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1 - Préface
2 - Prologue
3 - Chapitre 1
4 - Chapitre 2
5 - Chapitre 3
6 - Chapitre 4
7 - Chapitre 5
8 - Chapitre 6
9 - Chapitre 7
10 - Chapitre 8
11 - Chapitre 9
12 - Chapitre 10
13 - Chapitre 11
14 - Chapitre 12
15 - Chapitre 13
16 - Chapitre 14
17 - Chapitre 15
18 - Chapitre 16
19 - Chapitre 17
20 - Chapitre 18
21 - Chapitre 19
22 - Chapitre 20
23 - Chapitre 21
24 - Chapitre 22
25 - Chapitre 23
26 - Chapitre 24
27 - Chapitre 25
28 - Chapitre 26
29 - Chapitre 27
30 - Chapitre 29
31 - Chapitre 29
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Chapitre 8

Se rappeler du passé ne lui avait jamais plu. 

Un temps révolu devait rester ainsi, ses souvenirs l’abandonnaient et ses pensées se concentraient sur l’avenir. Ce n’était pas une négation d’une vie vécue ou la haine d’une mémoire trop remplie, mais se rattacher à ce qui n’existait plus ne servait qu’à le tirer dans des abysses qui ne l’intéressaient pas et de se lamenter sur des choix alternatifs dont il ne serait jamais sûr de l’issue. Se contenter du présent et assumer ses actes jusqu’au bout, un mantra qui le guidait tous les jours pour le meilleur. 

Pourtant, depuis sa chute de Sarcoce, ce principe se pliait sous sa douleur jusqu’à en devenir insupportable ; c’était comme une dernière attaque, une sommation de se souvenir pour flouter ce futur qu’il convoitait tant. 

Alors ses yeux s’ouvrirent sur ce plafond blanc, le même qu’hier, peut-être le même que demain. Aucune panique, aucun ressentiment, mais un vide profond qui grignotait toujours un peu plus ses espoirs de retrouver sa patrie un jour. Ce n’était pas de la fatalité, il ne l’était pas, mais en l’état actuel des choses, tout était trop abscons pour lui donner de la force. Il ne bougea pas, comme s’il ne s’était jamais réveillé. Il crut avoir la nausée, mais l’odeur de la pièce avait été remplacée par des flagrances plus douces de lavande. Étrangement. Un tintement retentit près de lui, il tourna la tête, un effort colossal à ses yeux. 

Ce n’était qu’une infirmière qui rangeait des papiers. La fenêtre ouverte à côté d’elle apportait une fraîcheur tranquille à la pièce. 

Le sommeil l’appelait à nouveau à cause de la berceuse naturelle du vent, mais une petite main vint claquer son front, sans vergogne. Maximilien poussa un gémissement de douleur et tourna la tête de l’autre côté de la salle, sur le point d’exploser de rage – ses nerfs à vif ne l’aidaient pas à se contrôler, lui qui prônait pourtant la maîtrise de soi en toute circonstance. Quand son regard se posa sur la petite elfe, Jamila de mémoire, son esprit s’apaisa un peu : s’agacer contre une enfant serait stupide, peu importait si elle était énervante ou non. 

– Ne te rendors pas, idiot ! râla Jamila. J’ai déjà dépensé assez d’énergie pour toi, je n’ai pas envie de repasser une heure de plus à te soigner ! Je te tape pour de vrai si tu…

– Tu devrais éviter de le blesser davantage, intervint une voix au fond de la pièce, plutôt aigüe et chantante. 

Maximilien releva la tête vers ce ton mélodieux dont il ne mettait aucun nom dessus et il fut surpris d’enfin découvrir un nouveau visage, après ces quelques jours à se demander si ce palais abritait vraiment d’autres personnes que les Morgas. Sa bouche s’ouvrit pour répliquer à Jamila, mais ce nouvel arrivant lui fourra un verre d’eau entre les mains.

– Bois, ça ne sert à rien de parler si tu n’as rien à dire d’intéressant. 

« C’est quoi leur problème à être inclusifs à ce caractère autoritaire ? ». Il détestait se sentir aussi soumis à des mortels de leur genre. Ses yeux grimpèrent sur la stature imposante, mais maigre de la personne en face de lui, ses longs membres accentuaient cette allure quasiment fantomatique. Ses yeux sombres cachés sous des paupières monolides le dévisageaient et un petit sourire étira les traits fins et bronzés de son visage. 

– Ne fais pas ta tête de mule. Je ne vais pas t’empoisonner.

Maximilien finit par boire, un peu à contrecœur, mais son corps réclamait plus que tout un peu d’hydratation. Quand le liquide froid coula dans sa gorge, ce fut comme une libération. Jamila, toujours en lançant des soupirs frustrés, se hâtait de ranger la pièce où trainaient quelques bandages et des pots blancs alors que l’homme en face de lui se grattait le crâne délicatement, ses cheveux noirs fins se glissaient entre ses doigts.

– Notre second Stir n’avait pas menti quant à ta nature plutôt… hargneuse, gloussa l’inconnu. Heureusement que cela n’a pas eu d’impact sur tes blessures, tu dois avoir mal, n’est-ce pas ? 

– Mal ? s’étonna Maximilien. Oui, j’ai mal. Mais je ne comprends pas pourquoi je n’ai mal que maintenant, la douleur était croissante. Quand je me suis réveillé ici, je ne ressentais rien de spécial.

– C’est normal, nous t’avons administré des soins qui anesthésiaient toute douleur physique, par baume et voie orale.

L’intervention de Jamila le força à reporter son attention sur elle tandis que l’individu face à lui examinait son torse et ses bras, là où s’accumulaient le plus les bandages. Pendant un instant, Maximilien ne comprit pas exactement de quoi parlait la jeune princesse et il tapota sa peau, un peu effrayé d’avoir été potentiellement empoisonné. 

– Anesthésier ? marmonna-t-il. Comment ça ? 

– Eh bien, nous t’avons donné de quoi calmer tes souffrances le temps de ta guérison, comme des plantes ou des médicaments. N’aie pas l’air si apeuré, nous ne voulons pas ta mort…, gloussa l’homme en secouant la tête. D’ailleurs, nous ne nous sommes pas encore présentés : je suis Kelior Feliaris, le médecin en chef de la famille royale. 

« Kelior… », ce n’était pas la première fois qu’il entendait ce nom, Nora l’avait déjà prononcé la dernière fois qu’il s’était retrouvé en sa présence, soit au moment de son malaise… Il voulut se redresser sur ses coudes, mais une souffrance horrible parcourut son torse et ses jambes. Son corps s’écrasa contre les coussins et sa grimace eut l’air d’arracher un sourire à la petite elfe. 

– Tu es plutôt téméraire pour un blessé, railla Jamila. Abstiens-toi de faire de mauvais mouvements comme maintenant, j’aimerais partir m’entraîner ! 

– Tu n’as qu’à y aller, ma petite Jami, personne ne te retient, précisa Kelior en prenant une seringue entre ses doigts. Attention, ça va piquer. 

Sans lui laisser le temps de répliquer, le médecin bloqua son bras et piqua dans l’une de ses veines pour injecter le liquide blanchâtre. Cela lui arracha une petite grimace et si Kelior ne l’avait pas retenu, il aurait sûrement enlevé son bras sur-le-champ. 

– Qu’est-ce que c’est ? 

– Une substance qui te permet de détendre tes muscles et d’amoindrir la douleur, je sais que ta méfiance est légitime, mais ne rejette pas notre aide à chaque fois tout de même. Tu risques de vraiment mourir sinon. Déjà que c’était difficile de te réparer après la vente aux enchères…

À la mention de ce fameux moment, Maximilien vit comme une opportunité de poser les questions qu’il n’osait pas forcément poser depuis le début ou qu’il n’avait pas encore pu demander. 

– Si vous voulez me prouver votre fiabilité, vous pourrez donc répondre à certaines de mes questions, n’est-ce pas ? 

Kelior fixait ses bandages non sans le quitter du regard, son sourcil fin arqué. De son côté, Jamila finissait de poser différents bocaux dans des placards, mais Maximilien devinait qu’elle ne perdait pas une miette de la conversation. Qu’importait, maintenant qu’il y était, autant mettre les deux pieds dans le plat. 

– Tout dépend, gloussa le médecin. Je suis apte à te parler de beaucoup de choses, excepté de tout ce qui touche à la confidentialité des Morgas ou de Laven, pour le peu que j’en sache. 

– Comment je me suis retrouvé ici après la vente aux enchères ? Je ne me souviens de rien. Et j’aimerais comprendre pourquoi j’ai atterri ici avec des dizaines de personnes tout autant perdues que moi…

– Tu ne connais pas les Chasses annuelles de notre cher Theol Morgas ? se moqua Kelior. Je ne sais pas d’où tu viens, mais ce doit être d’un coin très éloigné.

Peu enclin aux railleries malvenues de cet inconnu, Maximilien garda le silence pour l’inciter à s’expliquer sur ce qu’il venait d’évoquer : il savait qu’il avait atterri sur terre, capturé par des braconniers, mais le moment entre sa vente et sa venue à Laven restait flou. Puis des Chasses ? Pas une seule fois quelqu’un ici n’avait mentionné cela. Au bout de quelques secondes, le médecin finit par soupirer et se redresser, les bras croisés sur son torse. 

– Quel manque cruel de culture…, s’apitoya Kelior en feignant d’être blasé. Les Chasses sont des escapades organisées une fois par an pour dépouiller les villages du continent et récupérer tout ce qui est possible d’être récupéré, matériel comme humain. Je suppose que les soldats de Morgas ont décimé tous les braconniers et ils t’ont récupéré dans la foulée. Je ne connais pas tous les détails de chaque croisade menée, mais c’est le plus probable. Toutes les personnes que tu as vues… Eh bien, ils sont des prisonniers suite aux pillages des soldats ou à la capture de fugitifs venant d’autres pays. Rien de plus simple. 

– Mais pourquoi faire ça ? s’étrangla Maximilien. C’est totalement immoral ! 

– Quand il s’agit de grandir ses richesses matérielles ou humaines, la moralité n’a plus de raison d’être. Puis ce ne sont pas des attaques hasardeuses, nos chers Morgas visent surtout les petits villages indépendants qui n’ont que peu de chances de répliquer. Je ne sais pas ce que Theol a dans la tête, mais s’en prendre aux plus faibles ne le rend pas plus fort…

– Tu ne dois pas l’appeler comme ça, Kelior, intervint Jamila, s’il t’entendait…

– Mais il ne m’entend pas, il n’écoute plus vraiment grand monde. 

Un petit air moqueur étira ses lèvres. Il passa ses mains sous l’eau et attrapa une petite boîte métallique entre ses doigts.  

– Enfin, tu es juste la récompense d’une de ses chasses, conclut Kelior. Tu n’es qu’un objet à leurs yeux, mystérieux certes, mais dès qu’ils n’auront plus besoin de t’étudier, ils te jetteront. Alors méfie-toi, ne te comporte pas plus bête que tu ne l’es en leur présence et fais profil bas. Tu m’as l’air d’être une sacrée tête brûlée, même si tu feins la sagesse. 

– Ils pourraient me tuer ? bafouilla Maximilien sans le vouloir. 

Un rire étouffé s’échappa de Kelior et il s’humecta les lèvres pour finir par se diriger vers la porte en laissant un blanc calculé. 

– Ils pourraient faire pire, finit-il par dire sans se retourner. Sur ce, je dois aller donner ces chères pilules à la préférée de Theol…

Accompagné d’un petit clin d’œil, le Feliaris sortit de la pièce et laissa Jamila et Maximilien tous les deux. Ce dernier laissa son regard couler sur son corps soigné : ainsi, s’il n’avait rien ressenti ces derniers jours, c’était simplement grâce à des… anesthésiants ? C’était la première fois qu’il devait prendre des médicaments pour calmer la douleur, cela n’existait même pas à Sarcoce. Si la douleur était revenue progressivement, c’était juste parce que les effets s’étaient estompés petit à petit. Maximilien soupira, dépité de s’être fait tant de mouron pour rien, même si les autres informations quant à sa capture ne le rassuraient pas vraiment : les Morgas n’hésitaient pas à piller et à massacrer des villages juste pour amasser les richesses et les vies humaines. 

Un petit toussotement le sortit de ses pensées, il tourna la tête vers la source du bruit et ne tomba que sur Jamila, les bras croisés, et une moue perplexe sur le visage.

– Où vivais-tu ces dernières décennies ? Nora m’a raconté ta réaction face à ton propre sang, puis ça ? Tu n’avais jamais vu ton sang, avant ? Et dire que tu ne connais même pas les habitudes des Morgas…

– J’ai une peur bleue du sang, improvisa Maximilien. Et mon éducation est assez bancale, comme tous ont pu le constater. Puis j’étais tellement bien soigné que je n’ai pas vu une goutte de mon propre sang, ou j’étais aussi trop comateux pour m’en rendre compte.

– Tu possèdes un bon niveau de langage, mais tu as une culture de poisson ? 

Le paradoxe qu’elle soulevait le mettait dans une situation délicate, alors quitte à mentir – ce qu’il haïssait par-dessus tout, mais sa survie en dépendait dans ces lieux où tout ce qui se rapportait à la Catalome finissait en charpie –, autant bien le faire. La meilleure solution restait de dire la vérité sans la dire. 

– J’ai été élevé dans une vieille famille dans laquelle bien parler était fondamental, sans forcément avoir le sens des mots derrière. Nous avions la liberté d’expression, mais pas celle de penser. Les livres n’avaient d’intérêt que pour leurs principes et leurs morales, le reste était jeté. Rien ne servait d’être intelligent, il fallait simplement savoir parler. 

Jamila se contenta de le toiser de haut en bas, le mettant dans une posture étrange, un supplice qui n’attendait qu’une réponse. 

– Max, c’est ça ? finit-elle par marmonner. Tu viens de l’Ancienne Lome ? 

– L’Ancienne ? Pourquoi l’Ancienne ? 

– Si tu venais de la Nouvelle, tu ne serais pas si inculte. Enfin, peut-être complètement débile, mais j’ose espérer que ces barbares sont capables d’ouvrir un livre, contrairement à toi. 

La pique l’atteignit de plein fouet, vile et bien placée, mais il ne rechigna pas à l’accueillir : c’était l’impression qu’il donnait, et la rancœur que partageaient tous les peuples contre les Catals ne l’insurgeait pas. Il s’estimait même chanceux de ne pas être menacé ou torturé dans le but de connaître sa filiation aux Lomes. Une idée en tête, Maximilien se tenta à prendre un risque, une décision peut-être stupide. 

– Oui, je viens de l’Ancienne Lome. Ma famille m’a chassée et blessée parce qu’elle estimait que je l’avais trahie. 

Jamila écarquilla les yeux, hébétée de sa révélation, il serra les poings jusqu’à s’en faire mal : ses ongles s’enfonçaient dans sa peau et la piquaient. Son silence le força à développer davantage. 

– J’ai… comment dire… remis en cause leur façon de penser et ils ne l’ont pas bien pris. Suite à la mort de mon grand-père, ils ont jugé que je leur avais porté malheur et j’ai dû fuir.

– Remis en cause ? souffla Jamila, sceptique.

– Ils estimaient que les autres peuples étaient stupides, sans intérêt et inférieurs. Que leur haine envers Dual était une insulte et une attaque. Je… considérais que le choix de ne pas se rallier à notre religion n’avait rien d’étonnant. 

– Tu es un Catal ? 

Sa question le coupa dans son élan, son ton vindicatif le poussa à continuer dans son mensonge : cela ne servait à rien de lui servir un discours opposé à sa pensée, il savait qu’il finirait par se trahir et que les conséquences seraient bien pires qu’actuellement. Puis tout le monde le suspectait déjà d’en être un juste à cause de son physique – sa peau très claire et ses yeux particuliers ne l’aidaient pas.

– J’aime ma religion, reprit-il, mais m’aime-t-elle en retour ? J’aime les valeurs que je lui prête, mais les possède-t-elle vraiment ? Je suis un Catal, je l’ai toujours été et j’aimerais toujours l’être. Je pensais être proche de mon Dieu, mais je ne me suis jamais senti aussi éloigné de lui qu’à cet instant précis. Je pensais faire partie d’une communauté de paix, mais je me sentais toujours seul au point de me fourvoyer. Tout ce que j’ai souhaité faire, c’était comprendre des peuples inconnus à mon monde. Au bout du compte, j’ai été blâmé pour avoir suivi un de nos plus fidèles préceptes. 

Des larmes naquirent au coin de ses yeux pendant ce flot de paroles teinté d’une vérité douloureuse : tous ses acquis, toutes ses croyances, tout tombait en lambeaux. Son regard ne quittait pas le plafond, la soie sous ses doigts se tordit à cause de la pression exercée dessus. Pleurer ne servait à rien, mais il le souhaitait tant. 

– Même le plus réticent mérite l’amour. Soignez vos ennemis et guidez vos amis. Apportez charité aux étrangers et force aux alliés. La foi n’est pas une qualité, c’est un apprentissage. À celui qui la rejette se verra vivre une vie de péchés, mais jamais celui qui l’accueille ne doit le juger.

Maximilien tourna la tête vers Jamila, les sourcils haussés.

– C’est…

– Le troisième verset de la première partie, coupa-t-elle. J’ai toujours trouvé ce passage très beau. Surtout quand l’histoire derrière parle d’un Catal qui sauve un non-croyant de la pénitence. 

Une aiguille transperça son cœur charnu de peine, ses lèvres tressautèrent sous le coup de l’émotion alors qu’il se repassait sans cesse les derniers moments à Sarcoce, le regard misérable de son frère et toutes ses valeurs qui avaient volé en éclat à cause d’une injustice. Il posa son avant-bras sur ses yeux, la douleur le tiraillait encore. 

– J’ai tenté de partir vers des horizons où je pourrais affirmer mes principes, montrer au monde que ma religion vaut le coup d’être vécue et aimée… 

– Après tous les dégâts qu’elle a causés ? murmura Jamila, sans l’once d’un reproche dans sa voix.

Maximilien se contenta de garder le silence, incapable de trouver une réponse à cette culpabilité. Tout pouvait-il être pardonné ? Il estimait la seconde chance comme une obligation, mais tout le monde n’était pas lui. Pourtant, lui, en tant qu’individu, ne représentait pas sa religion tout entière, mais il subissait les conséquences de tous ses membres, indistinctement de sa propre intégrité physique et morale. 

Peut-être qu’il n’avait pas fait le bon choix en choisissant une forme de vérité plutôt qu’un mensonge complet.

– Vas-tu me dénoncer aux Morgas ? murmura Maximilien, le bras toujours posé sur son visage.

– Ils le savent déjà tous à l’heure qu’il est. Ce n’est pas compliqué à deviner…

D’un état quasi abattu à complètement consterné, sa respiration se bloqua sous le coup du choc. 

– Pardon ? 

– Pour répondre à ta seconde question, évinça Jamila, tu ne ressentais aucune douleur, mais tes blessures étaient bien là. Après inspection, Kelior et moi nous sommes rendus compte que tu avais aussi un sceau inconnu apposé sur ton torse. Un symbole de protection. Mais il s’est sûrement fracturé au moment de ta chute, alors tu as subi maintes blessures et tu as commencé à ressentir leur douleur petit à petit, en même temps que le sceau s’effritait. C’est pour cela qu’on a couplé nos soins avec cette protection étrange. Et le Kin que nous avons retrouvé dessus ressemble énormément à celui des Lomes. Comment tu n’as pas pu t’en apercevoir ? Je sais que tu n’as aucune culture, mais tu es aussi aveugle ? 

Les yeux exorbités, Maximilien toucha sa poitrine par réflexe, comme pour confirmer ce qu’avait dit Jamila. Il ne ressentait rien du tout, pas même l’ombre d’une goutte de magie. C’était certain que ce sceau ne venait pas de la Nouvelle ou de l’Ancienne Lome, mais de Sarcoce. Mais qui ? Dual ? Peut-être son orbe ? Il n’avait pourtant rien senti et sa sensibilité au Kin était décuplée par rapport à tous les autres. Un mal de tête tapait contre ses tempes, rien n’avait de sens. 

– Pourquoi ne m’ont-ils rien fait, alors ? pesta Maximilien. Je suis un ennemi de leur peuple, un barbare comme tu l’as si bien dit. 

– Ce sont des idiots, mais pas des sadiques, enfin… Ils vont te garder sous la main, certes, sauf qu’ils ne voient aucun intérêt à te faire du mal ou te tuer, je suppose. Enfin, même si Kahl n’était pas joyeux d’avoir quelqu’un de ton espèce ici.

– Ou peut-être qu’ils attendent le bon moment ? Qu’ils vont me juger ? Peut-être que…

– Je ne sais pas comment tu perçois les Morgas, l’interrompit Jamila, mais même s’ils abhorrent tes compatriotes – comme une bonne partie du monde –, ce ne sont pas des bêtes cruelles assoiffées de vengeance. Enfin, ne t’attends pas non plus à un accueil chaleureux de leur part ou de celles des familles nobles de Laven…

– Donc il y a bien des familles nobles ici ? 

Jamila lui jeta un regard dépassé, incapable de savoir s’il se jouait d’elle ou non, même si c’était loin d’être le cas.

– Je ne vais même plus relever ton manque de connaissances, soupira-t-elle avec frustration, mais il y a trois autres familles importantes ici : les Qhuan, les Valtorès et les Feliaris, tu as déjà rencontré Kelior qui est une figure importante chez les Feliaris, je te conseille de te faire apprécier de ces familles ou de les éviter dans le pire des cas. En tout cas, ne t’attends pas à un accueil chaleureux.

Une boule se forma dans sa gorge, ce sentiment de perdition le gagnait un peu plus jusqu’à le faire se sentir misérable. Il avait lu des histoires sur eux, il les avait vus à travers les miroirs et les orbes de Sarcoce, alors pourquoi la réalité entrait en totale contradiction avec ses connaissances ? Pourquoi il lui manquait autant d’informations ? Ses compères avaient à ce point trafiqué l’Histoire de ces humains ? Cela ne semblait pas stupide étant donné qu’il les soupçonnait de haute trahison, mais les familles divines trouvaient-elles un réel intérêt à changer la réalité du monde des mortels ? 

Leurs livres sur ce monde… Rien n’était vrai, qu’une partie ? Ou ces humains lui cachaient-ils la vérité ? Avec cette absence de réponse, Jamila se leva de sa chaise et se dirigea vers la porte, adressant un geste à une infirmière qui était entrée dans la salle entre temps. Celle-ci acquiesça et Maximilien se rendit compte qu’il avait aussi parlé devant une personne extérieure à la royauté. Sentant la panique se pointer à nouveau, la petite elfe le coupa vite dans cet élan. 

– Tout le monde ici a été formé pour tenir sa langue, théoriquement du moins. N’aie aucune crainte sur ça. Alors dors et, par pitié, demande à te faire laver. Ton odeur est horrible à cause de la sueur ! Puis tu dois aussi nous rejoindre ce soir pour souper, le souverain fait un grand repas pour accueillir tous tes petits camarades. Il vaut mieux pour toi que tu y assistes, déjà que ton insolence a fait le tour du palais, alors si tu venais à refuser une invitation de Theol Morgas… 

Sa phrase en suspens, un soupir fendit l’air alors qu’elle ouvrit la porte, quelque peu inquiète. 

– Je suis gentille avec toi parce que Nora me l’a demandé, précisa-t-elle, et je me rends bien compte que tu n’as rien d’un méchant type. Mais ce ne sera pas le cas de tout le monde, alors prépare-toi à toute éventualité. 

Sur ces dernières paroles, elle quitta la pièce, laissant un Maximilien désemparé derrière. 

Maintenant, tout reposait entre ses mains. 

Et ce soir serait décisif pour sa survie dans ce palais. 

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