Point de vue Héloïse
Perdue. Je suis complètement perdue. Je ne sais plus qui je suis. Tandis que je me regarde dans le miroir je vois toujours la Héloïse qui a peur au moindre bruit, qui préfère se taire que dire quelque chose de travers. Je reste la plupart du temps dans ma chambre qui se trouve en face de celle de Nathan et à côté de celle de Samuel. Le seul truc que je vois changer en moi c'est le fait que j'ai repris des formes. J'ai l'air moins malade. Et malgré les cicatrices sur mon corps, je n'en ai plus de nouvelles. Je n'arrive toujours pas à croire que cela fait deux mois que je suis chez Nathan. Tout semble irréel. Comme dans un rêve. Par moment, j'ai même l'impression d'être morte, que je suis au Paradis. Cependant, la nuit, je sais que ne rêve pas, mes cauchemars témoignent que je vis encore. Je n'arrive pas à me détacher de lui. Je pensais qu'une fois loin, je pourrais être moi-même mais la vérité c'est que je ne sais pas qui je suis. Je n'arrive plus à faire de choix, je ne sais même pas quelle est ma couleur préférée… Il adorait le vert sapin mais est-ce que j'aime aussi cette couleur ? Je finis par secouer la tête en chassant toutes les pensées de mon esprit. J'enfile mon jogging et mon sweat avant de sortir de la pièce dans un nuage de buée.
Dans le couloir, une douce odeur de café m'enivre. A pas de loup, je descends les escaliers. J'arrive alors sur l'immense salon lumineux où trône le piano en son centre. De là, je peux voir Samuel et Nathan, dans la cuisine ouverte en train de discuter, une tasse chacun dans les mains. Je me mords les lèvres et joue avec les manches de mon sweat en m'avançant vers eux.
C'est Nathan qui me repère en premier. Il s'arrête en plein milieu de sa phrase en plantant son regard azur dans le mien. Je détourne les yeux tandis que Samuel tourne au même moment sa tête vers moi.
— Bonjour Joli Cœur, du café bien noir, m’accueil Nathan.
— Tu devrais arrêter le café et dormir P’tite Tête, t’as des cernes à en faire fuir plus d’un.
Un léger sourire arrive sur mes lèvres tandis que je relève la tête vers eux.
— C'est ma drogue, réponds-je à Samuel.
Il sourit, amusé tandis que je m'installe sur le plan de travail, en tailleurs. Nathan me sert une tasse de café que je prends en le remerciant d'un léger sourire. Ses iris bleus me font rater un battement de cœur.
Je bégaye un léger merci et sers ma tasse entre mes mains en baissant le regard vers celle-ci.
— Tu vas faire quoi aujourd'hui ? me questionne Samuel.
Je hausse les épaules en humant la douce odeur amère de mon breuvage avant d'en boire une gorgée.
— Et vous ? lui retourné-je la question.
— Nath va tourner une vidéo d'ouverture de colis avec des objets complètement aléatoires et avec Hugo on va monter la vidéo qui doit sortir ce week-end.
Je hoche la tête en relevant le regard vers eux. Tous les deux m'observent.
— Viens avec nous au studio, propose Nathan.
Je décline son offre en secouant doucement la tête avant de la baisser de nouveau vers mon café. Je ne veux pas affronter le regard des autres. Je ne me sens pas prête. Je ne veux pas être celle qui n'a pas pu s'en sortir seule. Je ne veux pas qu'on me regarde avec pitié. Je suis bien ici, entre ces murs avec Pouffy.
— Hélo… commence Samuel, tu ne pourras rester indéfiniment enfermée entre ces murs.
Je hoche la tête. J'en suis consciente. Mais pour le moment… je ne me sens pas prête à affronter les autres. Je n'arrive pas à affronter mon propre reflet dans un putain de miroir. Déjà, vous, c'est compliqué… je suis sur le point de fondre en larmes à chaque fois que je croise le regard de l'un d'entre vous… Je me sens tellement sale…
Un soupir retentit, mais je ne sais pas s'il s'agit de Samuel ou de Nathan.
— Joli Cœur ?
Je relève la tête vers Nathan, les yeux embués de larmes.
— Tu peux faire quelque chose pour nous aujourd'hui ?
— Quoi ? demandé-je la voix tremblante.
— Choisir ce que tu veux manger ce soir.
Je déglutis en fixant ses yeux.
— Et ne fais pas comme d'habitude, ajoute Samuel.
Je détourne les yeux du regard azur de Nathan afin d'arrimer les iris sombres de Samuel aux miens.
— En nous envoyant un message quelques minutes avant qu'on rentre en nous disant, je cite, prenez le premier truc que vous voyez sur la route.
— Je suis d'accord avec Sam. Cette fois, tu choisis vraiment. Tout ce qui te fera plaisir, on prendra.
Les gars se jettent un coup d'œil complice. Super. Pour toute réponse, je hoche la tête avant de boire une gorgée de mon café.
— Hâte de voir ce que tu vas proposer, me taquine Samuel.
— Surtout que tu as un large choix, ajoute Nathan.
Qu'ils aillent travailler. Je leur lance un regard et ils éclatent de rire tous les deux ce qui me déclenche un léger sourire.
— Oui ! On a gagné un sourire, t'as vu ça Sam.
— Pince-moi, je crois halluciner.
Nathan le pince à l'épaule ce qui le fait crier et moi, sursauter.
— C'est toi qui a demandé, se justifie Nathan mort de rire.
— Pas aussi fort ! rétorque Samuel en se massant l'endroit où il l'avait pincé.
— Fallait préciser.
Pour toute réponse, Samuel lui fait un doigt d'honneur, mais il ne peut camoufler le sourire qu'il a sur les lèvres.
Je me surprends à l'observer. Il avait tant changé en deux mois. Il était plus ouvert, moins renfermé. Théo l'avait aussi mis plus bas que terre et il devenait, petit à petit, un autre homme. Il était si différent du Samuel que j'avais connu. Je sais qu’il lui restait du chemin à faire, qu'il avait encore ses démons… mais la transformation est flagrante. Lorsqu'il tourne la tête vers moi, je ne peux détacher mon regard de ses iris noirs. Je repense alors à son tatouage gravé dans sa peau bronzée. Et mes pensées dérivent vers ceux de Nathan.
Je tourne d'ailleurs mon regard vers lui, qui m'observe aussi. Ses lèvres bougent mais je n'entends pas ce qu'il me dit. Une douce chaleur se répand dans le bas de mon ventre en repensant à ce moment dans mon ancienne salle de bain.
Mes joues chauffent et je baisse la tête, honteuse de repenser à un tel moment. Il faut qu’ils aillent travailler. Qu'ils partent loin de moi, ne serait-ce que pendant quelques heures.
Soudain, je sursaute en sentant une main sur mon épaule. Lorsque je relève mon regard, je vois Nathan.
— Je ne sais pas à quoi tu penses Joli Cœur mais ne te prends pas la tête pour ce soir. D'accord ? Ça va aller, me sourit-il.
— Bon allez on va te laisser P'tite Tête, ajoute Samuel.
Je hoche la tête et après un dernier regard vers eux, ils s'en vont afin d'aller travailler. Je sais qu'ils ne me jugent pas. Qu'ils font ça en toute bienveillance mais j'ai si peur de mal faire.
Je descends du plan de travail et me sers une nouvelle tasse de café avant de me diriger vers ma chambre.
Lorsque j'entre dans celle-ci, je vois Pouffy allongé sur mon lit. Je souris doucement et pose la tasse de café sur mon bureau qui donne vue sur le jardin. Je m'assois sur la chaise et allume l'ordinateur. Je décide de faire un tableur avec toutes les options qui s'offrent à moi pour ce soir.
Je passe la journée à réfléchir à l'option qui nous conviendrait à tous les trois. Je sais qu'ils voulaient faire en fonction de mes goûts, de ce que j'aimais. Mais je ne sais même pas si j'aime réellement telle ou telle chose.
C'est un peu comme Peeta, quand il est torturé par le Capitole, et qu'il n'arrête pas de demander à Katniss si tel ou tel truc est réel. C'est la même sensation que je ressens. Après avoir longtemps été pris pour un objet, j'ai du mal à reconditionner mon cerveau.
Finalement, vers dix-huit heures je me décide. Je prends mon téléphone, vais sur la conversation “Les colocs”. Je laisse mes doigts suspendus quelques instants sur le clavier avant de finalement écrire, le cœur battant à toute vitesse.
Moi- “Chinois”
Moi- “Pour ce soir.”
Je retourne mon téléphone face contre mon bureau, le bruit fait sursauter Pouffy et je m'excuse auprès de lui lorsque mon engin de malheur se met à vibrer. Je me mords les lèvres en le reprenant, les mains moites, j'ouvre de nouveau la conversation.
Nath- “Parfait ! On termine un truc et on passe chercher à emporter”
Sam- “Niquel, plus que le film à choisir”
Sam- “Je rigole”
Nath- “Ou pas”
Ils font vraiment la paire tous les deux. Je secoue doucement la tête et referme mon ordinateur avant de descendre dans le salon avec un livre. Un des nombreux livres que les gars me rapportent de temps à autre. Nathan m'avait racheté celui que Théo avait déchiré. Rien qu'en repensant à ce moment, un frisson d'effroi me parcourt. Il faut que je le chasse définitivement de mes pensées. Je mets alors du violoncelle en fond sonore et démarre ma lecture.
Une heure et demie passe avant qu'ils ne rentrent. La porte d'entrée me fait sursauter alors qu'une douce odeur de nourriture arrive à mes narines.
— Tu as choisis un film P'tite Tête ?
Je me mords les lèvres en me retournant sur le canapé afin de leur faire face. Ils ont deux sacs de nourriture chacun.
— Tu n'as pas précisé ce que tu voulais. On a pris un peu de tout, se justifie Nathan.
— On s'est dit qu'il fallait fêter déjà cette victoire ! ajoute Samuel avec un clin d'œil.
Je hoche légèrement la tête et ils viennent tout installer sur la table basse. Je ferme mon livre avant de le poser sur le canapé tandis qu'on se met tous les trois par terre. Je me retrouve entre eux, en tailleurs tandis qu'ils ont leurs jambes allongées devant eux.
— Ta jambe Hélo… me glisse Nathan à l'oreille.
Je me mords les lèvres en arrêtant de secouer ma jambe. Je ne m'en étais pas rendue compte… Concernant le film, ils mettent La Belle et la Bête avec Emma Watson. Je les remercie intérieurement puis nous mangeons en silence. Enfin, si on omet les commentaires des deux gars... Je sais qu'ils font ça uniquement pour essayer de me faire rire, mais ils se font plus rire l'un et l'autre qu'autre chose.
Oui, ça me fait toujours autant bizarre d'habiter avec eux. Et je suis aussi perdue qu'au premier jour. Je ne suis pas toujours la plus loquace mais je les remercie chaque jour pour leur patience et leur bienveillance. Je ne sais pas où tout ça va mener et si un jour je serais de nouveau réparée mais en attendant, je les remercie du fond de mon cœur pour tout ce qu'ils font pour moi.