Point de vue Samuel
Cela fait quelques jours que je repousse ce moment, mais il le faut. Pour Héloïse. Je dois mettre mes démons de côté pour elle. Elle a accepté de retrouver ses frères et sœurs, alors elle les retrouvera. Je fais les cent pas dans ma chambre, mon téléphone en main. Je ne sais pas comment revenir vers Fabien, sachant qu’il doit toujours être le petit chien de Théo. Rien que de penser à ça, ça me fout la haine. J’aurai tellement aimé qu’il vienne avec nous.
Néanmoins, je finis par m’asseoir en soupirant sur le bord de mon lit. Ma jambe tressaute légèrement lorsque j’appuie sur son contact. Je ne peux empêcher mon coeur d’accélèrer, je sens une goutte de sueur rouler le long de mon visage.
— Pourquoi tu m’appelles Sam ? retentit la voix de Fabien.
J’ai un léger sursaut. Je ne m’attendais pas à ce qu’il réponde.
— J’ai besoin de toi.
— Non, si Théo apprend que je t’aide, je suis mort.
— C’est pour Hélo…
Il soupire. Quant à moi je me suis relevé pour refaire les cent pas dans ma chambre.
— Non Sam… C’est pire. Théo est dans un état pitoyable depuis qu’elle s’est barrée.
— Je m’en fous de Théo Fab’. Il me faut les papiers d’adoption des frères et sœurs de Hélo. Faut qu’elle renoue avec eux.
— Je ne sais pas Sam, les choses sont compliquées. Héloïse a vraiment fait du mal à Théo en partant…
Je bouillonne. Je sens la rage monter en moi. Je fais tout pour contrôler le son de ma voix afin que ni Nathan, ni Héloïse ne se doute de quelque chose.
— Et tu crois que lui ne lui en a jamais fait peut-être ? Toutes les fois où on allait chez eux qu’elle avait un oeil au beurre noir ou autre ? Tu crois que Théo est un ange c’est ça ?
Un silence s’installe entre nous. Il ne répond pas. Il sait que j’ai raison mais est encore trop aveuglé par l’autre connard.
— T’as jusqu’à samedi. Samedi je me pointe et t’as intérêt d’avoir les papiers, finis-je par lui ordonner.
Et je raccroche sans lui laisser le temps de rétorquer. Je balance mon téléphone sur mon lit. Il faut que je sorte, j’ai les nerfs. J’ai besoin de prendre l’air. J’ouvre ma porte qui claque contre le mur et je descends les escaliers quatre à quatre. Nathan est en bas, en train de jouer du piano. Il s’arrête en m’entendant afin de se tourner vers moi.
— Je pensais que c’était Héloïse.
Je secoue doucement la tête. Il fronce les sourcils tandis que je m’avance vers l’entrée.
— Sam, qu’est-ce qu’il se passe ?
Je ne réponds pas. Il m’énerve aussi. Tout m’énerve, j’ai besoin d’un verre ou deux, ou d'une bouteille.
— Samuel, son ton se fait plus ferme, il se passe quoi ?
Je grogne avant de lui faire face, poings serrés.
— Je viens d’avoir Fabien, il est toujours le toutou de Théo. Je lui demande de me prendre les papiers d’adoption des frères et sœurs de Hélo et il ose me parler de l’état dans lequel se trouve l’autre salope. Alors que je m’en bats les couilles !
— Rassure moi, tu ne vas pas y aller ?
— Pourquoi ? Qu’est-ce que ça peut te foutre ?
Il recule d’un pas.
— Parce que si ce coup de fil te met dans cet état, je n’ose même pas imaginer l’état dans lequel tu seras.
Je hausse les épaules. Bien sûr que si je vais y aller, mais pas ce soir.
— OK. Je vais juste aller boire un verre, relaxe.
— Appelle-moi si besoin.
Je hoche la tête avant de partir en claquant la porte. Qu’ils aillent tous au diable. Le bruit de la ville m'assourdit. Entre les klaxons, les sirènes de pompier ou d’ambulance, je n’en peux plus et je m’allume une cigarette. J’entre dans le bar de Franck, le salue rapidement avant de commander une bouteille de whisky. Il me faut au moins ça. Je passe la soirée ici, à jouer au billard avec des inconnus dans la chaleur du bar où les odeurs de sueur et d’alcool se mélangent. Au fur et à mesure que la bouteille se vide, je me sens un peu plus léger. Au bout d’un moment, je retourne dehors afin de m’allumer une clope. Là, une meuf arrive vêtue d’une robe moulante vers moi. Elle me prend la cigarette avant de la porter à ses lèvres.
— Qui t’a autorisé à la prendre ? lui demandé-je.
— Reviens la récupérer si ça te dérange tant que ça, sourit-elle du coin des lèvres.
Je ne me fais pas prier et je plaque la meuf contre le mur, un hoquet de surprise sort de ses lèvres entrouvertes. Je fais glisser une main le long de son bras et je la sens frissonner sous mon contact jusqu’à sa main où je récupère ma cigarette. Le temps que je tire une taffe, elle m’embrasse dans le cou et je sens une chaleur familière monter en moi. Puis elle remonte le long de mon cou avant de m’embrasser à pleine bouche. Je lui rends son baiser, sauvage, mais j’ai besoin de plus, je ne vais pas m’arrêter là. Je lâche la cigarette avant de glisser une main vers sa cuisse. Mais elle stoppe son chemin afin de me la prendre. Elle m’entraîne à l’intérieur du bar en me traînant derrière elle. On slalom à travers la foule avant d’aller nous enfermer dans les wc. Là, on s’embrasse de nouveau sauvagement. Elle m’enlève mon pantalon avant de se mettre à genoux. Je la laisse faire quelques instants avant de la faire se relever où je la soulève contre le lavabo. Avec la bouteille que j’ai bue, c’est exactement ce qu’il me fallait. Un coup d’un soir bien hard.
Lorsque je rentre à la maison, je me sens plus léger, comme si tous les soucis s’étaient envolés. Le froid de la nuit me fait du bien. Plus la nuit avance, moins il y a de monde dans les rues. Surtout que nous sommes que lundi soir. Après avoir parcouru les quelques mètres restant, je rentre à la maison où le silence est roi. En même temps, vu l’heure, les deux autres oiseaux doivent dormir.
Je monte dans ma chambre où je retrouve mon téléphone, j’ai un message de Fabien.
Fab’ - “Je marche.”
Je soupire en me laissant tomber sur mon lit. J'irai dans la nuit de vendredi à samedi. Sans rien dire à Nathan. Je sais qu'il est contre l'idée que j'y aille mais il le faut. Il faut que je vois Fabien voir l'étendu des dégâts de Théo sur lui. En plus de récupérer les papiers pour Héloïse, il faut que j'essaie de résonner Fabien. Je finis par m'écrouler sur mon lit comme une masse.
Le reste de la semaine passe super lentement. Je redoute le moment crucial où je reverrai Fabien. J'espère juste qu'il ne me fera pas de plan foireux. Je reste assez distant avec Nathan, même au travail. Il doit se douter de quelque chose mais ne dit rien. Quant à Héloïse, je l'évite le plus possible aussi. Si elle venait à me cuisiner, je ne suis pas certain de tenir longtemps.
Quand arrive le vendredi, je me sens plus agité. J'ai du mal à me concentrer durant toute la journée au travail. Je n'ai qu'une hâte, prendre la voiture pour partir. Mais je ne pourrais partir que cette nuit, quand Nathan et Héloïse se seront endormies. Sinon Nathan va vouloir venir avec moi et il est hors de question. Comme dirait Hélo, ce sont mes problèmes, pas les siens.
La journée de travail se termine enfin et après avoir dit au revoir à tout le monde, avec Nathan on se dirige vers la voiture. Je monte côté conducteur puis je démarre.
— T'es bizarre ces derniers temps, me dit soudainement Nathan.
— Ah ouais ?
— Oui, tu étais moins renfermé… et là j'ai l'impression que tu l'es redevenu.
— Tu te fais des idées ma biche. C'est juste que Héloïse commence à réellement sortir de sa coquille.
Uniquement la radio se fait entendre durant les prochaines minutes. Comme s'il essayait d'analyser la situation. Mais c'est l'excuse parfaite.
— Tu n'as pas forcément tort, mais je pense qu'il y a autre chose.
— Arrête de penser, ça ne te va pas, rigolé-je.
Je l'entends rigoler aussi, cependant je garde les yeux rivés sur la route jusqu'à la fin du trajet. Une fois à la maison, je me gare et nous descendons de la voiture.
— Tiens… il n'y a pas la voiture d'Hélo, remarque Nathan.
Je regarde autour de moi et effectivement, sa voiture n'est pas là.
— Elle ne t'a pas envoyé de messages ? le questionné-je.
Il prend son téléphone tandis que j'ouvre la porte de la maison et il secoue la tête. Il pianote sur son téléphone avant de se débarrasser de ses affaires. Il va s'occuper de Pouffy tandis que je vais dans la cuisine pour me servir de l'eau.
— Elle est avec Sasha, elles sont allées boire un coup, résonne la voix de Nathan.
C'est bien, elle se fait des amies… ou en tout cas une amie. Mais quand on voit comment elle a perdu ses dernières amies, ça me fait un pincement au cœur. Elle n'aurait jamais dû vivre tout ça. Si seulement j'étais allé lui parler avec Théo… si seulement elle m'avait écouté à l'époque… je m'en veux toujours terriblement. C'est de ma faute si Théo l'a abordé. C'est de ma faute tout ce qu'il lui a fait subir.
— Je vais bosser encore un peu dans mon bureau, si tu as besoin fais moi signe, m'indique Nathan.
Je fais un hochement de tête sans être sûr qu'il le voit. Puis, je prends une bière avant de monter dans ma chambre où je m'enferme. Je prépare un sac pour deux nuits, on ne sait jamais. Je n'ai pas recontacté Fabien depuis le début de semaine. Je l'appellerai ce soir lorsque je serai en chemin. Je le verrai sans doute demain, je ne sais pas du tout à quelle heure je vais pouvoir partir. Donc, mon heure d'arrivée est incertaine.
Je cache le sac sous le lit avant de m'allonger après avoir terminé ma bière. Je décide de dormir un peu afin de ne pas être trop crevé sur la route. Il est dix-sept heures, je mets un réveil pour vingt-et-une heure. Ça devrait le faire. Je m'endors alors comme une masse.
Je ne rouvre les yeux que lorsque mon réveil se met à résonner dans ma chambre. je l'éteins dans un soupir avant d'aller prendre une douche. Dans le couloir, j'entends des rire provenant du rez-de-chaussée avec de la musique. Mais je ne fais pas attention et vais m'enfermer dans la salle de bain. Lorsque l'eau ruisselle sur mon corps, je sens mes muscles se décontracter. Je ferme les yeux un instant afin de profiter de ce court moment.
Une fois ma douche prise, je m'habille d'un jogging et d'un tee-shirt simple avant de descendre. Héloïse est assise sur le plan de travail riant à gorge déployée devant un Nathan qui fait à manger.
— Tiens voilà la belle au bois dormant, me taquine Héloïse.
Je lui fait un doigt d'honneur tandis que Nathan se retourne vers moi.
— Crêpes ce soir, ça te va ?
— Oui, haussé-je les épaules.
Je n'ai qu'une envie qu'ils aillent se coucher pour enfin partir. Mais ils ont l'air de ne pas avoir envie. En effet, Héloïse me raconte avec enthousiasme son entrevue avec une certaine Sasha. Mais je n'écoute que d'une oreille. Je n'arrive pas à me mélanger aux conversations, pour une fois. D'habitude c'est Héloïse qui n'est pas très loquace. Ça fait bizarre de la voir comme ça. C'est bien mais c'est vrai que ça fait étrange.
On dispose les crêpes sur la table du salon et on s'asseoit par terre comme à notre habitude pour des repas comme ça.
— Je veux m'inscrire à la boxe, annonce soudainement Héloïse.
— Et bien oui, si tu veux ! sourit Nathan, ça ne peut que te faire du bien.
— Je suis d'accord, ajouté-je.
Elle sourit, contente d'elle puis avec Nathan ils parlent de l'inscription et de tout le reste. C'est bien, au moins elle pourra se défendre.
A la fin du film, nous débarrassons puis Héloïse et Nathan me souhaitent bonne nuit avant de monter. Je rejoins l'étage à mon tour. Je récupère mon sac avant de descendre en catimini. Je prends mes clés avant de sortir de la maison sans un bruit. Puis, je monte en voiture avant de démarrer.
C'est parti pour cinq à six heures de route. Sur le chemin, j'appelle Fabien qui répond directement :
— Oui Sam ?
— Je suis là dans quelques heures. On se rejoint où ?
— Je ne sais pas…
Je soupire avant de lui proposer :
— Je viens chez toi ?
— Oui, si tu veux.
Je sers mon volant, je suis en train de bouillir.
— Je t'envoie un message quand j'arrive, lui annoncé-je avant de raccrocher.
Il m'énerve. J’espère vraiment le faire changer d'avis. Faut qu'il reprenne contact avec sa famille… comme il faut que je parle avec ma mère, je le sais. On a des choses à nous dire, et je dois commencer par des excuses. Mais là n'est pas la question pour le moment.
J'arrive dans la ville vers quatre heure et demi. Les rues sont quasiment vides. Ça me fait bizarre de revenir là. Je ne peux m'empêcher de regarder partout autour de moi au cas où je le verrai. Mais à cette heure-là il doit être assommé par l'alcool et la drogue. C'est dans un soupir que je me gare en bas de chez Fabien. Je lui envoies un message pour lui dire que je suis là.
Quelques secondes plus tard, il sort. Il à maigri depuis la dernière fois que je l'ai vu, ses traits sont tirés, il a l'air épuisé. Je sors de la voiture, le froid m'assaille. Il me mord la peau, un frisson me parcourt lorsque je rejoins Fabien. Je m'allume une cigarette avant de le saluer.
— Salut, lui lancé-je nonchalamment.
— Tu n'aurais pas dû revenir Sam.
— Tu sais pourquoi je le fais, planté-je mes yeux dans les siens.
Il hoche la tête et gigote visiblement mal à l'aise.
— Faut que tu partes Fab. Viens, viens avec moi. Je te promets que tu pourras te reconstruire…
— Et laisser Théo tout seul ? Après tout ce qu'il a fait pour nous ? Hors de question.
— Et qu'est-ce qu'il a fait pour nous hein ? Tu peux me dire ? bouilloné-je, à part nous avoir isolé de nos familles, de nous traiter comme des merdes ?
Mon ton dur, froid, sec comme le temps autour de nous. Je ne supporte pas de voir mon ancien pote dans cet état à cause d'un con.
— En fait Théo a raison, tu n'es pas reconnaissant. Il nous a donné un taff, il était là lorsque notre soit disant famille nous a tourné le dos. Et toi, tu te casses comme ça ?
Sa voix tremble, des larmes lui montent aux yeux, il se racle la gorge avant d'ajouter :
— Casse-toi Sam, et ne reviens pas. C'est mieux pour tout le monde.
Je le regarde, abasourdie. Il n'est pas prêt à ouvrir les yeux. Je recule d'un pas en secouant la tête. Je vais tuer Théo. Il faut que cette ordure crève et qu'il fasse plus chier. Fabien n'attend pas de réponse de ma part et rentre de nouveau dans son immeuble. Je retourne chancelant derrière mon volant. Je ne réfléchis plus et démarre en trombe. Je m'arrête à une épicerie ouverte vingt-quatre sur vingt-quatre, récupère une bouteille avant d'aller dans la rue de Théo. Je me gare non loin de chez lui. J'ouvre la bouteille et bois une gorgée.
L'alcool me brûle l'œsophage mais ça fait du bien. Je repense à toutes ses manipulations, à tout ce qu'il nous a fait faire à Fabien et à moi. A tout ce qu'il a fait à Maddie, à Héloïse… Personne ne mérite ça. Non personne. Il mérite de pourrir en enfer. Dans un excès de rage je frappe mon volant et finit par pleurer, comme une merde. C'est de ma faute tout ça. Ma putain de faute. Je l'ai laissé faire. Je l'ai regardé sans rien faire. Finalement je suis peut-être pire que lui. Je ne mérite pas de vivre non plus. Héloïse était si jeune à l'époque, tout ça aurait pu être facilement éviter… mon renvoie de l'école de médecine aussi si je ne m'étais pas dénoncé à la putain de place de Théo. Putain ! Je pousse un cri de rage avant d'appeler Nathan, les mains tremblantes. Il décroche instantanément :
— Sam ? questionne-t-il de sa voix ensommeillée.
— Nath… commencé-je.
Cependant je suis incapable de continuer. Les larmes de rage, de honte coulent sans s'arrêter. Je n'y arrive plus. Je l'entends bouger de l'autre côté du téléphone.
— Respire Sam, où es-tu ?
Je prends une profonde inspiration, tente de me calmer avant de chuchoter :
— Théo…
— OK, ne bouge pas. J'arrive. Ne fait aucune connerie.
Je hoche la tête alors qu'il ne peut pas le voir et il raccroche. Je soupire en m’enfonçant dans mon siège. Je suis pathétique. Je ne suis qu'une merde. Je ne suis pas foutu de lui faire face seul. Je n'aurais pas dû appeler Nathan. Il a assez à faire avec Hélo mais c'était plus fort que moi. Je ne mérite pas son amitié, je ne mérite pas tout ce qu'il fait pour moi. Il m'a accueilli gentiment chez lui et voilà comment je suis reconnaissant, en le refoutant dans la merde. Je suis un cas désespéré. Il devrait plus s'occuper de Héloïse que moi. Je mérite juste de crever dans un fossé, seul. Telle est la personne abjecte que je suis.