Loading...
Link copied
Loading...
Loading...
Mark all as read
You have no notification
Original
Fanfiction
Trending tags

Log In

or
@
Astree
Share the book

Chapitre 18

Leur but était pourtant presque atteint. 

Il suffisait de quelques heures de plus, juste un peu de temps pour réellement officialiser son statut de parfumeur envers Katrina. 

Et tout cela avait échoué juste à cause d’un stupide imprévu nommé Daryl Qhuan, qui avait certainement prévenu le Skal de sa présence ici, le forçant à revenir d’une quelconque manière juste pour protéger sa favorite. 

Maximilien se tourna vers Nora, ses mains tremblaient de terreur avec l’irruption du Skal et le Stir s’en rendit compte bien vite, car il s’interposa rapidement entre lui et son propre père pour le protéger. Les yeux de ce dernier transpiraient la haine et s’écarquillaient de rage au moment où son propre fils l’arrêta dans sa folie meurtrière. 

– Que fait ce Catal dans les quartiers de Katrina ? aboya-t-il, les poings serrés. 

– Père, il veut juste l’aider, tenta de calmer Nora, alors si vous voulez bien…

– Tais-toi, espèce de crétin ! Tu oses, non, tu t’appropries le droit de ramener cette chose ici, de le prendre sous ton aile, de le protéger sans raison et je découvre maintenant que tu le fais rencontrer en douce Katrina ! Je pensais lui accorder trois mois avant de périr, mais je pense abréger ses souffrances aujourd’hui ! 

Theol leva sa main, les soldats derrière lui, dont Daryl, commencèrent à s’avancer pour l’emporter loin de cet endroit et, par réflexe, Maximilien se mit en position de défense, tous ses membres furent secoués d’une peur intarissable, jusqu’à faire vibrer son âme d’un sentiment qu’il haïssait, un fiel omniprésent, tari sous son ignorance, ses doutes, mais bien là. 

Il désirait tuer cet homme.

Parce qu’il estimait ne pas mériter une telle injustice. 

Nora attrapa l’un des gardes par la gorge, une veine pulsa sur sa tempe tant il semblait prêt à imploser de rage. Ulios s’avança d’un pas, le visage sombre. 

– Deuxième Stir, intervint-il, ne nous obligez pas à intervenir.

– Vous pensez faire le poids face à moi ? cracha-t-il. Alors venez, qu’on teste vos capacités. Invoquez vos petits esprits que je les tranche en deux.

– Vous savez très bien que ce n’est pas ce que je veux, souffla-t-il. Tentons de parler, Luos Skal, et de comprendre ce qu’ils font ici.

Le calme dont faisait preuve le chef des Feliaris ne surprit pas réellement Maximilien, ce fut plutôt la manière dont il ne souhaitait pas provoquer de combats contre Nora qui l’étonna davantage, surtout en défiant ouvertement les ordres du souverain. Celui-ci allait certainement le remettre en place, mais son fils le coupa dans son élan : 

– Père, vous savez que je suis une personne terriblement patiente, et que j’ai aussi mes limites. Alors dites à vos hommes de reculer, ou cela risque de dégénérer. 

« Non, il ne devait essentiellement pas défier son père, les choses pourraient empirer… », mais que pouvait-il y faire ? Les laisser le prendre contre son gré ? Maximilien crut pendant un instant que sa survie s’arrêtait là pour de bon, mais une silhouette se plaça face au Skal, deux bras l’entourèrent tendrement. 

– Mon Skal, vous n’iriez tout de même pas faire du mal à mon parfumeur attitré ? 

Katrina, avec une grâce ensorcelante, caressa la joue de Theol, un sourire tendre aux lèvres et leur différence d’âge frappa Maximilien, comme une évidence maintenant qu’il les voyait côte à côte. L’expression enragée du Skal se transforma en une incompréhension totale.

– Que veux-tu dire par là, mon petit soleil ? s’étrangla-t-il. Ton parfumeur ? Mais tu as refusé tous ceux que je t’ai envoyés…

Hormis le surnom honteux qu’il lui donnait, la douceur dans son ton le rassura un peu, comme si cette femme pouvait le contrôler aisément. Peut-être un peu trop. Katrina continua d’argumenter, toujours en jouant de ses charmes. 

– Les autres ne me correspondaient pas… Mais lui, susurra-t-elle en pointant Maximilien du doigt, il est parfait pour ce rôle. Regardez ce doux parfum qu’il a concocté.

Elle lui tendit le petit flacon et aspergea son cou avec, un frisson parut le parcourir alors qu’il baissa le regard vers sa concubine. 

– C’est…

– Exquis ! N’est-ce pas ? Je suis en adoration totale et c’est vraiment un homme charmant et respectueux ! Je serais tellement triste s’il devait nous quitter maintenant… 

Le petit manège de Katrina donnait toujours un peu plus d’espoir à Maximilien, car elle prenait son parti, et ce fut la première depuis Nora. Elle recula un peu et encercla le visage de son amant entre ses mains, les yeux emplis de fausses larmes, mais qui convainquirent Theol à son grand étonnement. 

– Je ne veux pas perdre ce qui m’appartient, mon amour… 

– J’ai compris, soupira le Skal, je suis désolée de t’avoir mise dans une mauvaise posture, mon cœur… 

Toutes ces mièvreries le débectaient à un point extraordinaire, puis Theol releva ses yeux perçants vers lui, ses traits se fermèrent à sa vue. Il priait son mentor, Dual, même si c’était inutile désormais, pour s’en sortir.

Juste pour une fois. 

Et sa peur dégonfla quand le Skal soupira. 

– Bien, j’accepte qu’il t’aide, Katrina, mais il sera sous surveillance toute la journée, même la nuit. 

– Et pour le combat ? souffla-t-elle. Je ne veux pas qu’il meure et perdre tous mes futurs précieux parfums…

« C’est vrai qu’elle était là quand Theol a annoncé son jugement. », elle comprenait donc le plan qu’ils avaient mis en place avant de venir et elle prenait part à cela. 

Juste sa parole suffisait à retourner le cerveau de cet abruti de souverain. 

– Tant que tu voudras de lui, il restera en vie, clama-t-il, alors le combat n’est plus d’actualité, ce n’est qu’une suspension. Quand tu auras envie de le jeter, il aura lieu. 

– Luos Skal ! vociféra Daryl. Il est intolérable que… 

– La Délicate de notre souverain a parlé, Daryl, intervint Chrestian, chef des Valtorès, tu remettrais en cause sa parole ? 

Pour la première fois, il entendit la voix de cet homme qu’il n’avait croisé qu’une seule fois, soit au dîner. Depuis, hormis quelques membres de sa famille – qui portaient du rouge bordeaux vif –, il n’avait croisé que peu de Valtorès. Pourtant, malgré ses bonnes paroles, cela ne suffit pas à calmer le Qhuan. 

– Je ne remets pas son opinion en doute, mais nous ne pouvons confier un tel rôle à un Catal. Ou peut-être que tu estimes qu’un Catal est digne de confiance, Chrestian ? Ou…

– Daryl, cesse de te plaindre, soupira Ulios.

À son plus grand soulagement, les quelques mots du Feliaris firent taire pour de bon l’autre homme, encore plus quand Theol le fusilla du regard, peu amusé d’être remis en cause par son bras droit. Il leur intima silencieusement de sortir de la pièce, contre le gré de tous les chefs, qui se plièrent à sa volonté. 

 Tout le corps de Maximilien se détendit, une douleur horrible s’éparpilla dans ses muscles tant il avait été tendu le temps de ces quelques minutes, mais le soulagement l’anesthésia de cette souffrance bienfaitrice. Nora semblait dans le même état, même s’il gardait une certaine retenue. Theol se contenta de lui lancer un regard menaçant, empli d’un courroux effroyable, alors qu’il serrait Katrina contre lui. 

– Et toi, fulmina-t-il, tu as intérêt à te comporter comme il se doit, sinon ce que je t’ai fait la dernière fois te paraitra si doux que tu me supplieras de t’achever. 

Si ses menaces fusaient comme une douce promesse meurtrière, Maximilien s’en fichait bien pour l’instant. 

Il était en vie et c’était tout ce qui importait. 

⋅•⋅⊰∙∘☽༓☾∘∙⊱⋅•⋅

Depuis cette altercation, quelques jours étaient passés dans une certaine tranquillité, bien que Daryl plaidait toujours en sa défaveur auprès de son souverain, malgré les réprimandes d’Ulios à son plus grand étonnement. Plus le temps avançait, plus il avait l’impression que le chef des Feliaris était l’un des plus sains et justes ici.

Un petit soupir passa la barrière de ses lèvres tandis qu’il se gratta le crâne, un peu dépité de sa situation : sa survie dépendait entièrement d’une personne, mais Maximilien estimait que Katrina paraissait plus saine que Theol. Pourtant, aujourd’hui, pour une raison totalement inconnue, cette femme se démenait pour lui rendre la vie dure. 

– Max, mon chou, tu es mignon, mais j’aurais préféré un parfum plus doux ! 

– Ma dame, c’est normal que les effluves ne soient pas à votre goût étant donné qu’il faut laisser poser plusieurs jours la mixture… 

– Vraiment ? Alors trouve un moyen d’accélérer le processus ! D’ailleurs, j’aimerais grandement aller dans les jardins du deuxième Stir pour piocher moi-même mes fleurs ! 

Ce petit caprice durait depuis plusieurs heures déjà et il n’arrivait pas à lui faire comprendre que Nora n’accepterait jamais de voir quelqu’un d’autre que lui-même dans ses jardins – pour la création de son parfum, c’était lui qui s’était déplacé pour lui apporter les fleurs. Maximilien ne saisissait pas cette obsession pour aller là-bas. 

– Il ne voudra jamais que vous alliez vous promener dans ses appartements privés. 

– Eh bien, demande-lui ! Tu as l’air d’entretenir une excellente relation avec lui, au point de le tutoyer quand vous êtes tous les deux. Et ne fais pas cette expression, je vous ai déjà surpris derrière ma porte à le faire !  

L’air hagard de Katrina lui laissa quelques rougeurs sur les joues, à cause de sa familiarité avec Nora devant elle alors qu’ils s’étaient dit de ne le faire qu’en privé. D’ailleurs, cela faisait un petit moment qu’ils ne s’étaient pas revus dans une même pièce, tous les deux, et cela le chagrinait un peu étant donné qu’il appréciait sa compagnie. Puis une idée germa dans son esprit, peut-être stupide, mais assez pertinente pour attiser son attention : si Katrina voulait à ce point aller dans son jardin pour choisir des fleurs…

Alors il devait bien céder à ses exigences. 

Cela lui permettrait de le croiser et de le remercier de n’avoir cessé de le défendre, même contre son père. 

Maximilien se leva de sa chaise. Dans cette pièce en enfilade à sa chambre, prévue pour un parfumeur, il concoctait tout ce dont avait besoin Katrina. Bizarrement, elle s’intéressait beaucoup plus à aller dans les jardins du Stir qu’aux parfums en eux-mêmes. Il s’étira et se plaça devant elle, allongée dans son divan, habillée d’un simple peignoir et d’un pantalon très léger. 

– Nous allons y aller, finit par soupirer Maximilien, mais ce sera dans la plus grande discrétion. 

– Bien sûr que nous allions y aller, sinon j’aurais fait en sorte que Theol vous l’impose ! 

Cette faculté que Katrina avait de mener par le bout du nez le souverain l’impressionnait et le terrifiait à la fois. Il l’aida à se mettre sur ses jambes et un sentiment étrange lui susurrait de vils avertissements, un doute qui s’enjoignait à lui comme une évidence hâtive, jusqu’à lui donner des frissons de crainte, une peur qui s’étouffait dans son cœur : pourquoi cette obsession pour le jardin de Nora, effectivement ? Elle avait refusé tous les autres parfumeurs, car ceux-ci n’avaient pas les compétences qu’elle recherchait – à savoir d’être un simple parfumeur et non pas un profiteur. De plus, si elle pouvait réellement aller dans l’espace privé de Nora en demandant à Theol de lui exiger, pourquoi ne pas l’avoir fait avant ? 

À moins de ne pas le pouvoir.

L’entêtement et la fierté des Morgas se voyaient chez tous les fils et le deuxième ne faisait pas exception : s’il ne voulait pas d’une chose, c’était irréversible. Ordre de son père ou non. 

Mais Katrina surestimait sa proximité avec Nora : même s’il l’avait aidé et protégé, cela ne l’autorisait pas à tout se permettre avec lui. « Pourtant, je me dirige bien vers ses jardins avec elle, juste pour le revoir… » et cette pensée l’angoissa légèrement : une pulsion, un caprice similaire à celui de la concubine, voilà à quoi il cédait. Pour un simple remerciement. 

Alors qu’ils sortaient tous les deux de sa chambre et que ses doutes sur lui et sur cette femme s’accroissaient, il se retrouva nez à nez avec l’homme de main de Theol. 

Galfrey. 

Cet air dur et froid lui seyait à merveille, il donnait cette impression de vouloir les égorger à tout moment. Les mains derrière le dos, son uniforme noir austère n’allait pas avec le reste du décor, il était cette tache d’encre sur ce papier d’or, ce qui ne semblait pas le déranger. Maximilien se rappela les mots de Theol, qu’il serait sous surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre. 

– Où comptez-vous aller ? 

Ce furent les premiers mots qu’il entendit de cet homme depuis son arrivée ici et sa voix rauque s’apparentait plus à une menace constante qu’à quelque chose de doux, au même titre que Daryl. Maximilien lança un regard vers Katrina, qui ne lui rendit qu’un sourire amusé. C’était donc à lui de se débrouiller… 

– Nous nous rendons dans les jardins de Nora pour piocher les meilleures fleurs, pour la confection des parfums, précisa-t-il. 

Galfrey le dévisagea de la tête au pied, sans jamais se départir de cet air impassible et glacial. Au bout de quelques secondes asphyxiantes, il leur ouvrit la route et souffla, sans même le regarder. 

– Allez-y, je vous suis. 

La souplesse dont faisait preuve le bras droit de Theol l’inquiéta un peu, mais vu qu’ils ne comptaient qu’aller chercher des ingrédients pour ses confections, il n’y avait aucune raison de les arrêter. 

Surtout quand c’était pour les désirs de Katrina. 

Maximilien acquiesça, toujours dubitatif, et il se remit en route avec le petit rire de la concubine en fond, comme si cette situation lui plaisait. Cela prit une bonne dizaine de minutes pour atteindre la porte des jardins privés de Nora, un beau portail forgé dans l’acier où s’entortillaient des racines de métal et des fleurs en or. Galfrey ne continua pas sa course et il se posta juste devant l’entrée. 

– Je ne peux pas aller plus loin, le deuxième Stir a interdit quiconque d’aller dans ses espaces privés sans sa permission préalable. 

En disant ces mots, il lui lança un regard qui voulait dire « Et vous devriez en faire de même », mais il était trop tard pour reculer. Maximilien poussa la porte, celle-ci n’était pas fermée à clé comme il l’aurait pensé, ce qui accentuait son appréhension. 

– Merci du conseil, répliqua-t-il alors qu’il s’avançait sur les allées en pierre, suivi de Katrina. 

Les portes se refermèrent derrière eux alors que les lieux se dévoilaient comme une forêt éclatante de couleurs, de petites merveilles saupoudrées d’une lumière tamisée à cause des larges feuilles et des longs palmiers qui tachaient ce ciel bleu. Les pavés se déployaient sous leurs pas alors que les herbes logeaient entre les dalles, au pied des grilles qui séparaient le chemin des fleurs abondantes : le mauve se mélangeait au cyan, qui s’amusait à piétiner le bordeaux, dont les pétales variaient du petit rond à la grande pointe fine, avec un fond de vert clair et foncé – dépendant de la luminosité – qui s’étalait partout. Alors que Maximilien s’approcha d’une des plantes, empli d’une curiosité enfantine, Katrina courut vers l’avant, bien trop pressée et joviale. 

– Regarde de ce côté, je pars vers celui-ci ! Si j’ai besoin de conseil, je demanderais aux jardiniers ! 

– Quoi ? s’étrangla-t-il. Mais…

Sa phrase n’eut jamais le loisir d’être terminée, car la silhouette de la concubine s’effaçait jusqu’à disparaitre dans un tournant. Son comportement était incompréhensible, trop guilleret, mais que pouvait-il y faire ? Sa mission pour survivre restait de céder à tous ses caprices pour ne pas se faire jeter, puis il ne la connaissait pas assez pour établir un véritable jugement. 

Maximilien, les pensées plutôt tranquilles pour un intrus dans ce paradis, se laissa aller sur ce chemin magnifique, mettant de côté tous ses problèmes, juste le temps d’un regard, d’un souffle. Puis des pivoines, bien plus grosses qu’à leur habitude, attisèrent son attention et son corps fut porté par son envie de les sentir, de les découvrir. Près d’elles, sa main les frôla avec une délicatesse maîtrisée, elles étaient radieuses avec ce jeu de clair-obscur dont les feuilles jouaient un rôle prédominant : s’il avait été égoïste, il en aurait cueilli quelques-unes, mais son envie de les admirer dans leur habitat naturel, de les laisser vivre sans les exploiter pour ses propres besoins, gagna sur ses premiers sentiments. Une des fleurs s’abaissa vers lui, jusqu’à chatouiller sa tempe, presque comme une entité à part entière. Alors qu’il allait porter sa main sur ses pétales, une autre vint doubler son geste. 

Un violent sursaut le força à reculer d’un pas, mais il percuta une épaule, et ses yeux s’accrochèrent à deux belles perles vertes, dont quelques bribes dorées se cachaient dans l’iris. 

– Tu deviens vraiment effronté, Max. Tu te permets même de venir dans mes jardins sans ma permission. 

– Nora ! 

Le Stir repoussa doucement les fleurs qui commençaient à envahir leur espace vital et l’or dans ses yeux s’éteignit. Il reporta son regard sur lui, un sourcil haussé alors qu’il s’écartait légèrement. 

– Je suppose que tu es ici pour tes parfums ? 

– Euh, je…, bégaya Maximilien, désarçonné de le revoir après ces derniers jours. 

– Tu es même venu avec quelqu’un d’autre pour soigneusement choisir les fleurs. 

La honte s’éparpilla sur ses joues et il frotta sa nuque, ses yeux se perdirent dans le paysage alors que son ventre se contractait d’appréhension. Comment avait-il aussi facilement deviné ? 

– Nora, je suis désolé, marmonna-t-il, je… Enfin… 

– Détends-toi, soupira le Stir, je savais bien que Katrina finirait par venir ici. Elle n’arrêtait pas de faire des caprices à mon père pour s’infiltrer dans mes jardins et tu as été sa parfaite opportunité, c’est tout. C’est pour ça qu’elle a accepté aussi facilement que tu deviennes son parfumeur, je suppose… Où est-elle ? 

Nora inspecta les lieux et la honte continua de le submerger à cause de son manque d’autorité sur Katrina. 

– Elle… est partie toute seule, bafouilla Maximilien. J’ai voulu la retenir, vraiment… 

– C’est bon, cette femme n’a jamais su se tenir et ce n’est pas avec toi qu’elle le fera. 

L’animosité dans sa voix titillait sa curiosité, car Kahl aussi semblait très peu apprécié Katrina et pour une raison encore floue. Mais il préféra ne poser aucune question, la situation était déjà assez tendue pour se permettre d’être aussi insolent. Nora ne cessait de le regarder, les rayons glissaient sur ses cheveux, comme des fils de soie qui dansaient sous le vent tranquille des jardins. 

– Tu cherches un type spécifique de fleurs ? reprit Nora en voyant qu’il ne répondait pas. 

– Non, je ne sais pas trop, je suis venue pour qu’elle me conseille, mais elle s’est enfuie avant qu’elle me donne des informations.

Les pivoines semblaient une bonne idée, mais il en avait déjà utilisé pour un parfum… Puis cette odeur habituelle, toujours aussi puissante, vint raviver tous ses sens alors qu’il guignait sur la stature majestueuse de son homologue. 

– Mais j’aimerais bien de la lavande. 

– De la lavande ? s’étonna Nora. C’est par là, viens. 

Il se détourna et se dirigea vers une arche beaucoup plus loin, Maximilien marchait derrière lui, un peu plus détendu avec la souplesse dont avait fait preuve Nora par rapport à la situation. Ils finirent dans un cercle d’herbe où s’éparpillaient des bouquets sauvages de lavande autour d’eux, une verrière magnifique avec des chaises confortables et une table. Toujours dans la contemplation des lieux, Maximilien s’approcha du Stir.

– Comment as-tu su que nous étions ici ? Et ça ne te dérange pas de laisser Katrina vadrouiller ?

Nora s’assit sur les coussins et l’invita à s’installer dans une chaise suspendue, alors qu’une lueur verte s’échappa de sa main : les lavandes se mouvèrent, vivantes, mais contrôlées, et quelques fleurs tombèrent sur le sol puis elles vinrent se rassembler sur la table en face d’eux. Parfois, Maximilien se demandait à quel point les Morgas et tous les autres pouvaient être puissants, il ne les avait jamais vraiment vus en action, quelques bribes de pouvoirs, mais rien de bien impressionnant.

Il aimerait voir Nora en plein combat, et découvrir aussi ce dernier pouvoir unique, suivant l’une des légendes sur leur famille.

Les derniers pétales de lavande se blottirent entre elles, le chant des oiseaux s’éleva dans le ciel dans une mélodie lointaine et apaisante. Le Stir se laissa aller contre les coussins et souffla, daignant enfin répondre à ses questions :

– Je ne ferme pas à clé, car j’ai installé un sceau qui permet de m’avertir instantanément quand quelqu’un franchit la porte.

Voilà pourquoi il avait trouvé cela étrange d’entrer aussi facilement dans ses jardins… Il n’était pas assez prudent dans ses choix et c’était dérangeant pour l’avenir.

– Et en ce qui concerne Katrina, continua Nora, je n’ai rien contre elle, je n’aime juste pas qu’elle profite de son atout pour obtenir ce qu’elle veut. Bien que ça nous ait été utile pour qu’elle te prenne en parfumeur.

Maximilien ne força pas davantage, même si son explication évasive ne le satisfaisait pas – il demanderait plus de détails à Katrina en temps venu.

Son instinct lui hurlait que quelque chose clochait.

Mais impossible de savoir quoi.

Entre le caprice de la concubine pour venir ici, sa fuite soudaine, la docilité du souverain envers elle…

« Arrête de te perdre dans tes pensées quand tu es avec moi, nous parlions. »

La voix de Nora dans sa tête le ramena de suite à la réalité, le choc tira ses traits : il avait oublié qu’un de leurs pouvoirs consistait à pénétrer l’esprit des autres. Même à distance.

– Je ne voulais pas te mettre mal à l’aise avec mes questions, s’excusa Maximilien, gêné.

– Parce que ça te dérange d’être insolent avec moi, maintenant ?

Ses taquineries lui donnèrent un peu de confiance et sa curiosité sortit d’un coup : avec tous les événements, il craignait toujours de perdre l’amitié du Stir, surtout avec l’instabilité constante de sa situation. Ses lèvres s’ouvrirent dans un flot de questions dément :

– Pourquoi Kahl semble haïr plus que tout Katrina ? Pourquoi semble-t-elle tenir le Skal au creux de sa main, comme une marionnette ? Pourquoi s’est-elle retrouvée ici, comme sa favorite, malgré leur écart d’âge – du moins physique – ? Elle m’aurait donc choisi spécifiquement pour entrer dans ton jardin sans se faire attraper ? Tu t’en doutais, non ? Pourquoi l’avoir laissé faire ? Et tu… 

– Max, je t’en supplie, j’ai beau retenir beaucoup d’informations à la fois, mais tu me submerges de questions. 

Le désespoir sur le visage de Nora lui arracha un petit sourire désolé et il ramena ses genoux vers lui, en boule sur son siège et il posa sa joue dans sa paume. 

– C’est juste que… j’ai encore tant à découvrir que j’ai l’impression qu’une vie ne me suffirait pas, souffla Maximilien, presque triste de ce constat. 

– Là résident toute la beauté et tout le malheur du savoir. 

Nora croisa les jambes et leva les yeux au ciel, son profil lui faisait penser aux peintures des siens quand ils représentaient les divins, en accentuant l’ombre et la lumière avec cet effet mélodramatique qu’il adorait. 

– Enfin, reprit-il, ce n’est pas un secret tout le scandale autour de Katrina… Si mon père est autant attaché à elle, c’est parce qu’elle ressemble énormément à feu ma mère. Quand il l’a rapporté ici, il y a un an, juste après son décès, mon frère a ressenti cela comme une trahison : mon père n’avait jamais eu de véritable attachement envers ma mère, alors cela ne le gênait pas de piocher parmi les plus belles femmes de ce monde. Et étant donné qu’elle lui ressemble, que sa beauté était la même que la sienne, alors il s’est servi. C’est pour cela que c’est énervant de la voir autant profiter de son statut juste à cause de son physique…

Maximilien assimila toutes les informations et releva la tête, une de ses questions restait en suspens et Nora parut le remarquer.

– Et mon père les préfère plus jeunes, nous n’avons jamais su d’où elle venait, comme si toute trace avait été effacée. 

​– C’est impossible d’effacer son passé, à moins que ce soit volontaire.

– Exactement. 

Comme si les mystères ne suffisaient pas, voilà que celui de Katrina se rajoutait à la liste, même s’il restait secondaire par rapport à ses préoccupations principales. Malgré tout, le moindre détail menait à la plus grande catastrophe à la moindre négligence. 

– Ne pas connaître la vie d’une personne peut s’avérer dangereux, surtout quand elle est aussi proche du pouvoir, non ? nota Maximilien. Nora ? 

L’amusement qui pétillait dans ses yeux et le petit sourire qui illuminait son visage le fit taire, puis Nora s’étira de tout son long, faisant craquer ses muscles du dos. 

– C’est vrai que c’est dangereux de garder près de soi quelqu’un dont on ne sait rien et qui ne laisse aucune trace de son existence. 

Avec cette petite ironie bien marquée, il comprit rapidement à qui il faisait référence et Maximilien fit une moue embarrassée. 

– J’ai déjà tout expliqué, je n’ai rien à révéler de plus, marmonna-t-il, et ce n’est pas ma faute si tu es trop incompétent pour lire dans mes souvenirs. 

Sa pique marcha un peu trop bien étant donné que Nora écarquilla les yeux et plissa les yeux, croisant les bras sur son torse. 

– Je suis sûr qu’il y a une raison à mon échec, une raison que tu ne m’as pas révélé. Cela n’a rien à voir avec une quelconque incompétence. 

Même s’il avait raison, que cette culpabilité écorchait son cœur, Maximilien ricana doucement, non sans fermer les yeux et se blottir dans son siège moelleux. Il redoutait ce jour où son identité éclaterait aux yeux de tous, mais il ferait en sorte d’être le plus loin possible de Laven à ce moment précis, pour ne pas subir leurs foudres.

Ses foudres. 

Alors que Maximilien s’apprêtait à répliquer, tentant de se distraire de ses douloureuses pensées, une voix claire et chantante retentit derrière lui. 

– Mon petit Max ! Regarde tout ce que j’ai trouvé ! 

Les deux hommes firent volte-face vers Katrina, qui tenait plusieurs bouquets de fleurs, peut-être un peu trop, car l’expression de Nora balançait entre l’agacement et le dépit. Pourtant, il n’en dit rien et ne fit que la lorgner. Maximilien se leva, non sans soupirer face à l’audace de cette femme extravagante. 

– Ma dame, ce n’est pas raisonnable d’en prendre autant… 

– Autant ? Je trouve même que je n’en ai pas assez ! Mais soit, nous pouvons retourner dans l’atelier pour que tu me confectionnes mes parfums. 

Elle se précipita hors des jardins, ignorant totalement la présence du Stir : ce comportement pressé, il ne l’aimait pas. Pas parce que c’était un trait de personnalité qu’il abhorrait, mais que cela cachait toujours un mauvais présage. Maximilien lança un regard vers Nora, assez inquiet, mais celui-ci haussa un sourcil, comme s’il comprenait sa question muette. 

– Ne te fais pas de soucis, elle a toujours été comme ça. Va la rejoindre, elle risque de te virer si tu la fais trop attendre. 

À son tour, Nora se redressa sur ses jambes et se rapprocha de lui, son air impassible de retour. Mais la malice qui brillait dans ses yeux, elle, perdurait. Sa main frôla le creux de son dos et il se pencha légèrement vers lui. 

– La prochaine fois, si tu désires autant visiter mes jardins, demande-le-moi. Enfin, si ce sont vraiment mes fleurs que tu voulais voir… 

Sur ces derniers mots, Nora s’éloigna de lui d’un pas tranquille, chantonnant un air qui lui était inconnu, alors que les membres de Maximilien refusèrent de bouger : cet arrogant de Stir adorait l’énerver, le mettre dans des situations inconfortables. 

Et lui, il sautait à pieds joints dans ses provocations. 

Comme un idiot.

Comment this paragraph

Comment

No comment yet