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Chapitre 21

Parler de sa ville natale, de son passé, de toute sa culture, ce n’était pas quelque chose de réellement difficile pour lui ; l’amour qu’il éprouvait pour Sarcoce et ses habitants dépassait parfois l’entendement, au même titre que n’importe quel être. 

Mais le regard acéré des autres, leurs postures défensives, la déception et la rancœur qui semblaient peindre leurs traits, tous ces éléments annulaient la sérénité qui l’animait quand il décrivait sa vie. Le plus dur restait cet air désabusé qui volait sur le visage fermé de Nora, et il le comprenait. 

Même si c’était horrible à supporter. 

Alors, par où commencer ? Comment en parler ? Ils s’impatientaient et lui se perdait, jusqu’au pire des tourments. Ses yeux passèrent furtivement vers Jamila, qui s’agrippait au pantalon d’Almagar, son expression indéchiffrable lui brisa le cœur : autant débuter par le plus simple. Les poings serrés contre le rebord du lit, Maximilien détourna le regard, son courage s’ébranlait à nouveau. 

– Je suis un Lios, souffla-t-il, sans grande conviction, les messagers de Dual dans la Catalome. Ses apprentis, plus précisément, nous formons une minorité de la population à Sarcoce, ma ville natale. 

– Ton vrai prénom, ordonna Nora, sans le quitter des yeux. 

– Mon…, commença Maximilien avant de ravaler sa salive pour mieux répondre, Maximilien. Maximilien de Sarte. 

– Mon dieu, soupira Almagar, tu fais partie d’une des trois familles divines inscrites dans la Catalome. 

Par honte, le Lios baissa ses yeux vers le sol, pour reprendre un peu de contenance, et il releva la tête, les lèvres tremblantes. 

– Oui, c’est bien ça, reprit-il, et je suis le cadet, j’ai un grand frère. Ma famille est chargée du lien entre le monde des divins et celui des mortels. 

– Pourquoi tu es ici ? assena Nora alors qu’il décroisait les bras pour se pencher vers lui, les coudes sur ses genoux. Toi, un divin comme tu le dis, tu te retrouves parmi nous, mortels. Pourquoi ? Que veulent dire ces attaques ? Que comptes-tu faire ? Nous tuer ? 

– Jamais ! 

Son hurlement fit sursauter son homologue, celui-ci se recula sous l’ardeur de Maximilien. 

– Jamais je ne ferai de mal à qui que ce soit ici ! C’est vrai, j’ai menti sur mon statut, mais pas sur mon histoire ! J’ai bien été banni, rejeté par les miens, par mon propre frère, après des accusations odieuses ! Dual a été tué, assassiné, et ils ont jugé bon de me faire porter le chapeau… J’ai dû fuir ma propre maison pour être épargné ! 

– Pourquoi n’avoir rien dit ? intervint Jamila, avec sa petite voix fluette. Nous aurions pu comprendre…

– Le simple fait d’être un Catal m’a valu d’être battu, isolé et menacé de mort, cracha Maximilien, fatigué par cette situation. Je pensais justifier de ne rien dire sur mes origines, car mon sort aurait été bien pire. Je… Je ne voulais pas mentir, je déteste ça, mais j’étais terrifié par ce monde dont je ne connaissais en réalité rien. 

Les larmes menaçaient réellement de couler, la surdose d’émotions l’asphyxiait au point de briser toutes les défenses qu’il avait mises en place ces derniers mois. Il déballa tout ce qu’il avait passé sous silence, dépassé par tous les événements qu’il avait dû gérer seul. 

– J’étais la cible parfaite pour eux : j’aimais les mortels, j’allais contre tous leurs principes de supériorité, je m’intéressais à votre monde, et ils n’aimaient pas ça. Peut-être parce que je ne les écoutais jamais, que je n’obéissais pas aux ordres. Leurs livres sur les mortels n’ont rien à voir avec la réalité, alors probablement avaient-ils peur que je découvre la vérité ? Je ne sais toujours pas, plein de questions me hantent depuis qu’ils m’ont banni, mais une chose reste sûre : ce sont eux qui ont tué mon Dieu, ce sont eux qui ont attaqué Laven aujourd’hui. Pourquoi ? Pour moi, sûrement pour cette pierre, pesta Maximilien en pointant l’orbe à sa cheville, ou pour toute autre chose, je n’en sais absolument rien. Tout ce que je peux dire, c’est que mon propre frère, un homme que j’ai toujours aimé et admiré, m’a abandonné à mon sort dans le pire des moments. Mon père et ma mère ne m’ont même pas aidé et ils m’ont charcuté comme un vulgaire porc à abattre.

Sa voix se brisa sur ce dernier murmure et une larme fut sur le point de glisser sur sa joue, mais il l’effaça en posant sa paume sur le côté de son visage, fermant les yeux de désespoir. Il continua, libéré de tous ces mots qui ne cessaient de tourner dans sa tête jour après jour depuis son arrivée : 

– J’étais destiné à devenir un Pilier, d’accompagner Dual et de rendre Sarcoce plus juste… Comme mon frère, mais tout s’est brisé en quelques secondes. Ils sont venus chez moi, ils m’ont menacé, attaque, blessé, ma famille n’a pas réagi, ils ont même pris part à ce lynchage public. J’aurais pu utiliser mes pouvoirs, mais entre les Conquérantes et les autres divins, c’était comme signer mon arrêt de mort. Et le plus ironique, c’est que je ne peux même plus sentir mon Kin, ma puissance s’est comme… endormie en arrivant dans ce monde. D’un côté, j’étais heureux de pouvoir découvrir cet inconnu dont j’avais tant rêvé, mais de l’autre, comment apprécier ce voyage quand j’étais à ce point démuni, tourmenté par ces mystères qui m’étouffaient ? 

Un sanglot le coupa dans son élan et il se rendit compte que sa culpabilité remontait en flèche, comme un poison qui se ravivait et le tuait à petit feu. Maximilien n’osait même plus regarder les autres, surtout Nora, un homme qu’il appréciait et estimait à sa juste valeur. 

– Je suis tellement désolé…, bredouilla-t-il alors que son visage se tordait de douleur. J’aimerais tant comprendre ce qu’il s’est passé pour vous aider, d’avoir toutes les réponses à leurs attaques, mais je suis aussi perdu que vous. Je ne sais même pas comment me faire pardonner… Comment excuser toutes les tragédies qui se sont passées, j’en suis incapable et ça me rend malade.

Une perle traîtresse vint s’écraser sur sa main, ses doigts entrelacés entre eux, Maximilien refusa de relever la tête à cause de ce poids qui laminait ses épaules. 

Puis une petite main s’agrippa à la sienne, d’une douceur irréaliste, et ses yeux roses rencontrèrent ceux violets de Jamila. 

– Ce n’est pas ta faute si ton peuple n’est capable que de violence. Tu n’as rien fait de mal. 

– Il n’a rien fait tout court…, pesta Katrina dans son coin. 

– Tais-toi un peu, souffla Almagar, Jamila a raison. Il est quasiment impossible de combattre un pays entier seul. À part ne pas reproduire le schéma de ses pairs, peu de possibilités lui étaient offertes. À ce que je sache, plutôt que de survivre par toi-même, tu as préféré écarter les jambes pour celui qui te donnerait le plus. 

La réplique acerbe de la dragonne fit mouche et la concubine n’osa plus ouvrir la bouche. Maximilien se risqua à lever les yeux vers les autres, mais une main passa devant son visage pour se poser sur son épaule. Nora le fixait, comme s’il fouillait son âme, et les lèvres du Lios tremblotèrent à nouveau de remords. 

– Je sais que j’ai l’air d’un parfait suspect avec tous ces mensonges, baragouina Maximilien, et je ne voulais vraiment pas trahir ta confiance. Mais j’étais désemparé… 

– Comment savoir si tu dis la vérité ? coupa le Stir, la voix emplie d’une froideur nouvelle. Peut-être que tu es bien complice de leurs manigances. Comment peux-tu me prouver ta bonne foi ?

Pendant un instant, il crut pouvoir répondre à sa demande, comme une évidence stupide, mais les seules preuves qu’il possédait, c’étaient ses sentiments. À côté d’eux, il ne détenait aucun élément matériel pour témoigner de son innocence. Une fois encore, son regard tomba au sol, résigné. 

– … Je ne peux pas.

– Tu ne peux pas, répéta Nora. Tu n’as jamais pu grand-chose, en réalité. 

La violence de ses mots suffit à anéantir le maigre espoir qui lui restait quant au soutien du Stir. Dans une tentative désespérée de réconciliation muette, Maximilien affronta du mieux qu’il put le regard revêche de son homologue pour prouver ses bons sentiments : 

– Nora, je…

– Deuxième Stir, corrigea sans vergogne le susnommé, je t’ai déjà dit que notre relation se limiterait toujours à de simples intérêts entre un otage et son prince.

Ainsi s’acheva tout. Avec des mots aussi rêches, des essais vains, une survie sans avenir, Maximilien se voyait déjà torturé et mort. Peut-être qu’avec un peu de clémence, il lui trancherait directement la gorge, mais peu importait la façon, l’issue restait la même : il avait échoué. 

Comme toujours dans tout ce qu’il tentait. 

Étrangement, tout le mal en lui se rassembla en une boule asphyxiante en son sein, comme si tout son esprit, son cerveau, tous ses membres s’étaient éteints en même temps que son espoir de vivre. La poigne sur son épaule se raffermit, telle une menace prête à l’exécuter, et un liquide chaud finit par s’extirper de ses narines. Il l’ignora. À la place, sa respiration se bloqua, comme deux mains qui étreignaient sa gorge pour le tuer à petit feu, ce qui provoqua en lui une panique jamais connue jusqu’alors. Ses ailes, en symbiose avec son esprit, se mirent à battre comme des folles, forçant tous les autres à reculer. Les griffes aux extrémités écorchèrent les draps et frappèrent le bois du lit ; Maximilien tenta de se lever pour tenter de se reconnecter à la réalité, mais il ne fit que s’effondrer à genoux au sol, aux pieds du Stir tandis que ses ailes se débattaient pour fuir, se protéger. 

– Il devient dangereux, Nora ! glapit Jamila, toujours cachée derrière Almagar. 

Il ne lui répondit pas, ou du moins, il ne parvint pas à entendre quoi que ce soit de lui. À la place, une paralysie soudaine envahit tout son corps et chaque membre, chaque plume se contractèrent jusqu’à ne plus bouger du tout : il devait ressembler à une poupée désarticulée à ce moment précis, tant sa position n’était pas naturelle. Son regard se releva sans son consentement vers Nora, une lueur dorée s’échappait de la paume de ce dernier : il avait pénétré son esprit, contre son gré, alors qu’il lui avait promis de ne plus le faire. Ce constat lui arracha une larme à son insu. 

– Je… 

– Du fait de mon statut de Stir et des lois de Laven, je me dois de t’exécuter ici et maintenant. 

– Nora ! s’écria Jamila, dont le corps se parsemait de feuilles sous la panique. Tu ne peux pas…

– Tais-toi, Jamila, tonna Almagar. Ne t’interpose pas. 

La mort dans l’âme, Maximilien ne les regarda même pas, sa seule alliée et son seul réconfort désormais demeuraient sa résignation. L’air se matérialisa en une lame tourbillonnante et pointue, qui s’approcha de sa gorge exposée. 

Voilà, la fin était là. 

Maximilien ne savait pas vraiment qui allait mourir en premier : son esprit ou son corps. Mais dans tous les cas, les deux ne pourraient plus exister en ce monde. Alors si son heure était venue, si l’espoir avait déguerpi sans rien laisser derrière, il voulait au moins ouvrir son cœur une dernière fois, pour partir avec un regret en moins. Il releva ses yeux larmoyants, sûrement morts, vers Nora et ses lèvres se délièrent : 

– Merci de m’avoir écouté et aidé, murmura-t-il avec le souffle court, tu es le seul à l’avoir fait jusqu’au bout.

Cette vérité lui déchira le cœur au point de s’obliger à fermer les yeux pour ne plus subir la haine du Stir. Même son propre frère qu’il aimait n’avait pas toujours été la meilleure oreille quant à ses désirs, ses doutes, ses reproches : celui-ci le trouvait trop « gentil », trop « émotif », il finissait parfois par ignorer ses monologues, feignant d’être attentifs, mais se concentrant uniquement sur ses travaux. Même si Elios l’avait profondément aimé et protégé, une part de lui n’avait jamais cru en ses ambitions. 

Seul Nora l’avait fait. 

Seul Nora avait eu foi en lui. 

Alors ses remerciements, aussi faciles et stupides étaient-ils, recelaient toute la puissance de sa solitude et de sa sincérité. 

Il attendit sa sentence, le cœur battant, la bouche pâteuse, le corps crispé par ses peines, mais détendu pour sa future délivrance : une fois mort, la douleur ne serait plus.

Mais rien ne vint. 

La lame sur sa gorge disparut, sans comprendre pourquoi. 

– Je te crois.

Ces trois petits mots, sortis tout droit de cette bouche qui prônait tant de valeurs, fonctionnèrent comme un électrochoc sur lui. Maximilien rouvrit les yeux d’un coup, toujours à genoux, et il planta son regard dans celui de Nora.

– Tu me crois ? murmura-t-il, sur le point de s’effondrer en larmes.

– Oui, je te crois.

Pendant un instant, il crut voir l’ombre d’un sourire soulagé traverser les lèvres de Jamila quand Nora prononça ses paroles et il ne sut comment répondre, au bord de l’évanouissement. Son homologue resta dans la même position, mais son expression véhémente avait été troquée pour une plus… déçue, abattue.

– Je t’en veux de ne pas m’en avoir parlé, reprit le Stir. Il est vrai que ta situation demeurait complexe et que rien ne t’assurait que j’allais bien réagir au début, mais au bout de presque quatre mois de cohabitation, t’ai-je une seule fois trahi ? Malgré tout ce que tu me racontais ? Je t’ai défendu face à mon propre père, j’ai fait en sorte de te sortir de toutes les misères qu’on mettait sur ton chemin. Une simple petite paire d’ailes ne m’impressionne pas ni même ton peuple. Je ne vois pas de raison de te rejeter, peu importe ton statut. Et toi, tu as tout de même fini par me trahir alors que je t’ai accordé mon temps et ma confiance. Croire en ton innocence est une chose, croire en toi une autre.

Mélangé entre un soulagement libérateur et une culpabilité étouffante, Maximilien baissa la tête et accepta ces reproches sans broncher. 

– Ma famille, ma patrie, mon frère, tous étaient contre moi, tous ont tenté de me tuer après s’en être pris à Dual, s’étrangla-t-il, alors comment aurais-je pu accorder ma confiance à un peuple qui ne désire qu’une chose, soit m’exterminer moi et les miens ? Peu importe la gentillesse dont une personne peut faire preuve, j’ai désormais cette peur horrible d’être trahi et pointé du doigt, au point de ne voir que des ennemis, même dans mes alliés. Je voulais tellement croire en toi… vous ? Mais à chaque fois que je tentais de le faire, cette petite voix atroce me murmurait que j’allais une fois de plus finir abandonné, alors je…

Son monologue ne put jamais se terminer, car un mouchoir vint se poser dessous ses narines. Nora s’était agenouillé face à lui et il le força à lever la tête légèrement, sous son regard désarçonné. 

– Cesse donc de parler, tu vas finir par me faire culpabiliser de t’avoir malmené, murmura-t-il, et ne regarde pas le mouchoir, tu as saigné du nez. Je ne voudrais pas que tu t’évanouisses à la vue de ton sang. 

Le ton agacé, quelque peu colérique, du deuxième Stir tritura ses entrailles, mais à la place d’éclater en sanglot, seul un rire étouffé sortit de sa bouche, laissant tout le monde éberlué dans la pièce.

– Je peux savoir ce qui te fait rire ? marmonna Nora entre ses dents tandis qu’il tamponnait le sang sur ses lèvres. 

– Je me disais… Enfin, je me suis souvenu que les gens dans ce palais trouvaient ta gentillesse stupide… 

– Et ? Je ne vois pas où tu veux en venir.

Maximilien garda obstinément les yeux au plafond alors que son interlocuteur tenait son menton entre ses doigts. La honte le gagnait, la terreur l’avait submergé, mais une chose restait sûre : il n’était pas mort. 

– Les habitants de ce palais doivent être sacrément abrutis pour penser qu’un tel altruisme puisse être une faiblesse, finit-il par dire, les lèvres tremblantes d’émotion.

Il crut avoir dépassé les limites, provoqué à nouveau la rage du Stir, mais seul un fin sourire passa sur le visage de Nora, sans vraiment savoir si c’était un signe de victoire quant à une potentielle réconciliation ou non. Mais avant de pouvoir continuer cette conversation, une voix vint briser ce petit instant de tranquillité, de soulagement qui s’était installé. 

– Donc on le croit comme ça ? On accepte son histoire ? Nous ne connaissons rien de lui et, je tiens à le rappeler, il est directement lié à la Catalome, il représente même cette religion de malheur ! C’est un traître à ce monde ! 

Katrina, sur ses deux jambes, le toisait du regard, l’amertume voguait sur elle au point de lui redonner cette terrible culpabilité.

– Katrina…, menaça Almagar. Si je vous ai dit de ne pas vous interposer à toutes les deux, c’était uniquement, car ce sont les affaires de Nora.

– Je l’ai accepté à mes côtés seulement parce que c’était un garçon naïf et utile, même si c’était un Catal ! hurla-t-elle. Mais maintenant, nous apprenons que c’est une divinité et que son peuple est encore la cause de tous nos malheurs ? Et puis, malgré ses ailes, peut-être que toute son histoire de divinités est un mensonge ! Ce ne serait pas nouveau avec lui ! Personne n’est choqué d’apprendre que des dieux sont au-dessus de nos têtes et que la Catalome repose quand même sur une part de vérité ? Ce sont des barbares !

– Katrina. 

Nora, la tête tournée vers elle, de profil, lui intimait silencieusement de se taire une bonne fois pour tout et il fit un geste vers la dragonne ; elle sortit une petite pierre d’un cercle magique formée par ses mains. Maximilien écarquilla les yeux quand il se rendit compte que la matière du cristal ressemblait étrangement à celui sur sa cheville. Il tendit la main pour le toucher, mais Nora l’arrêta en attrapant son poignet. 

– Je suis indulgent pour une bonne raison, reprit le Stir. Nous avons trouvé plusieurs cristaux de ce genre dans la nature, en particulier dans les autres pays. Au départ, nous pensions que c’étaient de simples pierres d’une quelconque valeur, mais, depuis un certain temps, des sons étranges s’en échappent : des cris, des paroles, parfois juste des bruits de pas… Comme si tout nous était accessible. Grâce à ça, nous avons pu écouter des conversations privées entre des politiciens, des traîtres, des complotistes, qu’ils soient à Laven, à Takita ou même dans les Lomes. C’était comme si, grâce à ces pierres, nous devenions…

– Omniscients, coupa Maximilien. Tout savoir à n’importe quel comment, c’est l’omniscience. C’était l’un des pouvoirs de Dual, avec l’omnipotence. Enfin, c’était ce que ma famille me répétait. 

La main toujours tremblante, il se pencha et détacha la pierre attachée à sa jambe pour l’examiner plus en détail : depuis le début, il n’avait rien pu obtenir d’elle, et il ne comprenait toujours pas pourquoi son Mentor lui avait donné son bien le plus précieux – selon lui. Avec ce que venait de lui révéler Nora, Maximilien commençait à douter sérieusement du rôle qu’il jouait dans toute cette guerre. 

C’était sûr et certain que la pierre que tenait Almagar et la sienne n’étaient pas identiques, la première était brute tandis que la seconde avait été taillée, polie et ajustée pour contenir quelque chose de puissant, sans savoir exactement quoi. 

Pourtant, les deux avaient un lien indéniable et cela ne le rassurait absolument pas. 

Nora lorgna sur le cristal et serra les poings. 

– Qu’est-ce ? souffla-t-il. 

– Le dernier cadeau de mon Dieu, il m’a dit de le protéger coûte que coûte, sans jamais me dire pourquoi… Je sais que les Conquérantes, nos cheffes de famille, et les Piliers, les dieux majeurs, y sont sûrement pour quelque chose. Mais je ne saurai dire quoi exactement. 

Même s’il savait que ses histoires de famille, de statut social à Sarcoce, ne résonnaient pas vraiment chez les autres, il espérait que c’était assez compréhensible. Le Stir finit par lever la main vers lui, paume vers le haut, sans quitter son regard. 

– Je dois l’examiner.

De son doigt, il pointait le petit orbe dans sa main, Maximilien répondit automatiquement : 

– Non. 

Ce simple mot lui échappa des lèvres, un véritable réflexe de défense, et Nora sembla le comprendre, bien qu’il s’en fichait vu qu’il passa sa main sous la sienne et la tint fermement, touchant la pierre sans lui prendre. 

– Je ne vais pas te la voler, murmura-t-il. 

– C’est à Dual, personne n’a le droit de la toucher. Recule. 

Maximilien tira son bras en arrière pour se détacher du Stir, mais sa force d’antan était redevenue humaine, à son plus grand dam. Nora lui décocha un regard blasé et glissa le bout de son doigt contre la surface lisse du cristal. Malgré tout, il ne força pas pour s’en saisir ou le toucher davantage.

– Ce n’est pas exactement pareil, finit-il par dire, mais je perçois quelques similitudes entre ton orbe et les pierres que nous trouvons ici. Tu pardonneras mon manque de considération, mais tu n’es pas réellement en posture de refuser quoi que ce soit qui pourrait nous aider à comprendre ce qui se passe à Laven. 

– C’est toi qui m’as dit que tu ne ferais plus rien sans mon accord. 

Sa réplique arracha un léger rictus ironique à Nora, qui serra ses doigts autour de son poignet. 

– C’est vrai, mais situation d’urgence. Qui plus est, tu me dois bien cette petite faveur depuis que tu as caché tant de choses, n’est-ce pas ? Tu devrais t’estimer chanceux que personne ici ne te soit totalement hostile – hormis Katrina, apparemment. 

Son ton, bien que tranquille, cachait cette légère menace, ce côté mielleux qui ne le mettait pas vraiment en confiance : Nora ne le rejetait pas, mais il attendait quelque chose de lui. Les yeux d’Almagar et de Jamila, posés sur sa personne, lui confirmèrent ses craintes alors que le Stir reprenait la parole :

– Tu te doutes bien que je vais avoir besoin de ta coopération pour affronter ces nouveaux ennemis, n’est-ce pas ? Tu possèdes des informations que nous n’avons pas et ton affiliation avec ceux que tu appelles les Divins est une précieuse aide. Si je te crois actuellement, c’est avant tout parce que les échos que nous avons eus des cristaux ne provenaient pas seulement de notre terre, mais que certaines discussions se passaient entre des personnes qui parlaient de choses qui concordent avec ton histoire. 

Avant la réponse de Maximilien, Nora sortit un petit dispositif carré, comme un puzzle qui se formait et se déformait par dégradation dont une lumière jaune s’échappait.

– Je n’ai jamais cessé d’enregistrer tout ce qui sortait de ces pierres, expliqua le Stir, et certaines paroles m’ont énormément interpellé. Je te laisse écouter.

Nora activa la petite boîte, fonctionnant à l’aide de son Kin. Les mots qui en sortirent lui glacèrent le sang.

« Yume de Lux, continue de fournir les livres d’histoire comme toujours, avec cette plume qui te sied et qui nous favorise, pendant que je me prépare aux batailles à venir, celles qui auraient dû arriver depuis tant de siècles. Dual doit… ». Quelques grésillements, puis une autre phrase : « Elios doit être là, ça ne peut être lui, pour soutenir notre plan… ». Et plus rien. 

– C’est tout ce que nous avons, précisa le Stir. J’ai l’impression que ces pierres peuvent tout entendre sans forcément être présentes à l’endroit où ça se passe. 

Yume, la cheffe des De Lux, et cette voix…

Willia de Sarte. 

Ses pairs étaient bien de mèche avec ce qu’il pensait être un coup d’État, la pire des trahisons, mais comment avaient-ils pu renverser son Dieu alors qu’il incarnait l’omniscience comme l’omnipotence ? 

Un mal de tête horrible se propagea dans tout son crâne et il empoigna l’avant-bras de Nora, pour se maintenir éveillé, voir s’il n’hallucinait pas. Sa réaction suscita l’inquiétude de Jamila comme de son homologue. 

– Tout va bien ? souffla la petite elfe. Qu’est-ce qu’il se passe ? 

– Tu reconnais cette voix ? persista Nora.

Cette voix, celle de Willia, de la dernière des Conquérantes.

– C’est celle de ma mère, bredouilla Maximilien, sonné d’enfin avoir un début de preuve de trahison, même s’il avait tant désiré le contraire. 

Son dos s’arcbouta, comme si tout le poids du monde vint se loger sur lui, les larmes lui montèrent à nouveau aux yeux. Mais une épaule vint soutenir son visage, alors qu’il avait eu l’impression de s’écrouler. Nora glissa sa main dans ses cheveux et le laissa se reposer contre lui, sans le brusquer. 

– Je veux te croire, marmonna-t-il, mais en échange, j’ai besoin de ta loyauté. Tu m’as déjà menti pendant tout ce temps, je veux te donner une seconde chance seulement si tu me promets de nous aider à combattre cet inconnu qui s’en prend à nous. 

L’avenir qui se présentait l’effrayait, l’étouffait au point de le rendre fou, et la seule chose à laquelle il pouvait se raccrocher, c’était à cette proposition. 

Proposition pendant son moment de faiblesse, mais aussi qui lui permettrait de trouver des réponses. 

Ce ne fut qu’un murmure, trois petits mots simples à prononcer, sauf qu’ils scellèrent définitivement son lien entre lui et cet homme qui ne cessait de le perturber. 

– Je le promets.

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