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GiadaMyla
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Chapitre 3

Chapitre 3

En arrivant sur le parking du centre de secours, une sensation d’étouffement me saisit. L'air, lourd, semblait se raréfier. Ma respiration se faisait courte, hachée. Le poids de ce que je m’apprêtais à affronter me serrait la gorge. Je coupai le contact, posai les mains sur le volant et fermai les yeux quelques secondes. Mon cœur battait trop fort. Je me répétais mentalement le scénario élaboré : calme, détermination, distance émotionnelle. Surtout, ne pas laisser mon regard trahir ce que je savais de Bernier.

Cécile m’avait prévenue : pour tout candidat, le chef demande les motivations personnelles. Je parlerais de mon passé, mais de manière mesurée. Pas question d’ouvrir la porte à ma vie privée. Moins il en saurait, mieux ce serait.

Je sortis de la voiture. La caserne se dressait devant moi, sobre, imposante, sa façade de briques rouges résonnant de la gravité de sa mission. La porte était entrouverte, laissant apparaître une vaste salle aux murs vert clair. Quelques pompiers, en tenue, riaient autour d’un baby-foot. Sur la droite, une petite cuisine parfaitement équipée. Au centre, des rangées de tables façon salle de classe, et à gauche, des tables hautes entourées de tabourets, un jeu de fléchettes fixé au mur.

Un sapeur-pompier m’aperçut et interrompit sa partie. Il s’approcha avec un sourire poli.

— Bonjour, je peux vous aider ?

— Bonjour, je viens rencontrer le lieutenant Bernier. C’est pour un recrutement volontaire.

À ces mots, un silence léger mais palpable s’installa. Les regards échangés entre les cinq soldats du feu me mirent mal à l’aise. Un langage muet que je ne comprenais pas, mais qui résonnait comme un avertissement.

Finalement, mon interlocuteur me fit signe de le suivre. Nous traversâmes un couloir où les portes se succédaient comme les battements de mon cœur.

Il s’arrêta brusquement devant un bureau et toqua. Une voix étouffée répondit :

— Entrez.

Il entrouvrit la porte, annonça ma venue, puis s’écarta.

— Il vous attend.

J’inspirai profondément avant de franchir le seuil. Bernier était là. Je vis le visage que Cécile m’avait décrit, et que je n’avais vu qu’une fois sans vraiment lui prêter attention dans les moindres détails.

Mais en chair et en os, il était plus banal que dans mes cauchemars. Un homme aux cheveux poivre et sel, le regard perçant, un sourire convenu.

— Asseyez-vous, je vous en prie.

Je m’installai. La tension était là, une ligne invisible que je ne devais pas franchir, mais je me tenais droite. Ne pas vaciller.

Il enchaîna rapidement les questions : sur mes disponibilités pour les formations, sur mon état de santé, sur ma situation familiale. Il me demanda ce qui m’amenait ici. Je parlai de mon envie d’aider, de mon passé difficile, brièvement. D’un besoin viscéral de donner du sens à ma vie.

À ma grande surprise, il ne sembla ni hostile, ni soupçonneux. Presque aimable. La conversation s’écoula sans heurts. Une façade bien polie. Je me méfiais.

Il me tendit un dossier de six pages, accompagné d’une fiche listant les pièces à fournir et d’un planning de formations.

— Vous avez trois jours pour tout me ramener, dit-il en me lançant un clin d’œil appuyé. J’insiste : trois jours.

Son sourire s’attarda. Sa main serra la mienne un peu trop longtemps. Je résistai à l’envie de la retirer. Je lui rendis son sourire, faux, contrôlé, puis je sortis, le cœur en vrac.

***

À peine rentrée chez moi, je passai à l’action. Pas question de lui laisser croire que j’allais échouer. J’allumai l’imprimante, scannai ma carte d’identité, imprimai les pièces demandées, puis j’attaquai la lettre de motivation. Sobre. Sincère. Déterminée. Ensuite, je remplis les formulaires. Mon stylo glissa sans hésitation.

Restait le certificat médical. J’attrapai mon téléphone et appelai mon généraliste. Par miracle, une place était libre en début d’après-midi. Soulagement immédiat.

J’enfilai ma veste, les papiers sous le bras.

À la sortie du cabinet, certificat en poche, je me sentis plus légère. Presque fière. J’appelai Olga.

— Alors ? T’as survécu à la Bête ?

— À peine. Mais il ne se doute de rien.

— Dis-moi tout !

Je lui racontai en détail l’entretien, la poignée de main, le sourire trop appuyé.

— T’as une heure devant toi ? On va s’inscrire à la salle de sport. J’ai besoin d’un plan d’entraînement.

Elle éclata de rire.

— T’as pas idée comme j’attends de te voir agoniser sur un tapis de course. J’arrive.

Mais je savais que derrière ses blagues, c’était de la fierté. De la vraie. Elle me voyait me battre. Et ça, pour elle, c’était tout.

***

Le hall de la salle de sport sentait le plastique neuf, le caoutchouc des tapis et un soupçon d’angoisse. Mon angoisse. Olga m’attendait déjà près de l’accueil, en leggings colorés et queue-de-cheval haute, un sourire carnassier aux lèvres.

— Tu es sûre de toi, là ? Parce que moi, je suis prête à te ramasser à la petite cuillère.

Je levai les yeux au ciel, faussement blasée.

— T’inquiète, je suis une survivante. C’est pas un tapis qui va me vaincre.

Après avoir complété quelques documents, la réceptionniste, tout sourire, nous tendit deux badges d’accès et un planning des cours. Je fus à peine rassurée quand je découvris la diversité des activités : cardio, renforcement musculaire, HIIT, boxe, yoga. On pourrait presque croire qu’ils s’amusaient à inventer de nouvelles façons de faire souffrir les gens.

Olga m’entraîna vers la salle principale, déjà animée. Des hommes et des femmes suaient en rythme, concentrés, disciplinés. L’air était saturé de musique électro et de détermination, l’odeur de l’effort et de l'espoir mêlés.

Je me glissai sur un tapis de course, j’ajustai les écouteurs, et regardai Olga qui m’imitait avec un sourire trop enthousiaste.

— Allez, championne, tu me fais dix minutes à 6 km/h. Si tu tiens, je t’offre un smoothie.

Je ris, mais une sueur nerveuse commença déjà à perler sur mes tempes. Le tapis démarra. Les premières minutes furent faciles. Puis vinrent les deux suivantes. Et là, mon corps se rappela à moi : les mois d’inertie, les insomnies, les tensions. Mon souffle se fit court. Mes jambes protestèrent. Olga me jeta un regard en coin, moqueur mais bienveillant.

— T’es rouge comme une tomate. Tu veux qu’on ralentisse ?

— Même pas en rêve.

C’était faux. J’en rêvais. Mais je continuai. Parce qu’au fond, chaque pas, chaque goutte de sueur était une réponse. À Bernier. À mon ex-mari. À moi-même. Je courais pour retrouver ma puissance, celle qu’ils avaient voulu me voler.

Quand le tapis s’arrêta enfin, je descendis, les jambes molles, le souffle haché. Olga me tendit une serviette et une bouteille d’eau comme si j’avais terminé un marathon.

— Je t’ai vue galérer, mais t’as rien lâché. C’est ça, le plus important.

Je souris, essoufflée, mais fière.

— On recommence quand ?

— Demain. Même heure. Et cette fois, on teste la boxe. T’as des choses à évacuer, non ?

Je hochai la tête. Elle avait raison. J’avais des colères qui ne demandaient qu’à exploser. Et peut-être qu’en apprenant à frapper dans un sac, je frapperais aussi dans ce système qui écrase les plus vulnérables. Nous quittâmes la salle, bras dessus bras dessous, fatiguées mais grandies. Ce n’était que le début. Mais il y avait dans mes muscles endoloris une promesse silencieuse : je devais devenir plus forte. Pour Nina. Pour Cécile. Pour moi.

***

Le soir tomba lentement, baignant l’appartement d’une lumière orangée. J’avais à peine eu le temps de poser mon sac que la porte d’entrée claqua avec fracas : Nina et Élio déboulèrent comme deux tornades joyeuses, les joues rougies par le froid, les rires encore collés aux lèvres. Jessie, fidèle à elle-même, les suivit avec un clin d’œil complice, déposant leurs sacs dans l’entrée.

— Ils ont mangé, se sont roulés par terre au laser game et m’ont ruinée en bonbons. Mission accomplie.

— Merci, Jessie… vraiment.

Elle me prit dans ses bras quelques secondes, un long regard tendre, puis repartit dans un souffle, comme si elle sentait que j’avais besoin de cette soirée pour moi.

Une fois les chaussures et manteaux expédiés dans un coin, Nina se jeta sur le canapé, suivie de près par son frère.

— Maman, t’étais où aujourd’hui ?

— À la salle de sport, ma puce.

— Quoi ? Toi ?! s’écria Élio, les yeux grands ouverts. T’as fait des pompes ?

Je ris, secouée d’un fou rire sincère.

— Non, pas encore. Juste un peu de course… et beaucoup de sueur.

— Beurk, commenta Nina en grimaçant. Et pourquoi tu fais ça maintenant ?

Je m’assis entre eux, et pris une grande inspiration.

— Parce que j’ai pris une décision importante. Je vais essayer de devenir pompier volontaire.

— Sérieux ?! fit Élio, admiratif. Comme dans les films ? Avec les casques et tout ?

— Un peu moins de cinéma, un peu plus de boulot… mais oui, c’est l’idée.

Nina, elle, resta silencieuse. Je sentis son regard me scruter, fouiller au-delà des mots.

— Et… mais pourquoi tu fais ça ? demanda-t-elle doucement.

Je la pris contre moi, mes doigts passant dans ses cheveux.

— C’est pour toi, pour moi, pour plein de raisons… Mais surtout parce que je veux être forte, montrer qu’on peut se reconstruire, qu’on peut protéger les autres, même après les tempêtes.

Elle posa sa tête sur mon épaule.

— Alors moi aussi, je veux devenir forte. Pour aider, comme toi.

Mon cœur vacilla, entre fierté et inquiétude. Je savais qu’elle comprenait plus de choses que je ne voudrais qu’elle sache. Mais ce soir, je me disais que c’était peut-être ça, grandir ensemble : ne pas tout lui cacher, tout en la guidant à travers nos choix.

— Allez, les super-héros, à la douche !

Élio sauta du canapé comme un cascadeur et courut en direction de la salle de bain. Nina éclata de rire, me lançant un clin d’œil complice, et courut à sa suite pour rejoindre sa chambre en attendant que son frère libère la douche. Moi, je restai là une seconde, seule dans le calme retrouvé. Un sourire fatigué aux lèvres.

Ce soir, je n’étais ni pompier, ni présidente d’association, ni femme blessée.

J'étais juste maman. Et c’était déjà immense

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