à un garde, qu'en penses-tu ? Je suggère, espérant trouver une solution.
Avant que je n'aie le temps de réagir, un faë surgit de la foule, son visage marqué par la panique. Il se précipite vers le garçonnet et le serre dans ses bras avec une tendresse infinie.
- Lior ! s'exclame-t-il, soulagé de retrouver l'enfant.
Il l'enlace dans un geste protecteur, tout en s'excusant précipitamment pour le trouble causé. Puis, son regard se pose sur moi, ses yeux écarquillés exprimant l'incrédulité. Il reste figé devant moi, la bouche entrouverte, incapable de trouver ses mots. Finalement, il bafouille d'une voix tremblante :
- Excusez-moi, madame. Mon fils a perdu sa mère il y a deux mois... Vous... Vous lui ressemblez tellement.
Le faë me fixe avec un mélange d'émotion et de confusion, ses yeux reflétant la douleur de sa perte récente. Un silence pesant s'installe entre nous, brisé uniquement par les sanglots du petit garçon qui s'est réfugié dans les bras de son père. Je me sens mal à l'aise, tiraillée entre la compassion pour cet homme endeuillé et la crainte d'être entraînée dans une situation qui me dépasse.
Je demeure figée, stupéfaite par cette rencontre inattendue. Autour de moi, les événements s'enchaînent avec les feuilles emportées par le vent d'automne, soufflant une odeur de terre humide et de bois frais. Le regard de Lior me touche, empreint d'une innocence et d'une tristesse qui me serrent le cœur. Mais une question me taraude : est-ce une farce ? Comment un si petit garçon pourrait-il jouer la comédie avec autant de conviction ?
- Puis-je faire quelque chose pour vous aider ? je murmure timidement, désireuse de me soustraire à ce moment gênant.
Le père de Lior s'avance vers moi, son visage tiraillé entre la réflexion et la détermination. Ses yeux, d'un bleu saphir perçant, me fixent avec une intensité qui me trouble et fait battre mon cœur à tout rompre. Il s'incline légèrement, un geste d'humilité qui me surprend. C'est tellement inattendu de la part d'un faë.
- Je vous en prie, mademoiselle, murmure-t-il, sa voix rauque par l'émotion. Permettez-moi de m'excuser pour le comportement inattendu de mon fils. Je suis désolé qu'il ait pu vous importuner.
Sa voix est chargée d'une tristesse palpable. Je sens qu'il est véritablement affligé par l'incident, et je ne peux m'empêcher de ressentir une vague de compassion pour lui.
- Pourrais-je me permettre de vous inviter dans une auberge proche pour discuter en privé ? poursuit-il. J'ai des questions à vous poser, et je crains que ce ne soit pas l'endroit idéal pour le faire.
Je suis tiraillée. D'un côté, j'ai mes obligations envers la veuve Hayward. Je suis déjà en retard pour mes courses, et je redoute sa colère si je ne rentre pas à temps. De l'autre, la curiosité me brûle de l'intérieur. Le regard suppliant de Lior, plein d'espoir, achève de me convaincre.
- D'accord, je murmure, ma voix à peine audible. Mais je dois vous prévenir, je suis pressée. Je n'ai que quelques minutes à vous accorder.
Un sourire reconnaissant éclaire le visage du faë. Il me remercie chaleureusement et propose de me conduire vers l'auberge la plus proche. Nous avançons parmi la foule compacte du marché, laissant derrière nous le vacarme des marchands et les effluves alléchantes des étals. En marchant à ses côtés, je ne peux m'empêcher d'admirer la beauté du faë. Sa silhouette élancée, ses cheveux noirs mi-longs et ses yeux captivants me fascinent. Il dégage une aura énigmatique qui m'attire irrésistiblement, et je me surprends à ne pouvoir détourner le regard. Une sensation troublante s'installe en moi, une émotion qui va au-delà de la simple curiosité. Je deviens soudain consciente de l'état de mes vêtements. Ma robe de domestique, usée par les années de labeur, montre des ourlets effilochés et un tissu délavé. D'un geste nerveux, je tente de lisser le tissu râpé, espérant futilement redonner un peu de dignité à ma tenue. Chaque pli, chaque déchirure semble trahir ma condition modeste. Mon chignon, défait par l'effort, laisse échapper des mèches brun-roux que je replace nerveusement derrière mon oreille. Mes doigts tremblent légèrement, et malgré mes efforts, ma coiffure ne retrouvera jamais l'ordre qu'elle avait ce matin. Dans une vitre voisine, mon reflet me renvoie l'image d'une jeune femme épuisée et négligée. L'embarras me submerge, et je sens mes joues rougir. En présence de ce faë à l'allure noble et impeccable, je me sens minuscule. La différence entre nos mondes est cruellement évidente, renforcée par son allure imposante et son regard perçant. Une vague de gêne m'envahit, et je me demande ce qu'il peut bien penser de moi, ou ce qu'il attend de moi.
Nous arrivons enfin à l'auberge, une bâtisse discrète nichée au cœur des ruelles animées. Sa façade en pierre blonde, usée par le temps, contraste avec les volets bleus et la large porte en bois qui nous invite à entrer. Des pots de fleurs colorés décorent les rebords des fenêtres, ajoutant une touche de gaieté à l'ensemble.
J'entre dans l'auberge et suis immédiatement enveloppée par une douce odeur de pain chaud et de cidre. Le ronronnement paisible des conversations et les rires des enfants créent une atmosphère conviviale et chaleureuse. Mon regard se pose sur les murs de pierre, décorés de tableaux d'artistes locaux représentant des paysages verdoyants et des scènes de vie quotidienne. Le coin cheminée, particulièrement apprécié, offre un refuge douillet aux clients frileux. Le feu crépite et diffuse une chaleur réconfortante, semblable à un cœur chaleureux, en ce début d'automne frisquet.
Je m'installe à une table près de la cheminée, Lior sur les talons qui s'assoit près de moi. Le bois chaud me réchauffe tandis que j'observe les flammes danser dans le foyer. Un sentiment de paix et de sérénité m'envahit, comme si j'avais trouvé un refuge loin des soucis du monde extérieur.
Le père du garçon se dirige vers le comptoir pour passer commande et je l'observe de loin à nouveau. Il est grand, imposant et à la musculature impressionnante, il semble avoir la vingtaine, bien que déterminer son âge soit délicat, étant donné qu'il s'agit d'un faë.
- C'est le plus beau papa n'est-ce pas ?! Pouffe le garçon
Je rougis légèrement et détourne le regard vers la fenêtre. Quelle étrange situation ! Lior ne tient pas en place, sautillant à côté de moi. Ses boucles brunes rebondissent joyeusement à chaque mouvement, encadrant son visage rond. Malgré sa petite taille, il dégage une énergie débordante. Ses oreilles pointues, typiques des faës, dépassent légèrement de sa chevelure en bataille, et sa peau légèrement dorée confère à son visage une lueur d'éclat. Ses vêtements sont de qualité, il évoque un petit prince avec son costume sobre. Malgré la confusion et la peur qui me tenaillent, je ne peux m'empêcher de trouver adorable ce petit garçon.
- Calme-toi Lior ! réprimande son père au moment où il s'installe en face de moi, me faisant sursauter.
- Permettez-moi de me présenter, je m'appelle Zéphyr et mon épouse, Lyra, est décédée il y a deux mois, emportée par une maladie soudaine. Je suis désolé, j'admets que je suis complètement dépassé par la situation. Vous êtes comme son fantôme. Mais qui êtes-vous ? demande-t-il, ses yeux observant mon visage avec attention.
Je me sens scrutée jusqu'au plus profond de mon âme sous le regard intense de Zéphyr. Ses yeux, d'un bleu saphir perçant, me fixent avec une intensité qui me trouble.
- Je m'appelle Élisabeth. Je ...
La serveuse m'interrompt et dépose un lait de brebis pour Lior et un verre de cidre à chacun. Zéphyr attend un instant, espérant peut-être en apprendre plus sur cette étrange ressemblance, mais je garde le silence. Finalement, il rompt le silence en prenant ma main, me faisant sursauter à nouveau. J'ai un mouvement de recul instinctif, mais il maintient sa prise, observant ma main avec curiosité avant de la relâcher.
- Regarde, Lior, cette dame n'a pas de cicatrice. Tu vois bien que ce n'est pas maman, tu sais bien qu'elle est partie...Il se tourne vers moi. Je suis vraiment désolé pour tout ça. Comme je vous l'ai dit, vous lui ressemblez trait pour trait, déclare-t-il avec un soupir de résignation. Lyra s'était gravement blessée avec un couteau, laissant une profonde cicatrice.
- Oui père, je m'en suis rendu compte aussi... répond-il en baissant le regard.
Gênée, j'avale d'un trait mon verre. Cela fait des mois que je n'ai pas bu de cidre, ça me fait du bien et je demande timidement :
- Était-elle une demi-faë également ?
Le faë hoche la tête, et j'enchaîne :
- Sachant que nous sommes rares, cela pourrait expliquer la ressemblance frappante.
Il me fixe intensément avant de répondre :
- Je vous assure que non... Vos cheveux, vos yeux et même votre sourire, vous êtes un parfait sosie. Je ne l'explique pas, je ... Je suis troublé. Cette ressemblance est déconcertante, et j'ai du mal à comprendre comment cela peut être possible. C'est comme-ci elle était revenue d'entre les morts.
Lior prend son verre de lait et essaie de m'imiter en le buvant tout entier, mais il boit de travers et renverse le reste de son verre sur son costume tout en toussant. Je ne peux m'empêcher de sourire face à sa maladresse. Une vague de tendresse me submerge, chassant momentanément la peur qui me tenaille. Je prends une serviette et aide le petit bonhomme, plus amusé que gêné, à s'essuyer. Puis, je me tourne vers Zéphyr et lui pose la question qui me taraude depuis que je l'ai rencontré.
- Est-ce une façon pour vous de chercher une nouvelle maman pour votre fils ? Vous êtes beau, croyez-moi, vous n'aurez aucun mal à trouver quelqu'un.
Zéphyr soupire lourdement, sa mâchoire se serrant, visiblement affecté par ma remarque.
- Regardez ses yeux, Élisabeth, ce sont les mêmes que les vôtres, je ne vous mens pas. Je peux comprendre que cela soit étonnant, ça l'est pour moi... Pour nous deux tous autant. Et je vous remercie pour le compliment, je tiens cependant à rappeler que mon épouse nous a quittés il y a seulement 2 mois. Le deuil est encore trop présent. Je vous prie de ne pas m'insulter.
Honte et embarras me submergent, je n'aurais pas dû faire de telles suppositions. Sa douleur est palpable, et mon insensibilité me renvoie à mon propre malaise. Gênée, je détourne les yeux vers Lior et remarque à nouveau ses grands yeux émeraude, identiques aux miens, ce qui rend l'atmosphère encore plus lourde de tension. Rien dans son aura ni dans son apparence ne laisse supposer qu'il n'est pas un faë de sang pur. Un silence s'installe, lourd de questions sans réponses.
Finalement, je romps le silence à regret.
- Je dois partir, dis-je, réalisant que je suis vraiment très en retard. Si le repas est servi en retard, je risque de me faire battre.
Zéphyr serre la mâchoire et son regard se durcit en entendant cette remarque. Il m'accompagne jusqu'à la porte de l'auberge et me saisit l'avant-bras.
- Serait-il possible de me dire où vous vivez ? Est-ce qu'on pourrait se revoir ? J'ai d'autres questions à vous poser.
- Non, je ne peux rien pour vous.
Je me libère de sa prise et m'élance vers la sortie, le panier accroché à mon bras. Le marché disparaît derrière moi, et je regrette de ne pas avoir terminé mes commissions.
Les pavés défilent sous mes pieds tandis que je marche d'un pas pressé, le souffle court, tentant de rattraper le temps perdu. Chaque bruit, chaque odeur familière du village Blanchefleur semble flou alors que mes pensées restent fixées sur cette rencontre troublante. Le visage du faë, sa voix douce mais pénétrante, et l'aura mystérieuse qu'il dégageait, se mélangent dans mon esprit, entrelaçant peur et fascination. Le poids du panier semble s'alourdir à chaque pas, et l'air semble s'épaissir autour de moi. Mes jambes tremblent légèrement, fatiguées par l'effort et la tension. Une goutte de sueur glisse le long de ma tempe alors que je m'efforce d'ignorer les regards curieux des passants.
Les portes du manoir se rapprochent, imposantes et austères, dominant le paysage. Je sais que je n'ai pas le temps de faire le tour pour passer par les cuisines comme d'habitude. Le temps presse, et chaque seconde compte. Je me dirige droit vers la grande porte d'entrée, espérant éviter le courroux de madame Hayward pour mon retard.
Une boule se forme dans mon estomac, grandissant à mesure que l'appréhension monte. Je me concentre sur chaque respiration, chaque battement de cœur, tentant de chasser la peur qui s'installe en moi. Mes doigts se crispent autour de l'anse du panier, et je prends une profonde inspiration. Mes jambes semblent lourdes, mais je continue d'avancer, portée par une urgence qui ne me laisse pas de répit. Les souvenirs des remontrances passées me hantent, et je redoute ce qui m'attend derrière ces portes massives. Pourtant, je n'ai pas d'autre choix que de les franchir.