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1 - Préface
2 - Prologue
3 - Chapitre 1
4 - Chapitre 2
5 - Chapitre 3
6 - Chapitre 4
7 - Chapitre 5
8 - Chapitre 6
9 - Chapitre 7
10 - Chapitre 8
11 - Chapitre 9
12 - Chapitre 10
13 - Chapitre 11
14 - Chapitre 12
15 - Chapitre 13
16 - Chapitre 14
17 - Chapitre 15
18 - Chapitre 16
19 - Chapitre 17
20 - Chapitre 18
21 - Chapitre 19
22 - Chapitre 20
23 - Chapitre 21
24 - Chapitre 22
25 - Chapitre 23
26 - Chapitre 24
27 - Chapitre 25
28 - Chapitre 26
29 - Chapitre 27
30 - Chapitre 29
31 - Chapitre 29
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Chapitre 5

Le quartier des Lucioles. 

Hormis la chambre immense où étaient regroupés les prisonniers de guerre, les rescapés ou les fuyards, le reste du bâtiment suivait cette ambiance ensoleillée et tranquille : les couloirs atteignaient des hauteurs vertigineuses, dans des tons qui vacillent entre une aurore tendre – les murs, les piliers qui foisonnaient, tous les cinq mètres, les allées, les plafonds sur lesquels se pavanaient quelques fresques discrètes ou grandiloquentes – et un blanc écru subtil – les rideaux, certaines statues entières ou de simples bustes –, parfois avec des fenêtres, d’autres fois sans ; dans ces moments-là, cette absence donnait sur des jardins où fleurissaient fontaines, roseraies ou de petits labyrinthes construits par des haies.

C’était un endroit dit paradisiaque, mais Maximilien ne pouvait que se méfier : peu importait toute la beauté de ces lieux, ce n’était qu’une superficialité pour masquer les pires vices. Après une bonne quinzaine de minutes dans la chambre de Nora, il avait fini par réclamer le serviteur pour regagner ses quartiers. Il valait mieux éviter de tenter sa chance trop loin. Les événements s’étaient bien déroulés grâce à un miracle bienvenu, mais cela n’arriverait pas deux fois… Quand l’homme arriva pour le faire rencontrer cette personne, Almagar, il ne manqua pas de le détailler de la tête au pied avec un dégoût apparent. Sa langue claqua contre son palais tandis qu’il se détourna, l’invitant silencieusement à le suivre. 

Pas un mot décroché, pas un regard de plus. Voilà à quoi il serait réduit pendant son séjour ici : à un individu qui ne méritait même pas une parole. 

Maximilien soupira et roula des yeux, dépité par sa propre situation : certaines informations lui manquaient pour saisir pleinement la famille royale Morgas et, plus que tout, à chaque fois qu’il pensait à Sarcoce, son cœur se déchirait davantage, car il savait que son retour était impossible pour l’instant. À cause de sa fuite précipitée quand la garde divine avait forcé la porte de sa maison, Maximilien ne connaissait ni la situation de ses parents ni celle de son frère, qui l’avait chassé de ce royaume céleste. Il n’était même plus sûr de pouvoir croire les personnes qu’il avait toujours considérées comme les siens : les De Lux et De Lorte, peut-être même sa famille elle-même. Son père parlait souvent de cette mauvaise manie des clans à vouloir prendre l’ascendant sur Dual, jusqu’à penser posséder plus de pouvoirs décisionnaires que lui. 

Son paternel, Cédric De Sarte, avait toujours été un homme sage, humble et discret, contrairement à sa mère, Willia, qui restait une forte voix parmi la société Sarcoicienne, avec une personnalité ferme mais compréhensive. Pourtant, malgré tout l’amour qu’il leur portait, tout le respect qu’il leur devait et toute la confiance qu’il leur accordait, Maximilien doutait. Étant donné que ce n’était pas lui qui était à l’origine de la mort de Dual, alors qui ? Seulement les Conquérantes, devenues cheffes de famille – uniquement des femmes à chaque fois – en passant différents tests et en fonction de leur puissance, et les Piliers, les proches défenseurs de Dual se résumant au nombre de quatre, dont il devait faire partie étant donné qu’il était un De Sarte et qu’il avait passé toutes les épreuves avec brio, pouvaient se mesurer à son Mentor.  

Pourtant, c’était lui qu’ils avaient dénoncé. À cause de l’objet à sa cheville qui l’avait mis en porte-à-faux : vu qu’il la possédait, alors il était forcément coupable. Tuer Dual pour récupérer ses plus précieux pouvoirs et secrets, voilà ce dont on l’avait accusé en quelque sorte. Ce n’était qu’un jour normal où il devait encore pratiquer pour devenir un Pilier, mais quand les gardes étaient venus le voir dans sa salle d’entraînement pour l’emmener, que le chef des De Lorte, Garik, avait tenté de s’en prendre à lui… Tout cela n’avait absolument aucun sens et il avait encore du mal à se rappeler précisément tout.

Juste un détail. Un seul qui pourrait le mener sur une piste.

Il jeta un coup d’œil au bracelet accroché à sa cheville : l’orbe tenait toujours dessus discret et solide. Il fronça des sourcils, le cœur saigné par ce manque de clarté, cette solitude accablante : si seulement il avait pu terminer sa formation pour devenir un des proches défenseurs de Dual… 

Ses pensées lui tapaient sur le crâne, ses blessures commençaient à le lancer légèrement, ce qui l’étonna parce qu’il avait eu l’impression de ne jamais vraiment les ressentir jusqu’à maintenant, et des maux de tête l’empêchaient de clairement distinguer ce qui était bon à prendre ou à jeter. Tout ce qu’il pouvait retenir pour l’instant se limitait à la mort de son maître, l’implication supposée de ceux qu’il avait pensés être des alliés et… son atterrissage dans ce lieu dont il ne connaissait que la théorie. 

Un bruit sur sa droite le sortit de ses pensées alors qu’il avançait derrière le serviteur, sur un chemin fait de marbre, ouvert sur les jardins. Un petit vent le fit frissonner et remua les buissons qui se trouvaient non loin de lui et une petite tête brune en sortit, de grands yeux noisette le fixèrent et Maximilien écarquilla les yeux sous le coup de la surprise : elle portait certes une tenue qui valait son pesant d’or – du tissu en soie recouvrant son corps en une robe blanche cintrée par une ceinture, des bijoux scintillants –, mais quelques taches de terre maculaient sa tenue, comme si elle était tombée. Ce contact visuel ne dura que le temps de quelques secondes et il préféra couper court pour suivre le serviteur. 

Peu importait qui il rencontrait, personne n’était digne de confiance ici et il ne désirait pas se lier d’amitié avec qui que ce fût.

– Nous sommes arrivés dans les jardins de dame Almagar, clama la voix du serviteur, le sortant de sa transe. 

Maximilien ne répondit pas, absorbé par sa contemplation des lieux que même l’élu de Makios aurait jalousés sans pudeur : ils se présentaient comme un long chemin pavé, bordé par des bancs de pierre où se confondaient les fleurs, le long de murets sur lesquels se jouaient des combats et des sacrifices honorables, des fresques colorées – abondant de jaune, de marron et de bleu principalement – comme il en voyait rarement, surplombées par une nature d’apparence sauvage, mais subtilement domptée par les jardiniers de ce royaume, avec des pavots qui se disputaient la place contre des oliviers géants et des lavandes aux forts effluves. Les rayons du soleil s’agglutinaient sous les feuilles étrangement grandes des arbres, dont les ombres s’éparpillaient au sol, la chaleur se dispersait sur sa peau sans la brûler. C’était une balade qui jouait le frottement léger de la nature, dont certains criquets se joignaient dans un rythme rapide mais tranquille, enveloppé par une brise qui taquinait les fleurs, pour créer une symphonie divine, avec pour seul instrument la cadence légère de la nature. Maximilien s’avança dans cette allée en même temps que le serviteur, ébahi par le calme des lieux et leur beauté exceptionnelle : pourquoi un prisonnier comme lui se retrouvait-il ici, parmi les plus beaux cadeaux que ce monde pouvait offrir ? 

Au bout de quelques minutes, ils arrivèrent face à un dôme, au milieu de ce labyrinthe fleuri et parfumé, avec une simple table en acier travaillé et deux chaises du même type. Sur l’une d’entre elles se trouvait une femme, tasse à la main, le regard dans le vague. Quand son visage se tourna vers lui, souriant, il sut immédiatement que c’était cette fameuse personne. 

– Te voilà enfin, mon garçon. 

Une aura puissante s’émanait de cette femme pourtant si calme d’apparence. Jusqu’à maintenant, même avec le Stirs – qu’il soupçonnait de retenir leur puissance, mais ce n’était qu’une hypothèse –, il n’avait pas ressenti une telle énergie. Une personne normale, ou même quelqu’un qui maîtrisait plutôt bien ses pouvoirs, ne pourrait pas se rendre compte de la force du Kin de cette vieille femme. Plus encore, très peu seraient capables de distinguer sa race. 

Mais Maximilien le pouvait. 

Et cela ne lui plaisait absolument pas. 

« Un dragon… ». Des créatures redoutables, capables de prouesses extraordinaires, divisées en plusieurs races et avec des pouvoirs qui feraient plier certains à Sarcoce. Malheureusement, même si son Kin, soit son flux magique en elle, témoignait de son appartenance aux dragons, il était impossible de savoir quel dragon elle était. Chacune des races avait ses spécificités : les dragons d’eau, comme leur nom l’indiquait, maîtrisaient l’élément aqueux, de la même manière que les dragons de terre utilisaient les ressources naturelles terrestres. Certains d’entre eux, plus rares, comme les dragons métalliques, eux-mêmes divisés en plusieurs catégories telles que le bronze ou l’argent. Le problème restait toujours le même : il ne pouvait pas réellement évaluer la puissance de cette espèce juste grâce à ses livres, ses connaissances. S’il avait appris que les familles royales restaient plus fortes que quiconque, la réalité n’était peut-être pas de cet avis.

Maximilien baissa la tête, désarçonné et un peu effrayé de se faire percer à jour. Cette fameuse dame Almagar ne se leva pas, elle l’invita seulement à s’asseoir sur la seconde chaise d’un geste de main gracieux. Il s’attela à la tâche, le serviteur fut congédié directement et il partit non sans lui jeter un dernier regard empli de mépris. 

Le silence les enveloppa, étrange et oppressant pour Maximilien, en attente de la raison de sa présence ici. La tasse de la vieille femme tinta contre le sous-verre en porcelaine, elle ne lui adressa aucun regard quand elle ouvrit à nouveau la bouche :

– Nora m’a dit que tu étais un être assez atypique et effronté. Je suppose que ces qualificatifs sont des euphémismes par rapport à la réalité. 

Un frisson de peur secoua ses membres et la crainte s’empara de son sein : rien ne laissait supposer qu’il était un Lios, aucun moyen n’était possible pour le découvrir à part sa volonté propre. Mais tant que ses pouvoirs n’étaient pas revenus…

Rien n’était certain. 

Pour le moment, le silence restait sa meilleure défense. Almagar sembla le remarquer, ce qui lui arracha un sourire franc. 

– Il me disait que tu possédais un certain répondant, un mordant assez rare, quitte à être irrespectueux envers la famille royale… Aurais-tu perdu ta langue ? 

– Non, dame Almagar, murmura-t-il. 

– Me vois-tu comme une menace ? Tu parais sur tes gardes. Je ne vais rien te faire, tu sais. Après tout, je ne suis que la cheffe de ce quartier, la gardienne des serviteurs pour ainsi dire et celle qui s’occupe des rescapés de guerre, des prisonniers aussi.

– Que me voulez-vous ? 

Son affront ne perturba pas la vieille femme, mais elle ne répliqua rien, reprenant sa tasse entre ses mains. Le vent se leva à nouveau et les berça tous les deux. Ses longs cheveux blancs et tressés retombaient en une queue de cheval et flottaient au rythme de la brise. Ses yeux se teintaient d’un or pur et luisant de sérénité, avec une pupille si petite qu’il crut qu’elle n’existait pas. Ses rides marquaient sa sagesse et son extravagance, les plissures au coin de ses lèvres et de ses yeux, étroits et malicieux, témoignaient de son habitude à sourire. Elle paraissait musclée, sa mâchoire carrée laissait penser que le reste de son corps suivait cette peau sculptée et dont la couleur se rapprochait d’un marron doré. Une femme à l’allure majestueuse dont la tenue, qui se composait d’une veste en soie blanche, brodée avec des fils d’or sur les bords, fermée devant grâce à une ceinture de la même matière. 

Dame Almagar inspirait le respect et le calme juste par sa présence. 

Celle-ci poussa un profond soupir, puis elle finit par tourner son regard perçant vers lui. 

– Je vais te prendre sous mon aile et t’aider à t’acclimater à ton nouveau chez-toi. Nous verrons plus tard pour te former quelque part, voir tes capacités et te donner un poste ici.

– Un poste ? s’offusqua Maximilien. Je ne veux pas travailler ici. Même si le personnel a l’air de manquer, je ne vais pas me plier aux exigences de quiconque.

Almagar ricana et se frotta le menton, comme amusée par son attitude, qui n’avait rien de drôle. 

– Je ne pense pas que tu aies le choix et les Morgas préfèrent t’avoir à l’œil. Après tout, tu es le seul à ne pas avoir subi leur fameux sérum de vérité… Et ton esprit semble très bien formé aux attaques extérieures. 

– Aux attaques extérieures ? 

– Il est fermé comme une huître. Tu es plutôt intrigant, jeune homme. 

Maximilien tiqua à cette appellation qu’il jugeait trop maternelle. Il savait que pousser sa chance trop loin n’allait pas l’aider, mais il était préférable d’évaluer à quel point cette vieille femme pouvait s’avérer dangereuse. 

– Vous pouvez lire dans mon esprit, souffla Maximilien. Sûrement dans ma mémoire, mais s’il vous est impossible d’entrer dans ma tête, il y a des chances pour que je possède des capacités qui vous mettraient tous en danger. 

– En danger ? répéta Almagar en s’esclaffant. Si c’était le cas, pourquoi ne suis-je pas déjà morte ? 

L’agacement le força à se taire pour éviter tout débordement inutile, car elle avait totalement raison : s’il représentait une vraie menace, il aurait déjà attaqué. Or le voici face à elle, face aux Stirs, à Nora, complètement démuni et avec la parole comme seule arme. Dame Almagar le remarqua, mais elle n’en dit rien. Ce ne fut qu’au bout de quelques secondes de silence qu’elle décida de répondre :

– Pourtant, je ne peux pas te sonder. Tu n’as rien de menaçant, mais tu es un mystère. C’est une bonne chose que Nora m’ait demandée de te former.

– Pour me surveiller, marmonna Maximilien.

– Exactement. 

– Vous êtes honnête. 

– Es-tu étonné ? De bonnes relations se basent sur la confiance. Je ne vois pas pourquoi je devrais te cacher que tu restes une énigme à résoudre. Et vu que nous ne savons pas d’où tu viens ni qui tu es et que tu ne te feras pas prendre à nos petits tests… Il vaut mieux te garder à l’œil, n’est-ce pas ?

L’honnêteté… Pourtant, Maximilien sentait qu’elle ne lui disait pas tout, à commencer par son statut de dragon qu’elle gardait secret – en vain. Il ouvrit la bouche, pour tenter d’en savoir plus sur cet endroit et leurs objectifs, mais une femme arriva en trombe dans les jardins, essoufflée et paniquée. 

– Dame Almagar ! L’un des nouveaux est en train de tout saccager dans le quartier ! 

Pas étonnée pour un sou, elle se leva de sa chaise et fit un geste vers lui pour l’inciter à la suivre. 

– Je pense que tu comprendras mieux ce qu’il se passe ici si tu rencontrais tes nouveaux camarades. D’ailleurs, quel est ton joli nom, mon garçon ? 

Maximilien quitta sa place à son tour et resta derrière elle, comme il le faisait souvent avec ses aînés – pour montrer leur hiérarchie sociale. Almagar cilla légèrement mais ne dit rien. 

– Je m’appelle Max, Dame Almagar, finit-il par répondre, tentant au mieux d’être poli. 

Avec la certitude que révéler son vrai prénom lui ferait défaut, il valait mieux se cacher sous un pseudonyme qui se rapprochait de la réalité. Elle lui adressa un simple sourire et se contenta d’activer le pas pour arriver rapidement vers la source des problèmes, en se mettant rapidement – et étonnamment – à ses côtés. 

Maximilien soupira, sa frustration ne cessait de grandir au fur et à mesure des heures. 

Il détestait se retrouver en territoire inconnu.

Et, par-dessus tout, de ne rien savoir. 

Alors, en silence, il se hâta au même rythme qu’Almagar. Pourtant, un pressentiment le gagnait à chacun de ses pas, comme si quelque chose de mauvais allait se produire. « Je dois halluciner, divaguer, à cause de la fatigue, de mes blessures dont la douleur s’accentue étrangement et de ma colère… », il se convainquait, sans grande volonté. 

Puis un point brillant au loin retint son attention. Ses yeux se plissèrent légèrement pour mieux distinguer ce que c’était. Son cœur rata un battement.

Un homme se tenait juste derrière.

À peine eurent-ils atteint la porte des jardins qu’un projectile transperça la tête de la jeune femme qui était venue les chercher. 

Maximilien écarquilla les yeux alors que le corps s’écroulait au sol, inerte. Ses yeux se relevèrent au ralenti, une forme humanoïde sauta vers eux, hurlant comme un fou. La scène ne dura qu’un quart de seconde, son anxiété n’eut même pas le temps de croître, tout se figea autour de lui ; ses membres, son cœur, ses pensées. 

La seconde d’après, alors que tout en lui semblait être paralysé, la vision de l’homme lui échappa. Une goutte chaude glissa lentement sur sa tempe. Les pupilles de Maximilien descendirent sur le sol, où était étendu le cadavre de leur assaillant, le visage explosé : il paraissait avoir été écrasé par quelque chose d’assez lourd pour briser sa boite crânienne. 

Des horreurs, il en avait vu, dans ses livres d’histoire, à travers les miroirs destinés à contempler les mortels et même quand il avait atterri sur terre. 

Mais jamais d’aussi près. 

Il retint sa nausée, la sueur commençait à perler sur sa peau, sans pouvoir contenir les tremblements de son corps, au point de se persuader qu’il allait s’évanouir. L’odeur de la lavande se teinta de celle de la mort, horrible à supporter, atroce à respirer, et son regard se porta sur le poing ensanglanté de Dame Almagar, qui se penchait au-dessus de cet homme. 

– Si ma mémoire est bonne, murmura-t-elle, cet homme était un traître à sa nation, un Takien. Il a dû vouloir s’échapper pour ne pas retourner chez lui et finir en prison au mieux, éventré au pire. Enfin… Maintenant, il ne pourra plus y penser.

– Vous…, tenta Maximilien, mais il ne pouvait pas continuer sans sentir le goût abominable de la nausée en bouche. 

Elle lui lança un regard en biais et agrippa son bras, dans un silence qui lui laissait un goût amer en bouche. 

– Viens, tu n’es pas obligé de regarder un tel spectacle. 

Les quelques serviteurs affluaient autour d’eux alors qu’ils entraient dans le quartier des Lucioles, Dame Almagar leur ordonna de nettoyer et brûler les « restes » de cet homme, pareil pour la servante, de ne laisser aucune goutte de sang à vue. Elle posa sa main sur son dos, le conduisant loin de ce massacre. 

– Les autres nous attendent, restons concentrés sur autre chose que ce petit imprévu. 

« Petit imprévu », était-ce ainsi qu’il nommait la mort de quelqu’un dans ce royaume ? Comme un aparté qui ne méritait pas d’attention, une parenthèse sans intérêt ? Au rythme de leurs pas, Maximilien se sentit fiévreux de rage, envahi d’aigreur : cet homme les avait attaqués, mais sa vie méritait-elle aussi peu de considération ? Les morts avaient autant de droit que les vivants, le comportement des gens de ce palais le rendait fou tant tous ici sous-estimaient l’avis de ceux qu’ils disaient avoir « sauvés ». 

Au moment où il voulut protester, répliquer sur les agissements de Dame Almagar, ils atterrirent devant une porte, tout aussi majestueuse que le reste de ce palais, et elle s’ouvrit d’un coup. 

Maximilien planta ses deux pupilles roses dans celles vertes de son homologue. 

L’un des deux hommes qu’il avait vus sur le balcon. 

– Almagar ! Te voilà enfin ! 

Ce dernier, avec un grand sourire aux lèvres, s’approcha de la susnommée et lui donna une accolade chaleureuse. Elle lui rendit tendrement telle une mère avec son enfant. Maximilien se gratta la nuque, quelque peu gêné de servir comme troisième roue à ce duo et d’être royalement ignoré par ce nouvel arrivant qui n’était pas aussi impressionnant que prévu. D’ailleurs, quand il le regardait bien, Maximilien constata que sa propre taille dépassait la sienne. Mais le Stir – il le devinait à être prince ici – semblait plus costaud que lui. Après quelques échanges entre eux, le Morgas se décida à lui accorder un minimum d’attention, un sourcil haussé. 

– C’est toi, le type qui s’est incrusté dans le lit de mon frère ? 

– Dans le…, s’étrangla Maximilien, pris de court.

Le rire gras de l’homme résonna bien trop fort alors qu’il les invitait à entrer dans la pièce où il se trouvait. La mâchoire de Max se contracta, il était peu amusé par ce genre de boutade sans subtilité et grossière à souhait. 

– J’étais dans son lit pour me faire soigner, même si je suppose que vous auriez pu m’emmener à l’infirmerie pour ça, répliqua Maximilien, agacé. 

– C’est vrai que t’étais bien amoché, une tête à faire peur aux plus vieux.

« C’est quoi ce langage familier ? ». Nora donnait plus l’impression de faire partie de la famille royale que lui… D’une œillade un peu perdue, Maximilien tenta de trouver de l’aider auprès de Dame Almagar, qui lui lança un sourire mutin, elle-même amusée par la situation : elle semblait savoir que l’attitude de ce Stir ne collait en rien avec ce qu’on attendait d’un membre des Morgas. 

Tous les trois entrèrent côte-à-côte dans la salle – ce qui le surprit étant donné qu’il était habitué à rester en arrière de ceux avec un grade au-dessus du sien – et, alors que Maximilien garda la tête haute, impassible, une forme se jeta sur lui d’un coup, frêle et agitée. 

– Un serpent ! hurla-t-elle, implorante. Qu’on me protège de cette monstruosité ! 

Grâce à ses réflexes exceptionnels, il leva son bras sans réfléchir et attrapa en plein vol la créature qui se dirigeait à toute allure vers lui. Ses doigts se refermèrent autour de son corps écailleux et coloré, sans lui faire de mal, et Maximilien jeta le serpent loin d’eux. Celui-ci, après avoir atterri à quelques mètres de leur position, releva sa tête, semblant outré de s’être fait balancer comme un moins que rien. « Désolé, petit être… », après quelques secondes à les dévisager, la bête finit par s’enfuir. La chose qui lui avait sauté dessus poussa un long soupir de soulagement et se dégagea de son étreinte. Maximilien tourna sa tête vers la jeune enfant face à lui : de longues oreilles d’où pendaient divers bijoux – avec un diadème qui traversait son front –, des cheveux d’un parme éclatant, des yeux ronds, aux tendances colériques à cause de la ride du lion entre ses sourcils, de la même couleur, un visage long et fin et un nez en tire-bouchon… Le plus troublant et majestueux, c’était les feuilles qui s’étaient formées sur son corps, probablement suite à sa frayeur.

Une elfe des bois. 

Il le supposait.

– Jamila, intervient le premier Stir, ce ne sont pas des manières de… 

– Je n’ai rien à recevoir de toi, espèce de mal élevé ! C’est vraiment le lézard qui se moque du serpent, à ce stade !

– Jamila…, tenta d’intervenir Almagar, en vain. 

– Et ce n’est que maintenant que tu arrives ? s’agaça cette fameuse Jamila. Je commençais à m’impatienter de rencontrer vos nouvelles recrues !

« Recrues ? Quel était ce bourbier ? ». Maximilien lança un regard désespéré à Almagar, qui le réceptionna dans un soupir contrit. C’était pourtant le premier Stir qui prit la parole, mettant sa main sur son épaule brusquement, avec une force douloureuse, sûrement volontaire. Ce prince sans manières le lorgna et ricana légèrement, un petit son grave énervant à souhait. Cet homme l’insupportait déjà. Surtout que ses doigts appuyaient là où ses blessures commençaient à le lancer, au point de le rendre très nerveux, car la douleur qu’il ressentait devenait de plus en plus violente. 

Lui qui n’avait jamais vraiment connu la souffrance physique, cette nouveauté ne l’aidait pas à rester calme. Et l’homme en face de lui avait l’air de s’amuser de sa situation.

– Même si je ne sais pas encore ce que je vais faire de toi… 

– Enlevez votre main de mon épaule. 

Les voix autour d’eux – des personnes que Maximilien ne connaissait pas – se turent instantanément. Dame Almagar garda le silence et la petite princesse parut s’outrager de son comportement. Le premier Stir, à l’instar des autres, ne cilla point, mais sa prise sur son épaule se resserra davantage. Puis, sans crier gare, une douleur horrible frappa le crâne de Maximilien, comme des lames qui venaient se loger dans sa peau et dans son cerveau. 

Pas un coup de poing, pas une attaque physique.

Rien ne l’avait atteint. C’était directement en lui, une tentative de s’attaquer directement à l’intérieur de son esprit. Ses maux de crâne lui provoquèrent de violentes nausées alors qu’il tentait désespérément de garder sa fierté, de ne pas se plier en deux. Le Stir ne se dépareilla pas de son sourire. 

– C’est normal que tu sois en colère contre nous avec tout ce qu’il s’est passé… 

La pression sur son crâne devint comme une brûlure, la transpiration fusa à nouveau, froide et désagréable : il ne voulait pas fléchir sous sa menace, mais sans ses pouvoirs, il se retrouvait démuni face à ce genre de puissance. Maximilien ne put répliquer, s’il ouvrait la bouche, il allait régurgiter le peu d’aliments qu’il avait mangés. 

– Mais n’oublie pas où tu es, ce que tu es et, le plus important, à qui tu parles. 

Et tout se relâcha. 

Maximilien prit une grande inspiration et faillit s’écrouler au sol si Almagar ne l’avait pas rattrapé ; il ne s’était même pas rendu compte qu’il avait cessé de respirer pendant tout ce temps. Ses mains tremblaient, jamais il n’avait été menacé de la sorte. 

Personne n’en avait le droit. 

Dame Almagar s’interposa entre les deux, le faisant reculer. 

– Kahl, souffla-t-elle, laisse-le respirer. Il est blessé et il ne connait rien de cet endroit apparemment. Puis tu ne peux pas tirer des conclusions hâtives sur ses origines… 

– Il doit se montrer respectueux, râla le prince. Et vu son physique, il vient forcément d’une des Lomes, même si ce n’est pas un Catal. 

– Certes. Mais je te rappelle comme il a été traité avant d’arriver ici, nous lui apprendrons nos manières en temps et en heure. Sois indulgent, pour l’instant. 

Ce Kahl, malgré sa visible volonté de protestation, finit par soupirer et reculer en secouant la tête. Ce simple geste suffit à dégager une flagrance de rosée matinale, peut-être de la mer en fin de compte, ce qui ne collait pas réellement à la première impression qu’il avait laissée sur lui. Il respirait l’été, la brise du soir, le soleil qui s’en allait, l’eau qui se mouvait, mais il se comportait tel un raz de marée sur le point de tout emporter, un vent sourd pouvant tout détruire. 

Après que Kahl s’était remis de ses émotions, il se tourna vers le reste de la salle, où se tenait à peine une dizaine de personnes. Maximilien jeta un coup d’œil dubitatif à cette dragonne atypique, dont il n’arrivait pas vraiment à déceler le vrai rôle ici : Almagar semblait posséder une autorité étrange sur les autres, jusqu’à leur insuffler un minimum d’indulgence envers ceux qui remettaient en cause leur supériorité sociale. À Sarcoce, les Conquérantes et Piliers restaient inexorables par rapport à l’échelle sociale : personne n’avait le droit de les prendre de haut ou de se sentir leur égal, ils étaient après tout les forces, les intelligences et les gestionnaires de Sarcoce…  

Maximilien se remit à peu près sur pieds, toujours aux côtés d’Almagar alors qu’il touchait son épaule endolorie : pourquoi la douleur s’accentuait toujours un peu plus ? Il savait que ressentir la souffrance physique était sûrement lié à sa perte de pouvoirs, mais impossible de comprendre pourquoi elle se développait petit à petit et pas d’un coup, au moment où il n’avait plus pu sortir ses ailes par exemple. Son soupir ne passa pas la barrière de ses lèvres, par crainte de réveiller à nouveau la colère du premier Stir. Ce dernier leva sa main et sourit à tous ceux présents. Allait-il enfin savoir ce qui se tramait réellement ? Et, dans le meilleur des cas, confectionner un plan pour aussi prendre connaissance des événements dans sa propre ville…

– Bravo à vous pour être restés ici malgré les circonstances ! clama Kahl. Dès aujourd’hui, votre entraînement pour nous aider commence, j’espère à tous que vous êtes prêts à franchir chaque obstacle et chaque problème ! Car, après tout… 

Il s’avança vers les autres, Maximilien restait en arrière près des portes, en compagnie de ladite Jamila et d’Almagar. 

– C’est votre liberté qui est en jeu.

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