Li Wuxin, la tête basse, ses cheveux éparpillés autour de son visage, n'avait pas la force de lever les yeux. La douleur l'empêchait presque de respirer. Ses muscles étaient en feu, son corps ensanglanté.
Un bruit sec, comme une porte qui s'ouvre brutalement. Et puis, une silhouette se dessina dans l'encadrement. Ses yeux étaient fermes, résolus. Elle s'avança sans hésitation, et avec un coup de lame précis, elle trancha les chaînes, libérant ses poignets de l'étreinte métallique.
Il ne jeta même pas un regard à Lan Boxiao.
Elle ne tenta pas de le retenir. Elle n'eut même pas le temps de parler. Peut-être savait-elle que cela ne servirait à rien. Peut-être savait-elle, comme lui, qu'il était déjà parti, avant même qu'il ne bouge.
Wuxin courut. Il ne s'arrêta pas, ne ralentit pas. Ses pieds nus frappaient la pierre froide et humide, traîtresse sous ses pas, glissante comme du savon. Les muscles de ses jambes hurlèrent, chaque fibre de son corps lui crie de céder à la douleur, mais il ne fléchit pas. Il se concentra sur chaque pas, chaque souffle court, les torches vacillant derrière lui comme des fantômes dansants.
Il dévala le couloir sombre, où l'obscurité semblait avaler tout son être, jusqu'au bassin. L'eau noire, sombre comme une bouche muette, l'attendait. Le bassin où ils avaient laissé Xu Moyao pour mort, abandonné.
Et pourtant, Wuxin, avec une détermination farouche, ne s'arrêta pas.L'eau était toujours noire. Toujours immobile. Comme une bouche fermée sur un secret.
Il se jeta dedans.
Le froid fut instantané. Un choc brutal, électrique, qui lacéra sa peau et coula jusqu'à ses os. Mais cette douleur-là était pâle face à la panique qui lui déchirait la poitrine. L'eau se referma sur lui comme un couvercle de cercueil. Aveugle, à bout de souffle, il nagea, son cœur battant comme un tambour de guerre affolé.
Ses doigts effleurèrent du tissu. Puis de la chair.
Xu Moyao.
Wuxin l'attrapa, l'enlaça de toutes ses forces et donna un coup de jambe vers la surface. Le poids du corps inerte l'entraînait vers le fond, mais il lutta. Il serra les dents, ignora la brûlure dans ses poumons, le froid qui rongeait son énergie. Ils émergèrent dans un halètement déchiré.
Xu Moyao était lourd, totalement inerte, trempé jusqu'aux os, comme un cadavre. Sa tête retomba en arrière, le sang encore collé à ses tempes, sa bouche entrouverte, mais silencieuse.
Pas de respiration.
Non.
Non, non, non.
Li Wuxin le tira hors de l'eau, à moitié en le soulevant, à moitié en le traînant, jusqu'au rebord de pierre. Ses bras tremblaient de fatigue. Il tomba à genoux, glissa sur la surface mouillée, et roula Xu Moyao sur le dos. L'eau s'étalait autour d'eux, un miroir sombre taché de rouge. Le torse de Xu ne bougeait pas.
Une seule seconde d'hésitation.
Puis Wuxin réagit.
Ses paumes se plaquèrent sur la poitrine de Xu Moyao. Il entama les compressions. Une. Deux. Trois. Le rythme était brutal, mécanique, sans douceur. Chaque pression était une bataille contre la mort. Sa mâchoire était serrée à en craquer. Ses bras brûlaient, ses muscles endoloris, mais il n'arrêtait pas.
Il bascula la tête de Xu Moyao en arrière et pressa ses lèvres contre celles de Xu. Il souffla dans ces poumons glacés, une fois. Deux fois. Puis reprit les compressions. Un rythme émergea. Né de la peur, de l'instinct, de l'amour. Il n'y avait pas de place pour la honte. Pas de mots. Juste l'eau, le sang, l'odeur métallique du fer.
À l'instant où tout semblait perdu, le silence se déchira sous l'irruption d'un souffle.
Xu Moyao se cabra sous lui, toussa violemment. De l'eau noire coula le long de sa gorge. Son corps se secoua, spasmodique, pris de convulsions. Ses doigts frémirent, agrippèrent la main que lui tendit Li Wuxin.
Wuxin sentit ses genoux lâcher. La vague de soulagement faillit le fit s'effondrer. Xu respirait. À peine. Sa peau était glacée, sa pulsation fragile sous les doigts de Wuxin.
Quelque chose n'allait pas.
Il le savait. Il l'avait senti dès le contact sous l'eau. Une côte cassée. Une pression étrange, douloureuse. Il l'avait déjà vu. Trop de fois. Il connaissait cette progression lente, insidieuse. La blessure n'avait pas encore percé le poumon. Mais elle le ferait. Et alors Xu se noierait de l'intérieur.
Il fallait opérer.
Maintenant.
Wuxin regarda autour de lui. Pas de matériel. Pas de lumière, sauf les torches qui vacillaient dans le couloir.
Un léger mouvement, et la lumière glissa sur la lame, dissimulée dans l'épaisseur de ses cheveux. Par chance, les soldats n'avaient pas aperçu l'éclat métallique dissimulé. Sinon... il n'osait imaginer ce qui se serait passé.
Lan Boxiao s'agenouilla un instant à ses côtés, le regard fuyant. Elle ne dit rien au début. Ses yeux glissèrent brièvement sur le visage pâle de Xu Moyao, puis sur les gestes tremblants de Wuxin. Un souffle. À peine un murmure, juste assez fort pour qu'il l'entende.
« Je couvre vos arrières. Faites ce que vous avez à faire. »
Et sans demander son reste, elle se releva. Son ombre s'effaça dans le couloir, silencieuse et tendue, lame dégainée, chaque pas une promesse qu'aucun obstacle ne les atteindrait. Li Wuxin, avait ses mains tremblantes. Il avait froid jusqu'à la moelle. Son corps criait abandon. Mais son esprit ne plia pas.
D'un mouvement net, Li Wuxin dégaina la lame et trancha le haut de Xu Moyao, laissant les morceaux s'éparpiller comme des débris.
Il posa une main sur le torse de Xu. L'autre éfleurant ses côtes.
"Ecoute car je ne me répéterais pas, je suis médecin, dit-il à voix basse."
Son regard trouva celui de Xu Moyao. Flou. Brisé. Mais toujours là.
"Mais face à toi... je ne suis qu'un homme. Un homme prêt à se damner pour te sauver."
Silence. Xu ne répondit pas. Il ne pouvait pas.
Wuxin se mit au travail.
Il arracha une manche de son haut, fit des bandes, des garrots, des compresses de fortune.
"Pardonne-moi, souffla-t-il."
Et il incisa.
Le corps de Xu Moyao tressaillit, un sursaut bref, presque imperceptible, comme si même la douleur lui coûtait trop d'énergie. Une vibration muette parcourut ses muscles, reflet de ce qu'il endurait sans un cri. Il n'en avait plus la force. Pas même celle de hurler.
La lame descendit, sans hésitation mais non sans douleur. Une ligne rouge, fine d'abord, une promesse silencieuse , puis plus profonde, implacable. Elle tranchait chair et muscle avec une précision féroce, et chaque centimètre arraché au silence résonnait dans les nerfs de Li Wuxin.
Le sang jaillit, chaud, épais, d'un rouge sombre presque noir dans la lumière vacillante des torches. Il éclaboussa les doigts de Wuxin, inonda ses paumes, coula le long de ses poignets. Il appuya aussitôt, sans trembler, tentant de contenir l'hémorragie, de reprendre le contrôle. Mais rien ne l'arrêtait vraiment.
Ses gestes restaient sûrs, méthodiques, mais son visage trahissait ce qu'il ne disait pas : l'urgence. L'ombre de la peur. Une inquiétude terrible, rentrée, qui marquait ses traits, creusait ses joues, glaçait son regard.
Il travailla vite. Trop vite. Mais il n'avait pas le choix. Chaque seconde comptait. Chaque goutte de sang volée au corps de Xu Moyao l'éloignait un peu plus de la vie. Et pourtant, ses mains, tâchées de rouge, ne tremblaient pas. Pas encore.
Car il savait qu'il ne pouvait pas échouer.Il trouva la côte cassée. Sa paume se posa sur la cage thoracique de Xu Moyao, les doigts tâtonnants, précis malgré les tremblements. Il inspira, mais l'air ne fit qu'ajouter au vertige. Alors, lentement, il inséra ses doigts. La chair était chaude, vivante, mais le sang rendait tout glissant.
Xu Moyao gémit. Un son brisé, presque inaudible, mais qui fendit l'air comme une lame. Une plainte étranglée, douloureuse, qui s'enroula autour du cœur de Wuxin comme une chaîne. Il se figea. Juste un instant. Ses mains suspendues au-dessus de la plaie, ses yeux agrandis, le souffle coupé.
Des larmes roulèrent, sans qu'il s'en rende compte, traçant des sillons invisibles dans la saleté et le sang sur ses joues. Pas des larmes de faiblesse. Des larmes de rage, de culpabilité.
Mais il ne s'arrêta pas. Il ne le pouvait pas.
Ses doigts s'enfoncèrent à nouveau. Il sentit l'os déplacé, irrégulier, qui menaçait de perforer le poumon d'un instant à l'autre. Ses dents serrées à en craquer, il écarta doucement le fragment, millimètre par millimètre, ses mains rouges jusqu'aux poignets. Le tissu déchiré autour de lui s'imprégnait de rouge. Son front était en feu. Son cœur battait si fort qu'il le sentait dans ses tempes.
Chaque seconde était une éternité. Mais il réussit. Il parvint à dégager le morceau osseux, à l'écarter. Le souffle court, les bras tremblants.
Le sang coulait toujours. Mais moins. La respiration, faible. Mais stable.
Wuxin bourra la plaie avec les morceaux de tissu, les pressa, serra, noua. Puis il recula enfin. À bout de forces. Son visage était pâle. Ses bras couverts de sang. Il tremblait de partout.
Mais Xu respirait.
Pas fort. Pas bien. Mais il respirait.
"Reste avec moi" murmura Wuxin en se penchant sur lui. "Reste éveillé.... T'as pas le droit de partir maintenant."
Les larmes de Li Wuxin coulaient librement, il ne faisait plus d'éffort pour les retenir.
Les yeux de Xu bougèrent. Clignèrent à peine. Mais c'était suffisant.
Wuxin s'éffondra par terre, laissa tomber sa tête contre l'épaule de Xu, le souffle court.
Il avait fait ce qu'il pouvait.
Maintenant, il fallait que Xu Moyao survivent , se batte.
Au fond de lui Li Wuxin lui faisait confiance , il savait qu'il allait se battre.
Et il resterait là. Aussi longtemps qu'il le faudrait. Les ténèbres autour d'eux n'avaient plus d'importance. Le froid, la douleur, la fatigue.
Pour lui.
Il resta là un instant, figé, le front contre la peau glacée de Xu Moyao, écoutant les battements faibles de son cœur. Il sentait sous ses doigts la vie fragile, ténue, mais toujours là. Chaque respiration de Xu Moyao était une victoire volée à la mort. Chaque battement, une preuve qu'il n'était pas trop tard.
Et pourtant, quelque chose en lui vacilla.
Il avait failli le perdre.
Pour de bon.
Li Wuxin serra les poings, ses ongles s'enfonçant dans sa propre paume.
Ses yeux, brûlants, fixèrent le visage de Xu Moyao.
Il se pencha, parla doucement, à peine un souffle.
"Tu sais, murmura-t-il, j'ai jamais eu peur de la mort.J'ai toujours pensé que tant que je pouvais sauver une vie... ça valait tout le reste."
Il ferma les yeux un instant.
"Mais toi... Toi, Xu Moyao, tu fous tout en l'air."
Ses doigts effleurèrent les mèches collées au front de l'autre homme.
"Quand je t'ai vu sous l'eau, si froid, si... silencieux, je me suis dis, si tu meurs, alors je me fous du reste, J'aurais traversé l'enfer pour te ramener."
Il s'interrompit, mordant l'intérieur de sa joue. Le goût du fer sur sa langue.
Il rit, un son sec, amer.
Sa gorge se serra. Sa voix devint rauque.
"La vérité, c'est que j'ai plus peur de te perdre que de mourir. Et je sais même pas ce que ça veut dire. Pas vraiment. Je veux pas savoir. Je veux juste que tu restes."
Un silence.
Un battement.
Il leva les yeux. Les paupières de Xu tremblaient faiblement. Il n'était pas certain s'il avait entendu. Peut-être. Peut-être pas.
Et peut-être que c'était mieux ainsi.
Li Wuxin se pencha encore, plus près. Sa main trouva celle de Xu Moyao, glacée. Il la prit dans la sienne, l'enlaça de ses doigts tâchés de rouge.
Puis d'un coup, les deux dernières heures ne comptaient plus.
Tout ce qu'il avait vécu, chaque coup, chaque douleur, sembla s'effacer sous le contact des doigts de Xu Moyao. Les chaînes froides, serrées autour de ses poignets. La brûlure des coups. Les heures de souffrance et de silence. Tout cela se dissipa comme un mauvais rêve. Dans cet instant, ce qui comptait, c'était la vie fragile sous ses mains. Tout ce qu'il avait enduré n'était plus que du bruit dans l'arrière-plan.
Il ferma les yeux un instant, son souffle s'adoucissant à mesure qu'il sentait la chaleur de Xu, même faible.
Deux heures plus tôt...
Les chaînes froides, serrées autour des poignets de Li Wuxin. Ses bras étaient tendus, chaque muscle tiré au maximum, jusqu'à ce qu'il sente ses tendons crier de douleur. Il n'avait plus la force de se tenir debout, mais il n'avait pas le droit de céder. Chaque respiration était difficile, chaque mouvement provoquait une douleur aiguë dans ses articulations. La pierre contre sa peau était aussi froide, aussi dure qu'un châtiment.
L'air dans la cellule était épais, moite, chargé de la puanteur du sang et de la sueur. Un soldat s'approcha, un rictus cruel sur le visage. Il saisit la chaîne en métal tendue autour des poignets de Li Wuxin et la tira d'un coup sec. La douleur jaillit comme un éclair dans tout son corps, ses poignets semblant prêts à se briser sous la pression. Li Wuxin serra les dents pour étouffer un cri. Il ne crierait pas. Pas maintenant.
Un autre homme s'avança, un couteau entre les mains. Il se coucha contre la peau de Li Wuxin, et en un mouvement brutal, la lame déchira son manteau, traçant une ligne de sang sur son torse. La douleur irradia à travers lui, une brûlure profonde, mais il se força à ne rien laisser paraître. Aucun frémissement, aucun cri. Seulement une concentration acharnée sur l'instant, sur le silence de son esprit face à la souffrance.
Chaque geste des soldats était conçu pour le faire flancher, pour l'amener à avouer ce qu'ils voulaient, à supplier. Mais Li Wuxin ne céda pas. Il serrait les dents et se concentrait sur une chose : ne pas plier. Il savait qu'au fond de lui, il devait rester intact. Il se laissa traverser par la douleur, ignorant les larmes qui perlaient au coin de ses yeux. Pas maintenant. Pas ici.
Les heures se succédèrent, les coups, les blessures, mais chaque seconde, il se répéta qu'il ne céderait pas. Ses poignets brûlaient, ses bras tremblaient, mais il garda son calme. Il savait qu'il le ferait. Il résisterait. La douleur n'était qu'un passage, un obstacle. Il devait juste tenir.
Li Wuxin se pencha de nouveau, serrant la main de Xu Moyao plus fort. Il n'y avait plus de douleur, plus de chaînes, plus de sang. Il n'y avait plus que cette respiration faible, mais vivante. Et dans ce simple contact, il savait que tout ce qu'il avait enduré jusqu'à ce moment précis n'était plus que du vent.
Xu Moyao vivait. Il était là, avec lui, et cela suffisait.
Ce n'était une confession
Mais presque
alut tout le monde, merci d'avoir lu le dix-septiéme chapitre de mon livre , n'hésitez pas a liker et dire ce que vous en pensez en commentaire. For the readers , the english version is also avaible !
Les dessin sont fait avec mon amie Cisoul ! n'hésitez pas a la soutenir en commentiare
By à la prochaine fois ! 💕