Le vent murmurait doucement. La lumière de fin d'après-midi dessinait des ombres lentes sur les murs, longues comme des soupirs. Le général reposait à demi-conscient, les traits tirés, la respiration faible mais régulière. Sa peau brûlait encore de fièvre, bien que ses blessures aient commencé à guérir.
Li Wuxin n'avait pas quitté la pièce.
Quatre jours s'étaient écoulés, peut-être cinq. Il avait arrêté de compter. Le temps s'était fondu dans la blancheur des bandages, le goût amer des décoctions médicinales, et le parfum constant de sang séché et d'herbes écrasées. Il dormait sur un coussin près du lit, jamais loin. Pas par devoir, mais par choix. Quelque chose de plus profond. Comme si son propre corps refusait de quitter le côté de celui qu'il avait juré de soigner.
Le général n'était pas un homme qu'on approchait facilement. Même dans son sommeil, son visage conservait une force tranquille, un pli entre les sourcils, une trace de résistance, comme s'il refusait de paraître vulnérable. Et pourtant, allongé là sans armure, sans son épée, il paraissait douloureusement humain. Et fragile.
Li Wuxin écarta une mèche humide de son front. Lui aussi avait de la fièvre. Rien de grave, se disait-il. Juste de l'épuisement. Rien qu'un peu de repos ne pourrait guérir. Mais il ne se reposait pas. Pas encore.
Les blessures du général guérissaient bien. Trop bien, en fait. L'entaille sur son flanc avait cessé de saigner dès le deuxième jour. Les ecchymoses, bien que toujours sombres, n'étaient plus sensibles. Ses membres ne montraient aucun gonflement, aucun signe d'infection. Et pourtant, il s'affaiblissait. La fièvre persistait. Ses forces s'épuisaient, lentement.
Quelque chose n'allait pas. Li Wuxin le sentait, non pas par logique, mais jusqu'au plus profond de ses os. Des années d'expérience lui avaient appris à faire confiance à cet instinct. Le corps parle, même lorsque la bouche se tait.
Il reprit son pouls, chaque poignet, chaque battement mesuré. Le rythme était lent, légèrement irrégulier. Sa respiration, superficielle. Une goutte de sueur roula le long de sa tempe. Puis, le médecin la vit : une teinte violette subtile au niveau des lèvres, à peine visible, dissimulée par l'ombre.
Il se figea.
Ce n'était pas de la fatigue.
Ce n'était pas une simple suite de blessures.
C'était autre chose.
Quelque chose comme du poison.
Sans un mot, il se dirigea vers la boîte laquée près de sa sacoche. À l'intérieur se trouvaient de petites fioles, des poudres enveloppées dans du papier, des racines séchées, et des bandes étroites pour les tests. Il travailla rapidement, préleva un peu de salive, puis un échantillon de sueur. Les gestes étaient anciens, répétés. Il les avait faits mille fois.
Ses mains ne tremblaient pas. Ses gestes étaient calmes, précis. Mais en lui, une tempête silencieuse grondait. Quelque chose de plus lourd que la peur. De plus profond que l'inquiétude.
Lorsque la dernière bande de test vira au noir, il sut.
Aucun doute. Aucune hésitation.
Le général avait été empoisonné.
Ce n'était pas un poison grossier. C'était élégant, insidieux. Un poison conçu non pour tuer sur le coup, mais pour affaiblir, lentement, silencieusement, jusqu'à ce que le corps abandonne de lui-même. Assez subtil pour passer inaperçu... à moins de savoir exactement quoi chercher. Et il n'avait pas su.
La réalisation le frappa avec une force tranquille.
Il ne l'avait pas vu.
Il avait été là tout le temps, et il ne l'avait pas vu.
Il serra les poings jusqu'à ce que ses ongles s'enfoncent dans la peau de ses paumes. Ce n'était pas encore de la colère qui montait. C'était de la honte. Et autre chose. Quelque chose de plus douloureux, de plus doux.
Il était resté. Il avait veillé sur lui. Il avait pris soin de lui.
Et malgré cela, il était passé à côté de l'essentiel.
Les jours passèrent, lents, silencieux, lourds de non-dits.
La tente restait baignée d'une demi-lumière. Dehors, le monde continuait : les gardes changeaient de poste, le vent agitait les feuilles, et les nouvelles de la cour arrivaient, cachetées, sans réponse. Mais à l'intérieur, le temps s'était figé.
Xu Moyao restait presque silencieux. Il dérivait entre sommeil et éveil, son corps tiré vers le bas par l'épuisement, son esprit jamais tout à fait là. Il parlait peu, parfois pas du tout, sauf lorsque la fièvre montait et que la douleur revenait en vagues. Alors, seul son souffle changeait. Plus rapide. Plus rauque.
Li Wuxin remarquait chaque changement.
Chaque frémissement du front.
Chaque souffle trop court.
Chaque fois que sa main se crispait doucement sur les draps, tentant, même malade, de cacher la douleur.
Le poison quittait son corps lentement. Il s'était enraciné profondément, accroché au sang et aux os. Les antidotes devaient être doux ; ils ne pouvaient pas être violents. Les forces de Xu Moyao étaient déjà trop faibles. Li Wuxin prenait donc soin de le traiter avec délicatesse.
Chaque jour, il préparait lui-même les décoctions. Il surveillait la température. Ajustait les ingrédients. Parfois, il restait éveillé toute la nuit, à comparer les courbes de pouls et les réponses aux toxines, les yeux rouges, mais toujours précis.
Il le nourrissait à la main quand il était trop faible pour tenir une cuillère.
Changeait ses vêtements quand la fièvre le trempait de sueur.
Réécrivait ses prescriptions à chaque nouvelle réaction.
Et pourtant, peu importe à quel point il était épuisé, ses mains ne tremblaient jamais. Pas une seule fois.
Le quatrième matin, Xu Moyao ouvrit les yeux plus longtemps que d'habitude. Il tourna lentement la tête, lentement, péniblement, et regarda l'homme assis près de son lit, penché sur des pages de notes, éclairé par une mince bande d'aube.
"Je commence à croire que tu veux ma mort..."
" Si je voulais te tuer, je n'aurais pas besoin de poison, répondit-il calmement, un éclat moqueur dans la voix. Une simple erreur suffirait."
Xu Moyao grogna, levant les yeux au ciel, avant de se redresser lentement, appuyé contre le matelas.
"Je me sens vidé, malgré tout ce sommeil... mais d'une certaine manière, tu as encore l'air pire que moi, marmonna-t-il."
Li Wuxin s'approcha avec une tasse, un sourire aux lèvres.
" N'oublie pas, c'est à cause de toi que je ne dors pas. Mais tu devrais boire ça d'abord. Pas de discussion."
Xu Moyao leva les mains en signe de reddition, même si son expression trahissait son peu d'enthousiasme. Il prit la tasse, la fixa un instant d'un air peu convaincu, puis la but d'un trait.
Le silence retomba, mais il n'était plus pesant.
Le général toussa après avoir avalé le breuvage, l'air faussement choqué.
Impossible, dit-il d'une voix exagérée. J'avais oublié à quel point tes potions sont... exquises. Je pense que je ne survivrai que grâce à ta grande bonté.
Li Wuxin se contenta de sourire. Il était si fatigué qu'il n'avait même plus la force de répondre.
" Ne t'inquiète pas, ton goût n'a pas évolué avec la fièvre."
Xu Moyao le fixa un moment, son regard retrouvant un peu de sa clarté. Puis il se laissa retomber contre les oreillers, un soupir doux s'échappant de ses lèvres.
"Mais sérieusement, dit-il enfin, son ton plus doux, comment tu vas, toi ?"
Li Wuxin parut surpris par la question, avant de redresser légèrement le dos, plus sérieux.
"Moi ? J'ai juste beaucoup de travail. Mais il semblerait que je n'ai pas encore assez dormi, alors tu vas devoir attendre que je sois à moitié fou avant que je commence à me tromper dans les doses."
Xu Moyao lâcha un petit rire, faible et fatigué.
Il le regarda un instant, son regard plus chaud qu'il ne l'aurait admis.
"Merci. Je n'aurais jamais cru que tu pourrais me supporter aussi longtemps."
Li Wuxin, d'ordinaire impassible, baissa légèrement les yeux. À cet instant, il ne put s'empêcher de se demander : quel genre d'homme était-il vraiment ?
Ce n'était pas un simple soldat, pas quelqu'un qui obéissait aveuglément. Xu Moyao semblait porter quelque chose de plus. Quelque chose qui lui valait la loyauté inébranlable de ses hommes. Il devait inspirer une confiance inébranlable.
Li Wuxin se surprit à l'observer un instant, fasciné par cette silhouette qui paraissait presque fragile dans sa faiblesse. Il ne pouvait s'empêcher de se demander comment un homme comme Xu Moyao parvenait à maintenir une telle force, une telle maîtrise de soi.
C'était presque fascinant. Même affaibli, il dégageait cette présence. Cette force tranquille, même hors du champ de bataille.
Li Wuxin secoua légèrement la tête, comme pour chasser ces pensées. Mais une petite part de lui ne pouvait s'empêcher de penser que cet homme était bien plus complexe qu'il n'y paraissait. Avec un sourire presque imperceptible, il répondit simplement :
" Ce n'est rien. Repose-toi. Je vais rester encore un peu."
" Essaie de dormir un peu plus longtemps cette fois, dit-il, tentant de retrouver son calme. Et peut-être que, cette fois, je n'aurai pas à te réveiller pour que tu prennes tes médicaments."
Xu Moyao tourna lentement la tête, ses yeux sombres croisant les siens. Un faible sourire effleura ses lèvres fatiguées, à peine visible, mais suffisant pour que Li Wuxin le remarque.
"Je préfère rester éveillé encore un peu."
Li Wuxin haussa les épaules, amusé.
"Ce n'était pas une question."
Il laissa le silence revenir, mais cette fois, il n'était pas aussi lourd. Le général s'installa à nouveau contre les oreillers, les yeux se fermant lentement. Li Wuxin continua de veiller sur lui, silencieusement. À cet instant, il n'était qu'un homme qui avait besoin de repos.
Le médecin se leva et se dirigea vers la petite table où se trouvaient les herbes qu'il avait préparées pour le général, ses yeux se baissant vers les sachets. Il commença à trier quelques-unes d'entre elles, son esprit toujours un peu ailleurs.
Quelques heures passèrent dans le calme relatif de la chambre. Le médecin avait continué de travailler en silence, ses gestes précis et méthodiques, mais ses pensées restaient ancrées ailleurs. Il savait que le général allait se réveiller tôt ou tard, que la paix momentanée qu'offrait le sommeil serait de courte durée.
Le médecin se leva pour vérifier une nouvelle fois les préparations, ajustant les doses et les remèdes, s'assurant que tout était prêt pour la prochaine étape. Il jeta un regard furtif à Xu Moyao, qui était toujours endormi.
Soudain, un mouvement attira son attention. Le général commença à bouger légèrement, ses doigts se repliant sur les couvertures. Le médecin s'approcha doucement, prêt à intervenir si nécessaire, mais il attendit.
Les yeux du général s'ouvrirent. Il fixa un instant le plafond, puis tourna lentement la tête vers le médecin, ses yeux fatigués.
"Tu ne peux vraiment pas laisser un patient tranquille, hein ?"
Le médecin sourit faiblement, son ton un peu plus léger qu'avant.
"Je ne fais que mon travail, mon général."
Xu Moyao haussa un sourcil, comme pour répondre à la plaisanterie, mais ses forces n'étaient pas encore revenues. Il se redressa lentement, soutenu par les oreillers derrière lui, jetant un coup d'œil furtif à son médecin.
"Combien de temps j'ai dormi, cette fois ?"
Le médecin ne releva pas tout de suite les yeux, toujours occupé à organiser les sachets sur la table.
" Assez longtemps pour que je songe à te déclarer officiellement ennuyeux."
Xu souffla, un sourire fatigué au coin des lèvres.
"Je vois"
Li Wuxin se retourna enfin, les bras croisés.
"Tu as eu de la chance. Si le poison s'était installé plus profondément, je doute qu'on aurait cette charmante conversation."
Le sourire de Xu Moyao s'estompa légèrement, remplacé par une lueur de lucidité. Il baissa les yeux un instant, puis les releva.
" Tu as veillé sur moi tout ce temps ?"
Un léger haussement d'épaules.
" Quelqu'un devait s'assurer que tu ne fasses rien de stupide dans ton sommeil."
Li Wuxin lui tourna le dos, feignant de s'occuper à nouveau des herbes. Mais il pouvait sentir le regard de Xu Moyao sur lui — calme, stable, sans exigence, simplement... présent.
"Tu ne vas pas me demander comment je me sens ?" murmura le général, sa voix encore un peu rauque.
Li Wuxin ne répondit pas tout de suite. Il broya quelques feuilles, versa de l'eau chaude dans une tasse.
"Je sais déjà comment tu te sens," dit-il finalement. "Épuisé, grognon, et insupportable, donc oui, tu vas bien."
Xu Moyao laissa échapper un souffle sec qui ressemblait à un rire.
Il apporta la tasse. Xu Moyao ne la prit pas immédiatement. Ses doigts effleurèrent brièvement ceux du médecin en la saisissant, pas tout à fait intentionnellement... mais pas totalement accidentel non plus.
Le silence qui suivit n'était pas gênant, simplement plein.
"Tu as dormi ?" demanda soudain Xu, les yeux plissés.
Li Wuxin cligna des yeux, pris au dépourvu.
"Pas vraiment."
" Pas très surprenant, murmura le général. Tu as encore pire mine que moi."
Li Wuxin souffla du nez et se laissa retomber sur sa chaise.
" Si c'est le cas, c'est uniquement parce que je ne suis pas celui qui a dormi trois jours d'affilée."
Xu prit une gorgée, grimaça.
"Toujours aussi infect."
"Toujours en train de te maintenir en vie."
Ils échangèrent un regard.
Fatigué. Constant.
Sans parler.
Juste... se comprenant.
Salut tout le monde, merci d'avoir lu le cinquiéme chapitre de mon livre , n'hésitez pas a liker et dire ce que vous en pensez en commentaire. For the readers , the english version is also avaible !
Les dessin sont fait avec mon amie Cisoul ! n'hésitez pas a la soutenir en commentiare
By à la prochaine fois ! 💕