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Chapitre 22

Les voix autour de lui ne cessaient de faire des allers-retours, aussi lointaines que floues, ses yeux restaient égoïstement fermés à cause de la fatigue : le lit de Nora avait ce côté bien trop confortable et son odeur s’accrochait aux coussins, une lavande douce et apaisante. Ses ailes s’étalaient derrière lui, une douleur étrange lacérait son dos au niveau de leur base, l’empêchant de totalement tomber dans le sommeil. Une main vint lever une de ses mèches de cheveux, un doigt frôla sa tempe. 

– Maximilien, réveille-toi. Mon frère nous appelle, ça fait déjà quelques heures que tu te reposes. Au bout d’un moment, nous allons devoir sortir de cette chambre. 

Le lit s’affaissa près de lui, ses paupières se relevèrent doucement alors que la chaleur du Stir se propageait sur son visage. 

– Nous avons tenté de gagner le plus de temps possible, murmura Nora, mais il faut bien se rassembler dans le hall. Je suis déjà resté ici trop longtemps et je dois voir l’étendue des dégâts avec mon père et mes frères. 

« Son père… ». Quand Maximilien se rendit compte que Nora n’avait absolument pas conscience de la situation, sa peau pâlit sans pouvoir se contrôler et son cœur battit la chamade alors qu’il se réveillait totalement. Malgré la souffrance qui le tiraillait, il se redressa dans une position assise, le Stir l’aida à s’installer correctement. Maximilien s’agrippa à son bras, tous ses membres tremblaient quand les images de la bataille lui revenaient en tête et ses yeux coulèrent vers Katrina, assise sur un siège de sa chambre avec la langue liée : elle ne lui avait rien dit, alors qu’il s’agissait de son père. 

– Nora, enfin deuxième Stir…, marmonna-t-il. Vous…

Sans lui laisser le temps de terminer, le lit s’affaissa près de lui et il ne put que regarder le dos courbé de Nora, la tête entre ses mains. Un soupir franchit ses lèvres tandis qu’il frottait lentement son visage.

– J’ai beau vouloir te détester, te haïr pour tes mensonges, je n’y arrive pas, susurra-t-il. Et, ironiquement, t’entendre m’appeler ainsi alors que je te l’ai moi-même demandé m’agace. Je n’arrive pas à te rejeter, t’abhorrer, alors que j’ai toutes les raisons du monde pour le faire et ça me rend dingue. 

Le silence les coupa pendant quelques secondes, aucun des deux n’osait reprendre la parole : Maximilien ne fit que se redresser pour s’asseoir sur le lit, ses ailes suivirent son mouvement. Nora pivota légèrement vers lui pour suivre du regard ses appendices atypiques et il poussa un profond soupir. 

– Nous sommes alliés, même si je t’en veux encore profondément pour tes mensonges, s’agaça-t-il. 

Maximilien ne répliqua rien, car aucun mot ne lui vint en tête et qu’il sentait que cela ne servait à rien de répondre. Nora se leva du lit et passa sa main dans ses cheveux.

– Lève-toi, mon père et les autres doivent être regroupés…

– Ton père est mort, Nora, assena-t-il d’un coup.

Ces mots sortirent seuls, coupant l’élan dans lequel était parti son homologue, ce dernier planta son regard écarquillé dans le sien, sa peau bronzée pâlit à vue d’œil. 

– Personne ne sait où il est là, de quoi est-ce que tu parles, Max ? 

La voix blanche du Stir lui scia le cœur, l’odeur amère du sang envahit son nez à la simple pensée de ce corps qui tombait devant lui, démuni de sa tête, dont les dernières paroles furent de simples cris de haine et de rancœur. Maximilien pivota vers Katrina, restée dans la chambre pour se protéger, qui ne bougeait pas : il sut qu’il n’obtiendrait rien d’elle, il ne pouvait compter que sur lui-même. Il toussa, la douleur provoqua de fortes sueurs sur toute sa peau et un mal de crâne atroce tirait sur ses tempes. 

– Le troisième Stir m’a demandé de rejoindre ton père dans sa chambre avec Jamila, souffla-t-il avec énormément de difficulté, sauf que, une fois sur place, ton père était devenu fou et il avait tué toutes ses concubines – sauf Katrina –, sans qu’on puisse l’arrêter… Un éclair avait brisé une des vitres et lui avait brûlé son bras. Quand il a tenté de venir vers nous et de nous attaquer, la foudre a de nouveau fait irruption, pile dans sa nuque, ce qui l’a décapité. Son corps est dans sa chambre, Nora ! s’égosilla Maximilien non sans s’étouffer légèrement. Jamila ne t’a rien dit ?

Un petit silence plana au-dessus d’eux, le temps que le Stir pût digérer l’information. 

Sauf que plus les secondes défilaient, plus Maximilien se demandait s’il l’avait bien entendu. Nora ne remuait pas d’un poil, le dos droit, le regard vide, les lèvres plissées, quelques mèches de cheveux retombaient sur son visage où quelques coupures se baladaient. L’inquiétude le força à garder une certaine contenance, prêt à le soutenir à la moindre chute. 

Mais rien ne vint.

– Nora ? 

– Un jour ou l’autre, cela devait bien arriver.

Son murmure lui parvint de justesse, un constat qui lui fit froid dans le dos tant il s’imprégnait d’une tristesse presque soulagée, de ce désarroi mélangé à un apaisement glaçant : tant de sentiments contradictoires se battaient dans son regard, sur ses traits tirés. Nora finit par se détourner, ses mains tremblotaient et il ne chercha même pas à le cacher. 

– Jamila s’est évanouie quelques minutes après que tu te sois endormi, donc nous ne pouvions rien tirer d’elle, glissa Nora avec ce ton rauque, empli de chagrin. Personne n’a trouvé le corps de mon père dans sa chambre, alors nous supposions qu’il s’était enfui, tel un lâche, pour ne pas se battre comme à son habitude. Nous n’avions aucune nouvelle de lui depuis plusieurs heures, mais mon frère m’a appelé pour que nous le rejoignions dans la salle du trône. Je pensais que… 

Incapable d’en dire plus, sa bouche se ferma pour de bon, ses lèvres s’asséchèrent, il les humecta, en vain. Nora lui vouait une confiance touchante, car peu importait ce qu’il disait, il le croyait, même en déclarant que son pauvre paternel avait rendu l’âme quelques heures plus tôt. Le Stir porta sa main jusqu’à son front, qui retomba sur sa mâchoire alors que ses yeux se départirent de cette délicate lumière qui les rendait si merveilleux en temps normal. Maximilien s’assit au bord du lit et laissa ses doigts frôler son bras, faisant abstraction de cette souffrance inhabituelle le long de sa colonne vertébrale, et il tenta de le faire parler, de le laisser s’exprimer, au moins pour le vider de toute cette tension. 

– Nora…

– Ce salaud n’a jamais été un bon souverain ni un bon père, cracha-t-il avec les poings serrés de rage, il se vantait d’un royaume construit par ses prédécesseurs et dont il n’apportait que misère et perversité. Les crimes, il les enchainait. La décadence, elle lui appartenait. Ses fils, sauf Kahl sous certains égards, ne représentaient qu’un prolongement narcissique de sa personne : nous devions être excellents pour montrer à quel point son éducation l’était. Méprisés, descendus, moqués, nous subissions ses critiques, sa condescendance à chacun de nos exploits ou de nos découvertes. Je l’ai toujours haï, plus que n’importe lequel d’entre nous… 

Nora se rassit sur le lit, à ses côtés, l’émotion s’emparait de lui telle une maladie qui détruisait ses dernières défenses, son expression se tordit d’une peine et d’une haine que Maximilien trouva déroutante. Sa mine défaite ne criait pas au tourment ni n’appelait aux larmes, quelque chose de bien plus profond et complexe animait ce visage pourtant si détendu normalement. Nora garda égoïstement le regard braqué sur le mur en face de lui. 

– Alors je ne sais pas pourquoi je ne me sens pas soulagé, juste… vide. Sa mort ne m’apaise pas, au contraire, elle m’étouffe. Es-tu vraiment sûr qu’il est mort ? murmura-t-il après quelques secondes de silence.

– Oui, je l’ai vu de mes propres yeux, Jamila et Katrina pourront le confirmer… 

– Ton peuple en est la cause. 

Même si ce n’était pas sur le ton du reproche, une pointe de douleur piqua son sein, partagée entre la culpabilité et l’irritation : pas besoin de remuer le couteau dans la plaie, il savait très bien que ses compères jouaient un rôle important dans cette bataille. 

– Sûrement, je n’ai encore aucune vraie confirmation, bredouilla Maximilien en détournant le regard, mais il n’y a pas qu’eux, des mortels faisaient aussi partie des attaques. Je suis plutôt étonné que tu acceptes aussi bien mon histoire, mes explications. 

– Tes mensonges, corrigea Nora. 

– Si tu as des reproches à me faire, dis-le plutôt que de tourner autour du pot ! 

Maximilien tenta de se lever malgré la douleur, prêt à entrer dans un conflit – justifié et mérité – avec lui, mais la souffrance dans son dos se transforma en un véritable torrent de douleur, un cri plaintif s’échappa de ses lèvres alors qu’il se courbait en avant. Nora le prit par les épaules, stupéfait. 

– Qu’est-ce qu’il se passe ? Où est-ce que tu as mal ? 

– Le dos…

D’un coup d’œil vers ses ailes, il remarqua un détail qui lui avait échappé, pourtant si important : elles étaient plus petites que la normale, pas forcément leur taille, mais leur longueur. Nora porta sa main sur leur base, près de la colonne vertébrale et à peine eut-il effleuré sa peau qu’un hurlement brisa la barrière de ses lèvres. Il recula pour se détacher de l’étreinte du Stir, mais ce dernier le retint fermement. 

– C’est rouge et gonflé, comme si quelque chose était bloqué à l’intérieur, s’inquiéta-t-il. Tes ailes… 

– Une partie est bloquée…, s’empressa Maximilien. Je n’arrive pas à… 

Ses mots se perdirent dans un cri de surprise, teinté d’une souffrance indéfinissable : Nora retenait son torse d’un bras alors que, de l’autre, il posait ses doigts contre sa peau perforée par ses ailes, son visage suintait d’appréhension, la sueur dégoulinait sur ses tempes. Il se retrouvait dos à lui, ses ailes de part et d’autre de son corps, la tête penchée en avant ; sur le point de s’évanouir, il arrivait tout de même à parler.

– Lâche-moi, je t’en supplie, ça fait mal… Je sais que tu m’en veux, mais…

– Tu te fourvoies. Tu vas devoir te concentrer et me faire confiance. Si tes ailes fonctionnent comme je le pense, alors ça devrait marcher. 

La paume contre son dos, les picotements remontèrent le long de son échine, comme des brûlures qui devenaient des brasiers à mesure qu’il appuyait dessus. Des larmes roulèrent sur les joues de Maximilien, ses dents écorchèrent ses lèvres, une perle de sang se mélangea au reste, ses mains s’accrochèrent au bras de Nora et ses ongles s’enfoncèrent dans sa peau olive. 

– Je vais utiliser mon Kin pour stimuler la poussée. 

– Non ! Si on les voit…

– Ne t’inquiète pas, je t’ai dit de me faire confiance. Je ne t’ai jamais trahi et cela ne commencera pas aujourd’hui, ni jamais. 

Ébranlé par la conviction dont faisait preuve Nora, Maximilien ferma les yeux pour contenir ses plaintes et ses larmes, ses ailes battaient frénétiquement à cause de la souffrance longeant tout son dos. Des plumes s’extirpèrent de sa peau, comme à leur habitude quand il les invoquait – heureusement qu’il ne portait aucun haut –, mais son manque de Kin et l’aide de Nora compliquaient tellement la tâche que toutes les sensations naquirent sans pouvoir les réfréner à l’aide de ses pouvoirs. Une partie restait encore bloquée, sa tête gambergeait de droite à gauche, les gouttes de sueur s’écrasaient sur la peau blessée de son comparse alors qu’il luttait pour ne pas sombrer dans le néant. 

– Mal…, souffla Maximilien sur le point de s’évanouir.

– Je sais. 

Le front du Stir se posa contre l’arrière de sa tête et, de sa main libre, il attrapa un coussin sur le lit pour le placer entre ses bras. 

– Tiens-le fermement, mords-le même, tu peux même le sentir, vu que tu as l’air d’adorer mon odeur. 

La pointe d’humour de Nora ne fonctionna pas étant donné qu’il des gémissements plaintifs et ses larmes s’accentuèrent, dans l’incapacité de rétorquer quoi que ce soit. Maximilien tenait vigoureusement l’oreiller dans ses bras, une dernière onde de Kin parcourut son échine et les ailes sortirent enfin complètement sous une dernière plainte de profonde douleur. Nora le maintenait toujours contre lui, sentant qu’il s’effondrerait s’il le lâchait ; ses ailes battirent de tout leur soûl une fois libérées de son propre corps, elles s’amusaient à frôler les cheveux du Stir, comme un remerciement, ce qui le gêna légèrement. 

– Qu’est-ce que tu fais ? 

– Elles ont leur propre conscience…, marmonna Maximilien, sur le point de vomir. Je ne peux pas toujours les contrôler, surtout dans mon état actuel… 

 Les plumes balayaient les couvertures et les coussins alors qu’il s’écroulait sur le lit, contentes de pouvoir se dégourdir au bout de plusieurs mois d’abstinence. Toute cette fièvre, cette douleur lui coupaient toute pensée cohérente, Maximilien laissa son cœur prendre le dessus sur la raison et il éclata en sanglots, débordé par toutes ces émotions inconsistantes. Il passa ses mains sur ses yeux pour effacer le chagrin qui le consumait, mais la puissance de son tourment dévalait sur ses joues de manière incontrôlable. 

– Je suis tellement désolé, Nora…, couina Maximilien. À cause de mon impuissance, ton père est mort. Si j’avais été plus fort, plus imposant quand j’étais encore à Sarcoce, si je… 

– Personne n’a jamais refait de monde avec des si, Maximilien. Ce qui est fait ne changera pas. Tes excuses ne compenseront pas le mal répandu.

– Tu vas finir par m’abandonner, n’est-ce pas ? 

La question sortit d’elle-même, un supplice qui arrachait sa langue et maltraitait son cœur. Nora se tourna vers lui, une expression étrange sur le visage. 

– Je comprends ta situation, Max, tout comme j’ai envie de te hurler dessus pour n’avoir rien dit. Pour avoir caché une vérité qui aurait pu tous nous aider. Ta peur est justifiée autant que ma colère est méritée. J’accepte de t’aider en échange de ta vie, de ton dévouement. Mon père est… mort, hésita Nora sur cette phrase, le visage décomposé de rage et de désabusement. Laven subit encore des dégâts conséquents, mon peuple souffre. Bien sûr que j’ai envie d’imploser.

Pendant un instant, un élan égoïste faillit pousser Maximilien à lui demander si leur relation changerait, s’il pouvait continuer à être proche de lui, mais sa voix se bloqua dans sa gorge quand il comprit l’indécence dont il allait faire preuve. Il se mit en tailleur, toujours penché en avant, quelques mèches obstruaient sa vue et les sanglots qui secouaient son corps continuaient malgré lui. Nora soupira, ce qui le rendit encore plus misérable. 

– Je t’en supplie, murmura le Stir, arrête de faire cette expression, j’ai l’impression d’être un monstre. 

– Comment ? 

– Tu es au bord de l’effondrement, je n’aime pas ça. 

– Tu devrais l’être aussi, baragouina Maximilien, ton père… 

– Je ne l’ai jamais considéré ainsi. 

Contre toutes ses attentes, Nora s’assit à ses côtés et l’attira à lui pour le forcer à poser sa tête contre son épaule, une main dans son dos. Ses doigts frôlèrent ses ailes, Maximilien les retira aussitôt, le rouge lui monta aux joues. 

– C’est intime, souffla-t-il.

– Dommage. 

Malgré les conflits qui l’animaient, Maximilien accueillit cette chaleur sans poser de questions, ses yeux se fermèrent à cause du torrent de larmes qu’il avait subi quelques minutes plus tôt. 

– Je ne suis pas habitué à pleurer comme ça…

– J’aurais cru le contraire, ironisa Nora. 

– C’est parce que je tiens à ton peuple et à tous ceux présents dans ce palais, susurra Maximilien en ignorant son sarcasme, toute ma vie, j’ai dédié mon temps à lutter pour protéger et comprendre ce monde, mais maintenant, je me rends compte que je suis sûrement le plus ignorant de tous.

– Arrête de te torturer l’esprit. Ce qui compte, c’est que tu sais désormais. Tout ce que je te demande, c’est de ne pas me trahir. 

– Ne l’ai-je pas déjà fait en cachant mon identité ? 

– Je parlerais plutôt d’un mauvais concours de circonstances, soupira de nouveau Nora. Laisse-moi le temps d’assimiler les informations et d’apprendre à croire en toi. 

Ces quelques mots forcèrent Maximilien à se redresser légèrement pour planter son regard dans le sien, incrédule face à tant de gentillesse. 

– Ça n’a aucun sens, je suis comme un ennemi à ta nation. 

– Que ce soit insensé alors, étant donné que tu n’es pas le mien. 

Leurs yeux s’accrochèrent, Maximilien cherchait toute trace de vice, de mensonge pour mieux l’amadouer, même s’il savait que Nora détestait être remis en question sur sa droiture, mais il ne trouva qu’une volonté de fer et une confiance extraordinaire. Ses lèvres s’ouvrirent pour le remercier de tout ce qu’il avait fait jusqu’à présent, de sa clémence incroyable et de son aveuglement envers lui presque surnaturel. 

Mais des coups furieux contre la porte interrompirent leur échange. 

– Nora ! Sors immédiatement d’ici ! Je sais que tu es avec ce sale traître de Catal ! 

Un frisson remonta le long de son échine alors qu’il lançait un coup d’œil vers ses ailes, horrifié par la situation qui se profilait. Il était quasiment sous sa vraie forme. 

Et Kahl Morgas était à deux doigts de rentrer dans la chambre.

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