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GiadaMyla
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Chapitre 11

Chapitre 11

Il est dix-sept heures quand mon téléphone vibre.

Le message, laconique, clignote sur l'écran : « Viens me voir dans mon bureau. Maintenant. »

C'est Bernier.

Mon cœur se serre. Il n'est même pas censé être là aujourd'hui. Chaque pas dans le couloir de la caserne, vers son antre, résonne comme une marche funèbre. Je sens le piège se refermer.

Quand j’entre, il verrouille la porte derrière moi. Le claquement sourd me glace le sang.

— Fermer à clé ? Vous êtes sérieux ?

La question me sort, la gorge sèche, à peine audible.

Il sourit. Un rictus de prédateur, sans une once d'amusement. Il ne répond pas tout de suite, s'installe lentement derrière son bureau, ses yeux rivés sur moi.

Pour me punir de ma constante rébellion, il me somme de me mettre au garde-à-vous.

Après une micro-seconde où l'instinct me hurle de refuser, je m’exécute.

Non pas par soumission, mais par calcul. Il est mon supérieur, et désobéir risquerait d'aggraver la situation, ou de me priver de l'occasion d'enregistrer.

Puis, d’un geste lent, délibéré, alors que je suis figée en position statique, debout devant lui, il détache sa ceinture et glisse sa main dans son pantalon.

En position de statue, une vision d’horreur apparaît devant mes yeux.

Je reste là, pétrifiée, sidérée.

Le monde se fige.

— Vous êtes complètement cinglé, dis-je, les mâchoires crispées. Vous avez perdu la tête.

Je recule d’un pas, vers la porte, la main tremblante cherchant la clé, toujours dessus. Je la déverrouille.

Mais il se lève d’un bond, plus rapide que la pensée.

— Tu vas te calmer. Tu crois que tu vas où ? Tu crois que tu peux me parler comme ça, sale garce ?

Je tente de faire demi-tour, de m'échapper, mais il est déjà là. Il m’attrape violemment le bras, me plaque contre le mur froid du couloir où j'ai reculé une fois la porte ouverte, une main dans mes cheveux, l’autre glissant vers ma nuque. Je tente de hurler, mais aucun son ne sort de ma gorge serrée. Sa cuisse bloque mes jambes, me cloue sur place.

Il appuie avec force sur ma tête, cherchant à me forcer à me baisser.

Je vois flou. La panique m'aveugle.

Plus de pensées, seulement un feu primal qui me hurle : fuis !

Je le repousse violemment du genou. `

Il chancelle, le souffle coupé.

Mon instinct de survie prend le relais. Je n’ai jamais couru aussi vite.

Il me suit, mais par chance, j’atteins une chambre de repos à l’étage. J’entre, claque la porte, la verrouille avec une force désespérée et m’écroule, le dos accolé à la porte qui me protège de ce pervers.

Je l’entends souffler, lourdement, derrière la porte. Il tente de l’ouvrir, donne un coup, puis un deuxième, plus violent. Il m’insulte, me menace, sa voix déformée par la rage. « Tu ne faisais pas autant la petite Sainte avec Paco. »

Mais voyant que je ne céderai pas, il renonce, ses pas s'éloignant lentement de la chambre.

J’étais prête à y rester enfermée des jours s’il le fallait, si cela pouvait m’éviter que les mains de ce pervers ne se posent à nouveau sur moi.

Je me relève et tombe à genoux contre le lit, le cœur prêt à exploser dans ma poitrine. J’ai failli être violée dans cette caserne, dans ce lieu qui est censé symboliser le secours, la protection, la fraternité.

Je reste là, recroquevillée, le dictaphone toujours dans ma poche. J’espère qu’il a tout enregistré. Sa voix, ses gestes, ses mots.

Je vais le faire tomber.

Il m’a presque détruite ce soir. Mais c’est justement parce qu’il a failli me briser que je ne lâcherai plus rien.

Ce porc va tomber.

***

La cafetière gronde doucement sur le coin du comptoir, diffusant une odeur réconfortante dans la pièce vide. J’ai à peine dormi cette nuit. Mes mains tremblent encore. Mais je suis là. Vivante.

Le vieux Marcel pousse la porte à dix heures précises, comme chaque jeudi.

— Salut ma petite, t’as une sale mine… Tu as fait un feu toute seule cette nuit ou quoi ?

Il rit, mais son rire s’éteint en voyant mon visage.

Ses yeux se plissent, perçant ma façade. Il repose sa veste près de la table et s’assied sans un mot, son café serré entre les doigts. Il sait sentir quand quelque chose cloche.

Je glisse ma main dans la poche de ma veste.

Le dictaphone.

Je l’ai écouté et réécouté toute la nuit, chaque mot, chaque grésillement.

Le moment où Bernier verrouille la porte. Le bruit de sa braguette et de sa ceinture qui se détache. Sa voix pâteuse, pleine de suffisance et de menace.

Je m’assois en face de lui. Mes yeux croisent les siens.

— Marcel… J’ai besoin que vous écoutiez quelque chose. Et que vous me disiez ce que je dois faire. Vraiment.

Je pose l’appareil sur la table, j’appuie sur lecture. Le silence se fait, lourd.

Puis la bande grésille. La voix de Bernier, froide et menaçante : « Tu crois que tu peux me parler comme ça, sale garce ? Tu vas te calmer. T’as deux choix : tu t’écrases, ou tu deviens bien utile à mes protégés et à moi-même. Et peut-être que je validerai ta formation, hein ? »

Marcel ne bouge pas. Il reste figé, la mâchoire crispée. Puis, il ferme les yeux, longuement. Lorsqu’il les rouvre, ils sont rouges de colère, une fureur contenue. — Putain de merde… Ce salaud continue ! Tu veux que je t’aide à faire quoi ? Je rentre chez moi tout de suite et je téléphone à ses supérieurs si tu veux.

Je secoue la tête.

— Pas encore. Je veux faire les choses bien. Avoir d’autres preuves. Et surtout… ne pas me griller trop vite. Je dois protéger mes enfants, Marcel. Il a menacé Nina.

Il serre les poings, sa rage contenue palpable. Puis il tend la main et la pose sur la mienne, un geste réconfortant.

— Sarah… ce que t’as là, c’est énorme. Mais c’est vrai que ce n’est pas assez contre une pourriture comme lui. Il faut que tu montes un dossier béton. As-tu pensé à contacter le commandant ? Je peux t’aider, si tu veux.

Je hoche la tête, à deux doigts de craquer en larmes.

—J’ai peur. Mais je vais le faire. Je ne peux plus reculer maintenant. »

Il sourit faiblement, ce genre de sourire que seuls les vieux pompiers peuvent offrir.

Celui qui dit : « Je t’ai comprise, et tu n’es plus seule. »

« Tu es plus courageuse que tu ne le crois, Sarah. Et plus forte que ce qu’il n’imagine. »

Je me lève, en silence. Le dictaphone toujours dans ma main.

Une autre idée, glaciale, naît en moi : et si je réussissais à coincer ces “protégés” aussi ? Ceux à qui il voulait me livrer ?

***

Ma formation est enfin validée.

La nouvelle me frappe. Je suis presque certaine que mes formateurs ont vu à quel point je me suis donnée à fond et que l’avis de Bernier n’a pas eu trop de poids face à leur propre jugement.

Quand j’ai entendu mon nom suivi de « VALIDÉE », j’ai eu du mal à y croire.

Le soulagement m’a traversée comme une vague chaude et salvatrice. Après tout ce que j’ai enduré, cette reconnaissance sonne comme une victoire personnelle, presque intime.

D'autant plus que j'ai passé cette formation avec une menace constante rôdant à mes côtés, une épreuve que les autres stagiaires n'ont pas vécue. À mes yeux, cette validation est donc une victoire encore plus importante et méritée.

Cécile et Olga n’ont pas attendu une seconde pour organiser une soirée digne de ce nom.

— Tu vas te lâcher, Sarah, ce soir c’est la fête ! avait hurlé Olga en brandissant une bouteille de vin mousseux comme un trophée.

Nous voilà dans un petit bar de la ville, entourées de musique, de rires et de promesses de liberté. Les néons clignotent au-dessus de nos têtes, la playlist est parfaite, l’ambiance électrique. On danse, on rit, on trinque, encore et encore.

—  À la nouvelle héroïne des flammes ! s’exclame Cécile, en me tendant un énième verre.

Je bois trop, trop vite. Je le sens tout de suite : mon corps se relâche. Je suis légère, je suis ailleurs. Je ne me souviens plus vraiment de la dernière fois que j’ai ri comme ça, de tout mon cœur. J’ai envie de rester dans cette bulle de normalité, là, entre elles deux. Juste ça. Juste être une femme parmi d’autres, sans fardeau, sans peur.

Mais la réalité, elle, est tapie dans un coin de ma tête. Elle attend que le silence se fasse pour revenir.

Quand nous sortons du bar, un peu éméchées, la nuit est douce et l’air me gifle légèrement les joues. On s’installe sur un banc, un peu à l’écart. Les talons d’Olga ont été abandonnés à mi-chemin, Cécile rit encore à une blague qu’elle est la seule à comprendre.

Et là, sans trop réfléchir, la bouche pâteuse, la langue moins prudente que d’habitude, je lâche :

— Vous savez… il a failli me violer.

Silence brutal.

Elles se tournent toutes les deux vers moi.

Olga ne sourit plus.

Cécile fronce les sourcils, le masque de la légèreté tombé.

— Quoi ? Qui ? » souffle Cécile, sa voix un murmure horrifié.

— Bernier,  je murmure. Dans son bureau. Il m’a convoquée… il a commencé à… il s’est touché devant moi, puis il m’a rattrapée quand j’ai voulu fuir. Il m’a plaquée violemment au mur. J’ai des hématomes sur tout le corps. J’ai eu tellement peur… Je crois que j’ai jamais couru aussi vite de ma vie.

Cécile serre sa main sur la mienne, de toutes ses forces.

— Pourquoi tu ne nous l’as pas dit plus tôt ?

— Parce que je… j’avais honte. Et peur. Il m’a menacée, il m’a presque brisée. Mais maintenant, j’ai commencé à l’enregistrer avec un mini Dictaphone, caché dans ma poche. J’ai une bande. Je veux continuer. Je veux qu’il tombe.

Olga, muette jusque-là, laisse couler une larme solitaire sur sa joue. Puis elle se penche vers moi et dit, sa voix pleine d'une détermination nouvelle :

— Alors on va t’aider. On va t’entourer. Tu n’es plus seule. Et on va l’avoir.

Cécile acquiesce, grave.

— Il ne faut plus jamais qu’il fasse ça à une autre femme. Tu dois continuer à enregistrer, accumuler. Même s’il ne te touche plus, même ses paroles, ses gestes, ses regards. Tout. Il faut que tu notes tout. Et quand tu seras prête… balance tout.

Je ferme les yeux. Le monde tourne un peu, mais à l’intérieur, tout devient clair. Pour la première fois depuis des mois, je me sens plus forte que lui. Grâce à elles.

***

La nuit m’avale doucement quand je rentre chez moi. Les lumières de la ville défilent, floues, mes pensées tout autant.

Je suis ivre, oui. Pas seulement d’alcool, mais de tout ce que je viens de déposer ce soir, comme une chape de silence enfin brisée.

Quand j’entre dans mon appartement, les murs me paraissent étrangers. Trop calmes. Trop vides. J’enlève mes chaussures en trébuchant, puis je m’effondre sur le canapé, je me couvre d’un plaid, mon téléphone à la main.

Je n’aurais pas dû.

Je le sais déjà. Et pourtant.

Je tape, floue, bancale : « Tu as tout gâché. Je voulais croire que tu étais différent. Que tu n’étais pas comme tout le monde le dit. Mais tu as préféré m’oublier quand j’avais le plus besoin de toi. »

Envoyé à Paco.

Je regarde l’écran s’éteindre, le cœur en vrac. Je n’attends pas de réponse. Je ne veux pas de réponse. J’efface son contact juste après, sans même réfléchir. C’est terminé, ce qu’il n’a jamais vraiment eu le courage d’entamer.

Mais au lieu de poser mon téléphone, j’hésite. Mon pouce glisse, hésite encore. Puis je tape un prénom auquel je n’aurais jamais pensé à cette heure, dans cet état, les restes de la soirée alcoolisée aidant.

Stéphane.

Il n’y a jamais eu un seul message personnel entre nous. Jamais un mot échappé du cadre strict du service, jamais un regard appuyé hors de la formation. Seulement des silences, un respect étrange, une tension que personne n’osait nommer.

Et pourtant, je tape : « Je suis désolée de t’écrire à une heure si tardive. Je sais que tu n’es pas du genre à parler pour ne rien dire. Mais je voulais juste te dire merci. Merci de  me traiter comme une vraie pompier, pas comme une chose. »

Je reste là, le doigt figé au-dessus du bouton « envoyer ». Puis je le fais. Trop tard pour reculer.

Je m’endors sans attendre de réponse, le cœur lourd et trop d’images en tête.

***

Le lendemain matin, c’est la lumière agressive du jour qui me réveille.

Ma gorge est sèche, mon estomac noué, je me fais la promesse de ne plus jamais boire d’alcool ou du moins plus autant. Et mon téléphone vibre.

Un message.

De Stéphane.

« Tu n’as pas à t’excuser. Je te respecte. Tu fais ton travail sérieusement, malgré tout ce qu’on sait. Et je ne suis pas du genre à parler pour rien, mais tu peux m’écrire si tu en as besoin. »

Je reste figée quelques secondes. Le message est court. Droit. Mais il me touche plus que je ne veux l’admettre. Une ligne invisible vient de se tracer entre nous. Fragile, ténue. Une promesse de confiance, peut-être. Ou le tout début d’une amitié cachée, là où je ne l’aurais jamais imaginée.

Et tandis que je me redresse, la tête encore douloureuse, je sais une chose : je ne suis plus seule dans cette guerre, même si je sais qu’elle sera difficile à gagner.

***

Le calme apparent de mes journées cache une tension toujours plus vive, une dualité entre l’ombre et la lumière.

Le feu de la colère et de l’humiliation gronde en moi, mais c’est une autre flamme, plus douce et inattendue, qui commence aussi à éclairer mes pas.

Celle qu’alimente Stéphane, une amitié discrète est en train de naître.

Depuis quelques jours, il trouve toujours un prétexte pour me rejoindre dans la salle de sport de la caserne, ou pour m’aider à manipuler un équipement que je maîtrise pourtant déjà. Il n’a pas changé de visage : fermé, austère, presque inexpressif.

Et pourtant… dans la manière dont il me corrige, dans la retenue mesurée de ses gestes, je ressens autre chose. Une forme de respect. Une présence. Peut-être même une forme de protection.

Un soir, alors que je m’applique à dérouler un tuyau d’incendie pour la cinquième fois, ses mains effleurent les miennes, guidant le geste plus que nécessaire.

Je relève les yeux vers lui. Il ne dit rien, ne bouge pas, mais je capte dans le silence la reconnaissance tacite de mon engagement. Il n’est plus indifférent. Je ne suis plus invisible.

—  Tu apprends vite, souffle-t-il simplement.

Je hoche la tête, incapable de répondre autre chose qu’un sourire presque reconnaissant. Il repart sans un mot, me laissant seule avec ce trouble silencieux qui n’a rien d’une illusion.

***

Le lendemain, Bernier revient dans sa ronde infernale. Il passe près de moi dans les couloirs, trop près. Ses regards sont des brûlures, ses commentaires de plus en plus crus.

Je commence à anticiper ses présences, à éviter certains lieux, certains horaires. Mais je ne peux fuir indéfiniment.

Alors j’allume le dictaphone.

Petit, discret, enfoui dans la doublure intérieure de ma veste. Chaque fois qu’il m’approche, qu’il laisse traîner des mots infâmes sur mes tenues ou mon « devoir de gratitude », j’enregistre.

Chaque humiliation, chaque allusion.

— Tu crois que t’as eu ton grade juste parce que t’es compétente, Sarah ? Tu sais ce que ça m’a coûté de fermer les yeux pour toi ? Faudra bien rendre la monnaie, un jour ou l’autre.

Ma mâchoire se crispe, mais je ne réplique pas. Je baisse les yeux, j’encaisse… pour la dernière fois.

Je vais dans les vestiaires, verrouille la porte et souffle longuement.

J’enlève ma veste, glisse l’enregistreur sur mon oreille, et réécoute.

La voix de Bernier suinte d’arrogance et de mépris. Mais elle est là. Capturée. La preuve est là.

Plus tard, dans la salle commune, Stéphane s’installe en face de moi. Il ne parle pas, comme souvent. Mais cette fois, il me regarde, longuement.

Dans ses yeux, je lis une question silencieuse. Il sait que quelque chose ne va pas. Peut-être qu’il devine. Peut-être qu’il attend que je sois prête à parler.

—  Merci pour hier, je murmure.

Il incline la tête. Un léger frémissement à la commissure de ses lèvres. Un presque-sourire.

Le jeu d’équilibristes continue. Entre l’ombre du monstre et la lumière fragile d’un allié discret. Entre l’humiliation et la résistance. Entre l’imminence du danger et la lente construction d’un lien inattendu.

Et dans ma poche, la vérité commence à s’accumuler, une preuve après l’autre, comme des briques pour le mur que je vais bientôt élever. Un mur contre l’injustice. Contre Bernier.

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