Loading...
1 - Préface
2 - Prologue
3 - Chapitre 1
4 - Chapitre 2
5 - Chapitre 3
6 - Chapitre 4
7 - Chapitre 5
8 - Chapitre 6
9 - Chapitre 7
10 - Chapitre 8
11 - Chapitre 9
12 - Chapitre 10
13 - Chapitre 11
14 - Chapitre 12
15 - Chapitre 13
16 - Chapitre 14
17 - Chapitre 15
18 - Chapitre 16
19 - Chapitre 17
20 - Chapitre 18
21 - Chapitre 19
22 - Chapitre 20
23 - Chapitre 21
24 - Chapitre 22
25 - Chapitre 23
26 - Chapitre 24
27 - Chapitre 25
28 - Chapitre 26
29 - Chapitre 27
30 - Chapitre 29
31 - Chapitre 29
Loading...
Loading...
Mark all as read
You have no notification
Original
Fanfiction
Trending tags

Log In

or
@
Share the book

Chapitre 12

Pas une seule personne. 

Pas une seule personne n’avait réussi à le toucher. 

Et pourtant, c’était le plus jeune. 

Osari restait au centre du cercle, devant lui se tenait Ajaris, essoufflé, un genou au sol. Tous les autres étaient déjà passés – même Kali, qui n’avait même pas tenu dix secondes – et seul Esthia semblait au meilleur de sa forme, comme s’il n’avait pas forcé. « Je l’avais bien dit que l’un d’entre eux n’allait pas montrer ses vraies capacités… », mais cela n’avait pas paru inquiéter Kahl. 

– Lève-toi et bats-toi ! beugla Osari, sautillant de partout. 

Jamais encore il n’avait vu une telle énergumène emplie d’une énergie affolante : malgré tous les adversaires affrontés, sa condition physique ne bougeait pas, pas une goutte de sueur ni un moment de faiblesse. Le pire ? Contrairement aux autres, il n’avait même pas eu besoin de puiser dans son Kin – enfin, même si Esthia avait fait semblant de perdre, sûrement par manque d’envie. Sa force et sa rapidité suffisaient pour dominer n’importe qui. Ce qui l’inquiétait encore plus, c’était le murmure qu’avait lâché Almagar à ses côtés pendant qu’il combattait.

– Il a encore du chemin avant d’être égal à ses deux frères… 

Ce qui voulait dire que Kahl et Nora possédaient une puissance difficile à visualiser pour lui. Un Lios n’avait personne pour se mesurer à lui, en particulier quand il était destiné à devenir un Pilier. Mais était-ce la vérité ou un doux mensonge que lui avaient conté les siens pendant des siècles ? Peut-être qu’ils avaient pu repousser l’attaque des Catals grâce à cela et qu’il les avait sûrement sous-estimés ? Et si ces simples humains pouvaient sincèrement se dresser contre des divinités de Sarcoce, dont lui-même ? 

Le dernier combat s’acheva sur la victoire écrasante d’Osari avec Ajaris qui déclara forfait. Kahl notait énormément d’informations sur un carnet, si concentré qu’il se demanda si sa personnalité n’avait pas été échangée. Après un court instant, le temps pour lui de terminer sa phrase, il leva la tête vers eux et s’avança près de son petit frère. 

– Je suis un peu déçu de vos performances, souligna-t-il, et je pensais sincèrement que vous me montreriez plus, mais je ferai avec. Vous pouvez vous reposer ou voguer à vos occupations, vous recevrez d’ici à une semaine une mission. 

– Et moi ? 

Maximilien savait que c’était inutile pour lui de se battre dans son état et personne n’attendait rien de sa personne, mais rester sans rien faire ? Jamais de la vie. Il souhaitait apporter quelque chose, même si c’était mineur. 

– Comment ça, toi ? maugréa Kahl, un sourcil haussé. Tu veux te faire écraser par Osari ? 

– Bien sûr que non, mais j’aimerais… aider ? Être utile ? Je ne me vois pas rester inactif. 

– Ce n’est pas mon… 

Mais la main d’Osari le coupa net dans son élan et il adressa un regard enflammé à son frère, à deux doigts de lui crier dessus. 

– Arrête un peu de te comporter comme un con et réponds à sa demande ! Ça me rendrait fou aussi de ne rien foutre !

– Ton langage, invectiva Almagar. 

– Ah, oui, pardon, marmonna Osari, depuis que je travaille au contact des pierres pour les étudier, mon énergie…

– Osari, par pitié, cesse de parler.

Le premier Stir les regarda se disputa, dépité face à l’attitude de son petit frère. Maximilien attendait toujours sa réponse, un sourire étrange tordit les lèvres du Stir au bout d’un moment. Il ne le sentait absolument pas. 

– C’est vrai, je serais vraiment un homme mauvais si je le laissais croupir dans ce palais. Et j’ai justement une petite idée sur ta prochaine activité, Max. 

Quand son rictus s’étira davantage, il se sut piégé. 

⋅•⋅⊰∙∘☽༓☾∘∙⊱⋅•⋅

Une servante l’emmena jusqu’à la cour du quartier du Temps, une énorme plaine – décorée de fleurs en tout genre et d’une flore extravagante – s’étendait jusqu’à une falaise qui donnait sur un océan éclatant de beauté. Maximilien laissa son regard se perdre sur l’herbe dansante et les arbres gigantesques qui assombrissaient une bonne partie du terrain. Avant de partir, il accosta la jeune femme qui l’avait conduit, un peu curieux. 

– Excuse-moi, tenta-t-il, j’aurais une question à… 

Mais avant de finir sa phrase, elle s’était déjà enfuie. Cela ne le surprit pas, bien qu’il fût plutôt blessé par une telle réaction. Désormais, il valait mieux se concentrer sur sa mission. 

Mission dont il ne connaissait ni les tenants ni les aboutissants. 

Kahl lui avait juste demandé de rejoindre cet endroit et de s’occuper des habitants. Au départ, il pensait que c’était une question de réfugiés, mais l’absence qui régnait lui mettait le doute. 

Maximilien s’avança, pas forcément rassuré, et il attendit un geste, un indice pour pouvoir accomplir ce qu’on lui avait confié… 

Après quelques minutes à chercher quelqu’un – ou quelque chose –, il se résolut à s’asseoir sur l’herbe, la douleur tirait sur ses contusions et la fatigue le gagnait de plus en plus. 

– Je suis sûr que c’est une arnaque et que rien ne m’attend ici… 

Une branche craqua derrière lui, puis une deuxième alors qu’il se redressait légèrement, tout son corps tendu. Le bruit devint un capharnaüm de pas, un monstre qui se déplaçait lentement, comme sortant d’une transe. Maximilien se retourna doucement, tous ses membres s’électrisèrent quand une ombre gigantesque sortit de la forêt, ses poils se hérissèrent d’appréhension quand un souffle se répercuta sur son visage et que deux yeux dorés se posèrent sur sa personne. 

Un dragon laiton. 

Il n’y avait aucun doute sur sa race précise : un masque fin de peau recouvrait une partie de sa tête, d’un or qui penchait vers un sable chaud, une rangée d’écailles de la même couleur se dessinait du haut de son cou jusqu’à la fin de sa queue où se déployait une partie de ses ailes, dégradées d’un bleu pâle à un rouge terreux ; ses pattes musclées l’impressionnaient, mais les pointes aiguisées au bout des muscles qui formaient ses ailes l’envoûtaient. Sur tout son dos, d’autres écailles rouges et droites lui donnaient cet air féroce qu’il admirait tant. Le dragon tenta de lui souffler à nouveau dessus, son museau se rapprochait de lui dangereusement, Maximilien s’émerveilla d’une telle beauté sans prendre en compte le danger planant dans les airs.

– Tu es… exceptionnel. 

Il n’osa même pas lever la main, trop craintif de le froisser ou de le faire fuir. Même s’il ne savait pas décrypter les expressions des dragons, son instinct lui susurrait que l’être devant lui était surpris. Ses narines se tenaient très près de son visage, au point de le faire reculer un peu. Alors que le laiton allait à nouveau lui souffler dessus, une autre ombre se tint au-dessus d’eux et s’abattit sur le dragon.

– Laisse-le tranquille, il n’est pas là pour se faire manger !

Maximilien sauta sur ses jambes, surpris par cette voix forte et féminine dans sa tête, son regard se posa sur Salwa. 

– Tu peux… me parler ? s’extasia Max, l’expression pétillante de curiosité.

– Bien évidemment qu’elle peut te parler, humain. 

Son visage se tourna vers le dragon laiton, sa voix grave et puissante résonnait dans son crâne comme une fable épique. À tour de rôle, il les contemplait, un petit sourire aux lèvres et il se frotta les mains, heureux de rencontrer des créatures aussi majestueuses. 

– C’est juste que Salwa ne m’avait pas parlé la première fois que je l’ai vue, alors je me disais… 

– C’est normal, coupa-t-elle, nous évitons généralement de parler avec des Catals. Mais Nono m’a autorisé à t’adresser la parole. 

– Comme si tu attendais son autorisation pour n’en faire qu’à ta tête, soupira le laiton. 

– Je me donne bonne conscience, Torik. 

– J’ai vu ça, tu n’as pas hésité à aller à son encontre, même sans l’accord de l’autre idiot. 

L’autre idiot ? Nono ? Pendant un instant, il ne sut pas exactement de qui il parlait, puis une illumination lui donna sa réponse. 

– Vous parlez de Nora ? 

– Nora ? Tu oses l’appeler par son prénom, morveux ? s’indigna Torik.

– Il m’y a autorisé, enfin, je ne lui avais pas vraiment demandé…

Torik et Salwa se regardèrent, intrigués par ses propos, puis ils formèrent un cercle autour de lui, leurs yeux brillants de malice. 

– Nora aurait fait ça ? rit Salwa.

– Le grand et fier deuxième Stir aurait plié sous un malheureux Catal ? 

– Euh, je…, bégaya Maximilien, pris de court par cet excès de curiosité. 

– C’est sûrement par principe qu’il agit ainsi, intervint une troisième voix, plus aigüe que celle de Torik, mais aussi chantante. 

Son regard se posa sur la créature qui venait de les rejoindre et son cœur manqua un battement tant la joie le submergea. Chez lui, il n’aurait pu rêver de voir une telle bête étant donné qu’elle appartenait aux mortels. Ce n’était qu’une fable magnifique et, aujourd’hui, il la voyait face à lui. 

Un hippogriffe. 

Sa tête d’aigle et son corps de cheval brillaient d’un blanc si pur qu’il en fut aveuglé. Ses yeux bleu roi se posèrent sur lui, un air hautain parut se dessiner sur sa face. 

– Nono a des principes, dont le respect de la hiérarchie, ce qui veut dire qu’il va contre toutes ses valeurs en autorisant ce garçon à l’appeler par son prénom, précisa Salwa. 

– Mais il accorde aussi une importance capitale au bien-être des autres, soupira l’hippogriffe. Alors ce n’est pas un traitement de faveur, juste une gentillesse innée.

– Tu ne l’as pas vu quand… 

Mais elle ne put finir, car la créature s’approcha de lui et le surplomba de toute sa hauteur. L’odeur de lavande envahit ses narines, identique à celle de Nora, et il remarqua que c’était la même chose pour Torik.

– Vous êtes tous les… amis de Nora ? 

Un rire tonitruant éclata dans sa tête, le dragon se tordait sous l’amusement et ses écailles rétrécissaient et s’agrandissaient au même rythme. 

– Amis ? Tu surestimes un peu notre relation, blanc-bec ! 

– Pour certains, nous sommes ses familiers, donc ils nous envoient toujours des parias pour prendre soin de nous, râla Salwa. Mais notre vrai rôle consiste à protéger l’Histoire et le Savoir de ce peuple.

Maximilien fut dérouté par leurs affirmations : alors ces créatures exceptionnelles n’étaient pas que des bêtes, mais aussi des protecteurs ? L’hippogriffe pencha son museau vers son visage et plissa des yeux. 

– Qu’est-ce qu’un Catal vient faire ici ? Tu veux nous chasser et voler notre peau ? Nous capturer pour nous vendre ? 

– Quoi ? Non ! se défendit Max. Le premier Stir m’a demandé de venir ici pour s’occuper de ses « habitants »… 

Salwa gloussa et se colla contre lui, sa tête posée sur le haut de son crâne. 

– C’est génial ! J’avais hâte d’apprendre à mieux connaître le petit protégé de Nono ! Puis cela changera un peu de Merilda…, marmonna-t-elle.

– Le… quoi ? 

– Le petit protégé, répéta Torik, parce qu’il ne cesse de prendre ta défense, de te soigner et d’être laxiste avec tes agissements. Je ne sais pas si c’est de la pitié ou un intérêt personnel, mais il est bien plus tolérant qu’avec tous nos anciens prisonniers avant. 

Prisonniers… Le terme était enfin dit, il le confirmait pour de bon. Il préféra ne pas relever, se concentrant sur sa mission principale : s’occuper d’eux. 

– Je ne sais pas…, souffla Maximilien. Tout ce que je sais, c’est que je suis dans l’obligation de prendre soin de vous, mais il faudrait m’indiquer par où commencer. 

L’hippogriffe s’allongea sur le sol, toujours avec cet air fier, et ses griffes jouèrent avec l’herbe. 

– Tu n’as qu’à me brosser, mais avant ça, je dois me dégourdir les pattes.

– Arashta…, marmonna Salwa. 

– Il doit s’occuper de nous, la coupa-t-il, alors qu’il le fasse. Monte sur mon dos, Max. 

Un peu perturbé par le ton mielleux du fameux Arashta, il finit par obéir bien que méfiant et enjamba délicatement sa fourrure pour ne pas le froisser, le rouge aux joues tant il était excité par cette situation inédite. 

– C’est bon, maintenant qu’est-ce que… 

Mais avant d’avoir pu terminer sa phrase, l’hippogriffe se releva sans le prévenir et déploya ses ailes. 

Maximilien connaissait ce mouvement. 

Ce geste qui indiquait qu’il était à deux doigts de s’envoler. 

– Att…

À nouveau, son mot se perdit dans le néant et tout son corps décolla du sol. La gravité le força à se tenir au plumage du cou d’Arashta et son torse s’écrasa sur son dos. Aucun cri ne lui échappa, habitué à voler depuis tout petit, mais la surprise lui secoua, pendant quelques secondes, son cœur fragilisé par ces derniers jours. La terre s’éloignait sous ses yeux et les nuages se formaient plus nettement au-dessus d’eux. Son pouls battait la chamade, impressionné par la vitesse de l’hippogriffe. Lui qui était habitué à voler indépendamment de tout, le voilà chamboulé de dépendre d’une bête qu’il venait à peine de rencontrer. La forêt de brume les entoura, le soleil se retrouva obstrué, puis le silence absolu. 

Les rayons tapèrent à nouveau sur sa peau et il finit par ouvrir les yeux – il n’avait même pas remarqué qu’il les avait fermés. 

Ce sentiment de liberté emplit son cœur. 

Une émotion disparue depuis sa chute revint, trop forte pour ne pas avoir les larmes aux yeux. Arashta volait au-dessus des nuages, Laven s’étendait sous eux, au bord d’un océan dont il avait oublié le nom et en face d’un énorme désert où semblaient s’éparpiller certains villages, avec d’immenses montagnes qui se dressaient des dizaines de kilomètres plus loin. Sous l’adrénaline, Maximilien écarta les bras et sourit de toutes ses dents, le vent frappait sur son visage rougi, mais il s’en fichait : la fraîcheur d’un souvenir extraordinaire ne pouvait que lui faire du bien. 

Aucun d’eux ne parla pendant les quelques minutes dans ce ciel magnifique, le temps fut suspendu alors que ce voyage l’aidait à enfin respirer. 

Mais ce fut de courte durée. 

Car l’hippogriffe décida de redescendre et ce ne fut pas une merveilleuse nostalgie qui l’envahit à ce moment précis. Ce qui défila devant ses yeux, ses flammes qui dévoraient chair et voix, les hurlements à son encontre, sa chute maudite dans un monde inconnu. 

Et le regard d’Elios. 

Il plaqua son corps contre la fourrure d’Arashta, les larmes aux yeux et ses blessures n’eurent jamais autant de présence que maintenant : la bile brûla sa gorge et un sanglot menaça de franchir ses lèvres. 

– Un problème ? 

La voix de l’hippogriffe ne montrait aucune inquiétude, juste une vraie curiosité. Maximilien tenta de communiquer, même si le vent atténuait le son de ses mots. 

– J’ai un frère. 

Un frère qui l’avait rejeté, exilé sans lui demander sa version des faits, alors qu’ils s’étaient toujours aimés profondément. Il savait à quel point il adorait Dual, jamais il n’aurait commis un tel crime. Mais il avait choisi son camp, et son cœur s’était brisé au même moment. 

– Comme beaucoup de monde, soupira Arashta. 

– Nous étions très proches, au point d’être inséparables…

Le sol se rapprochait, Maximilien pouvait distinguer les formes de Torik et de Salwa, mais ses larmes l’empêchaient de clairement les voir. L’une d’entre elles se fendit sur sa joue, traîtresse de son état mental. La relation avec Elios dépassait toute relation fraternelle classique : ils faisaient tout ensemble, chacun accordait une confiance inestimable à l’autre, au point de pouvoir confier sa vie mutuellement sans cligner des yeux, ils s’apportaient connaissance et puissance, la jalousie n’existait pas entre eux… Sa bataille aurait dû être la sienne. 

Alors pourquoi ? Pourquoi ? 

Les pattes d’Arashta touchèrent l’herbe doucement, ses ailes battaient l’air pour atténuer la puissance de l’atterrissage et les deux autres comparses s’approchèrent rapidement. 

– Qu’est-ce que tu as fait ? engueula Salwa. Tu aurais pu le ménager un peu ! Même si tu n’aimes pas ses origines !

– Je n’ai absolument rien fait, alors calme-toi. 

 Maximilien se laissa glisser du dos de l’hippogriffe, les larmes restaient bloquées dans ses yeux sans possibilité de les laisser partir, son chagrin s’empêtrait en lui. Quand ses chaussures touchèrent l’herbe, il décida de les enlever à cause d’une chaleur étrange qui se répandait sur sa peau et il se débarrassa aussi de sa tunique, ne restant qu’en pantalon large. 

À Sarcoce, les vêtements étaient souvent légers, ils ne se contentaient que de bas ou de tissu sur certaines parties du corps étant donné que la nudité n’avait rien de sexuel contrairement aux mortels. Et il se sentait mieux physiquement, ses blessures à l’air libre – bien que bandées. Mais les larmes affluaient encore au coin de ses yeux. Puis, sans crier gare, un tissu délicat vint tapoter sa peau mouillée, il ne broncha même pas, il releva juste le regard vers la personne qui s’était accroupie face à lui. 

La fameuse Merilda.

– Max ? 

La voix de Salwa lui parvint et il prit une profonde inspiration, pour reprendre un minimum de contenance face à eux. 

– Désolé, murmura-t-il, j’avais besoin d’enlever tout ce tissu sur moi, j’avais l’impression d’étouffer. 

– On s’en fiche un peu de ça, grogna Torik, t’es surtout sur le point de chialer. 

Cette vérité brisa son pauvre cœur malmené, mais il ne craqua pas, pas encore. Il releva juste la tête vers Merilda et tenta de remettre ses émotions en place.

– Toi aussi, tu es là pour t’occuper d’eux ?

Sa locutrice acquiesça doucement, les doigts entrecroisés entre eux et la mine inquiète. Maximilien lâcha un petit rire nerveux et regarda autour de lui, dépassé par la situation. 

– Je suppose qu’ils mettent tous les parias ici pour leur donner un semblant de travail, même si aucune créature présente n’a besoin d’une intervention humaine pour prendre soin d’elle…

Au vu de l’expression désolée de Merilda et du manque de réponse des autres, il en conclut qu’il avait bel et bien raison. Il se tourna vers Arashta, abattu de se retrouver mis à l’écart sans aucune subtilité. 

– Et qu’est-ce que je dois faire ?

L’hippogriffe le dévisagea, mais il finit par se coucher sur le ventre et fermer les yeux. 

– Va chercher la brosse dans la cabane au fond, Merilda va t’y conduire. 

Ni une ni deux, Maximilien se dépêcha de prendre ce dont il avait besoin avec l’aide de la jeune fille, en évitant soigneusement de croiser son regard tant la fatigue lui procurait une colère difficile à retenir. Il revint avec le matériel, même des objets pour les nettoyer – il supposait que c’était cela, du moins. Merilda se hâta de se positionner près de Salwa pour l’arroser et la nettoyer, d’autres couatls plus petits sortirent de la forêt pour se faire nettoyer à leur tour, ce qui surprit Maximilien au départ.

– Nous ne sommes pas seuls, précisa l’hippogriffe, il existe plusieurs espèces regroupées ici, mais ils préfèrent leur petite solitude loin des humains, excepté quand il y a Nora. 

Aux côtés d’Arashta, sa main se posa sur lui avec une délicatesse tendre. Tout le fonctionnement autour de leur rôle et la présence d’êtres aussi majestueux qu’eux l’impressionnait davantage. 

– Il y a un rite à suivre ? Tu as des préférences ? 

Dans l’impossibilité de pleinement décoder les expressions de l’hippogriffe, il devina que c’était de la surprise, pareil pour le reste du groupe. Pourtant, personne ne releva la cause de leur étonnement. 

– Fais juste dans le sens du poil, et doucement. 

Ses mains se hâtèrent à la tâche et son mouvement suivait une cadence tranquille, mais ses pensées, elles, s’entrechoquaient entre elles avec une force destructrice. 

– Ton frère, souffla Arashta, vous aviez une si bonne relation ?

Son intervention soudaine le fit hoqueter, tout s’emmêla en lui tandis qu’il cherchait ses mots tant bien que mal. 

– Je… Oui, les gens n’arrivaient même pas à nous imaginer séparés… Nous faisions tout ensemble, nous nous disions tout… 

– Alors pourquoi il t’a abandonné ? 

La question lui poignarda le sein au point qu’il pensa saigner à nouveau tant cette douleur s’empara de tout son corps. Il baissa les yeux, mais n’arrêta pas de le brosser pour autant.

– Je ne sais pas…, marmonna Maximilien, les lèvres tremblantes. J’aimerais le savoir, lui parler, mais c’est trop tard. 

Maintenant, il se retrouvait dans ce monde qu’il adorait comme il redoutait. Un sourire se forma quand même sur son visage, heureux de découvrir cette ville malgré les horribles circonstances. Arashta sembla remarquer son expression. 

– Pourquoi un Catal se retrouve chassé de chez lui ? J’ai entendu que tu t’intéressais beaucoup à la culture de Laven et des autres. C’est pour mieux nous comprendre et nous trahir ?

– Ara’ ! croassa Salwa. 

– Laisse-moi parler, tu sais bien que ce peuple est indigne de confiance. 

Malgré l’insulte, Maximilien ne lui en tint pas rigueur, le contexte ne lui permettait pas de lui donner tort. 

– Je me suis retrouvé exilé, parce que je voulais apprendre par moi-même plutôt que par les autres et j’estimais… que tout le monde avait le droit d’être aimé, peu importait si la personne appartenait ou non à la Catalome. Je souhaitais tellement connaître tout de ce monde que j’ai fini par découvrir la vérité derrière les mensonges éhontés des miens. 

En soi, c’était vrai, même si cette fameuse vérité ne lui était pas encore connue. Mais la trahison, elle, il la ressentait au plus profond de son âme : les siens n’avaient cessé de lui répéter à quel point les mortels étaient inférieurs, violents, sans âme, hormis les Catals. Même les faits concernant leur magie étaient faux. En arrivant ici, bien qu’il ne connaissait pas tout et que les vices se terraient toujours, la réalité et l’histoire racontée chez lui n’avaient rien à voir. 

– Je ne comprenais pas pourquoi on m’interdisait de m’aventurer dans l’inconnu, peut-être était-ce pour mieux me manipuler, peut-être pour me protéger d’un danger imminent, mais je désirais plus que tout apprendre de mes erreurs plutôt que des autres. Alors ils ont petit à petit fini par me considérer comme un… traître. Je suppose… Ils cherchaient sûrement un moyen de me mettre hors d’état de nuire. Seul mon frère m’aimait assez pour outrepasser nos différences d’opinions. Enfin, je pensais que nous nous comprenions… Je le pensais sincèrement…

Ses mots se bloquèrent dans sa gorge et sa main continuait à choyer la fourrure blanche d’Arashta. Torik et Salwa se contentaient d’écouter, tous deux assis, le museau du dragon reposait sur ses pattes. 

– Le savoir est une arme qui surpasse n’importe quelle épée ou magie, souffla l’hippogriffe. À partir du moment où tu sais, tu as les capacités de tout voir, de tout contrôler, de tout écouter. Plus rien ne peut t’atteindre, te manipuler, parce que le doute s’insinue constamment en toi : ceux qui savent sont ceux qui doutent. 

Maximilien retint la larme qui menaçait de s’effondrer sur sa peau et une pointe de regret s’insinua en lui, un regret honteux pour tous ceux présents ici. Mais il n’hésita pas à l’exprimer, car l’honnêteté primait sur tout le reste. 

– Parfois, je me demande s’il n’avait pas été mieux de me plier à leurs croyances et leur haine. Peut-être que j’aurais pu… rester à la Lome quand mon grand-père est mort. 

– Est-ce que ça t’aurait rendu heureux ? Que cela aurait été juste ? 

Étrangement, Arashta ne paraissait pas sur la défensive malgré sa méfiance évidente pour son peuple. Il aurait pu le haïr, cela ne l’aurait pas étonné vu que le monde abhorrait sa simple existence comme un Catal – bien qu’il fût pire que cela. 

– J’aurais fini par mourir d’ignorance. 

Un souffle, qu’il compara à un signe d’assentiment, s’échappa de Torik et Salwa s’approcha de lui pour frotter son museau contre ses cheveux blancs. 

– Ton peuple a toujours été égocentrique et menteur, pesta Arashta, et je suis étonné qu’il n’ait même pas essayé de te tuer pour ta pseudo-trahison. 

Maximilien rougit un peu et jeta un coup d’œil à ses bandages, personne ne loupa sa réaction : en réalité, ils avaient bien tenté de l’abattre. 

– C’est bien ce que je me disais. Les Catals restent des ordures… 

– Ara’ ! Tu parles de son peuple ! s’​​​​​​​offusqua Salwa.

En signe d’accord aux mots de Salwa, Merilda s’avança vers Arashta et posa ses poings sur ses hanches, les sourcils froncés. Maximilien trouva cette vision assez marrante, étant donné qu’elle ne faisait évidemment pas le poids face à une telle bête, mais le flegme de l’hippogriffe l’amusait davantage, comme une bataille entre deux enfants. 

– Cesse de me réprimander ainsi, petite humaine, rouspéta Arashta, je n’ai rien fait de mal.

– Il ne réfute pas tes propos en plus, bailla Torik, ses écailles se redressaient légèrement à ce geste, la jeune femme lui mit une petite tape sans défense dessus pour lui montrer son mécontentement. 

– Cessez un peu de l’acculer de questions et laissez-le faire sa mission. 

Toujours cette mélodie puissante. Ces sons qui tonnaient là où ils passaient, autoritaires, mais délicats. 

– Nono ! bondit Salwa. 

Nora s’approcha d’eux et lança un coup d’œil à sa brosse, un sourcil haussé. 

– Mon frère n’a vraiment aucune pitié avec toi, heureusement que j’ai été plus rapide que lui. 

– Comment ça ? 

Kahl aurait préparé un sale coup ? Même si ce mouvement de sa part ne le surprenait pas plus que cela, il ne comprenait pas le plan exact derrière sa volonté de lui nuire. Il lança un regard en biais à Merilda, qui ne lui adressa qu’un sourire désolé, qu’il traduisit par « je ne peux rien pour toi ». 

– J’ai averti Salwa des tensions entre toi et les autres étant donné ton statut, expliqua le Stir en croisant les bras, j’ai aussi mis au courant ta situation à Torik et Arashta, en leur rappelant de te laisser en vie, peu importe tes origines.

Son cœur battit de reconnaissance à ses mots, rassuré, mais aussi inquiet. 

– Si tu ne l’avais pas fait…

– Alors Torik se serait chargé de te carboniser ou de te dévorer, sinon Arashta aurait aussi pu te déchiqueter. 

Un frisson d’horreur traversa toute son échine et il guigna sur les deux bêtes, apeuré de finir mort d’ici la fin de la journée. 

– Pourquoi ne pas l’avoir fait ? Un simple ordre de ta part ne devrait pas suffire à couvrir leur haine. 

– Il raconte n’importe quoi, râla Torik, je suis une tête brûlée, mais j’estime moi-même les personnes à qui j’adresse la parole, Catal ou non. Même si j’ai bien envie de les cramer, pour certains…

Peut-être était-ce l’émotion qui parlait en son nom, mais cette tolérance inespérée lui mit à nouveau les larmes aux yeux, cet afflux de sentiments gagnait de plus en plus en puissance. 

– Je vous suis reconnaissant de ne pas prendre en compte mes origines…, sa voix se bloqua encore. 

– Ne crois pas que nous t’accordons notre confiance juste parce que l’autre énergumène semble t’avoir pris sous son aile, maugréa Arashta, mais c’est par principe : tu pourrais être utile et tu n’as rien de menaçant. 

Avec sa carrure musclée et sa taille, Maximilien pouvait en impressionner plus d’un, mais il était vrai qu’il faisait pâle figure à côté de Nora – ses blessures ne l’aidaient pas et son absence de Kin aussi. D’ailleurs, il aimerait bien en savoir plus sur le fonctionnement du Kin ici. Mais le Stir ne lui laissa pas le temps de continuer sur sa lancée.

– Ce n’est pas pour te presser, Max, mais finis rapidement de t’occuper d’eux, car tu dois venir avec moi après. Je vais te donner un coup de main. Et Merilda, ton père te demande pour des affaires personnelles. Je sais que tu voulais faire connaissance, mais le moment n’est pas opportun. 

La jeune femme soupira, comme frustrée, et un grognement d’insatisfaction l’accompagna alors qu’elle rebroussait chemin jusqu’au bâtiment, en lui adressant un rapide signe de main en guise d’au revoir, qu’il rendit maladroitement. Cette Merilda était assez particulière aux premiers abords, non pas à cause de son mutisme, mais de son détachement total au palais, à la réalité, elle ne semblait même pas en faire partie. Après son départ, Nora retroussa ses manches, quelques cicatrices apparurent le long de ses avant-bras. De guerre ? Ou autre chose ? Il n’en savait rien et, par pudeur, il préféra ne pas lui demander. 

– Pourquoi veux-tu que je vienne avec toi ? 

Alors qu’il s’avançait pour prendre quelques objets médicaux – cela ressemblait au matériel de Sarcoce – pour, supposément, étudier la santé de ses familiers et des autres animaux, son regard se détourna et un pli se forma entre ses sourcils alors qu’il retroussait ses lèvres. Ce n’était pas une bonne nouvelle. 

– Mon père veut te voir avec moi, pour déterminer ton sort.

Ce n’était définitivement pas une bonne nouvelle.

Comment this paragraph

Comment

No comment yet