Le monde revient lentement à moi, d'abord sous forme de sons étouffés, puis de lumière crue qui perce mes paupières. Je grogne en tentant de bouger, mais une douleur sourde m'envahit la tête. J'ouvre les yeux avec précaution et constate que je suis allongée dans ma chambre.
- Élisabeth, tu es réveillée ? murmure une voix familière.
C'est Zéphyr, assis à côté de moi, ses yeux saphir voilés d'inquiétude. Je tente de m'asseoir, mais la douleur me cloue sur place.
- Ne bouge pas trop, intervient Will, qui se tient près de la porte, l'air dévasté. Un guérisseur est passé. Il a dit que tu avais une commotion, mais rien de grave.
Je lève une main tremblante et touche le bandage qui enveloppe ma tête. Les souvenirs reviennent par bribes : la couleuvre, Tempête, la chute... puis plus rien.
- C'est ma faute, dit Zéphyr d'une voix rauque. J'aurais dû mieux te protéger. J'aurais dû être plus rapide, tout s'est passé si vite.
- Non, Zéphyr, dis-je faiblement. Tu m'as sauvée, la chute m'aurait probablement brisée le dos ou la nuque si tu n'avais pas utilisé tes pouvoirs.
Will secoue la tête, les poings serrés.
- C'est moi qui aurais dû être là. J'aurais dû mieux préparer Tempête, la calmer. Je n'ai pas été assez prudent.
Le silence s'installe, lourd de culpabilité. Je prends une profonde inspiration, essayant de rassembler mes forces.
- Écoutez, dis-je, la voix tremblante. Ce n'est la faute de personne. Les accidents arrivent. Vous avez tous les deux fait de votre mieux.
Zéphyr baisse les yeux, ses doigts caressant le dos de ma main.
- Voir Tempête paniquer comme ça, et te voir blessée et inconsciente...
Will s'approche et pose une main réconfortante sur son épaule.
- On va s'assurer que ça ne se reproduise plus. Je vais entraîner Tempête pour qu'elle soit moins nerveuse.
Je souris faiblement, touchée par leur inquiétude.
- Merci, Will. Et Zéphyr, merci pour ton aide. Je vais bien, vraiment. Mais qui a dit que Tempête était douce et docile déjà ?
- C'est moi ... admet Will. Mais il n'y a habituellement pas de couleuvre si près des écuries.
- Je te taquine, ne t'inquiète pas.
Ils échangent un regard soulagé de me voir consciente et en état de parler.
- Repose-toi, Élisabeth, murmure Will, avant de quitter la chambre, me laissant seule avec Zéphyr.
Une vague de vertige m'envahit et je gémis :
- J'ai tellement mal à la tête...
Je ferme les yeux, espérant que l'obscurité apaisera la douleur lancinante qui me transperce le crâne. Zéphyr s'approche doucement du lit, sa main se pose délicatement sur mon front, ses doigts caressent mes cheveux avec une tendresse infinie. Un soupir de soulagement s'échappe de mes lèvres alors que je sens la chaleur de sa présence me réconforter. Bercée par son toucher apaisant et le crépitement du feu dans la cheminée, je sombre à nouveau dans un sommeil profond, laissant la douleur s'estomper dans les bras de Morphée.
Quinze jours se sont écoulés depuis mon accident. Grâce aux visites régulières du guérisseur, j'ai réussi à me remettre rapidement, la cicatrice n'est même pas visible étant cachée dans mon cuir chevelu. Je suis restée loin des écuries depuis et ne suis pas prête à retenter l'expérience. Je m'efforce donc de remplir mon rôle de gouvernante avec dévouement, veillant sur Lior, aidant aux tâches ménagères et essayant d'enseigner à ce petit garnement les rudiments de la lecture. Parfois, il semble plus intéressé par les bêtises que par les livres, mais je ne désespère pas de lui transmettre le goût de la lecture.
L'automne est bien entamé, et chaque jour apporte son lot de feuilles tombées et de températures plus fraîches. Le vent glacial qui s'engouffre dans les couloirs du château annonce l'arrivée imminente de l'hiver, et je ne peux m'empêcher de ressentir une pointe de mélancolie en voyant les jours raccourcir et les nuits s'allonger.
Alors que je suis plongée dans l'enseignement de Lior, Zéphyr fait une entrée impromptue dans la pièce. Son expression sérieuse attire immédiatement mon attention, et je sens que quelque chose d'important se prépare :
- Élisabeth, puis-je te parler un instant ? me demande-t-il.
Je me lève, laissant Lior jouer avec ses jouets, et je m'approche de Zéphyr, intriguée par son ton grave :
- Bien sûr, Zéphyr. Que se passe-t-il ?
- J'ai une demande à te faire. Rosemary m'a envoyé une lettre. Elle accepte que je lui rende visite.
Je suis surprise par cette nouvelle. Rosemary est la tante de Lyra. Je me demande quelles réponses cette visite pourrait apporter.
- Pourquoi veut-elle te voir ?
- Je lui ai demandé des informations sur Lyra, sur son passé. Je pense qu'elle pourrait m'éclairer sur certains points. Je ne lui ai pas parlez de toi, je ne savais pas vraiment comment aborder le sujet.
Je réfléchis un instant. Cette visite pourrait être l'occasion d'en apprendre plus sur Lyra et sur les mystères qui entourent sa ressemblance avec moi.
- Je suis partante pour ce voyage. Quand partons-nous ?
- Demain matin. Nous arriverons chez elle en fin d'après-midi, nous chercherons une auberge pour la nuit. Nous serons de retour le lendemain. Je vais préparer tout ce qu'il faut pour le voyage. Sois prête à partir tôt.
Je hoche la tête, consciente que ce voyage pourrait changer beaucoup de choses. L'idée de rencontrer Rosemary, la tante de Lyra, m'effraie et m'excite à la fois. J'espère qu'elle pourra m'aider à comprendre les mystères qui entourent ma ressemblance avec Lyra et peut-être même m'en apprendre davantage sur mes origines.
Le lendemain, un carrosse arrive à Brisevent, probablement réservé aux longs trajets car je le vois rarement. Le cocher, le même qui m'avait amenée ici, nous ouvre la porte avec un sourire courtois et nous invite à monter :
- Bonjour, monsieur, je vous remercie, dis-je en m'installant.
- Bonjour Andrew, ajoute Zéphyr en hochant la tête vers le cocher.
Le cocher incline la tête en guise de salut avant de refermer la portière. Une brise froide s'infiltre à travers les fenêtres entrebâillées, me faisant resserrer ma couverture et frissonner. Zéphyr est assis en face de moi, le regard perdu dans le paysage qui défile lentement. Après un moment de silence pesant, une question me brûle les lèvres.
- Est-ce que je peux te poser des questions ? J'hésite, sentant mon cœur battre un peu plus vite. C'est assez personnel, mais je ne sais pas si tu veux que je me comporte avec toi comme une employée ou comme une amie...
Zéphyr lève les yeux vers moi, un sourire chaleureux étirant ses lèvres.
- Je suis content que tu me considères comme un ami, tu peux y aller avec tes questions, répond-il, son regard empreint de bienveillance.
Je prends une grande inspiration avant de poursuivre
- Comment as-tu hérité d'un château aussi grand ? Je veux dire, tu ne fais pas partie de la noblesse et ça m'a surprise. J'espère que ma question ne te choque pas !
Zéphyr secoue doucement la tête, son regard plongé dans les souvenirs du passé :
- Pas du tout, Élisabeth, dit-il d'une voix calme. J'ai hérité du château peu de temps après mon 19e anniversaire, après le décès de mon oncle qui n'avait pas d'héritier. Il était proche du roi et avait les moyens d'avoir un château aussi beau. J'ai songé à le vendre par la suite, mais Lyra en était amoureuse. Elle préférait passer ses journées à s'en occuper plutôt que de s'en séparer.
- Comment vous êtes-vous rencontrés ? je demande, une lueur de curiosité dans les yeux.
Je me sens un peu gênée d'avoir éveillé ses souvenirs douloureux, puis j'ajoute avec empressement. Oh, je suis vraiment désolée, c'est peut-être trop personnel !
Zéphyr secoue la tête, chassant mes inquiétudes d'un geste de la main :
- Ne t'inquiète pas, ce n'est rien... dit-il doucement. Sa tante, Rosemary, était employée dans la demeure où j'ai grandi, je vivais encore chez mes parents près de Rémission, la capitale du royaume. Lyra a commencé à y travailler quand elle avait 12 ans. J'avais 17 ans à l'époque, elle n'était pour moi qu'une petite fille au début. Elle était toujours derrière moi, à m'observer, comme si j'étais un héros de ses contes d'enfant. Nous avons passé de bons moments ensemble, et le fait qu'elle soit hybride ne me posait aucun problème. Je défiais quiconque osait la traiter de monstre ou lui faire du mal. Il serre la mâchoire, son regard s'assombrit légèrement. Au fil des années, elle a beaucoup changé, et je suis tombé follement amoureux d'elle. Le jour de ses 17 ans, nous avons passé la journée à flâner dans le domaine. Je lui ai fait découvrir le château, et il n'a fallu qu'une seule nuit pour qu'elle tombe enceinte. Une seule nuit ! Alors que nous, les faës, mettons généralement des décennies avant de concevoir un héritier. Mon oncle n'a jamais réussi à avoir d'enfant malgré ses deux épouses, et mes parents n'ont eu que moi...
Une émotion palpable envahit sa voix alors qu'il poursuit son récit.
- Jamais je n'aurais imaginé que cela soit possible. Était-ce dû à son sang à moitié humain ? Quoi qu'il en soit, nous étions jeunes, amoureux et heureux malgré tout. Nous nous sommes mariés dans l'année et elle a emménagé au château. Tout s'est enchaîné très vite, pourtant ces années furent les plus belles de ma vie...
Il s'interrompt, submergé par une vague d'émotions. Ses yeux se ferment, et il détourne le regard, comme s'il cherchait à cacher sa vulnérabilité. Le silence qui s'installe est lourd de sens, chargé de souvenirs et de sentiments non exprimés. Je sens mon cœur se serrer face à sa douleur, une douleur que je comprends et partage d'une certaine manière :
- Que pensait sa tante de votre relation ? j'ose demander, consciente que cela pourrait raviver des souvenirs douloureux.
- Elle ne m'a jamais pardonné de l'avoir "arraché" à elle si vite, répond-il avec une pointe d'amertume dans la voix. À ses yeux, j'étais un inconscient, un sombre crétin qui avait profité de l'innocence de Lyra. Le jour de l'enterrement, elle m'a même accusé d'être responsable de sa mort. C'est pourquoi j'étais si étonné qu'elle accepte de me revoir. Je pense qu'elle cherche surtout à revoir Lior, à s'assurer qu'il est entre de bonnes mains.
Le paysage continue de défiler devant nous alors que la conversation se poursuit.
- Et Will ? Pourquoi l'avoir embauché ? je demande, curieuse de connaître l'histoire derrière chaque membre du personnel du château.
Un sourire triste se dessine sur les lèvres de Zéphyr.
- C'est assez évident, non ? Je ne supportais pas l'idée que des hybrides souffrent à cause de l'ignorance et de la cruauté des gens. Quand j'ai rencontré Will, il était à la rue, réduit à la mendicité. Il m'a paru naturel de lui offrir un emploi, un toit, une famille. De plus, j'avais besoin de personnel pour m'occuper du château...
Il s'interrompt un instant, les yeux perdus dans ses souvenirs.
- Lyra ne cessait de courir partout, elle était épuisée chaque soir quand elle revenait dans la chambre. Nous n'avions même plus de moments pour nous.
Je perçois une profonde tristesse dans sa voix et je me demande si ce n'était pas plus que la fatigue qui le préoccupait. Est-ce que l'épuisement de Lyra les empêchait de partager des moments plus intimes ? Est-ce cela dont Sophia faisait allusion quand elle parlait de plaisir ? Je chasse rapidement cette pensée, gênée par ma propre indiscrétion.
- Ne va pas t'imaginer des choses ! s'exclame Zéphyr, comme s'il avait lu dans mes pensées. Je voulais dire qu'elle travaillait dur, rien de plus !
- Pardon, imaginer des choses ? Oh par tous les dieux, non, je n'ai jamais pensé à ça ! je balbutie, sentant la chaleur de l'embarras monter à mes joues.
Zéphyr rit doucement, sa tristesse temporairement dissipée.
- C'est bon, Élisabeth, je te taquine. Mais sérieusement, Lyra et moi avions une relation très spéciale. Nous avons traversé beaucoup d'épreuves ensemble, et chaque personne ici, y compris Will, fait partie de cette histoire. Chacun a sa place, et c'est grâce à eux que ce château est un foyer, pas juste une résidence.
Je hoche la tête, touchée par ses paroles. La loyauté et la compassion de Zéphyr envers son personnel révèlent un homme profondément humain, malgré sa nature faë. Cela renforce mon respect pour lui et ma détermination à mieux comprendre ce monde complexe où j'ai été plongée.
Le carrosse arrive enfin devant la demeure de Rosemary, une humble maison nichée à l'écart d'un village. L'atmosphère y est calme et paisible. Zéphyr est le premier à descendre du carrosse, et je le suis de près. Ensemble, nous nous dirigeons vers la porte d'entrée, où Zéphyr frappe doucement. La porte s'entrouvre lentement, révélant une femme d'environ cinquante ans au regard sévère. Ses cheveux, majoritairement blancs maintenant, témoignent de sa rousseur passée, tandis que ses yeux marrons scrutent le monde avec une intensité presque intimidante. Son visage marqué par les années, se fige en me voyant, puis se durcit davantage lorsqu'elle pose son regard sur Zéphyr. Un silence oppressant s'installe, chargé d'une tension palpable. Rosemary semble déconcertée, presque déstabilisée par ma présence. Ses yeux scrutent mon visage avec une intensité inquiétante. Finalement, elle reprend ses esprits :
- Zéphyr ? Sa voix trahit à peine une hostilité sous-jacente.
- Rosemary, je... je suis venu te parler de Lyra. Je cherche des réponses sur son passé, explique-t-il d'une voix ferme.
Rosemary serre les poings :
- Tu ne sembles pas vraiment surprise de voir Élisabeth m'accompagner, je me trompe...
- Si, je suis assez surprise de la trouver en ta compagnie. Je me doutais qu'elle finirait par me trouver un jour ou l'autre...
- Pardon ? Comment ça ? je demande.
Rosemary reste silencieuse un moment, ses yeux toujours rivés sur moi, comme si elle cherchait à percer mes pensées. Puis, avec un mouvement brusque, elle se détourne et nous invite à entrer d'un geste de la main. Nous franchissons le seuil et découvrons un intérieur étonnamment soigné. Rosemary nous mène dans un petit salon baigné de la lumière douce du crépuscule. Au centre de la pièce trône une table basse en bois sombre, sculptée de motifs floraux complexes. Un épais tapis persan aux couleurs chatoyantes recouvre le sol, tandis que des tableaux représentant des paysages idylliques ornent les murs. Sur une étagère, des bibelots précieux et des livres anciens témoignent d'un goût raffiné. Nous prenons place, et un silence inconfortable s'installe à nouveau, rompu seulement par le tic-tac de l'horloge ancienne posée sur la cheminée. Finalement, Rosemary brise le silence d'une voix tendue... :
- Que voulez-vous apprendre, Zéphyr... ?
- J'aimerais que vous m'expliquiez comment la sœur jumelle de Lyra s'est retrouvée dans un orphelinat, car c'est bien de cela qu'il s'agit, n'est-ce pas ? Il n'y a pas d'autre explication logique...
Ma sœur jumelle...
Ces mots résonnent dans ma tête, me frappant de plein fouet. Le temps semble se figer, l'air se raréfier autour de moi. Je tourne mon regard vers Zéphyr, les yeux écarquillés, cherchant une confirmation, un démenti, n'importe quel indice qui pourrait dissiper le brouillard qui s'empare de mes pensées. Il me répond par un regard empreint de compassion et de tristesse, comme s'il avait déjà compris, comme s'il avait toujours su. J'aurais dû le comprendre toute seule, comment ai-je pu être aussi stupide ? La ressemblance frappante, notre âge identique... Je ne suis qu'une idiote ... Mes yeux se posent à nouveau sur Rosemary. Elle semble bouillir de rage, son corps tremblant de fureur contenue, son regard est un mélange de haine et de peur. J'attends sa réponse, le cœur battant la chamade, espérant contre toute attente qu'elle démentira, qu'elle me dira que tout cela n'est qu'un malentendu, une terrible erreur.
- Je vais tout vous raconter, mais après vous partez...
Elle se sert un verre d'eau d'une main tremblante, en boit une gorgée sans même nous en proposer, et poursuit :
- Daphné, ma sœur, s'est entichée d'un faë qu'elle avait rencontré. Elle est rapidement tombée enceinte de cette... créature. Bien qu'elle ait été avertie des risques, elle était persuadée qu'elle arriverait à mener la grossesse à terme, même si les chances de survie étaient minces. L'accouchement est vite arrivé, et elle s'est vidée de son sang... Pendant que le guérisseur lui ouvrait le ventre, elle m'a fait promettre de prendre soin de son bébé. Elle a, à peine eu le temps de voir le visage de Lyra que son cœur a lâché... C'est là que ce maudit « guérisseur », ce boucher, a attrapé le deuxième bébé. Des jumelles... J'étais folle de rage, je venais de perdre ma sœur, ma meilleure amie. Je lui avais promis de prendre soin de SON bébé, son premier, celui qu'elle a tenu à peine quelques secondes dans les bras, mais je ne lui avais rien promis pour le deuxième. C'était trop pour moi. Devoir m'occuper d'un enfant à demi-faë, d'accord, mais il n'était pas concevable pour moi d'en gérer deux. J'ai demandé au guérisseur de te déposer au premier orphelinat sur son chemin. Et j'ai préféré l'oublier, j'avais suffisamment de soucis comme ça.
Alors que Rosemary termine son récit, une explosion de colère jaillit de Zéphyr. Ses traits se crispent, ses yeux lancent des éclairs de fureur. Il se lève brusquement, renversant sa chaise avec un bruit sourd.
- Vous vous rendez compte de ce que vous venez de dire ?! rugit-il, sa voix résonnant dans la petite pièce. Vous avez abandonné un enfant ! Séparé des jumelles ! Vous avez été lâche, égoïste ! Daphné n'aurait jamais voulu ça !
Rosemary, face à cette déferlante de rage, reste interdite, pétrifiée. Elle ne s'attendait visiblement pas à une telle réaction de la part de Zéphyr. Un frisson la parcourt, comme si la colère de l'homme avait le pouvoir de la glacer.
- Vous dites ça comme si vous la connaissiez ! réplique-t-elle
- Je me trompe peut-être ? continue Zéphyr, sa voix montant en intensité. Comment avez-vous pu être aussi cruelle ?! Élisabeth méritait mieux que ça et vous vous en lavez les mains, comme si sa vie n'avait aucune valeur pour vous ! Elles méritaient toutes deux mieux que ça !
Les mots de Zéphyr résonnent dans la pièce, emplissant l'atmosphère d'une tension électrique. Je suis spectatrice de cette scène explosive, incapable de parler, choquée par la véhémence de la réaction de Zéphyr. Un courant d'air glacial parcourt la pièce, faisant vaciller les flammes des bougies. Un tableau accroché au mur se décroche et s'écrase au sol dans un fracas sonore.
Rosemary recule d'un pas, apeurée. Son assurance vacille face à la colère de Zéphyr et à la manifestation involontaire de sa magie.
- Je... je n'avais pas le choix... balbutie-t-elle, la voix brisée.
Zéphyr la fixe d'un regard glacial, mais sa colère s'estompe peu à peu, laissant place à une tristesse infinie et un désespoir palpable.
- Vous auriez pu essayer de la retrouver, souffle-t-il, la voix rauque de chagrin. Vous auriez pu dire la vérité à Lyra.
Mes larmes redoublent d'intensité à ses mots. L'idée d'avoir grandi sans ma sœur jumelle à mes côtés me déchire. Une vie complètement différente se dessine dans mon esprit, une vie remplie d'amour, de complicité, de soutien. Rosemary baisse la tête, incapable de soutenir le regard accusateur de Zéphyr. Je prends une profonde inspiration, ravale mes sanglots et m'adresse à Rosemary d'une voix étonnamment calme :
- Qui était mon père ?
C'est la question qui me hante depuis le début. Zéphyr me regarde, son visage tiraillé par le chagrin et l'incertitude.
- Je... Je n'en ai aucune idée ! lâche Rosemary, la voix empreinte de mépris, mais ses yeux trahissent une lueur de panique. Une pourriture faë comme une autre !
- Je vous prie de ne pas nous insulter, rétorque Zéphyr d'une voix tranchante, tandis qu'une bourrasque de vent s'engouffre dans la pièce. Vous étiez bien contente d'être employée chez mes parents quand vous en aviez besoin. Sans eux, vous n'auriez jamais pu vous offrir cette maison !
Le vent se déchaîne soudainement, balayant tout sur son passage. Les cadres se décrochent des murs, les chaises sont projetées dans la pièce, un vase explose au sol et des éclats de verre fusent, écorchant le visage de Rosemary. Zéphyr semble perdre tout contrôle. Un frisson me parcourt et je me tourne vers lui, posant une main sur son avant-bras.
- Lyra n'aurait pas voulu ça, s'il te plaît, calme-toi, dis-je doucement.
Il me regarde, ses yeux saphir plongés dans les miens, et le vent se calme instantanément. Rosemary, recroquevillée dans un coin, tremble de peur. La pièce est dévastée, un chaos de meubles renversés et d'objets brisés.
- Nous partons, déclare Zéphyr en me prenant délicatement par le bras.
Je me tourne vers Rosemary, la gorge serrée par l'émotion :
- Je tiens à vous dire que mon enfance a été un véritable cauchemar, un enfer que je ne souhaite à personne. J'ai grandi seule, méprisée, traitée comme un monstre. Finalement, j'ai été vendue comme servante et j'ai subi d'innombrables violences. Et tout ça, c'est à cause de vous. J'aurais tant aimé connaître ma sœur, j'aurais même voulu vous connaître... Mais je ne veux plus jamais vous revoir. Zéphyr a raison, c'est vous le monstre. Je suis certaine que ma mère, où qu'elle soit, aurait honte de vous.
Zéphyr, en s'éloignant, lance par-dessus son épaule :
- Et ne comptez pas non plus revoir Lior.
Je m'éloigne en chancelant, submergée par les émotions, la nausée me tordant le ventre. Zéphyr me suit de près, posant une main protectrice sur mon dos pour me soutenir. Il me guide vers le carrosse qui nous attend, me promettant silencieusement un avenir meilleur, loin de cette maison et de ses douloureux secrets.