Son regard horrifié dévia sur le visage paniqué de Nora, alors que son frère tambourinait contre la porte, à deux doigts de la briser. Réactif comme il était, Nora se tourna vers lui, la mine désolée, alors qu’il approchait ses mains de ses ailes. La voix de Kahl résonna de nouveau derrière eux :
– Je te jure que je vais pulvériser ce bout de bois si tu ne l’ouvres pas immédiatement !
Cette menace n’avait rien d’un bluff, surtout qu’il semblait s’être reculé. Quelques murmures s’élevèrent sans pouvoir en distinguer les paroles, mais il reconnut aisément la tonalité de Daryl. Quand Maximilien remarqua les fissures qui se propageaient sur la porte, comme si elle se contractait, des sueurs froides et des frissons secouèrent tout son corps. Sans un mot, Nora posa ses paumes contre ses ailes, un cri de surprise s’échappa de ses lèvres.
– Tu me pardonneras mon effronterie.
Ses doigts glissèrent sur ses plumes, jusqu’à sa colonne vertébrale, Maximilien vira rouge tomate à ce contact plus qu’indécent : cette partie de son corps demeurait bien plus intime que n’importe quelle autre, personne n’avait le droit de les toucher. Sa protestation se perdit dans son subconscient dès que la porte céda sous la pression exercée par Kahl. Ce dernier entra en trombe dans les appartements de Nora, suivi de près par Daryl. Son visage criait à la haine, une rage latente étirait ses traits. Pendant un instant, la frayeur de la découverte de ses origines l’étrangla, mais il se rendit vite compte que ses ailes avaient simplement disparu.
– Plutôt que de te préoccuper du sort des habitants de Laven, je te retrouve dans les jupons de ce traître ? De cette ordure ? hurla le premier Stir, sa voix partant dans les aigus.
– J’étais en train de l’aider…
– L’aider ? coupa Daryl, un rire nerveux accompagnant ses mots. Alors pourquoi son visage est aussi rouge ?
– J’étais en train de m’étouffer.
La vitesse à laquelle il avait parlé ne lui permit pas de gagner une certaine crédibilité, mais Maximilien n’avait trouvé que cette excuse pour paraître le plus cohérent possible. Le regard perdu de Nora le rendit encore plus embarrassé, mais il savait qu’il devrait lui expliquer plus tard la signification de son geste – bien que ce serait absolument gênant. Malheureusement, peu importait la situation, le premier Stir frôlait une crise de nerfs dévastatrice et quand il s’approcha d’eux, Maximilien sut que son heure était comptée. Son seul allié se leva et s’interposa alors que Kahl tentait de l’attraper.
– Tu protèges ce moins que rien ? cracha-t-il. Après tout ce qu’il s’est passé, tu te persuades encore que c’est une petite brebis innocente à ménager ? Laisse-moi passer pour que tout le monde puisse juger de son sort.
– Mon frère, tu te fourvoies et tu cèdes à la rage sans penser une seule seconde à ta raison. Max n’a rien à voir avec cette attaque et Jamila comme Katrina pourront te le confirmer.
– Osari m’a expliqué qu’il avait envoyé notre petite elfe avec ce Catal dans le palais, pesta Kahl, et qu’il était passé voir notre père avant le combat, que tout allait bien. Bizarrement, il a pété les plombs à leur arrivée ! Et il est mort ! Tu m’entends, Nora ? Mort ! Pendant que ce Catal était là !
– Katrina était là aussi ! implosa Nora, les poings serrés. Demande-lui !
Les deux Morgas se tournèrent vers la concernée, qui ne bougeait pas d’un poil, recroquevillé sur son siège, le regard dans le vague. Le premier Stir se précipita vers elle et lui attrapa le bras, la tirant vers lui avec une brutalité non retenue.
– Qu’elle parle, cette putain ! Elle n’a su que profiter de notre père, se vanter d’une vie qu’elle ne méritait pas et maintenant elle ose garder le silence ?
– Ce n’est pas en te comportant comme lui que tu auras tes réponses, Kahl !
Almagar, postée dans l’embrasure de la porte, les dévisageait tous, quelques soldats s’attroupaient derrière elle. L’espoir revint dans le cœur de Maximilien, même s’il craignait que cette alliée devînt une ennemie, prenant le parti – légitime, mais injuste – de l’homme qui menaçait sa vie. Celui-ci lâcha sa cible pour s’en procurer une autre, soit celle du départ, Maximilien : il poussa son propre frère du passage et agrippa les cheveux du jeune Lios pour le forcer à se lever.
– Kahl ! s’insurgea Nora en le poussant, en vain. Lâche-le immédiatement !
– Tu as perdu la tête, petit frère, à vouloir absolument protéger cette monstruosité !
– Tu…
Nora ne termina pas sa phrase, comme si aucun mot ne lui parvenait à ce moment précis pour décrire son état, mais Maximilien put clairement le voir contracter sa mâchoire, ses yeux semblaient sur le point de sortir de leurs orbites tant la colère les cernait. Peut-être était-ce par dépit, par rage ou un sentiment abscons impossible à identifier à cause de la tension, mais le geste que fit Nora au moment où ses doigts touchèrent à nouveau la peau de son frère le troubla autant qu’il le choqua.
– Comme tu voudras…
Son murmure plana au-dessus de la tête de Kahl comme une menace et ce dernier, avant de pouvoir réagir, se figea sur-le-champ, lâchant au passage ses cheveux. Maximilien s’écroula au sol, à genoux, une main sur son cœur et l’autre sur sa bouche, la nausée ne le gâtait pas ces derniers temps. Quand son regard coula vers les deux Morgas, la scène fut si surréaliste qu’il se demandait s’il n’avait pas pris un coup sur la tête pendant qu’il se débattait.
– Nora ?
Le susnommé ne cilla pas alors que son homologue transpirait à grosse goutte, la bouche légèrement entrouverte et les yeux écarquillés, dont un trouble évident voguait en eux : paralysé, soumis à la puissance de son propre frère, l’esprit de Kahl pliait face à la volonté de Nora, qui n’avait pas hésité à s’infiltrer dans son âme. Almagar fut la seule à s’interposer, plongée dans une panique qu’il ne crut jamais voir.
– Les garçons ! s’écria-t-elle. Cessez incessamment de vous disputer de la sorte, nous avons bien mieux à faire !
D’un geste souple, elle arracha Kahl de l’étreinte empoisonnée du deuxième Stir, qui n’eut à peine la décence de s’excuser pour un tel comportement. À la place, son frère cligna plusieurs fois des yeux, décontenancé par son attitude, et sa figure devint aussi pâle qu’elle le pouvait. Son attention se porta sur lui, toujours au sol, et sa fureur se métamorphosa en un embarras illogique.
– Allons à la salle du trône. Je… Rejoignez-moi là-bas. Nous jugerons de son histoire sur place.
Sur le point de vaciller, il ne se laissa pas submerger par ce flot d’émotions soudain et il reprit pied avant de sortir précipitamment de la pièce, sous les regards éberlués d’une grande partie des personnes présentes. Daryl resta quelques instants en retrait, tout autant choqué par ce qu’il venait de se passer, mais il n’hésita pas une seconde à cracher son désaccord :
– Comme à votre habitude, vous dépassez les limites, deuxième Stir.
Dans l’attente d’aucune réponse, le chef des Qhuan quitta la pièce pour suivre Kahl, gardant son air outré au visage.
À l’instar, Nora restait imperturbable et il se contenta d’aider Maximilien à se mettre debout, sans lui décocher un seul regard. Alors qu’il pensait n’obtenir aucune réponse, comme à son habitude, la main du Stir glissa sur son poignet avec une délicatesse déroutante.
– Je t’explique tout après, autant pour tes ailes que pour ce qu’il vient de se passer.
Sa voix résonna dans son crâne, tranquille et rassurante, mais une pointe de honte la teintait, l’imprégnait en profondeur. Maximilien ne savait pas si c’était déconvenue de s’en prendre à sa propre famille ici, mais vu la réaction de Nora, il supposa que ce n’était clairement pas la solution à choisir en premier. Les soldats suivirent le premier Stir tandis qu’Almagar restait en retrait.
– Qu’est-ce que tu as fait ? soupira-t-elle, lasse. Pourquoi a-t-il changé d’avis aussi vite ?
– Une vieille promesse, rien de plus.
Les questions pointèrent le bout de leur nez dans l’esprit de Maximilien, mais le moment n’était pas le plus opportun pour les poser, alors il se contenta de confier sa vie à Nora, de lui accorder toute sa confiance au risque de finir paranoïaque. Le Stir attrapa sa main et le tira à sa suite, ce qui le fit sursauter : son toucher arracha quelques frissons et rougeurs à Maximilien, puis la honte éclata dans son esprit. Non seulement ce n’était pas une situation adéquate pour réagir ainsi et, plus encore, il n’avait pas à se comporter de la sorte.
Que lui prenait-il à sentir son cœur devenir fou et son ventre se contracter ?
Sa décence se volatilisait et il devait immédiatement la reprendre ; il secoua la tête pour se donner un peu de contenance tandis qu’Almagar et Nora échangeaient quelques mots sur tout ce qu’il venait de se passer. Peut-être par peur, par appréhension ou juste pour se rassurer, les doigts du Stir se resserrèrent autour des siens, une chaleur contrôlée se dégagea de sa peau, de façon à réchauffer son corps comme son cœur.
Et cela eut don de le faire sourire. Rien qu’un peu.
Ils arrivèrent dans le grand hall, une bonne partie des gardes occupait la place tandis que d’autres figures plus familières se disputaient en son centre.
– Comment ont-ils pu accéder à l’intérieur de la cité et du palais sans que personne ne les remarque ? vociféra Osari, aux côtés de son grand frère. Nous avons mis tous nos effectifs à l’extérieur justement pour éviter de nous faire attaquer !
– Je ne pourrais vous répondre, troisième Stir, clama Ulios, votre père…
– Mon père ne peut s’en prendre qu’à lui-même, intervint Nora alors qu’il lâchait sa main. Il est le seul à avoir voulu le moins de soldats possible, il a payé son arrogance.
– Nora ! tonna Kahl.
– Vas-tu me contredire ? Lui qui se croyait si fort et si intelligent à réduire chaque année les gardes, son armée et ses servants parce qu’il se persuadait que les trahisons seraient moindres, le voilà bien honteux dans sa mort après s’être fait trahi malgré toutes ses stupides précautions.
L’hostilité grimpait entre les trois Morgas, aucun d’entre eux ne voulait apaiser les tensions et seule la loi du plus coriace, du plus enragé régnait à l’heure actuelle. Cela ne ressemblait en rien à Nora de monter aussi vite dans les tours, de se laisser aller à une colère quasiment irréversible. Pendant un instant, il crut aussi ne pas faire partie de ce débat houleux, mais le destin n’aimait pas lui laisser de répit.
– Ce Catal était là quand votre père a été assassiné ! tonna Daryl en le pointant du doigt. S’il y a bien quelqu’un qui a pu nous trahir…
– Jamila vous prouvera le contraire, coupa Nora dont une veine pulsait sur sa tempe. Vous ne cherchez qu’à trouver un coupable juste pour satisfaire votre haine et votre impuissance.
– Si tu tiens tant à mettre cette chose dans ton lit, essaye de le faire sans cracher sur nos morts, cracha Kahl. Tu le défends corps et âme comme si c’était absolument impossible qu’il fasse partie de cette attaque. À moins que tu saches quelque chose sur lui qui prouverait son innocence.
Le premier Stir, malgré ses apparences bourrues et arrogantes, possédait une certaine perspicacité dont il redoutait l’étendue. Même si ce n’était qu’une supposition de sa part, elle s’avérait un peu trop proche de la réalité.
– Jamila était encore consciente quand je les ai mis à l’abri et elle a confirmé son récit. Si tu ne t’étais pas énervé contre Katrina, elle aurait aussi pu le faire.
– Où est-elle, d’ailleurs ? questionna Galfrey, en retrait depuis le début.
– Enfermée dans ma chambre. Et toi, pourquoi n’étais-tu pas avec mon père quand l’attaque s’est passée ?
– Le troisième Stir m’a demandé de prendre part à la bataille.
Tous les regards convergèrent vers Osari, sa mine troublée le rendit quelque peu pathétique pendant quelques instants.
– Nous manquions d’effectifs et je craignais pour la vie des citoyens de Laven…, souffla-t-il, les yeux détournés.
Personne ne lui répondit sur le coup, tous étaient conscients que les décisions de l’ancien Skal avaient toujours eu un impact sur la sécurité de la ville et ils en payaient le prix aujourd’hui. Ce qui choquait davantage Maximilien, c’était la faculté avec laquelle ils avaient aussi vite oublié que Theol Morgas avait succombé pendant cette bataille.
Ses propres fils, plongés dans la rage plutôt que le tourment, débattaient sur les causes de cet assaut à la place de déplorer un parent disparu. Au bout du compte, à bien y réfléchir, peut-être qu’un certain soulagement les empêchait de pleurer leur père, car ce dernier n’avait commis que des actes odieux et terribles : sa mort ne représentait qu’une nouvelle ère, du changement et un arrêt à son sadisme. Almagar finit par intervenir dans tout ce brouhaha inutile :
– Plutôt que de vous occuper à vous crêper le chignon, il est davantage nécessaire de mettre en place des stratégies et une reconstruction immédiate des murs comme des habitations. Nous sommes tous sur les nerfs ici à cause du manque de réponse. Nous ne savons toujours pas comment ces hommes ont pénétré la cité, ni même si c’est l’œuvre d’un traître, de plusieurs même, ou d’une aide extérieure. Alors concentrons-nous sur ce que nous savons à la place.
Parfois, Maximilien se demandait à quel point cette femme avait un ascendant sur la famille royale, car les trois hommes ne s’offusquèrent ni de son intervention ni de son ton de reproche ; à la place, ils arrêtèrent net leurs conflits, le premier à partir fut Osari.
– Je vais m’occuper de comptabiliser les morts pour les recenser et faire parvenir un message à leur famille. Je m’occupe des ressources bibliothécaires comme scolaires, des entrées et des sorties des habitants.
Il embarqua avec lui Esthia, qui n’avait pipé mot depuis le début, et Ajaris, celle-ci semblait totalement indifférente aux événements. Maximilien jeta un coup d’œil à Ajaris et Etsumi, cette dernière le dévisageait avec une certaine… curiosité malsaine. Il préféra l’ignorer, sachant pertinemment qu’elle brûlait de questions. Par chance, Nora lui prit le bras et l’emmena loin des autres, accompagné d’aucune explication.
La dernière chose qu’il vit, ce fut le regard de Kahl.
Empli de rage et de revanche.
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– Ton frère veut ma peau.
Cette affirmation, évidente comme banale, attira l’attention de Nora sur Maximilien, tous deux en train de faire le rangement des carnets de compte de la cité, le Stir s’occupait de calculer les différents budgets pour combler l’attaque passée et il tentait de l’épauler en classant les documents, même s’il n’était pas très adroit avec cela. Nora lui fit bien remarquer :
– Ce que tu tiens n’a rien à voir avec la gestion des commerces, c’est la dépense du palais en nourriture.
Quelques rougeurs d’agacement et d’embarras accrurent sur le visage du Lios tandis qu’il reposait le bout de papier. Son homologue n’engageait aucune conversation viable, ce qui le rendait mal à l’aise : ce n’était pas dans ses habitudes d’être aussi silencieux en sa présence et sa froideur ne faisait qu’accentuer son piteux état. Déjà une bonne heure était passée depuis la grande dispute entre les Morgas et il n’arrivait à rien tirer de Nora. Il était vital de remettre en ordre rapidement l’économie et les commerces, mais il désirait savoir comment ses ailes avaient pu disparaître, comment Kahl avait pu être calmé aussi facilement et ce qu’il adviendrait à l’avenir. Maximilien lâcha un petit soupir et regarda les étagères face à lui, dépité.
La grande salle où il se trouvait était la bibliothèque personnelle de Nora dans le quartier du Temps, dans laquelle il rangeait tous ses documents professionnels. Aussi immense soit-elle, une bonne partie manquait à l’appel : les assaillants avaient pu parvenir jusqu’ici pour s’en prendre à ses biens. En son centre se tenait une estrade circulaire de marbre surplombée d’une table en bois massif et de quelques chaises mal mises, toujours d’une décoration épurée, presque austère. L’impatience le gagnait à mesure que ses doigts parcouraient la matière rugueuse des objets qu’il manipulait, puis l’envie prit le pas sur la raison quand il posa son regard sur le dos découvert de Nora, assis non loin de lui : malgré les fenêtres présentes au plafond, la chaleur emplissait les lieux jusqu’à l’étouffement, Maximilien portait aussi seulement un pantalon en lin, les pieds et le torse nus – cela lui rappelait Sarcoce. Il s’approcha de son compère et, délicatement, le bout de son index frôla sa nuque, le point de départ d’un tatouage qu’il n’avait découvert que récemment : des pivoines d’un blanc cassé qui descendait sur sa colonne vertébrale, encerclées par les feuilles, jusqu’au bas de son dos. Ses cheveux remontés en un chignon haut, il put observer de tout son soûl ce dessin magnifique et modeste. Son doigt retraça les traits de son tatouage, Nora se redressa, mais ne l’arrêta pas. Alors Maximilien colla sa paume contre la peau de son dos et s’appuya sur le rebord de la table, troublé par cette attitude inhabituelle.
– Pourquoi des pivoines ? finit-il par demander, les yeux ancrés sur lui.
– Ma mère les adorait.
Du plus loin dont il se souvenait, Nora n’avait jamais voulu aborder ce sujet, un tabou dans leur famille. Les hypothèses ne manquaient pas, la plus probable restait celle où Theol Morgas avait un rapport dans la mort de feu la souveraine. Il voulut changer de sujet, comprendre aussi où étaient parties ses ailes, car même s’il ne les voyait pas, il les sentait toujours. Mais Nora ne lui laissa pas le temps et il se leva d’un coup pour pivoter vers lui.
– Il y a un problème ? susurra-t-il. Je suis désolé de te presser avec mes questions tout le temps, mais…
– Enflammer la situation ainsi ne m’aide pas, Maximilien.
Ses yeux emplis d’un vert flamboyant le scrutèrent de la tête aux pieds, tandis qu’il attrapait sa main qui avait parcouru son dos ; sa mâchoire contractée et ses lèvres plissées lui donnaient un air désarçonné, presque bouleversé.
– Je sais que je suis un fardeau, soupira-t-il, mais j’essaye au mieux de ne pas empirer les choses avec les autres. Je voulais juste savoir…
– Tu ne m’as pas compris.
Ses doigts vinrent s’enrouler autour de son poignet, avec peu de force.
– Je parle de cette tension entre nous qui ne cesse de me rendre fou.
– Mais de quoi tu parles ?
– De ta faculté à me rendre aussi vulnérable, aussi impulsif quand ta vie est en jeu, s’agaça Nora. De tes touchers qui me grisent dès qu’ils embrasent ma peau, de ton rire qui résonne dans mon cœur tel une vieille mélodie qui joue constamment les mêmes notes sans jamais que je me lasse de l’écouter, de ton audace aussi courageuse que téméraire, de ton regard qui coule sur moi à chaque fois que je te parle jusqu’à me rendre faible, de ta détermination qui me pousse toujours à te protéger de tous ceux qui tenteraient de te faire du mal. Je parle de tout cela, Maximilien de Sarte. De choses que je ne devrais pas ressentir pour un être qui n’est que divinité et partisan d’une croyance ennemie de mon peuple.
Aucun des deux n’osa bouger, Maximilien ne put qu’ouvrir la bouche, sidéré par la tirade enflammée de Nora et ses jambes tremblèrent sous l’émotion qui l’assaillait de toutes parts : même si ce n’était pas aussi physique que la sienne, lui aussi s’imprégnait constamment de cette électricité entre eux, des moments qu’ils partageaient, de l’altruisme fou de Nora et de tous ses petits défauts attachants.
Il souhaitait lui murmurer tant de paroles indécentes et transies d’un sentiment inconnu.
Mais ce n’était pas le moment pour succomber à de tels plaisirs. Le royaume souffrait, son père n’était plus, tout ce qu’ils devaient faire était de remettre sur pied Laven et de contrer les forces qui les attaquaient. Alors Maximilien recula d’un pas, même si tout son être lui criait d’avancer, mais la chaine à son pied se prit dans les barreaux autour de l’estrade et se brisa sur le coup. L’orbe roula sur la marche, ce qui le fit paniquer quand il la vit partir loin de lui.
– Non !
Maximilien se dégagea de l’emprise de Nora pour récupérer le dernier cadeau de son Mentor. Il se précipita au sol pour le prendre dans ses mains, mais quand ses doigts effleurèrent la surface lisse de la boule, son cœur s’arrêta d’un coup.
Une petite fissure s’était formée, si petite que ce ne pouvait même pas être considérée comme telle, mais ce qui suffit à étonner Maximilien.
Alors la surprise fut d’autant plus forte quand une vague puissante de Kin l’envahit.
Et que la lumière l’encerclât, l’obligeant à fermer les yeux.
Au loin, il entendit Nora crier son prénom. Puis un vide total.
Au bout de quelques secondes de silence, le chant des oiseaux s’éleva dans les airs, un courant d’air chaud se glissa entre ses jambes et sur la peau nue de son torse. Une odeur familière d’herbes fraîches agrippa son nez et il finit enfin par ouvrir les yeux quand deux voix retentirent à quelques mètres de lui.
– Vous devez boire.
Sa gorge se contracta sous l’émotion, tandis que sa langue devint sèche quand il reconnut ceux non loin de sa position. Les larmes lui montèrent aux yeux et ses mains se mirent à trembler.
Sa mère se tenait face à son Mentor, Dual.