Point de vue Nathan
La semaine s'écoule lentement. Avec Samuel, nous essayons de plus en plus de laisser le choix à Héloïse. Et, ça me fout en rogne contre son connard d’ex de la voir comme ça. Je lui laisse tout l’espace et tout le temps dont elle a besoin… mais je sais qu’elle ne dort pas la nuit, ou très mal. Que chaque décision aussi minime qu’elle soit sera pour faire plaisir à Sam ou à moi.
Et cette nuit, alors que j'ai laissé ma porte entrouverte afin de laisser Pouffy faire sa vie, j'entends Héloïse étouffer ses pleurs. Elle échappe quelques gémissements qu'elle n'arrive pas à contenir. Je ferme les yeux en prenant une profonde inspiration. J'aurai dû le tuer. J'aurai dû aller la chercher plus tôt… J'ouvre mes paupières quelques secondes plus tard et me lève sans un bruit.
Dans le couloir, je vois la porte de Samuel s'ouvrir aussi. Alors que j'allais toquer à celle de Héloïse, il s'appuie contre le chambranle de sa porte en croisant les bras.
— Nath… non, essaie-t-il de me dissuader.
— Comment tu fais ? Comment tu fais pour entendre encore ses pleurs ? lui chuchoté-je les larmes aux yeux.
Il hausse les épaules.
— Parce que je sais ce qu'elle ressent tandis que tu essaies de comprendre. Mais tu ne pourras jamais Nathan.
Il soupire en se redressant. Je sais que je ne pourrais jamais. Mais je peux au moins lui montrer que je suis là pour elle. Soudain, j'ai une idée.
— Nath ? A quoi tu penses ?
— A rien, haussé-je les épaules.
Il fronce un instant les sourcils avant de secouer la tête avec un sourire.
— Ne fais pas de conneries, me prévient-il avant de retourner dans sa chambre.
Je fais de même, cependant je prends ma guitare avant d'aller m'asseoir dans le couloir, contre le mur à côté de la porte de Héloïse. Là, je commence à gratter les cordes avant d'entamer la chanson When I look at you de Miley Cyrus.
Pendant que je joue, j’essaie de garder une oreille de l’autre côté du mur. Depuis qu’ils sont là, Samuel a pu s’ouvrir plus que Héloïse. Il a su regagner confiance en lui, mais pour Héloïse c’est une toute autre histoire. Je ne sais pas si elle arrivera un jour à surmonter tout ça. Se sentir impuissant face à sa détresse me détruit petit à petit même si j’essaie de ne rien montrer. J’aimerai tellement pouvoir la prendre dans mes bras, j’aimerai qu’elle s’endorme paisiblement sans faire de cauchemars.
Soudain, j’entends la clé tourner dans sa serrure et la porte s’ouvrir lentement. Je lève la tête en arrêtant de chanter, nos yeux se croisent dans l’obscurité du couloir.
— Bonsoir Joli Coeur…
— Qu’est-ce que tu fais ? demande-t-elle d’une voix brisée.
Je hausse les épaules.
— Il faut que tu dormes. Ça fait deux mois que tu ne dors pas ou très mal. Tu crois que je ne t’entends pas pleurer ? Que tes cauchemars ne me réveillent pas ? Tu te trompes Héloïse.
Elle baisse la tête, ses longs cheveux formant un rideau. Les bras croisés, elle secoue doucement la tête.
— Tu ne sais rien Nathan, chuchote-t-elle.
— Je sais, et je ne demande pas de savoir. Je veux juste que, pour une nuit, rien qu’une nuit, tu arrives à dormir.
Elle danse d’un pied sur l’autre. J’attends qu’elle parle, patiemment. Je ne veux pas la presser. Dans le silence de la nuit, seul le son des accords que je joue, emplit l’espace. J’ai tellement envie de la prendre dans mes bras, lui dire que tout irait bien, mais je ne le peux pas. Elle finit par se racler la gorge.
— Dors avec moi… S’il te plait… bégaye-t-elle. Les seules fois où… j’ai bien dormi… Tu étais là…
Je rate un accord avant d’arrêter de jouer. Je déglutis avant de lui demander :
— Tu es vraiment certaine ? C’est ce que tu veux ?
Elle hoche doucement la tête, mais ça ne me suffit pas.
— Il faut que tu me parles Joli Coeur.
— Oui, c’est ce que je veux… Dormir avec toi.
Je me relève alors, le cœur battant la chamade et, tandis qu’elle retourne dans chambre, je vais déposer ma guitare dans la mienne. Puis, même si sa porte est entrouverte, je prends soin de toquer. Une fois son approbation obtenue, je rentre dans celle-ci. Une douce lumière tamisée émane de sa lampe lune. Elle est assise contre la tête de lit, ses genoux ramenés vers elle.
— Porte ouverte ou fermée ?
— Ouverte… s’il te plait.
Je laisse donc la porte telle quelle avant de la rejoindre. Elle ouvre sa couverture dans un geste en se décalant au bord de celui-ci.
— Est-... est-ce que tu peux dormir contre le mur… s’il te plait ?
— Tout ce que tu voudras.
Je l’enjambe avant de m’allonger côté mur, sur le dos. Je lève mon bras et elle vient se glisser ventre moi en posant sa tête sur mon épaule. Elle pose une main tremblante sur mon ventre et je lui dépose un doux baiser dans ses cheveux.
Heureusement que j’ai pris l’habitude de toujours mettre un tee-shirt depuis qu’elle habite ici. Je veux qu’elle se sente en sécurité, qu’elle se sente chez elle et qu’elle prenne enfin ses aises. Si j’avais un seul souhait à faire, ce serait celui-ci. Qu’elle surmonte ses démons et qu’elle soit enfin heureuse.
Le silence de la nuit nous enveloppe tandis que nos cœurs battent à l’unisson. Mon bras est étendu à ses côtés, si jamais je le referme sur ses épaules, je ne garantis pas sa réaction. En revanche, je ne peux enlever de mes pensées, sa main posée sur mon ventre, se soulevant au rythme de ma respiration.
L’odeur de ses cheveux n’a pas changé. Ils sentent toujours la pêche et c’est devenue mon odeur préférée au monde. Je ferme les yeux un instant, luttant contre l’envie de l’embrasser. Réfrénant mon envie de caresser sa douce peau. Je ne veux pas qu’elle se rende compte de l’effet qu’elle a sur moi, même si elle s’en doute. Je ne veux pas qu’elle s’occupe de ça maintenant. Je veux qu’elle prenne surtout du temps pour elle.
Alors que je pensais qu’elle s’était endormie, sa douce voix s’élève dans un chuchotement :
— Nathan ?
— Oui Joli Coeur ?
— Et s’il revenait me chercher ?
Elle lève sa tête vers moi et nos yeux se croisent. Les siens sont humides, bouffis et entourés de cernes. Mon regard descend malgré moi vers ses lèvres un instant avant de rencontrer de nouveau ses yeux.
— Rien ne pourra t’arriver ici Héloïse. Tant que je serai là, avec Samuel, rien ne t’arrivera. Dors sur tes deux oreilles Joli Coeur. Il faut que tu arrives à te le sortir de la tête, que tu arrêtes de voir la vie que lui t’imposait. Tu es ici chez toi et libre de faire ce que tu veux.
Je lui replace doucement une mèche de cheveux derrière son oreille, elle se redresse légèrement. Je peux voir au mouvement de ses yeux qu’elle réfléchit à vive allure. Elle hésite un instant avant de me déposer un furtif baiser sur la joue. Puis, elle se remet dans sa position initiale. Surpris, je me sens rougir, mon cœur accélère et je me sens comme un collégien. Je rabat la couette sur ses épaules tandis qu’elle niche sa tête dans mon tee-shirt.
— Je veille sur tes rêves Joli Coeur, dors…
Elle hoche doucement la tête, je lui fais un doux baiser dans ses cheveux avant de poser ma joue sur le haut de sa tête. Quelques secondes après, son souffle régulier m’informe qu’elle doit certainement dormir.
Néanmoins, j’essaie de rester éveillé le plus longtemps possible afin de m’assurer qu’elle ne fasse aucun cauchemars. La fatigue finit par me faire sombrer au bout d’un long moment.
Le lendemain matin, lorsque je me réveille, nous sommes dans la même position, nous n'avons pas bougé. Je la contemple un instant, en m’imaginant ce que pourrait être notre vie si jamais elle avait été célibataire lorsqu’on s’était rencontré. Ce que pourrait être notre vie s’il ne l’avait pas autant détruite…
Avant que des larmes ne coulent le long de mes joues, je décide de me lever le plus silencieusement possible afin de ne surtout pas la réveiller. A pas de loups, je sors de sa chambre et descends les escaliers. La silhouette de Samuel apparaît alors dans mon champ de vision. Il lève la tête en m’entendant arriver.
— Tu viendrais me border aussi si je te le demandais ?
Je rigole légèrement en secouant la tête.
— Quand tu veux mon chou.
Il explose de rire en m’insultant de con puis je me sers une tasse de café.
— Non, hormis la blague, elle a dormi ?
— Oui, elle dormait encore quand je suis descendue.
Il hoche la tête avant de la baisser vers sa tasse de café.
— Sam-Sam ? Tout va bien ? le questionné-je.
Il met un certain avant de relever la tête vers moi, un sourire triste sur le visage.
— Oui Nath-Nath. Ne t’en fais pas. Merci pour tout ce que tu fais pour nous.
— C’est normal, lui sourié-je.
Il tourne la tête vers le grand escalier avant de me regarder de nouveau.
— Quand est-ce que tu vas récupérer la montre de Hélo ?
— Vendredi prochain normalement. Elle était bien abîmée…
— Si seulement il n’y avait qu’elle…
Je hoche la tête sans rien répondre. Nous prenons notre café dans le silence avant que la seule fille de la maison ne pointe le bout de son nez.
Un chignon défait sur le haut de la tête, un tee-shirt noir manche longue rentré dans un short et des chaussettes lui arrivant aux genoux, je peux dire que je ne me lasserai jamais de cette vue.
Je me force à détacher mon regard de sa personne afin de lui servir une grande tasse de café bien noir. Elle s'installe sur un tabouret du bar en me remerciant puis nous ne parlons pas jusqu'à ce qu'elle boive sa deuxième ou troisième gorgée.
— Bonjour… finit-elle par nous saluer.
— Bien dormi P'tite Tête ?
Je la vois légèrement rougir en baissant les yeux vers sa tasse.
— Oui… et vous ?
Samuel hoche la tête avant de se lever. Je ne réponds pas à la question. Si jamais je venais à le faire, je ne pourrais m'empêcher de lui dire que je voudrais passer toutes mes nuits à ses côtés.
Mes yeux s'arriment à ceux de Héloïse. D'un vert qu'on ne trouve nul par ailleurs que dans ses iris. J'aimerai tellement aller vers elle, la prendre dans mes bras. Héloïse baisse la tête mais j’ai bien noté la jolie teinte de rouge sur ses joues.
— Je vais aller un peu dans le bureau. Si vous avez besoin, vous savez où me trouver, annoncé-je en me levant.
— Ça marche ma biche, me répond Samuel.
Quant à Hélo, elle reste silencieuse. Il faut que je trouve un moyen pour qu’elle se libère de son passé.
Alors que je passe à ses côtés, la flagrance de pêche me monte aux sinus et je me dépêche d'aller au fond du couloir au rez-de-chaussée afin de m'enfermer dans mon bureau.
Là, je lâche un soupir en m'asseyant sur ma chaise et passe une main dans ma nuque. Il faut que j'arrive à lui laisser tout l'espace dont elle a besoin. Depuis qu'elle est là, j'essaie de résister à la tentation de la rejoindre dans sa chambre lorsqu'elle fait un cauchemar, ou de la prendre dans mes bras lorsqu’elle se croit seule et qu'elle pleure. Je veux vraiment qu'elle prenne du temps pour elle, pour savoir ce qu'elle veut réellement. En attendant, je lui montre que je suis là, disponible à n'importe quel moment, prêt à tout lâcher pour elle, si elle en a besoin.
Alors que j'allume mon ordinateur, mon téléphone sonne. Chloé. Je fronce les sourcils. Elle n'appelle jamais un samedi matin. Je décroche et sa voix se fait retentir de l'autre côté du fil :
— Tu pars aux États-Unis, m'annonce-t-elle d'une voix enjouée.
— Attends, comment ça je pars aux États-Unis ? froncé-je les sourcils.
— Regarde tes mails. Je viens de tout te transférer.
Mon pouls accélère. C'est quoi encore ce bordel ? Je ne peux pas partir et laisser Hélo ici ? J'ouvre mes mails, la main tremblante et ouvre le dernier mail reçu.
Suite à une collaboration, il y avait un meeting organisé avec plusieurs influenceurs sur toute une semaine.
— Tu pars samedi prochain. Tu ne peux pas louper cette…
— Et Héloïse ? lui coupé-je la parole.
Un soupir d'agacement retentit de son côté.
— Elle est majeure je crois non ? Et puis Samuel reste ici. Il pourra veiller sur ta précieuse.
— Attention à ce que tu dis Chloé. Ça peut très mal finir pour toi, haussé-je la voix.
Un silence s'installe entre nous pendant quelques instants. Silence qu'elle finit par rompre :
— Je veux ta réponse pour lundi au plus tôt. Ça fait des mois que j'essaie de t'avoir une place pour ce meeting. Tu vas rencontrer d'énormes influenceurs du monde sans oublier le partenaire commercial. Imagine les fonds que ça peut te débloquer pour tes vidéos. Réfléchis bien. Lundi, neuf heures.
Elle raccroche. Je pose mon téléphone sur le bureau. J'avais complètement cet événement… Chloé s'était battue pour m’avoir la place, c’est une chance unique. Je ne peux pas dire non… Mais ça veut aussi dire ne pas être ici pendant une semaine. Dans un soupir, j’envoie un message à Sam-Sam. Quelques secondes après, il faut son apparition dans mon bureau.
— Qu’est-ce qu'il se passe ? demande-t-il dès la porte fermée.
— J'avais oublié que Chloé essayait de se battre pour m'avoir une place dans un meeting avec une marque… Ça dure une semaine et c'est aux États-Unis. Je dois partir samedi prochain.
— Qui t’accompagne ?
— Ce serait Hugo et Mathieu.
Il hoche la tête en s'appuyant contre le mur.
— Vas y. Ne t'occupe pas de nous.
— Et Hélo ?
Il hausse les épaules.
— Elle ne va pas s'envoler. Arrête de trop la couvrir. Je sais que tu veux bien faire Nath et que tu fais tout ce que tu peux pour la laisser souffler. Mais ce n'est pas en lui jouant la sérénade qu'elle ira mieux.
Un sourire se dessine sur ses lèvres à la fin de sa phrase et je l'imite. Il a raison mais je ne peux m'en empêcher.
— Je te laisse lui dire, m'annonce-t-il avant de sortir du bureau.
Je soupire avant de répondre à Chloé par l’affirmative puis me lève. D'un pas décidé, le cœur battant la chamade et les mains moites, je vais toquer à sa porte.
Le cliquetis habituel de sa clé se fait retentir et elle apparaît dans l'encadrement de sa porte. Malgré la pâleur de sa peau, elle a repris des formes. Elle est plus belle que jamais.
— Je vais partir une semaine, lâché-je après un raclement de gorge.
Je ne sais pas ce que j'attends comme réaction de sa part. Cependant, tandis que je lui explique la situation, elle ne dit rien. Elle me regarde de ses iris verts en se pinçant la lèvre. J'ai tellement envie de l'embrasser. Être près d'elle est comme une douce torture. Ou une longue agonie.
— Au moindre problème, tu as Samuel et tu pourras toujours me contacter, finis-je mon monologue.
Elle hoche la tête, je vois un léger froncement de sourcils. Si léger que je crois rêver. Néanmoins, je préfère m'assurer que tout va bien de son côté :
— Qu'est-ce qu'il se passe dans ta tête Joli Coeur ?
Je me force à ne pas lever la main afin de caresser sa joue si douce. Héloïse est comme un chaton. Qui peut être facilement effrayée et tout geste ou parole de travers, elle fait demi-tour.
Elle se balance d'un pied à l'autre et fuit mon regard. Parle Héloïse, je t'en supplie, parle moi. C'est tout ce que je demande.
— Juste… fais attention à toi.
Je fronce les sourcils. Non ce n'était pas ça que tu voulais me dire. Je le sais. Je te connais.
— C'est tout ? essayé-je de pousser plus loin.
Elle relève la tête vers moi. Mon cœur rate un battement en croisant son regard. Elle fronce légèrement les sourcils en se pinçant ses lèvres.
— Hum… est-ce… est-ce que je… enfin… pourrais dormir avec un truc à toi… s'il te plait ?
Je ne peux contenir mon sourire.
— Évidemment que tu peux. Et, si jamais tu veux dormir dans mon lit, il est tout à toi.
Tout comme je t'appartiens. Mais ça, je me garde de lui dire.