La lumière du matin filtrait à travers la tente, douce et dorée, caressant les traits fatigués du général. Ses yeux restaient fermés, mais sa respiration, régulière et calme, n'avait plus été ainsi depuis des semaines.
Li Wuxin, assis en tailleur sur un coussin près du lit, n'avait quitté la pièce que lorsque c'était absolument nécessaire. Chaque légère variation dans la respiration du général l'avait tiré du sommeil, le cœur battant, craignant que le fil fragile qui le reliait à la vie ne se rompe à nouveau.
Mais ce matin, quelque chose avait changé.
Un soupir. Doux. Mais indéniable.
Il leva les yeux de ses notes. Durant un long moment, il se contenta de le regarder.
La pâleur mortuaire avait presque disparu. À sa place, une légère couleur rosée teintait les joues du général. Ses lèvres, autrefois fenduent et ternes, reprenaient un peu de chaleur. Il ne ressemblait plus à un homme dont le corps tentait de disparaître.
Li Wuxin se leva et s'approcha du lit, posant deux doigts contre le poignet du général. Le pouls était plus fort. Régulier. Profond.
Un souffle se bloqua dans sa gorge, trop tôt pour sourire, trop tôt pour se détendre. Mais tout de même... L'espoir avait pris racine.
Le général bougea lentement.
Les sons lui parvinrent d'abord : le froissement d'un tissu, le léger glouglou de l'eau versée dans un bassin. Puis une voix. Basse. Stable. Familière.
« Tu vas manger quelque chose aujourd'hui. Je ne te laisserai pas t'en sortir avec seulement quelques gorgées de bouillon. »
Il ouvrit les yeux, clignant contre la lumière douce du matin. Le plafond se précisa, puis l'homme debout près de la petite table, dos tourné, occupé à mélanger des herbes.
Le général esquissa un sourire faible, mais réel.
« Si je mange tout ce que tu me donnes... tu resteras plus longtemps ? »
Li Wuxin traversa la pièce en quelques pas, s'agenouilla près du lit. Il attrapa la main du général : elle était chaude. Pas fiévreuse. Juste... vivante.
« Oui, je resterai. »
Le général tourna légèrement la tête vers lui. Il remarqua les cernes profonds sous ses yeux, les mèches rebelles tombant en désordre sur son front, l'épuisement creusé dans ses traits.
« Tu m'as ramené. »
Le médecin détourna le regard, les lèvres se pinçant dans une ligne neutre.
« J'ai juste fait mon devoir. »
Un silence s'installa entre eux. Pas gênant, mais chargé. Chargé de mots pas encore prêts à être dits.
La guérison fut lente, mais certaine. Jour après jour, le général recommença à marcher, et chacun de ses pas se fit plus assuré. Sa voix portait davantage. Le creux dans son visage se comblait à nouveau, d'abord subtilement, puis de manière plus nette, comme un dessin qu'on redessine.
On l'avait même déplacé dans une chambre, un endroit plus spacieux et lumineux
Lu Xiaoqian murmura qu'il retrouvait son air d'avant. Que son regard avait repris de sa netteté.
Et parfois, Li Wuxin se surprenait encore à l'observer , trop longtemps, trop intensément, comme s'il ne pouvait pas croire que cet homme avait été si près de disparaître.
« Tu comptes me fixer comme ça toute la nuit ? » lança le général un soir, adossé à la fenêtre, un bol de riz à moitié vide en main.
Li Wuxin ne sursauta pas. Il haussa simplement les épaules.
« Je surveille ton appétit. T'as mangé que la moitié. »
Le général leva un sourcil, esquissant un sourire en coin.
« Si autoritaire. »
« Et toi, plus têtu qu'un enfant fiévreux. »
Ils sourirent. Cette fois, sans retenue.
Le général se pencha contre le rebord de la fenêtre, son bol sur les genoux, observant la cour en contrebas où les lanternes venaient d'être allumées. La nuit tombait lentement, le ciel strié d'indigo et de rose pâle. Il semblait perdu dans ses pensées. Li Wuxin n'osa pas demander pourquoi.
Il resta assis près de la table, préparant méticuleusement une petite dose de médicament. Ses gestes étaient précis, silencieux, maîtrisés. Mais ce soir, ils avaient quelque chose de plus doux.
« Tu n'as pas dormi, hein ? » demanda le général.
Li Wuxin ne leva pas les yeux. Il mélangea encore, puis versa dans une tasse en porcelaine.
« Tu me poses toujours cette question. Tu avais besoin d'être surveillé. Il y a eu des moments où je croyais que... » Il s'interrompit, avala difficilement. « Je ne veux juste pas prendre de risque. » J'ai eu peur que tu meures.
Le général pencha la tête.
« Tu as toujours l'air calme, même quand tu t'effondres. »
Quelque chose traversa le visage de Li Wuxin. Pas de la colère. Pas de la gêne. Plus profond. Du chagrin, peut-être. Du soulagement. Il se leva, alla lui tendre la tasse, que le général prit avec des doigts assurés.
« Amer ? » demanda-t-il en la reniflant avec méfiance.
« Comme tout ce qui fonctionne. »
Il but sans protester. Quand il eut fini, Li Wuxin ne bougea pas. Ils restèrent là, un moment, dans un silence tendu mais paisible.
« Tu sais combien de nuits je suis resté ici à me demander si ton prochain souffle viendrait ? »
Le général leva les yeux vers lui, surpris par cette franchise.
« Tu m'as sauvé, » répéta-t-il, plus doucement. « Je te dois— »
« Non, » coupa le médecin. « Ne dis pas ça. Ce n'était pas un échange. »
Quelque chose dans son regard s'assombrit, à peine perceptible, comme une flamme qui vacille au vent.
Leurs regards se croisèrent. Li Wuxin semblait plus fatigué que d'habitude. Pas seulement physiquement , son âme semblait fatiguée.
« Je ne l'ai pas fait parce que je devais, » ajouta-t-il, presque dans un souffle. « Je l'ai fait parce que... je ne pouvais pas le supporter. »
Le général se figea. Les mots restèrent suspendus dans l'air, fragiles, impossibles à retirer.
Un long silence s'ensuivit. De ceux qu'il faut traiter avec délicatesse. De ceux qu'un souffle trop fort pourrait briser.
Enfin, le général détourna légèrement le visage.
« Alors je te dois plus que je croyais. »
Plus tard cette nuit-là, le médecin, incapable de dormir, le trouva assis sur le bord du lit, une robe jetée sur ses épaules. L'air était frais, empli du parfum du jasmin nocturne. Li Wuxin frissonna.
« Tu ne dors pas ? » demanda-t-il doucement.
Le général tourna la tête, puis tapota l'espace libre à côté de lui.
« Viens t'asseoir. »
Il obéit. Le lit grinça doucement sous leur poids combiné.
« Ça te dérange si je te parle de mon rêve ? J'ai... pas vraiment d'autre personne à qui le raconter. » murmura le général, regard perdu vers le jardin sombre.
« Je suis pas doué avec les mots. Mais... T'as jamais voulu partager quelque chose comme ça avant. Vas-y. »
Xu Moyao resta silencieux un instant.
« Ce n'était pas comme les cauchemars habituels. »
Sa voix était douce, presque absorbée par le silence de la tente.
« Pas de sang. Pas de cris. Juste... le silence. Et moi, debout là. Tous ceux que j'ai tués de mes propres mains. »
Il fit une pause. Ses mains reposaient sur ses genoux, les doigts légèrement recroquevillés, comme s'il tenait quelque chose d'invisible.
« Ils ne m'accusaient pas. Ils regardaient juste. C'était pire, d'une certaine façon. »
Un souffle. Presque un rire, mais creux.
« ... Je n'en ai jamais parlé à personne. Jusqu'à maintenant. »
Il jeta un bref coup d'œil vers Li Wuxin. Non pas pour chercher du réconfort. Juste pour voir si le silence serait accueilli par du jugement, ou de la compréhension.
Puis, sans réfléchir, ou peut-être après y avoir trop réfléchi, il tendit la main et prit celle de Li Wuxin.
C'était un geste simple. Pas une confession. Pas un baiser fiévreux. C'était une douleur pure.
Le médecin ne parla pas. Et le général lui en fut reconnaissant. Certaines douleurs, une fois dites, n'ont pas besoin de mots. Juste de présence.
Les semaines passèrent, et la couleur revint peu à peu sur le visage du général. Les lignes de ses clavicules se firent moins saillantes à mesure qu'il reprenait du poids, et les ombres sous ses yeux s'estompaient. Il n'était plus un fantôme allongé dans un lit : il se levait à nouveau, marchait sur de courtes distances, sa voix était stable, ses yeux clairs.
Li Wuxin avait cessé de faire semblant d'être distant.
Le jour où Xu Moyao traversa la cour seul, Li Wuxin resta figé sur les marches, un rouleau encore fermé dans les mains. Le général leva les yeux, leurs regards se croisèrent, et pour une fois, Li Wuxin ne dissimula pas le petit sourire qui lui venait.
« Tu as l'air déçu, » lança Xu Moyao. « Tu espérais que je reste cloué au lit pour toujours ? »
« Juste jusqu'à ce que tu apprennes à obéir. »
Quelques jours plus tard, une invitation arriva de la capitale : un banquet officiel en l'honneur des officiers survivants de la Division Silent Sky Blade. Li Wuxin n'aimait pas les festivités, mais Xu Moyao le surprit.
« Je peux venir ? » demanda le général.
Li Wuxin leva les yeux, surpris.
« Tu ne forces pas trop, j'espère ? »
« J'ai survécu à pire. » Xu Moyao sourit. C'est la première fois que je le vois sourire comme ça, pensa Li Wuxin. Il est mieux quand il sourit. Il détourna les yeux avant que la pensée ne prenne forme.
« Tu m'as sauvé. Je veux comprendre les gens que tu as choisis de défendre. »
Quelques jours plus tard, ils étaient à la capitale, dans un tourbillon de lanternes et de soie dorée.
La salle brillait de lumière, l'air saturé de vin et d'épices rôties. Xu Moyao se tenait à l'entrée aux côtés de Li Wuxin, observant les officiers rassemblés d'un regard calme, impénétrable. Les têtes se tournèrent, les murmures s'élevèrent.
« C'est vraiment lui ? »
« On disait qu'il ne pouvait même plus marcher. »
« Il a l'air... en vie. »
Li Wuxin ne dit rien, mais ses épaules se redressèrent un peu.
La nuit avançait, les coupes se levaient, les rires fusaient, et les souvenirs, doux-amers, étaient partagés. Quelqu'un sortit un vieux jeu de cartes, le claquant contre la table basse près des jarres de vin.
« Allez, Général, » sourit un soldat. « Rejoignez-nous. Voyons si vos réflexes sont toujours aiguisés. »
Contre toute attente, Xu Moyao accepta.
Il jouait avec élégance, mais pas avec talent. Il confondait les couleurs, pariait trop fort, et se faisait piéger en bluffant par un soldat à moitié ivre de vin de prune.
« Tu es nul à ça, » murmura Li Wuxin à côté de lui.
« Je commande des armées, pas des cartes, » répondit Xu Moyao, très sérieux.
Ils éclatèrent de rire.
Xu Moyao perdit misérablement. Son tas de jetons fondit vite, mais personne ne s'en souciait. Pour la deuxième fois, il riait, les épaules détendues, les lèvres étirées en un sourire qui atteignait enfin ses yeux.
Li Wuxin le regardait en silence, une chaleur étrange lui montant dans la poitrine, une chaleur que même le vin ne pouvait justifier.
Bien plus tard, une fois le vin vidé et la pièce vidée, Li Wuxin aida Xu Moyao à regagner les quartiers d'invités. Aucun des deux n'était tout à fait sobre.
« Tu zigzagues, » dit Li Wuxin.
« Tu ne marches pas bien droit non plus, » répliqua Xu Moyao.
Ils atteignirent la chambre avec un minimum de chaos : une épaule heurtée, un rire maladroit, la porte qui faillit claquer. Xu Moyao s'écroula sur le lit, tirant paresseusement sur les attaches de sa robe.
« Tu vas me gronder pour avoir bu ? » demanda-t-il, la voix alourdie par le vin et la fatigue.
« Non, » répondit Li Wuxin, les mots ralentis. Il prit la robe et la plia avec soin, trop de soin. « Je pense que tu l'as mérité. »
Xu Moyao se laissa tomber en arrière avec un long soupir.
« C'était... bien, » murmura-t-il, les paupières mi-closes. « Étrange. Mais bien. »
Li Wuxin ne répondit pas tout de suite. Sa tête bourdonnait. Il traîna un petit tabouret près du lit et s'y accouda, le coude contre le matelas.
« Tu devrais dormir, » dit-il.
« Toi aussi, » répondit Xu Moyao, les yeux toujours fermés.
Li Wuxin voulut rire, mais ce ne fut qu'un souffle. Il se pencha lentement, voulant seulement poser ses bras un instant, juste le temps que le vertige passe. Sa joue toucha la couverture, chaude du corps du général en dessous. Pas tout à fait contre lui. Mais assez près. Il sentait sa respiration, le parfum de bois de santal et de vin.
Juste un moment, se dit-il.
Xu Moyao bougea à peine — pas pour s'éloigner, mais comme pour faire un peu plus de place, presque par réflexe. Son bras, lourd de sommeil, glissa près de l'épaule de Li Wuxin. Pas un vrai geste. Pas vraiment intentionnel. Mais ce n'était pas rien.
Et puis, ils ne bougèrent plus.
La chandelle brûlait bas dans un coin, projetant de longues ombres qui vacillaient puis se figeaient.
Le sommeil les gagna dans le calme — sans violence, sans précipitation, comme une lente reddition à la tranquillité.
Sans résistance.
Sans mots.
Sans rêves.
Salut tout le monde, merci d'avoir lu le sixième chapitre de mon livre , n'hésitez pas a liker et dire ce que vous en pensez en commentaire. For the readers , the english version is also avaible !
Les dessin sont fait avec mon amie Cisoul ! n'hésitez pas a la soutenir en commentiare
By à la prochaine fois ! 💕