Je rejoins la table pour le dîner, où l'atmosphère est à la fois festive et empreinte d'une tension sous-jacente. Les rires de Will, Sophia et Margaret se mêlent aux bavardages joyeux de Lior, mais les regards que Zéphyr et moi échangeons sont chargés d'une gêne palpable. Un malaise plane, comme si un secret commun flottait dans l'air, alourdissant l'ambiance malgré les conversations animées sur la neige qui tombe sans relâche et le rétablissement miraculeux de Margaret. Chaque mot échangé semble receler un sous-entendu, chaque sourire forcé masque une douleur. Soudain, Lior brise le silence d'une voix innocente :
- Maman, tu peux me passer le pain ?
Un silence de mort s'installe. Mes couverts s'écrasent sur le sol dans un fracas assourdissant, brisant l'illusion de normalité que nous tentions de maintenir. Zéphyr, le visage tendu, réprimande son fils :
- Lior ! Tu peux arrêter d'embêter Élisabeth avec ça.
Je sens mon cœur se serrer dans ma poitrine, une boule d'angoisse se former dans ma gorge. La chaleur de la pièce devient étouffante, chaque regard posé sur moi pèse comme un fardeau. Je ne veux pas qu'il pense que j'encourage Lior à m'appeler ainsi, que je cherche à prendre la place de Lyra. Les événements de ces dernières quarante-huit heures ont été si intenses, si bouleversants, que j'ai l'impression d'avoir vécu une année entière.
- J'ai déjà eu cette discussion avec toi, Lior, dis-je doucement, essayant de contrôler les tremblements de ma voix. Tu peux m'appeler Lizzie, comme May.
Mais Lior, têtu, refuse catégoriquement en secouant la tête :
- Non, Lizzie c'est nul... Je n'ai pas envie. Si tu es ma nouvelle maman, tu seras obligée de rester avec moi et tu ne voudras plus partir.
Ses paroles me transpercent le cœur. La douleur dans sa voix résonne profondément en moi, chaque mot est un rappel cruel de la position délicate que j'occupe. Sophia, avec sa gentillesse habituelle, tente de me rassurer :
- Tu travailles trop, c'est ça ? Mais avec Margaret parmi nous, tu auras moins à faire, et tu auras plus de temps pour Lior.
Will, l'air soucieux, ajoute d'un ton condescendant tout en grattant sa barbe rousse :
- Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée de partir, Élisabeth. Tu sais, les hybrides sont traités comme des parias dehors. Tu ne seras jamais aussi bien qu'ici. Tu devrais être reconnaissante envers Zéphyr, il t'a sauvé d'une vie de misère.
Je lui lance un regard noir, la colère bouillonnant en moi. Comment ose-t-il me faire la morale, lui qui m'a trahie en révélant mes intentions à Zéphyr ?
- Je sais, Will, ne t'en fais pas, tu as très bien fait passer ton message auprès de Zéphyr ! dis-je d'une voix glaciale, chaque mot dégoulinant de sarcasme. Je suis tellement reconnaissante d'avoir été vendue comme du bétail et d'être maintenant la propriété d'un autre faë. C'est le rêve de toute personne, tu sais.
Je me lève brusquement, ma chaise grinçant contre le sol dans un cri de protestation. Ma serviette tombe sur la table, renversant mon verre d'eau, les gouttes scintillant sur la nappe immaculée. La frustration et la colère se mêlent en moi, créant un tourbillon d'émotions incontrôlables.
- Oh, je suis désolé, Majesté ! s'exclame Will. Je ne savais pas que tu étais si susceptible. Je pensais que tu serais heureuse d'apprendre que quelqu'un se soucie de ta sécurité. Mais apparemment, je me suis trompé. Tu préfères t'aventurer seule dans ce monde cruel et sans pitié, plutôt que d'accepter l'aide d'un ami. Je t'en prie, ne te gênes pas, va à ta perte ! Tu n'as pas idée de ce qu'est un hybride seul dans la rue !
- Will, arrête maintenant ! s'énerve Zéphyr. Élisabeth, ne lui en veux pas trop, sa voix se radoucit. Il est venu m'en informer pour ton bien... Pour Lior, n'oublie pas qu'il n'a pas encore cinq ans. Je vais avoir une discussion avec lui. Ne te tracasse pas avec ça.
Les paroles de Zéphyr, bien que douces, ne suffisent pas à calmer le tumulte qui m'habite. Je hoche la tête, mais mon esprit est en ébullition, tiraillé entre mon affection pour Lior et la certitude que je ne peux pas, que je ne dois pas, prendre la place de sa mère. Je ne suis pas Lyra. Je refuse de lui voler la mémoire de sa vraie mère, de lui voler la vie qui aurait dû être la sienne. Cette confusion crée déjà une distance douloureuse entre Zéphyr et moi. D'une voix ferme, je m'adresse à Lior :
- Appelle-moi Lizzie ou Élisabeth, s'il te plaît. Je ne quitterai pas le château, ne t'inquiète pas.
Puis, incapable de supporter le poids des regards et des non-dits, je quitte la cuisine, laissant derrière moi un silence pesant, chargé de l'émotion que je ne peux plus contenir. Mon cœur bat à tout rompre, chaque pas résonnant comme un coup de marteau sur le sol froid du couloir. Je me réfugie dans ma chambre, où enfin, je laisse libre cours aux larmes qui brûlent mes yeux.
La semaine passe tranquillement au château de Brisevent. Je suis toujours en froid avec Will et refuse de lui parler ou même de le regarder depuis notre altercation. Mes échanges avec Zéphyr se limitent aux sujets concernant Lior et le domaine. Pris par son travail, il est parti pour plusieurs jours sur un nouveau chantier, ce qui me permet de souffler un peu.
Lior et moi passons nos journées à explorer le château, à jouer dans les jardins enneigés et à lire dans la bibliothèque. Il m'appelle désormais "Liz", un surnom affectueux qui me fait chaud au cœur et qui est un très bon compromis pour moi.
Margaret s'est rapidement adaptée à sa nouvelle vie ici. Elle a allégé la charge de travail de Sophia en prenant en main une partie des tâches ménagères. Margaret et moi sommes devenues inséparables, passant nos soirées à bavarder au coin du feu et à partager nos rêves. Nous faisons les courses ensemble au marché, profitant de ces moments pour nous évader. Nous en rêvions toutes les deux quand nous étions au manoir Hayward.
L'anniversaire de Lior approche, et nous préparons activement les festivités. Nous prévoyons de décorer la grande salle, de faire un gâteau au chocolat et d'organiser une chasse au trésor dans les jardins. Lior est impatient, et son excitation est contagieuse. Je suis heureuse de pouvoir lui offrir un anniversaire mémorable.
Un matin, Margaret et moi, nous nous dirigeons vers le marché, nos bottes crissant sur la neige fraîche. Malgré le froid, le marché est animé. Nous déambulons entre les étals, j'écoute ses anecdotes amusantes sur sa vie au manoir Hayward.:
- Tu te souviens de Simon ? me demande-t-elle soudainement.
Je hoche la tête, me rappelant de ce personnage déplaisant.
- Eh bien, figure-toi qu'il a été renvoyé peu de temps après ton départ ! Il a essayé de voler de l'argent à Madame Hayward et a été pris sur le fait.
Je ne peux retenir un rire. La justice a fini par s'abattre sur Simon, et je ne peux m'empêcher de penser que c'est une bonne chose.
- Il s'est peut-être reconverti en masseur de pieds ! je me moque.
Nous nous arrêtons à un étal où des fruits confits brillent comme des joyaux sous la lumière hivernale. Noix croquantes, chocolat riche et onctueux, chaque ingrédient est sélectionné avec soin pour le gâteau d'anniversaire de Lior. À un autre étal, nous nous laissons séduire par des rubans colorés et des bougies scintillantes, imaginant déjà la grande salle illuminée pour la fête.
En chemin, je pense à Charlie, le nouvel ami de Lior. Sa présence à l'anniversaire ajouterait une touche de joie supplémentaire à la journée. Je ne dois pas oublier de lui envoyer une invitation, en espérant qu'il pourra se joindre à nous.
Mon regard est attiré par un étal de jouets en bois, où des petites catapultes et des chevaux sculptés semblent m'appeler. L'enfant qui sommeille en moi s'éveille, et je ne peux résister à l'envie de gâter Lior. J'ajoute à mon panier une catapulte et quelques chevaux, ainsi qu'une poignée de soldats de plomb pour compléter sa collection. Après tout, on n'a jamais trop de soldats pour mener de grandes batailles imaginaires.
Je rentre au château avec Margaret, chacune portant des sacs bien chargés de provisions. À peine avons-nous franchi la porte d'entrée que Lior nous saute dessus, ses yeux émeraude brillant d'excitation.
- Mais arrête, tu vas gâcher la surprise ! dis-je en souriant tout en essayant de le repousser gentiment.
- J'ai vu du chocolat !!! J'en veux, j'en veux !!! s'exclame Lior en sautillant, ses boucles brunes rebondissant à chaque mouvement.
Je secoue la tête avec amusement.
- Ton anniversaire est dans deux jours, Lior, et tu ne veux pas le fêter sans ton papa, j'imagine !
Lior fait la moue, mais il sait que j'ai raison. En me dirigeant vers la cuisine, je croise Sophia en train de pétrir du pain. Elle a de la farine plein les cheveux, ce qui lui donne une allure comique.
- Eh bien, qu'est-ce qui t'est arrivé ? Tu t'es battue avec la farine ? je questionne en riant.
- J'ai essayé d'apprendre à Lior à faire du pain... répond-elle avec un sourire désolé.
Je ne peux m'empêcher de rire. Margaret s'approche alors, attrape une poignée de farine et me la lance en plein visage.
- Ce n'est pas gentil de se moquer, dit-elle en riant.
- Tu vas voir ! je m'exclame, prête à riposter.
Nous nous lançons de la farine plein le visage, utilisant table et chaise pour nous protéger des projectiles. Les éclats de rire résonnent dans la cuisine, créant une ambiance joyeuse et insouciante.
À ce moment-là, Lior entre dans la cuisine, choqué de nous voir nous lancer de la farine :
- Mais pourquoi vous faites ça, il y a de la neige dehors en plus ! rigole-t-il.
La cuisine est dans un état épouvantable, couverte de farine et de miettes. Après un bon fou rire, nous prenons le temps d'aider Sophia à tout nettoyer. Ensemble, nous rangeons les sacs de provisions, essuyons les surfaces et remettons les chaises en place.
Ensuite, nous nous installons autour de la grande table en bois pour manger des sandwiches préparés avec le pain tout juste sorti du four. L'odeur réconfortante du pain chaud emplit la pièce, contrastant avec le froid extérieur.
- Ce pain est délicieux, Sophia, dis-je en croquant dans mon sandwich.
- Le meilleur sandwich de toute ma vie ! s'exclame Margaret.
Sophia rougit légèrement, mais son sourire satisfait en dit long. Margaret, Lior et moi échangeons des histoires et des rires, savourant ce moment simple mais précieux. Dans ces instants de complicité et de bonheur partagé, les soucis du monde extérieur semblent s'évanouir, laissant place à la chaleur et à l'affection de notre petite communauté.
Je suis sur le point de monter les escaliers pour me changer et revêtir une robe propre lorsque je tombe sur Will.
- J'aimerais m'expliquer. On ne va pas se faire la gueule éternellement.
- Tu aurais pu venir en discuter avec moi directement au lieu de tout balancer à Zéphyr comme ça.
Il me regarde, mais ne semble pas regretter ce qu'il a fait. Il serre la mâchoire.
- Viens avec moi boire un café dans le salon, j'aimerais te parler un peu de mon enfance avant que Zéphyr me vienne en aide.
J'hésite un instant. J'ai encore des traces de farine sur mes vêtements et mon corps, mais je décide de le suivre malgré tout. Je m'installe en face de lui, le visage fermé, n'ayant qu'une envie : partir. Il me regarde, prend un moment puis commence :
- Ma mère, une humaine, travaillait dans un bordel près de la capitale. Elle est tombée enceinte sans même savoir qui était mon père... Faë... Humain... Elle n'en savait rien. Elle a appris sa grossesse tellement tardivement qu'elle n'avait plus d'autre choix que de me garder. Son patron l'a mise à la porte, et elle s'est retrouvée à supplier de l'aide auprès de ses parents qui ne voulaient plus entendre parler d'elle... Malgré le fait qu'ils aient accepté de l'accueillir, son état s'est vite dégradé. Elle a eu une grossesse si épuisante qu'elle n'arrivait à peine à se lever, ni même à s'alimenter. Lors de l'accouchement, qui semble avoir été prématuré, elle m'a mis au monde mais elle s'est vidée de toutes ses forces, de tout son sang. Mes grands-parents ont vite compris le problème en voyant mes oreilles pointues et l'aura que je dégageais... J'étais un hybride, une tare de plus dans cette famille après l'humiliation d'avoir eu une fille réduite à la prostitution. Mais ma grand-mère a pris pitié de moi. J'étais si petit, si faible. Elle m'a nourri, juste le temps de laisser les dieux venir me chercher. Mais je me suis battu, j'ai survécu. Ma grand-mère s'est prise d'affection pour moi, même si mon grand-père refusait de communiquer avec moi. Les années ont passé, je n'étais pas malheureux, mais je n'ai pas eu la chance d'aller à l'école comme les enfants des voisins, ni à l'école Faë, ni à l'école humaine. J'ai été refusé partout. Ma grand-mère m'emmitouflait en extérieur et a fait en sorte que j'aie une enfance assez normale pour un hybride. Elle m'a donné un nom, des repas, de l'amour, et ça me suffisait amplement. Puis elle s'en est allée... Une mort naturelle, mais ça m'a déchiré, elle était pour moi une mère. J'avais 10 ans, mon grand-père m'a maudit, m'a dit que j'étais responsable et m'a foutu dehors avec juste les affaires que j'avais sur le dos. J'ai demandé de l'aide, frappé à chaque maison, mais je m'en tirais juste avec des coups de pied, des bousculades. J'ai voyagé à travers tous les royaumes, jusqu'à la région d'Édenia. Je me nourrissais en volant de la nourriture, me lavais dans la rivière, volais des habits sur le marché. Peu importe que je sois gentil, que je propose mes services comme mineur, palefrenier, paysan, personne ne voulait jamais de moi. J'ai vagabondé sous les insultes et les menaces, sans jamais connaître un sommeil paisible, toujours sur mes gardes. Il m'arrivait souvent de croiser des loups, des gobelins ou des serpents en pleine nature, ou encore de subir des agressions dans les villes. Je n'étais plus qu'une enveloppe vide, errant, et je suis tombé sur Lyra. Quand je l'ai vue, j'ai été frappé par sa beauté, son sourire, sa façon si élégante de se déplacer et de s'habiller. Non, c'était impossible, elle ne pouvait pas être comme moi, mais son aura si puissante, si belle, me le confirmait, elle m'éblouissait, elle m'aveuglait... Et Zéphyr est arrivé et l'a prise par le bras. Elle était l'épouse d'un Faë, comment était-ce possible ? Zéphyr a suivi son regard et m'a vu. Accroupi dans la boue, à même le sol, tendant la main pour obtenir une petite pièce pour me nourrir. Ils se sont regardés, un regard échangé plein d'amour et de tendresse, si puissant. Puis elle s'est avancée vers moi et m'a tendu la main...
Nous pleurons tous les deux... Il reprend :
- Ils m'ont accueilli à Brisevent, j'ai pu rencontrer Lior, ce tout petit bonhomme. J'ai pu me laver, m'habiller, et ils m'ont donné à manger. Je ne savais même plus comment manger à table, je ne savais plus me servir de couverts, je mangeais avec les doigts, mais ça ne semblait pas les déranger. Lyra pleurait, mais ce n'était pas de dégoût ou autre. Elle était déchirée par ce qu'on avait fait de moi. Lyra, avec l'aide de Zéphyr, m'ont appris à lire, à manger, ils m'ont accueilli sous leur toit, mais j'ai demandé par la suite à vivre près des écuries. Il m'a fait construire un appartement là-bas, pour que je sois plus près des chevaux, car c'est là que je me sentais le plus heureux. La mort de Lyra a été la chose la plus dure que j'ai vécue, plus dure encore que la vie de misère que j'avais avant. Pour tout ce qu'elle m'a apporté...
Un silence pesant suit, nos larmes continuant de couler.
- Voilà pourquoi j'ai informé Zéphyr, Élisabeth. Tu peux me haïr de l'avoir fait si tu veux, continuer de ne plus me parler, mais crois-moi, si j'ai fait ça, c'est pour toi... Tu es aussi sa sœur, je l'ai fait aussi pour elle, car Lyra n'aurait jamais voulu ça pour toi.
Je reste silencieuse, le cœur lourd et la gorge nouée. Les révélations de Will tourbillonnent dans mon esprit, chaque mot résonnant comme un écho douloureux. Ma sœur... Lyra... Une sœur que je n'ai jamais connue, et pourtant, son amour m'ait transmis à travers Will.
- Je... je ne savais pas, Will, dis-je enfin, ma voix tremblant sous le poids de l'émotion. Pourquoi ne m'as-tu jamais rien dit avant ?
- Parce que je pensais que tu étais mieux sans connaître cette partie de mon passé, répond-il doucement. Mais maintenant, avec tout ce qui se passe, je ne pouvais plus garder ça pour moi. Tu as le droit de savoir, Élisabeth. Tu as le droit de savoir que tu n'es pas seule.
Je prends une profonde inspiration, essayant de maîtriser les émotions qui m'assaillent. Will a raison. J'ai le droit de savoir. Mais cela n'enlève rien à la douleur et à la confusion que je ressens pour Zéphyr.
- C'est tellement injuste, je murmure. Pourquoi avons-nous dû souffrir ainsi ?
Will me regarde avec une tristesse infinie dans les yeux. Il tend la main et prend la mienne, la serrant doucement.
- La vie est souvent cruelle, Élisabeth, dit-il avec une voix empreinte de tristesse. Mais il ne tient qu'à nous de donner un sens à notre souffrance. Lyra a trouvé la force de m'aider, malgré tout ce qu'elle avait enduré elle-même. Et je suis sûr qu'elle aurait voulu que tu trouves ta propre force, que tu te battes pour un avenir meilleur.
Je hoche la tête, tentant de trouver une lueur d'espoir dans ses paroles. Je serre sa main en retour, trouvant un peu de réconfort dans sa présence.
- Mais pourquoi les hybrides sont-ils tant détestés ? je demande, ma voix tremblant d'incompréhension et de douleur.
Will soupire, son regard se perdant dans le vide, comme s'il cherchait les mots justes pour répondre.
- Les hybrides représentent tout ce que notre monde refuse d'accepter, Élisabeth. Les Faë et les humains ont toujours vécu dans une méfiance mutuelle, chacun considérant l'autre comme inférieur ou dangereux. Un hybride est la preuve vivante que ces deux mondes peuvent se mêler, que les frontières peuvent être franchies. Et cette réalité effraie beaucoup de gens.
Il s'arrête un instant, ses yeux se posant sur moi avec une intensité poignante.
- Nous sommes le fruit de l'union de deux races que tout oppose. Les hybrides ne sont ni entièrement humains, ni entièrement Faë, et cela nous place dans une zone grise où nous n'appartenons à aucun des deux mondes. Cette ambiguïté, cette différence, fait peur. Les gens haïssent ce qu'ils ne comprennent pas, ce qui défie leur vision du monde.
Je sens mon cœur se serrer à ces mots, chaque phrase est comme un coup de poignard dans mon âme.
- Alors, sommes-nous condamnés à être des parias, des rejetés, juste parce que nous existons ?
Will secoue la tête avec détermination.
- Non, Élisabeth. Nous ne sommes pas condamnés. C'est vrai, notre chemin est plus difficile, mais cela ne signifie pas que nous devons accepter la haine et la marginalisation. Nous pouvons prouver notre valeur et montrer que nous sommes bien plus que ce que les gens croient. Regarde ce que Zéphyr a fait pour nous. Il a vu au-delà de notre apparence, au-delà des préjugés. Il a vu l'être, l'âme derrière l'hybride. C'est ce que nous devons faire aussi : trouver ceux qui sont prêts à voir au-delà des différences et à accepter ce que nous sommes vraiment.
Je regarde nos mains jointes, une nouvelle détermination naît en moi. Peut-être que Will a raison. Peut-être qu'il y a une chance pour nous. Une chance de prouver que nous sommes dignes d'amour, de respect et d'avoir une place dans ce monde.
- Je veux croire en ça, dis-je doucement. Je veux croire que nous pouvons trouver notre place.
Un sourire triste mais plein de promesses éclaire le visage de Will :
- Alors nous le ferons ensemble, Élisabeth. Nous trouverons notre place. Mais ce n'est pas en t'enfuyant au milieu de la nuit avec seulement un sac sur le dos que tu y parviendras...
Je prends une profonde inspiration, sentant le besoin de me confier, de libérer les poids qui pèsent sur mon cœur.
- Will, il y a autre chose que tu dois savoir... pourquoi j'ai songé à partir.
Il me regarde avec une attention bienveillante, prêt à écouter.
- J'ai pensé à partir parce que je me sens perdue, piégée entre ce que je suis et ce que les autres attendent de moi. Mais aussi à cause de ce qui s'est passé avec Zéphyr.
Je vois l'inquiétude traverser son visage. Il serre ma main un peu plus fort, m'encourageant à continuer.
- Zéphyr et moi... nous nous sommes embrassés, dis-je en baissant les yeux, submergée par la honte. Mais... Il s'attendait à sentir l'odeur de Lyra, à retrouver quelque chose d'elle en moi...
Will ferme les yeux un instant, absorbant mes paroles. Je vois la douleur, la compassion mais aussi la colère se mêler sur son visage.
- J'étais dévastée. C'est pour ça que j'ai voulu partir, pour m'éloigner de cette douleur, de ce rappel constant que je ne peux pas être celle qu'il attend.
Will hoche lentement la tête, sa main chaude et rassurante dans la mienne.
- Élisabeth, ce que tu ressens est compréhensible. Zéphyr doit apprendre à te voir pour qui tu es, et non pour ce que tu pourrais représenter. Je comprends maintenant pourquoi il s'est comporté comme ça lors de la leçon d'équitation et pourquoi il voulait te donner des leçons par la suite.
Je sens mes larmes commencer à couler, mais cette fois, elles sont mélangées à un sentiment de soulagement. Parler de cela, partager cette douleur, la rend un peu plus supportable.
- Je crois qu'il ne l'a pas fait exprès, c'était instinctif et il s'est enfui avant que ça aille trop loin, dis-je en sanglotant. Et je ne veux pas être une ombre dans sa vie. Cette situation le déchire aussi.
Will essuie délicatement mes larmes, son regard rempli de détermination et de soutien.
- Tu n'as pas à être dans l'ombre de qui que ce soit, Élisabeth. Tu as ta propre lumière, ta propre force. Et ceux qui t'aiment vraiment, ceux qui te voient vraiment, apprendront à aimer cette lumière, cette force.
Je prends une profonde inspiration, sentant un poids se soulever de ma poitrine.
- Tu penses que Zéphyr ne m'aime pas pour ce que je suis ?
- Je ne sais pas, mais je pense que tu devrais t'éloigner de lui, surtout si tu en souffres autant. Et tu ne peux pas te permettre de quitter le château...
Je hoche la tête et le prends dans mes bras. Ça m'a fait tellement de bien de pouvoir me confier à lui.
- Merci, Will. Merci de m'écouter, de me comprendre. Merci de ne pas me juger pour ce qui est arrivé...
Il m'offre un sourire rassurant aux lèvres.
- J'arrive à comprendre maintenant... Si tu as besoin de moi, pour te confier n'hésite surtout pas.