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1 - Préface
2 - Prologue
3 - Chapitre 1
4 - Chapitre 2
5 - Chapitre 3
6 - Chapitre 4
7 - Chapitre 5
8 - Chapitre 6
9 - Chapitre 7
10 - Chapitre 8
11 - Chapitre 9
12 - Chapitre 10
13 - Chapitre 11
14 - Chapitre 12
15 - Chapitre 13
16 - Chapitre 14
17 - Chapitre 15
18 - Chapitre 16
19 - Chapitre 17
20 - Chapitre 18
21 - Chapitre 19
22 - Chapitre 20
23 - Chapitre 21
24 - Chapitre 22
25 - Chapitre 23
26 - Chapitre 24
27 - Chapitre 25
28 - Chapitre 26
29 - Chapitre 27
30 - Chapitre 29
31 - Chapitre 29
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Chapitre 9

L’eau sur sa peau glissait délicatement, tranquille et apaisante, sa tête penchée en arrière laissait ses cheveux retomber sur le bord de la baignoire, dégoulinants jusqu’aux pointes. Certains serviteurs restaient autour de lui, avec des serviettes, des savons entre les mains pour le nettoyer avec le soin de ne pas le blesser davantage. Au départ, il l’avait détestée, mais cette douleur, nouvelle et claquante, lui procurait des sensations étranges, entre un certain dégoût et un intérêt quelque peu morbide.

Grâce à elle, il crut pouvoir se mettre à la place des humains pendant quelques secondes. Ses capacités de guérison instantanées l’avaient empêché d’expérimenter la souffrance physique et le flou qui l’avait animé durant la bataille à Sarcoce et sa chute l’avait poussé à ne pas s’intéresser à elle. 

Pourtant, maintenant, il s’en saisissait et il apprenait à la connaître. 

Tout avait été recousu et la douleur lancinante autour de ses côtes et vers ses poumons le ramenait toujours à la réalité : celle de son exil. 

Le sceau sur son torse avait été totalement révélé – il était invisible au départ – et il pouvait enfin le détailler : ce sceau se composait d’un cercle parfait, parcouru d’inscriptions mystérieuses, appartenant à un des langages oubliés de Sarcoce. En son cœur, des triangles s’entrelaçaient, formant une étoile aux lignes précises, symbole d’harmonie et d’équilibre. Trois hexagrammes, disposés aux extrémités du dessin, semblent ancrer l’ensemble dans une géométrie sacrée. Autour du centre, un anneau segmenté donne l’illusion d’un cadran ancien, comme s’il mesurait un temps révolu. L’ensemble dégage une aura qui le dérangeait, dont il ne savait pas quoi penser.

Jamais il n’avait vu un tel dessin, ou peut-être que si, ceux des Piliers ou même de Dual, mais cela remontait donc à très longtemps. Maximilien doutait légèrement de la vraie utilité de ce sceau et il ne pouvait pas vraiment savoir qui l’avait posé, le Kin dessus semblait familier et inconnu à la fois, comme s’il avait été modifié. Même Jamila et Kelior n’avaient pu être sûrs de la véritable fonction de ce sceau… La présence des marques manuscrites le dépassait un peu, il n’arrivait qu’à décoder que quelques mots – « suivre », « monde » et éventuellement « bénédiction » –, sans pouvoir tout traduire. Cette langue devait être le vieux Sarcolien, déjà oublié depuis des millénaires. L’identité n’était pas certaine, mais aucun doute que l’un de ses pairs eût voulu lui porter atteinte… 

Et vu qu’il n’avait jamais aimé apprendre la sigillographie, il restait un véritable inculte incapable de différencier les différents éléments. Quelle plaie de s’être seulement focalisé sur les soins, la maîtrise du Kin et les armes.

Maximilien ferma les yeux et finit par se laisser choyer par ces inconnus, un peu surpris d’être autant assisté – Dual avait formellement interdit la présence de serviteurs de ce genre chez eux. Après plusieurs minutes de lavage intense, les personnes présentes se hâtèrent à l’habiller de la tête aux pieds : un long gilet de lin – ouvert sur son torse, avec une ceinture qui le fermait à la taille, un pantalon dans la même matière, des sandales beiges et plusieurs colliers et bracelets ornés de petites pierres précieuses et de symboles d’animaux. La tenue restait légère, simple et confortable, mais elle faisait apparaître ses bandages, donc ses blessures. Cela ne lui plaisait pas vraiment d’être ainsi exposé, vulnérable, mais il devait s’y faire, se plier aux ordres de cette famille : maintenant qu’ils étaient au courant de son appartenance à la Catalome, son insolence lui coûterait beaucoup plus cher… Heureusement que ses pouvoirs de Lios avaient disparu, car s’ils avaient appris qu’il était plus qu’un Catal, sa tête n’aurait pas tenu longtemps sur ses épaules.

Du moins, il le supposait. 

Après s’être fait nettoyer pendant près d’une heure et à subir les regards dégoûtés ou réticents de ces quelques serviteurs, le soir tapa à sa porte rapidement et Maximilien se fit escorter dans tout le palais : avec un peu de recul, il se rendait compte que les Morgas avaient un faible pour tout ce qui était majestueux et grandiloquent. Un peu d’or par-ci, de la moulure par-là, une démonstration de puissance qui lui donnait mal à la tête. À son grand étonnement, même si la décoration riche s’éparpillait dans chaque recoin, il ne croisa que très peu de personnes… Une volonté du souverain ou simplement un manque cruel d’argent pour rémunérer ceux à leur service ?

Enfin, à condition d’être payé à l’origine… 

Arrivé devant une grande porte, le serviteur l’ouvrit et le laissa entrer dans la pièce, sans aucune indication préalable et pour seul soutien un regard assassin qu’il décida d’ignorer. N’y avait-il pas de coutumes à suivre pendant un repas ? Un certain respect à avoir ? Maximilien craignait la moindre erreur qui pourrait enflammer la colère du souverain, surtout dans des conditions pareilles. Ses pas le conduisirent doucement vers une grande table, les voix s’élevaient délicatement, presque timidement, et il fut soufflé par la splendeur des lieux : le plafond arrondi atteignait au moins les vingt mètres de hauteur, avec des crevasses brodées par des moulures qui encerclaient encore des fresques, mais cette fois-ci portées sur un côté beaucoup plus religieux, rappelant Galiale – une entité respectée à Laven s’il se souvenait bien –, son histoire, ses compagnons, dans des tons bleus accompagnés de blanc et d’or, qui créait une cassure avec les tons chaleureux du palais. Sur les recoins plus bas du plafond, de chaque côté, descendaient d’énormes piliers en granit clair, qui coupaient la partie centrale, où se situait la table rectangulaire sur laquelle mangeaient les invités et la famille royale, et les deux côtés qui recensaient des tableaux sur les murs épurés de toute décoration et des objets précieux, semblant appartenir à l’histoire de Laven. 

Son corps n’osa pas bouger pendant un instant, émerveillé des lieux qui se présentaient à lui, jusqu’à ce qu’une main dans son dos le sortît de sa rêverie. 

– Tu ferais mieux d’avancer, au risque de paraître impoli si tu continues de rester statique comme ça. 

Maximilien fit volte-face en attendant cette voix. 

Le fameux elfe qu’il avait rencontré. 

Jamila se tenait près d’eux, les mains sur les hanches et les sourcils froncés. 

– Ajaris a raison, les trois Stirs ne sont pas encore là et le Skal ne va pas tarder à arriver. Il vaut mieux que tu arrives avant lui et sans parler pour éviter de te faire… réprimander. Sans parler des chefs de famille qui vont nous faire l’honneur de leur présence. 

Il les dévisagea, un peu surpris de les voir tous les deux, mais il fut ravi de pouvoir enfin mettre un nom sur l’elfe des eaux. Ajaris… Cela collait plutôt bien avec l’aura qu’il dégageait – douce, tranquille, quoique supérieure – et le bleu qui dominait tout son physique : ses yeux étroits, sa peau claire, ses cheveux longs et attachés en une queue de cheval basse, tout se teintait dans cette couleur avec des nuances différentes… Ajaris le poussa un peu, lui-même pressé de s’asseoir, et Jamila prit les devants. 

– Il est nécessaire de respecter certaines règles à table, expliqua-t-elle, comme ne jamais être plus en retard que Theol ou ne jamais parler avant qu’il soit arrivé. Tu feras aussi attention à ne jamais regarder dans les yeux des personnes avec un statut supérieur au tien ou te tenir derrière eux. Pareil pour la prise de parole, ne te permets jamais de parler sans autorisation explicite ou implicite. Le moindre faux pas te coûterait beaucoup. 

– Ce sont les seules mœurs à suivre pour éviter de froisser qui que ce soit ? ironisa Maximilien.

– Non, mais tu vas vite comprendre qu’on ne rigole pas avec la différence de statut ici, soupira Jamila. 

– J’avais remarqué, mais c’est bizarre que des personnes qui se disent avoir autant d’influence et de puissance ne possèdent que peu de serviteurs. L’abondance d’employés dans un palais n’est-elle pas un bon reflet de pouvoirs ? 

Un petit rire s’échappa des lèvres d’Ajaris tandis que la petite elfe marchait à grandes enjambées vers les autres déjà assis. 

– Theol considère que moins il y a de personnes embauchées, moins il y en a à surveiller. Esthia, arrête de râler et de critiquer tout ce que tu vois ! se désintéressa d’un coup la princesse pour tenter de faire régner l’ordre.

Près de la tablée, Jamila réprimanda le reste du petit groupe, Etsumi râla légèrement, mais n’en fit rien alors que les autres se turent instantanément. Chacun se remit dans une position droite et le silence tomba net, Maximilien se situait entre Jamila et une place vide, puis face à lui se tenait Esthia. Ce dernier ne lui accorda pas un regard, trop obnubilé par l’assiette présente devant lui et la multitude de couverts qui l’accompagnait. Même le garçon hybride était là, en train de remuer les jambes sous la table. Les voilà tous à la merci d’une famille qui soufflait le chaud comme le froid. À ce moment précis, Maximilien ne pouvait pas se relâcher, surtout quand il tentait de se défaire de ses préjugés sur Laven pour mieux apprendre à connaître cette cité étrange. Il reporta son attention sur Ajaris tout en s’avançant à leur tour vers la table. 

– Tu connais bien cet endroit ? questionna Maximilien, tentant de paraître nonchalant. 

– Qu’est-ce que tu veux dire par « cet endroit » ? 

– Le palais, Laven… Tout. 

La suspicion se dessina sur les traits fins de l’elfe, plissant ses yeux et remontant son nez. 

– Qu’est-ce que tu veux savoir exactement ? 

– Je ne connais pas les familles nobles qui habitent ici et j’ai du mal avec le fonctionnement interne du palais…, se racla la gorge Maximilien. Et j’aurais aimé savoir pourquoi il y a un tel manque de personnel, pas seulement au niveau serviteurs, mais aussi au niveau des soldats, je n’en ai pas croisé tant que ça. 

Il se doutait qu’Ajaris serait moins réticent à lui partager ce qu’il savait étant donné qu’il n’était pas attaché à Laven, mais en subissant son silence comme seule réponse, il commençait à regretter de lui avoir demandé. Pourtant, à quelques mètres de la table, l’elfe s’arrêta de marcher. 

– À ton arrivée ici, tu as dû rapidement voir certains membres des trois familles principales ici, sûrement les chefs. Ils ont des couleurs bien distinctes : les Qhuan ont pris le vert forêt, les Valtorès, le rouge bordeaux et les Feliaris le vieux rose. 

À la mention des couleurs, un rapide souvenir lui revint en mémoire : son premier jour ici, il se rappelait avoir aperçu trois hommes habillés avec des tuniques similaires à ce que décrivait Ajaris. Mais il ne les avait plus recroisés par la suite, comme s’il s’était volatilisé. Cette question franchit ses lèvres, mais l’elfe s’attarda déjà sur le sujet des soldats. 

– Les Chasses annuelles, reprit-il, la princesse Jamila l’a mentionné, cela fonctionne comme une rafle pour tenter de récupérer le plus de mains et d’hommes possible : ceux qui n’ont pas un passif trop dangereux peuvent devenir des soldats au service de Laven – ils n’ont pas trop le choix, ceci dit – et ceux qui ont des problèmes physiques sont relégués à d’autres taches dans la cité comme les commerces, l’exploitation agricole… Le problème, c’est que plus on prend, moins il y en a et les manières de recruter du souverain sont très controversées vu que c’est basé sur une capture d’êtres humains. Sans compter toutes les attaques récentes sur Laven, qui ont coûté la vie à beaucoup d’hommes. Et si tu n’as pas revu les chefs de famille, c’est parce qu’ils sont sûrement en mission ou que sais-je, précisa Ajaris. 

– Il n’y a jamais eu de soulèvement ? s’étonna Maximilien, contrit par l’attitude déplorable de Theol Morgas. Je suppose que ces Chasses ne sont pas les seules choses qu’on puisse lui reprocher ? 

– Il a affaibli les citoyens de Laven en les privant de toutes ses richesses, du moins en partie. Un manque de nourriture, pas de confort de vie, peu de servants, mais un nombre important de soldats, surtout en cité. C’est pour ça que tu en croises peu ici. La cité ne peut pas se soulever s’ils n’ont aucune arme ni force. Certains habitants ont emménagé dans des villages comme Wertilh, à l’Est, pour s’éloigner de la cité, mais ils restent sous l’influence de Theol Morgas. Tu croiseras que très peu de personnes dans le désert désormais, uniquement des ruines, surtout vers les dunes de Galiale. Il y a bien des choses qu’on pourrait lui reprocher… 

  L’expression pourtant si neutre d’Ajaris se crispa légèrement, ses lèvres se retroussèrent et une étincelle étrange traversa son regard. Ce changement soudain fut la fin de cette conversation, surtout parce que Maximilien avait peur de la relancer après ce revirement, mais aussi car Jamila les incita à s’asseoir sans tarder davantage. Même s’il avait encore des questions, il pourrait sûrement encore dégoter quelques réponses pendant le repas.

Il espérait aussi ne pas se sentir mal en la présence des familles nobles et des Morgas : ses blessures le lançaient un peu, mais il se remettait assez bien du trop d’émotions subies plus tôt, en particulier avec la vue de son… sang. 

Depuis le début de son périple dans le monde des mortels, tant de choses l’étonnaient ou le bouleversaient, mais pas à ce point : ce liquide d’un rouge éclatant le terrifiait comme il le fascinait, aussi nouveau que déroutant. Quand il avait atterri sur cette terre, il n’avait pas vraiment porté attention à sa propre santé et à son propre état, au point d’évincer ses blessures. Mais dès qu’il s’était retrouvé directement face à son sang sans parvenir à trouver une distraction, une peur stupide aux premiers abords, pourtant logique quand on se penchait sur son parcours – il n’avait jamais eu à subir de telles souffrances chez lui –, son cerveau avait déraillé. Ce petit incident avait pu, par la suite, l’amener à découvrir un sceau invisible sur son torse dont le mystère l’agaçait profondément. Maximilien baissa le regard vers son torse, sans comprendre le pourquoi du comment, il lui manquait tellement d’informations que tout pouvait être possible à ce stade… 

La porte s’ouvrit d’un coup, le sortant de ses pensées, et les Stirs firent leur entrée avec le Skal à leurs côtés et trois hommes qu’il reconnut aisément : les chefs de famille qu’il avait entrevus le premier jour de son arrivée ici. Leur différence de couleurs en termes de vêtements ne l’étonna pas réellement, étant donné qu’il avait été prévenu, mais leurs peaux contrastaient réellement entre elles : celui qui se munissait d’une tunique rose pâle qui lui arrivait au-dessus des genoux, avec un pantalon large de la même couleur, avait ce teint mat, peut-être même tournant vers un noir unique, qui accentuait les nuances de sa tenue qui recouvrait une montagne de muscles. À l’inverse, l’homme qui portait une robe cintrée rouge bordeaux, semblant être ouverte dans le dos et arrivant jusqu’aux chevilles, avec des broderies blanches sur les extrémités, possédait une pâleur maladive, translucide au point de l’effrayer, surtout que son visage fin et son corps long ne le mettaient pas à son avantage. Et le dernier… Le prototype du chef de famille : le teint hâlé, la barbe noire qui grignotait une bonne partie de son menton, les sourcils froncés et les traits crispés, comme figés dans cette expression. 

Ce qui le frappait encore plus, c’était la sobriété des chefs qui se retrouvait dévorée par l’extravagance des Morgas.

Chacun d’entre eux portait une tenue riche en bijoux et en couleurs, les tuniques et pantalons ébène taillaient leurs corps et leurs épaules, puis tombaient sur leurs cuisses, ouvertes sur les côtés. Les manches bouffantes et transparentes, d’un bleu nuit exquis, brillaient sous les flammes de la lumière, et elles se resserraient sur les poignets pour former un gant qui ne recouvrait que le revers de la main, les doigts et la paume étaient à l’air libre. Les épaulettes se mariaient d’un or magnifique et du même bleu que les manches, qui s’étendait jusqu’au haut de leurs cous. Mais ce qu’aimait surtout Maximilien, c’étaient les bijoux qui personnalisaient chacun d’entre eux : le premier Stir se contentait d’un seul collier et de quelques bracelets discrets alors que le deuxième semblait adorer en mettre, car il en rayonnait – certaines chaînes d’or tombaient sur ses hanches et dans son dos nu, dont il avait pu visualiser un bout quand il était passé devant lui. Le dernier n’en avait aucun, comme s’il souhaitait passer inaperçu, contrairement à son père qui en portait bien plus que Nora. 

D’ailleurs, Maximilien n’arrivait pas à détacher ses yeux de celui-ci, obnubilé par l’aura qu’il dégageait et la beauté qu’il partageait. Le Stir le remarqua et lui rendit son regard, curieux : le temps se suspendit quelques instants, une bulle étrange se forma autour d’eux, indésirable et interdite. Les familles nobles finirent par s’asseoir en même temps, suivies des Morgas, Maximilien fut le premier à briser le contact, par crainte de commettre une faute. Mais la chaleur qui émanait de Nora l’avait étonné au point de le faire oublier sa place entre ses murs.

Une fois installé, Theol Morgas écarta les bras, comme un signe pour nous de prendre la parole. 

– Mes chers amis, je suis heureux de vous accueillir chez nous. Vous avez tous fait le bon choix en restant parmi nous et je vous promets de prouver que c’était la meilleure décision. 

Alors qu’il faisait un petit discours en guise de bienvenu, Maximilien porta son regard sur l’homme debout derrière le souverain, qu’il n’avait pas remarqué au départ : un vieil homme avec une cape noire qui tombait sur le côté gauche de son corps et une tenue près du corps, de la même couleur, comme s’il essayait de se fondre dans l’ombre. Ses cheveux blancs tirés en arrière, ses yeux sombres et ses joues creusées lui donnaient un air de rapace, mais sa tenue droite et son manque d’expressions balançaient avec un côté beaucoup plus sérieux. 

Un conseiller ? Un espion ? Même si cela semblait un peu improbable… Il devait être assez important pour se tenir au côté du souverain pendant ce repas. Ce même homme lui lança un regard froid et Maximilien se rendit compte qu’il le fixait depuis un peu trop longtemps. Il reporta son attention sur Theol, gêné de s’être fait prendre. 

Après les derniers mots du Skal, le silence envahit la pièce, personne n’osa prendre la parole en premier, pas même les chefs de famille. Le dos droit, les respirations courtes, une atmosphère éreintante, tout le fatiguait plus que de coutume et le rendait un peu plus nerveux. Il n’osait même pas jeter un coup d’œil autour de lui tant il craignait de faire une erreur. 

Quand la fourchette de Theol tinta contre son assiette et qu’il piqua un des aliments, tout le monde le suivit. Maximilien baissa les yeux et une odeur nauséabonde envahit ses narines. 

Des pois chiches. 

Ses narines se plissèrent sous le constat effroyable et il se retint de régurgiter tant cela l’écœurait.

Mais il ne pouvait pas se plaindre ou réclamer autre chose. 

Pourtant, une bile remonta le long de sa gorge et il dut prendre sur lui pour ne pas régurgiter sur la table. Cela faisait un petit moment qu’il n’avait pas eu un plat digne de ce nom et il n’y avait pas que cela dans son assiette. 

Sauf que le goût de cette abomination avait dû envahir tous les autres mets. 

– Eh bien, il y a un réticent parmi nous !

La voix de Theol le ramena à la réalité. Il leva la tête de son plat et le posa sur le souverain, muet de stupeur : hormis sa nausée liée à ses parents, une autre raison le poussait à douter. La composition du repas. 

S’ils avaient mis un poison dedans pour le tuer ? Vu qu’il était un misérable Catal à leurs yeux, le risque de mourir augmentait considérablement. En plus de cela, les Morgas paraissaient adeptes des mensonges et des meurtres de ce genre. Mais par précaution, il lâcha un simple sourire et murmura :

– Excusez-moi, j’étais un peu perdu dans mes pensées…

Pourtant, malgré cette formulation qu’il pensait polie et adaptée, Theol ne le quitta pas du regard, comme s’il attendait quelque chose. Une petite main se posa sur son avant-bras – lui-même sous la table – et Jamila lui souffla quelques mots pour l’aider. 

– Précise « Luos Skal », c’est comme cela qu’il faut l’appeler quand on s’adresse à lui à chaque fin de phrase. 

Maximilien haussa les sourcils, « Luos » signifiait « lumineux, flamboyant », voire « céleste », alors cet égocentrique souhaitait être désigné comme un presque divin ? Cela ne lui plut que moyennement, mais il s’arracha ces mots de la bouche pour éviter toutes représailles, surtout quand le vieil homme derrière le Skal le fusillait du regard de la sorte.

– … Luos Skal.

Celui-ci parut plus ou moins satisfait et il continua de parler avec ses fils et les chefs, même si celui avec la tunique verte le regarda un peu de travers. Nora se situait à la droite d’Esthia, le supposé plus jeune – de mémoire, son nom commençait par un O – à côté du souverain et Kahl à sa propre gauche. Il ne savait pas si ce schéma de table était stratégique ou non, mais il aurait largement préféré se retrouver loin de cette famille. Le repas continua avec les rires de Theol et Kahl et les interventions hasardeuses de Nora et de son frère. Les autres restaient étrangement silencieux, comme s’ils devaient attendre d’avoir la parole. Jamila se contentait de manger tranquillement et les autres ne semblaient pas enclins à gaspiller de la salive pour ceux qui les gardaient en captivité – d’une certaine manière. Même si la liberté leur avait été promise, combien de temps cela prendrait pour que les Morgas accomplissassent leurs objectifs ? Maximilien ne savait même pas de quoi il en retournait vraiment. 

« Peut-être que Nora serait disposé à m’en dire plus… ». Il ne se faisait pas de faux espoirs, il restait un Stir, un Morgas. Dans un soupir, il commença à trier discrètement les aliments dans son assiette et d’ingurgiter du mieux qu’il pouvait la viande. Avec une lenteur peu naturelle, il avalait le plat non sans éprouver une nausée horrible. Il ne put finir, au risque de se voir vomir. 

Une petite brindille d’herbe vint piquer dans son assiette, furtive, et ses yeux s’écarquillèrent quand il remarqua Jamila en train de voler sa nourriture. Celle-ci lui adressa une moue ravie et lui indiqua d’un geste de se taire. Maximilien se retint de sourire, soulagé de ne pas être obligé de manger. Mais son répit fut de courte durée, car la voix du Skal résonna entre ses oreilles, puissante et mielleuse. 

– Je suis encore impressionné par la vivacité d’esprit dont tu as fait preuve durant ton premier repas, Catal. 

Un peu dérouté, Maximilien mit quelques secondes avant de comprendre qu’il parlait de son saut par la fenêtre et de son affront contre Nora pour avoir voulu le défier pendant sa course. Que répondre dans ce genre de situation ? S’acclamer le ferait paraître non seulement arrogant, mais aussi provocateur, pourtant se rabaisser pourrait susciter la colère du Skal, l’inciter à le punir pour ses actes. Au bout du compte, il ne put que garder le silence, mais cela ne fit que contrarier davantage Theol. 

– Aurais-tu perdu ta langue ? Ou est-ce dans ta nature d’être assez suffisant pour penser qu’il est sage de ne pas me répondre ? 

Dans tous les cas, cette conversation allait mal se dérouler. Autant tenter le tout pour le tout. Sa famille lui avait toujours appris à bien parler, à envoûter les autres avec ses mots.

– Non, Luos Skal, je ne me permettrais pas une telle offense, clama-t-il avec un ton feignant la confiance, j’étais juste quelque peu honteux quant à mes déductions et mon attitude. 

– Honteux ? 

Maximilien jeta un coup d’œil à Nora, ce dernier le dévisageait avec une tension visible dans ses traits. Même Kahl, à ses côtés, ne paraissait pas à l’aise. L’homme à la tunique rose se redressa et lança un regard contrit à Theol, presque accusateur. Mais le souverain décida de l’ignorer. 

L’angoisse commençait à pointer le bout de son nez. Mais il devait gérer ses émotions du mieux qu’il pouvait. 

– D’avoir cru que vous tentiez de nous empoisonner. J’aurais dû deviner que ce n’était pas une stratégie très intelligente que d’empoisonner plusieurs dizaines de personnes sans raison et que vous étiez bien plus rusé que cela. 

– Tu me considérais donc comme stupide ? 

La bouche ouverte, les mots se coincèrent dans sa gorge et ses pensées s’emmêlèrent trop facilement à son goût : s’il ne répondait pas rapidement, il n’osait même pas imaginer les conséquences de son silence. 

– Non, se reprit-il après un laps de temps aussi court que long pour lui, mais je craignais pour ma vie, alors c’est moi qui suis devenu stupide pendant un instant, Luos Skal. Je ne…

– Assez idiot pour être insolent avec mes fils et te persuader que je ferais du mal à mon propre peuple, celui que je peine à protéger jour après jour. 

Ces derniers mots eurent don d’arracher un rapide rictus à deux des chefs de famille – le rose et le rouge –, comme s’ils venaient d’entendre une bonne blague à laquelle ils ne pouvaient réagir. Pourtant, cela ne le faisait absolument pas rire de son côté. 

« C’est un bourbier, il ne cherche pas à discuter avec moi, il cherche une raison pour me faire du mal. ». C’était la seule pensée qui tournait en boucle dans son esprit, et la réalité le frappa une fois de plus : la rancœur persistait dans les cœurs des victimes, il allait payer le prix à la place d’un peuple qu’il ne soutenait pas dans leurs actions. 

– C’est vrai, Luos Skal, s’étrangla Maximilien, et je suis navré d’avoir…

– L’es-tu vraiment ? Un Catal serait désolé de ses actes ? 

– Père, intervint Kahl, je pense que les autres sont légèrement mal à l’aise. Regardez-les, ils n’arrivent même pas à profiter de leurs repas…

– Silence, Kahl, asséna Theol, je discute avec l’un de nos invités, alors ne me coupe plus jamais la parole.

Plus les secondes défilaient, plus sa confiance s’ébranlait. Il ne comprenait pas. Rien ne se passait comme prévu. Il avait passé tant de temps à apprendre le Verbe, à construire un discours, gérer ses émotions et débattre avec sa mère, pour simplement se retrouver soumis au moindre imprévu. 

« La théorie et la pratique n’ont rien à voir, Maximilien ». Elios lui rappelait toujours cela, mais jamais il ne l’avait pris au sérieux, persuadé de pouvoir contrôler n’importe quelle situation. 

Et la réalité l’avait rattrapé, à son plus grand désarroi. 

Le Skal le jaugea du regard, puis il adressa un geste de main à l’homme derrière lui, en silence. 

– Je ne peux autoriser une chose aussi insolente sous mon toit, gronda Theol, en particulier quand c’est un Catal qui ose se comporter ainsi. 

Son prétendu assistant quitta la pièce un instant et revint avec une petite boite en cuir. Du coin de l’œil, Maximilien vit Nora défaillir, son visage devint bien trop pâle. 

– Père, ne faites pas ça, objecta Noah, sa réaction était totalement normale et il a appris de ses erreurs. 

– Lève-toi, Catal, ignora le Skal, sa voix fendit l’air comme une lame acérée. 

– Votre fils a raison, intervint l’homme en rose, ce ne serait pas judicieux de faire cela pendant un repas. 

– J’ai dit silence ! Et toi, lève-toi !

Le deuxième Stir voulut intervenir, mais un seul regard de son père le convainquit de garder le silence : personne n’avait le droit de protester, pas même sa propre famille. Maximilien, avec une crainte justifiée, se plia aux ordres à contrecœur et il se leva de sa chaise, la sueur s’amusait à couler dans son dos. Theol tapota la table avec le bout de son doigt, lui intimant de venir près de lui. Plus personne n’osa s’interposer entre eux, il s’avança jusqu’au souverain et, avec une poigne féroce, le vieil homme s’empara de son bras et le força à se mettre à genoux, face aux autres. 

– Qu’est-ce que… 

– Tu serviras d’exemple pour tous tes petits compagnons, tonna le Skal, pour éviter aux esprits les plus téméraires de se dresser face à moi. 

À l’entente de l’ouverture de la boite, Maximilien se sentit nauséeux, incapable de réellement comprendre ce qui allait advenir. Les visages de ceux présents autour de la table restèrent impassibles, mais certains regards suintaient la pitié, la colère et même la crainte. Presque par désespoir, il posa ses yeux sur Nora, sentant qu’il était l’un des rares à ne pas lui vouloir de mal, comme pour se rassurer que tout se passerait bien, mais la mine contrite du Stir le déboussola plus qu’autre chose. Alors quand le premier coup partit, aussi violent que surprenant, un gémissement de douleur perça ses lèvres. 

– Je vous ai, à tous, laissé le choix de rester ou de partir, argua Theol, et vous avez tous opté pour notre palais. À partir du moment où vous vous êtes engagés à rester ici, l’insolence vous est devenue interdite. 

Le deuxième coup retentit dans toute la pièce, Maximilien sentit sa tête tourner, au point de se projeter en avant, les mains au sol, haletant. La brûlure de ses blessures se raviva dans tout son corps, il baissa les yeux vers ses doigts tremblants, tentant désespérément de garder la tête hors de l’eau. 

– Les règles ne sont pas qu’une option dont vous pouvez vous passer : je suis Luos Skal et chacun d’entre vous me doit le respect, plus qu’à quiconque, même votre propre mère. 

Le troisième coup lui rouvrit certaines plaies sur son dos, il souhaitait retenir ses gémissements, mais comment se contrôler quand il percevait à peine la table face à lui ? Un liquide chaud coula le long de ses bras, ses yeux s’écarquillèrent d’horreur quand son habit si clair commença à s’assombrir d’un rouge maudit. 

« C’est mon sang. »

– Père, le Catal, avertit le troisième frère, avec une conviction maladroite.

– Je suis d’une nature indulgente et disposée à écouter vos moindres demandes. J’estimerai toute mauvaise attitude comme un affront à la famille royale, que ce soit sur moi ou sur mes fils. 

Le quatrième coup lui arracha une larme et la panique l’étrangla jusqu’à l’étouffement. Son sang, rien que son sang. Un rouge vif. Écœurant, diabolique. Maximilien voulut tendre la main, un appel à l’aide qui ne serait pas entendu. Jamais il n’avait été battu de la sorte. Jamais une telle violence ne lui avait été imposée. 

Et son sang. 

Il dégoulinait tel un poison qui grignotait sa peau et son cerveau. 

– Père ! explosa Nora. Ce que vous faites est totalement inutile ! Il n’a fait que me tutoyer !

– Et il t’a parlé comme si tu étais son égal, cracha-t-il, alors cette punition est entièrement justifiée. Les autres ici ont la chance de voir ce qu’il pourrait se passer s’il venait à nous prendre de haut. Nous sommes les Morgas et personne ne peut se prétendre à notre niveau. Encore moins une race aussi méprisable que les Catals. 

Le dernier coup le fouetta si fort que son torse s’écrasa au sol, tremblant comme une feuille. Lui qui se pensait résistant, sans ses pouvoirs, il ne valait rien. Les voix tonnaient autour de lui, la peur empoigna son cœur quand son sang glissa sur son visage et, dans un soupir las, désabusé, il ferma les yeux, sombrant dans un sommeil presque inespéré.

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