Le cœur battant la chamade, je quitte la chambre, serrant fermement la poignée de mon sac usé. Je prends une grande inspiration, cherchant désespérément un souffle de courage. Mes pas me mènent vers la salle d'eau réservée aux domestiques. J'ouvre la porte et ne suis pas surprise de découvrir un seau d'eau encore tiède déjà prêt, accompagné d'un pain de savon et de linges propres. Margaret avait tout anticipé, comme toujours, en revenant du marché sachant la corvée qui m'attendait avec la cheminée. Un sourire fragile se dessine sur mes lèvres, aussitôt effacé par une nouvelle larme qui coule sur ma joue. Je me déshabille rapidement et plonge le linge dans l'eau tiède, savourant sa douce chaleur sur ma peau meurtrie. Je me savonne vigoureusement, tentant de faire disparaître la suie qui s'est infiltrée dans tous les recoins de mon corps. Mes cheveux, eux, devront attendre : je n'ai pas le temps pour les savonner. Je les rassemble en un chignon grossier pour les tenir éloignés de mon visage. J'enfile une robe propre, hésitant un instant sur le sort de celle que je viens de retirer. La suie qui la recouvre la rend impropre à porter, et je ne peux me résoudre à l'abandonner, je ne possède que trois robes en tout... Lâchant un soupir de résignation, j'enroule la robe souillée dans un linge propre et la glisse dans mon sac. Chaque pièce de vêtement est précieuse, et je ne peux me permettre de m'en séparer, même si son état laisse à désirer.
Je sors de la salle d'eau et tombe nez à nez avec Simon, adossé au mur d'en face. Un sourire narquois étire ses lèvres, dévoilant une dentition négligée.
-Tu pensais partir sans me dire au revoir, ma beauté ? lance-t-il d'un ton arrogant, ses paroles résonnant dans le couloir silencieux.
J'ignore son commentaire et descends rapidement les marches. Arrivée près de la grande porte en chêne menant à la sortie, je sens une poigne ferme s'agripper à mon bras, me projetant violemment en arrière. Simon me plaque contre le mur, son sourire narquois s'élargissant.
-Tu me dois quelque chose, murmure-t-il d'une voix traînante, son ton doucereux cachant mal une menace sous-jacente.
- Je ne te dois rien du tout, lâche-moi ! je rétorque, luttant contre son emprise qui commence à me faire mal.
- Mais si voyons, insiste-t-il, se rapprochant de moi, je t'ai montré comment nettoyer la cheminée et je ne t'ai rien dit pour Hayward. Un p'tit baiser d'adieu ne serait-il pas le bienvenu ?
Une vague de nausée me submerge lorsque son haleine malodorante fouette mon visage. Je tente de me dégager de ses mains serrées, mais sa force est brutale. Soudain, un mouvement rapide attire mon attention. Zéphyr apparaît comme par magie, surgissant de l'ombre d'un pilier. D'un geste fluide et précis, il propulse Simon en arrière, le faisant atterrir lourdement sur ses fesses. Le faë n'a même pas besoin de prononcer un mot. Son regard perçant fige Simon dans un silence immédiat. Une terreur palpable s'empare du palefrenier, si intense qu'il se met à uriner dans son pantalon.
J'observe la scène, partagée entre l'humiliation et ma reconnaissance envers Zéphyr. Mais sans un mot de remerciement, je sors du manoir, quittant l'atmosphère pesante qui y règne. Devant le domaine, un somptueux carrosse attend, tiré par des chevaux. Un cocher m'ouvre la portière avec un hochement de tête respectueux. Je monte à bord puis m'installe dans les moelleux coussins, soulagée de finalement quitter cet endroit. L'intérieur du carrosse est d'un luxe raffiné, Zéphyr arrive après moi et s'installe en face de moi.
Plusieurs heures se sont écoulées depuis notre départ du manoir. Le carrosse cahote sur la route poussiéreuse, et je sens la tension monter en moi, incapable de contenir mes pensées qui s'emballent. Finalement, je fixe Zéphyr, assis en face de moi, son visage crispé par la nervosité. Un silence oppressant règne, seuls les bruits du voyage brisent l'atmosphère électrique.
- Calmez-vous, Élisabeth, dit-il d'une voix apaisante. Je vois bien que vous êtes sur le point d'exploser.
- Comment voulez-vous que je me calme ?! je m'exclame. Après ce que vous avez fait ?!
- Que me reprochez-vous ? Je ne pensais qu'à vous, répond-il, sa voix teintée d'inquiétude. La simple idée que vous puissiez subir à nouveau des violences me hantait jour et nuit. Et n'avais-je pas raison ? Que voulait cet homme d'après vous ?
- Ne soyez pas si dramatique, je retorque. Ce n'était pas si grave.
- Vous étiez terrorisée quand je vous ai vue dans les jardins en train de remplir un seau au puits, insiste-t-il, cherchant à se justifier.
- Et vous ne vous êtes pas dit un seul instant que c'est VOUS qui me faisiez peur ?! je réplique, haussant le ton. Vous vous pointez comme ça au manoir, après avoir questionné les vendeurs sur le marché pour savoir où je vivais ?
- Je cherchais juste des réponses, je peux comprendre que ça ait pu vous troubler, explique-t-il. Mais je ne voulais plus qu'on vous fasse du mal, vous étiez couverte de bleus...
- Oh, ce n'était pourtant plus un problème, l'ancien palefrenier qui me battait est mort...
- Mort ? Vous... Vous l'avez tué ?!! s'exclame-t-il, l'horreur dans la voix.
- Pour qui me prenez-vous ? dis-je en levant les yeux au ciel. Il est tombé malade.
Zéphyr me regarde de côté, un pli sur son front. Semble-t-il regretter de m'avoir achetée ? C'est presque risible.
- Écoutez, Élisabeth, soupire-t-il. Je n'ai trouvé que cette solution sur l'instant. Ça me semblait logique à ce moment-là.
- Il n'y a absolument rien de logique là-dedans. Et pourquoi étiez-vous si froid devant Madame Hayward ?
- Je ne voulais pas passer pour un ami auprès d'elle, j'avais peur qu'elle refuse toute transaction après.
- Vous n'êtes pas mon ami, mais mon maître à ce que j'ai cru comprendre ... Et une transaction ?! Vous me prenez pour un objet ? Un animal ?!
- Oh mais pourtant, vous êtes aussi têtue qu'une mule ! s'énerve Zéphyr.
- Et vous pensez que m'acquérir comme une vulgaire marchandise est une solution acceptable ?
Il hausse les épaules, son visage marqué par la frustration :
- Il n'y avait pas d'autre choix, Élisabeth. Madame Hayward a affirmé que vous lui apparteniez dès mon arrivée. Que pouvais-je faire ? Vous demandez en mariage peut-être ?!
- Un ma... mariage ! Non ! Bien sûr que non, je balbutie rouge de honte. Vous auriez pu au moins m'aviser !
- Vous n'auriez jamais accepté, rétorque-t-il avec une pointe d'amertume. Nous le savons tous les deux.
Je reste muette alors que le carrosse poursuit son chemin, traversant divers domaines dans le silence le plus complet, n'ayant pour seule compagnie que le bruit de la pluie battante et le grondement des roues sur le sol détrempé.
Le carrosse arrive enfin au domaine de Zéphyr. Il s'agit d'un immense château isolé dans la campagne. Je reste sans voix, impressionnée par sa grandeur, mais je me sens également effrayée, ne sachant pas ce qui m'attend dans cet endroit inconnu.
Zéphyr descend du carrosse et me tend la main pour m'aider à descendre. Je l'ignore et descends en laissant sa main en l'air, ce geste le laissant dans une posture maladroite. Je commence à m'avancer vers la porte principale, mais je me demande un instant si je ne devrais pas plutôt me rendre à l'écurie voisine pour y dormir... Zéphyr s'approche de moi, secoue la tête et, dans un geste théâtral, m'invite à le suivre. Un homme à la chevelure rousse, au visage orné d'une barbe touffue et aux yeux couleur noisette, nous accueille chaleureusement en ouvrant la porte, arborant un large sourire bienveillant. Cependant, son sourire vacille légèrement lorsqu'il me dévisage, et une ombre de confusion traverse son regard :
- Bonsoir Zéphyr, Madame... dit-il, ses yeux s'attardant sur moi plus longtemps que nécessaire.
- Bonsoir Will.
Je m'arrête soudainement, bouche bée :
- Mais vous êtes un... Un... Vous êtes comme moi !
Will éclate de rire face à ma réaction, et doit même s'appuyer contre le mur pour ne pas tomber :
- Un hybride, oui Madame.
Je m'illumine de joie, j'ai envie de le prendre dans mes bras, juste pour cela. Ma réaction fait sourire Zéphyr.
- Si seulement tout le monde réagissait comme vous en me voyant, je me sentirais beaucoup moins seul ! s'exclame Will, bien que ses yeux trahissent une certaine émotion.
- Pardonnez ma réaction, je suis vraiment contente de vous rencontrer. Je m'appelle Élisabeth.
- Bienvenue au château Brisevent, Élisabeth.
Zéphyr m'invite à le suivre à travers un dédale de couloirs et d'escaliers. Il ouvre finalement une porte et déclare :
- Voici votre appartement, Élisabeth. J'espère qu'il vous conviendra. Vous avez un salon, une salle de bain et une chambre. Il est tard, Will vous fera visiter le reste du château demain. Lior est dans la chambre juste en face de la vôtre, dit-il en désignant la porte derrière lui.
Surprise par l'ampleur des lieux, je m'exclame :
- Mais c'est beaucoup trop...
- C'est ce qui convient à une gouvernante, rétorque-t-il avec un sourire. Je ne veux pas que vous vous considériez comme ma propriété, mais comme une employée. Je vous verserai un salaire, Élisabeth. Ça me semble tout à fait juste.
Gênée, je baisse les yeux vers le sol et réponds d'une voix hésitante :
- Je suis encore un peu troublée par la façon dont les choses se sont passées, mais j'aimerais plutôt vous rembourser avec ce salaire, pour être libre... Je suis vraiment désolée de m'être emportée, c'était juste tellement inattendu.
Zéphyr s'approche et pose une main rassurante sur mon épaule.
- Je comprends votre surprise, Élisabeth. Nous aurons le temps de discuter de tout cela demain. Pour l'instant, reposez-vous et faites comme chez vous.
Après qu'il se soit tourné et éloigné, je franchis le seuil de l'appartement, une lueur vacillante des bougies dansant autour de moi. L'espace m'accueille avec une grandeur inattendue, rivalisant même avec les appartements privés de Madame Hayward. Le salon s'étale majestueusement, orné d'un magnifique bureau, de deux somptueux sofas et d'une cheminée imposante qui semble avoir vu des générations s'asseoir à ses côtés. Je me dirige vers une porte entrouverte et découvre une chambre, ses murs revêtus d'un papier peint ivoire qui semble éclairer la pièce de sa propre lumière. Mes yeux s'écarquillent devant la vue du lit à baldaquin, une structure monumentale qui semble occuper l'espace comme un trône royal. L'irréalité de la scène me submerge, me laissant croire que je vais bientôt me réveiller de ce rêve extravagant.
Je me dirige vers l'armoire. En ouvrant les portes, je découvre avec émerveillement une collection de robes simples mais neuves, parfaitement alignées. Des tissus doux et colorés, des coupes élégantes, des détails raffinés... Je caresse du bout des doigts une robe en lin bleu ciel, sa texture soyeuse me procurant une sensation de bien-être. Je ne peux retenir un sourire émerveillé. Moi qui n'ai jamais eu que des robes usées, récupérées des anciennes servantes de Madame Hayward, je me retrouve face à un véritable trésor. Il y a aussi des chemises de nuit, une tenue d'équitation et un peignoir. La joie m'envahit, me donnant envie de tournoyer dans la pièce comme une enfant.
Je traverse une autre porte et me retrouve dans une salle de bain spacieuse. Une baignoire en cuivre trône au centre de la pièce, invitant à la détente et au bien-être. Des serviettes moelleuses sont soigneusement pliées sur une étagère en bois sculpté, à côté d'une petite coiffeuse en acajou. Un miroir ovale, encadré d'argent, reflète mon image, et je ne peux retenir un sourire émerveillé. Je suis loin de la salle d'eau commune et rudimentaire du manoir Hayward, où je devais me contenter d'un seau et d'un linge pour me laver, avec des serviettes toujours rêches. Ici, tout respire le raffinement, me donnant l'impression d'être une princesse dans un conte de fées.
Sans plus tarder, je me laisse tomber sur le lit, encore vêtue de mes vêtements, laissant échapper un cri de joie dans l'atmosphère paisible. Cependant, au milieu de cette exaltation, un vide se fait sentir, un désir de partager ce moment avec Margaret, de sentir sa présence à mes côtés. Mes pensées se tournent alors vers Zéphyr, et une chaleur inconfortable envahit mes joues. Je me rends compte alors de l'obscurité de mes propres désirs, me laissant rougir d'embarras dans l'intimité de cette chambre opulente.
À l'aube naissante, je m'éveille encore vêtue de mes habits. Un sommeil profond s'est emparé de moi, comme si je n'avais jamais connu pareille quiétude. Ce lit, ah, ce lit, si accueillant, si douillet, m'a procuré un confort insoupçonné. Ai-je dormi une semaine entière ? Mon cœur s'emballe à cette idée. Sans plus attendre, je m'élance hors du lit et ouvre la porte avec précipitation.
- Bonjour, Zézybete, as-tu bien dormi ? demande Lior avec enthousiasme.
Surprise par sa présence soudaine, je réponds :
- Oh, Lior, merveilleusement bien ! Mais que fais-tu là ?
- Papa ne voulait pas que je fasse de bruit hier, alors j'ai été sage comme une image, explique-t-il. Tu as dormi toute la journée ! J'étais si impatient de te voir, mais tu ronflais comme un ours, s'amuse-t-il à mes dépens.
- Par tous les dieux, toute la journée d'hier ? je m'écrie, réalisant avec effroi que j'ai complètement manqué ma première journée en tant que gouvernante.
- On dirait qu'un petit animal a élu domicile dans tes cheveux, lance-t-il en désignant avec malice ma tignasse en bataille, encore pleine de suie.
Saisie d'un frisson d'urgence, je me précipite vers la salle de bain attenante.
- Zézybete, veux-tu bien jouer avec moi aujourd'hui ? demande Lior en me suivant.
- Bien sûr, mais laisse-moi d'abord me préparer, s'il te plaît... Et mon prénom est Élisabeth ! je rectifie, tentant de préserver un semblant de dignité.
- Sophia t'a déposé un seau d'eau chaude ce matin, elle l'avait fait aussi hier, mais il n'a pas bougé du couloir, m'informe-t-il.
- Sophia ? Oh, merci ! Je vais la remercier plus tard, dis-je en attrapant la anse du seau.
- Tu la verras à la cuisine, elle prépare le petit déjeuner. Bon, j'ai faim, je t'attends là-bas ! me dit Lior en partant, sautillant de joie, ses boucles brunes rebondissant à chacun de ses pas.
Je ferme la porte et me dirige vers la salle de bain. Je découvre avec horreur mon reflet dans le miroir. Mes longs cheveux brun-roux sont hirsutes et emmêlés, ma peau est tachetée de suie, et mes yeux émeraudes sont gonflés par le sommeil. J'ai raté mon premier jour et me voilà contrainte de faire face à Lior dans cet état lamentable. Je prends une profonde inspiration pour apaiser les battements désordonnés de mon cœur et je m'attelle à ma toilette matinale, déterminée à rectifier cette première impression désastreuse. Je brosse mes cheveux emmêlés avec énergie, puis me lave le visage et le corps à l'eau chaude grâce au seau laissé par Sophia. Un rapide shampoing, un dernier rinçage avec l'eau restante, et je suis enfin débarrassée de la suie qui me recouvrait. Je sèche rapidement mes cheveux avec une serviette et les laisse détachés, me contentant d'un rapide coup de peigne pour les discipliner un minimum. J'enfile une des robes de l'armoire. Elle est un peu grande pour moi, mais tellement confortable. Je me regarde dans le miroir, satisfaite du résultat. J'ai hâte de pouvoir profiter de cette magnifique baignoire, même si l'idée de tous les allers-retours nécessaires pour la remplir me fait un peu grimacer, mais ça sera pour plus tard.
Je descends les marches de l'escalier monumental, surprise de découvrir que le petit déjeuner se déroule en cuisine. Mais rapidement, je réalise que c'est probablement plus pratique et plus intime ainsi, alors je m'approche de la table où Will, Zéphyr et Lior sont déjà attablés.
- Enfin te voilà ! s'exclame Will en me tutoyant, un brin taquin.
- Je suis vraiment désolée, je m'empresse de m'excuser, la tête basse. Je ne sais pas ce qui m'a pris, j'ai dormi d'une traite et j'ai complètement perdu la notion du temps. Je vous promets que cela ne se reproduira plus.
Zéphyr me rassure d'un hochement de tête bienveillant :
- Ne vous en faites pas, Elisabeth. Vous aviez besoin de repos. J'ai bien essayé de frapper à votre porte, mais vous sembliez profondément endormie.
Lior mime une personne endormie en émettant de forts ronflements, ce qui me gêne et me dérange. Une domestique s'approche alors de la table, portant un plateau chargé de brioches dorées appétissantes. Son regard croise le mien l'instant d'un salut timide, puis elle trébuche soudainement, laissant échapper le plateau qui s'écrase contre le sol dans un fracas retentissant.
- Madame... bredouille-t-elle, le visage blême, la main pressée contre sa poitrine comme si elle cherchait à calmer un cœur affolé.
Zéphyr se précipite aussitôt à son aide, l'aidant à se rasseoir tandis que Will s'empresse de ramasser les débris de porcelaine et les brioches éparpillées sur le sol.
- Je comprends ta réaction, Sophia, la rassure Zéphyr d'une voix douce. La ressemblance est troublante, je te l'accorde. Mais ce n'est pas Lyra. Il se tourne ensuite vers moi, son regard empreint d'une profonde tristesse. Vous pouvez vous asseoir, Élisabeth. Nous avons l'habitude de manger tous ensemble ici.
Je m'installe à une place, mal à l'aise sous les regards insistants de tous. Sophia me fixe, son teint d'une pâleur cadavérique, tandis que Lior me dévisage avec ses grands yeux émeraude.
- Will, demande Sophia, la voix tremblante, pourrais-tu nous apporter de nouvelles brioches ? Je ne me sens pas en état de me lever pour le moment. Et peut-être qu'on pourrait m'expliquer ce qui se passe ici ?
Zéphyr soupire et lui adresse un sourire réconfortant :
- Sophia, je te présente Élisabeth, notre nouvelle gouvernante. Elle est là pour t'aider à t'occuper de Lior et du château. Tu ne peux pas assumer toutes ces responsabilités seule. Quant à la ressemblance avec Lyra, elle est aussi surprenante pour moi que pour toi. Après un long silence, il ajoute. J'ai l'intention de rendre visite à Rosemary prochainement. Elle est la tante de Lyra et l'a élevée après le décès de sa sœur. C'était comme une mère pour elle. J'espère qu'elle pourra nous éclairer.
J'ai l'impression que tout le monde se tutoie ici, personnel et faë, c'est vraiment inhabituel pour moi. Le déjeuner se poursuit dans une atmosphère pesante, coupée par des silences gênés et des regards furtifs lancés dans ma direction. Sophia, humaine d'une trentaine d'années, se distingue par ses traits délicats et son allure discrète. Ses cheveux blonds encadrent doucement son visage, apportant une touche de luminosité à sa peau pâle. Ses yeux marrons reflètent une certaine douceur. Son allure évoque une force tranquille, une femme sûre d'elle et confiante. Malgré sa présence discrète, son regard attentif et sa posture réservée dénotent une sensibilité profonde et une grande attention aux détails. Je me sens de plus en plus mal à l'aise et décide de mettre fin à ce supplice.
- Pourriez-vous me faire visiter le domaine ? je demande à Will, essayant de paraître indifférente. Lior, tu veux bien nous accompagner ?
Le petit garçon sourit et attrape ma main avec enthousiasme. Will acquiesce d'un hochement de tête et nous quittons la salle à manger, laissant Zéphyr et Sophia en pleine conversation.
Will nous guide à travers les nombreuses pièces du château, chacune chargée d'histoire et de souvenirs. Nous découvrons d'abord le petit salon, un endroit intime pour la famille, avec des canapés confortables et une cheminée qui crépite doucement. Ensuite, nous passons au grand salon, utilisé pour les événements et les réceptions, décoré de tapisseries murales et de meubles anciens. Nous poursuivons vers la cuisine, puis la bibliothèque immense.
À sa vue, une immense joie m'envahit. Les rangées infinies de livres, s'étendant du sol au plafond, m'appellent. De grandes échelles roulantes permettent d'atteindre les étagères les plus hautes. Une douce odeur de vieux papier et de cuir emplit l'air. Les rayonnages sont remplis de volumes anciens et récents, couvrant tous les sujets imaginables. Mes doigts parcourent les reliures en cuir, le cœur battant d'excitation.
Je me tourne vers Will, hésitante mais impatiente.
- Est-ce que je peux prendre un livre ? je demande, presque en chuchotant.
Will sourit et acquiesce.
- Bien sûr, choisis celui qui te plaît.
Ensuite, nous continuons notre visite. Will me montre les nombreuses chambres et salles de bain, toutes décorées avec le même soin et la même élégance. Il y a aussi des salles inutilisées, vestiges d'un temps où le château accueillait davantage de monde. Nous traversons des couloirs interminables, découvrons des petites salles de lecture, des boudoirs, et même une salle de musique avec un piano imposant.
Finalement, nous nous dirigeons vers l'extérieur pour admirer les jardins, le potager aux légumes colorés et les écuries où hennissent des chevaux magnifiques.
Au fil de la visite, j'apprends à connaître Will, un homme doux et attentionné qui semble profondément attaché à ce lieu et à cette famille. Il me parle de Lyra, de sa gentillesse, de son rire cristallin et de l'amour qu'elle portait pour Lior et son mari.
En fin de matinée, alors que nous retournons vers l'entrée du château, la visite semblant terminée, Will hésite un instant, puis me lance un regard interrogateur.
- Il y a encore une pièce que je pourrais te montrer, bien que je n'y pensais pas au départ... le bureau de Zéphyr. Tu aimerais le voir ?
Je sens une pointe d'appréhension me parcourir l'échine, mais je hoche la tête, incapable de résister à la curiosité qui me tenaille. Nous nous dirigeons vers une aile reculée du château et entrons ensemble dans la pièce. L'atmosphère y est lourde, chargée d'un silence pesant. Un immense portrait de famille trône au-dessus d'une cheminée en marbre. Zéphyr y figure aux côtés d'une femme d'une beauté saisissante. Ses cheveux brun-roux tombent en cascade sur ses épaules et ses yeux émeraude pétillent de vie. Elle sourit, tenant dans ses bras un bébé aux yeux verts perçants : Lior est très reconnaissable.
La ressemblance avec cette jeune femme est frappante, c'est indéniable. Mais comment est-ce possible ? Will semble deviner mon trouble. Il pose une main sur mon épaule, sa voix douce brisant le silence oppressant.
- Zéphyr n'utilisait plus ce bureau depuis le décès de Lyra. La douleur était trop vive. Il a recommencé à y travailler récemment. Peut-être parce que... Il jette un coup d'œil au portrait, puis continue doucement, ...parce que tu es ici maintenant. Pour lui, il n'y a plus de raison de s'éloigner de ce portrait pour atténuer sa souffrance.
Je le regarde, perplexe. Ma présence va-t-elle le faire souffrir davantage ? Ou bien est-ce qu'elle l'aide à affronter cette douleur ? Je ne comprends pas vraiment où Will veut en venir, et un million de questions tourbillonnent dans mon esprit. Un sentiment d'angoisse me serre la gorge.
Zéphyr entre dans le bureau, son regard hésitant balayant la pièce comme s'il était gêné de ma présence. Un silence pesant s'installe, ponctué uniquement par le chant des oiseaux dans le jardin.
- Will, s'il te plaît, demande Zéphyr d'une voix basse, pourrais-tu emmener Lior jouer dans les jardins ? J'aimerais discuter avec Elisabeth en privé.
Will acquiesce d'un hochement de tête, son expression compréhensive. Il se tourne vers Lior, lui adressant un sourire rassurant.
- Allez viens, mon garçon, l'encourage-t-il en lui tendant la main. Je pense que les chevaux seront ravis de te voir.
- D'accord, murmure-t-il, son regard curieux fixé sur moi.
Une fois partis, Zéphyr se dirige vers son bureau et m'invite à m'asseoir en face de lui. L'atmosphère est lourde de tension, l'air vibrant d'une anticipation palpable.
- J'aimerais qu'on discute de votre travail sur le domaine, commence Zéphyr, sa voix grave et solennelle. Je suis certain que vous serez un atout précieux pour notre famille.
Je le remercie de sa confiance, mais mon esprit est ailleurs. Je ne peux m'empêcher de penser au portrait qui trône dans ce bureau, à cette femme qui me ressemble étrangement et de ce lien mystérieux que je ressens pour cet endroit.
- Monsieur Bohman ? je demande, hésitante.
- Zéphyr, rectifie-t-il avec un sourire triste.
- Zéphyr, je continue, je dois vous avouer que je suis troublée par la ressemblance avec votre défunte épouse. Sincèrement, je croyais que vous étiez tous tombés dans la folie jusqu'à présent...
Zéphyr soupire, son regard s'assombrissant :
- Je me doute, répond-il d'une voix pleine de tristesse. C'est une situation étrange, mais je pense avoir ma réponse depuis un moment et elle est logique. Je ne vous dirais rien, sans en avoir la confirmation. Nous l'aurons bientôt.
Je hoche la tête, un sentiment d'incertitude me submergeant. Je sais que je suis arrivée dans ce château grâce à cette ressemblance, mais je ne comprends pas pourquoi.
L'entretien se poursuit, Zéphyr changeant de sujet et m'expliquant plus en détail ses attentes pour mon rôle de gouvernante. Mais j'ai du mal à me concentrer, mon esprit accaparé par les questions qui me hantent.
- Savez-vous lire ? questionne Zéphyr soudainement en me voyant serrer un livre dans mes mains.
- Oui, bien sûr, je réponds, un peu surprise par sa question.
- J'aimerais que vous appreniez à Lior à lire, il continue. Il est encore jeune, mais il est assez précoce. Je suis certain qu'il n'aura pas de difficulté à apprendre.
- Vous pouvez compter sur moi, je lui assure, essayant de cacher mon inquiétude.
Le réveil de Lior est plus qu'une simple éruption matinale ; c'est une explosion de joie incarnée. Ses cris joyeux semblent mettre le soleil lui-même à la peine, comme s'il voulait partager son énergie débordante avec chaque photon de lumière. Les draps du lit, enveloppés dans une danse de tissu, semblent eux-mêmes se réveiller en même temps que lui, répondant à son enthousiasme avec une danse de lin et de coton.
Mes paupières, encore lourdes de sommeil, résistent à l'appel de l'aube tandis que Lior, dans sa chemise de nuit, se métamorphose en un tourbillon de boucles brunes rebondissantes. Ses cheveux semblent posséder leur propre vie, dansant et tourbillonnant en harmonie avec sa gaieté matinale.
- Liiiiiiiiiiiior ! Mon appel sonne plus comme un murmure endormi, mais cela ne suffit pas à ralentir son élan.
Il bondit déjà à mes côtés, ses yeux émeraude pétillants de malice. Il a hérité du regard de son père, même si la couleur de ses yeux est différente.
- Lior, il est à peine le temps de prendre ton petit déjeuner, laisse-moi au moins chercher de l'eau chaude pour ton bain.
Mes paroles semblent se perdre dans l'excitation de l'enfant, qui, sans attendre, se précipite déjà vers "ma" salle de bain, laissant derrière lui un sillage de chemise de nuit flottante.
Je soupire, réalisant que ma routine matinale n'est plus la mienne seule.
- Comment ça se passe d'habitude ? je demande, essayant de rattraper le rythme effréné de Lior.
- C'est Sophia qui fait mon bain depuis que maman est partie, explique-t-il, sa voix pleine d'innocence. Je pensais que c'était toi aujourd'hui, vu que tu es ma nouvelle maman.
Je secoue la tête doucement.
- Je ne suis pas ta maman, Lior, mais ta gouvernante. Je vais m'occuper de toi, t'apprendre à lire, t'apprendre à être un peu plus autonome.
Je remets sa chemise à Lior et l'entraîne vers la cuisine, mais à ma grande surprise, Sophia est déjà là, un seau d'eau chaude à la main. Son sourire accueillant apaise mes inquiétudes naissantes.
- Bonjour Elisabeth, salue-t-elle chaleureusement. Je cherchais Lior justement, j'ai préparé son bain.
Je lui exprime ma gratitude, reconnaissant pour son aide précieuse dans cette nouvelle aventure. Mais mon embarras m'envahit alors que je réalise que je suis toujours en chemise de nuit.
- Tu veux que je lui donne son bain le temps que tu te changes ? propose-t-elle avec gentillesse.
Rougissant légèrement, j'accepte sa proposition, me promettant de mieux prévoir mes matinées à l'avenir. Après tout, s'occuper d'un enfant de quatre ans n'est pas aussi simple que je l'avais imaginé.