Chapitre 22
Les semaines ont défilé depuis la baby shower, remplies de la chaleur des amis et de la perspective joyeuse de l'arrivée d'Alba.
Mon ventre, maintenant bien proéminent, était le centre de toutes les attentions, qu'il s'agisse des mains protectrices de Stéphane ou des questions innocentes des enfants sur le bébé qui gigotait à l'intérieur.
J'étais à la fin du troisième trimestre, et le corps se préparait, doucement mais sûrement, à la naissance.
Les contractions de Braxton Hicks, ces fausses alertes qui préparent l'utérus, étaient devenues une compagne familière.
Parfois, en pleine nuit, je me réveillais, mon ventre se durcissant avant de se relâcher. Ce n'était pas douloureux, plutôt une sensation de tension, comme un muscle qui s'étire. Chaque fois, un frisson d'excitation et d'appréhension me parcourait.
Le grand jour approchait.
Stéphane, souvent, se réveillait aussi.
Il posait sa main sur mon ventre, sentait les mouvements d'Alba, et me murmurait des mots rassurants.
Nous passions des heures à parler, à imaginer sa petite bouille, à nous demander à qui elle ressemblerait.
La chambre d'Alba était presque prête, peinte d'un doux rose poudré, le berceau monté et garni de draps minuscules. Chaque détail nous rapprochait un peu plus de ce moment que nous attendions avec une impatience grandissante.
À la caserne, mon rôle administratif m'offrait un rythme plus calme, parfait pour cette fin de grossesse. Mes collègues étaient adorables, me ménageant et s'assurant que je ne manquais de rien.
Le Commandant Le Gall passait régulièrement prendre de mes nouvelles, visiblement rassuré de me voir sereine et active, même loin des interventions.
Si la vie à la maison et à la caserne avançait sereinement, l'affaire Bernier, elle, restait une épine dans mon pied, une tension sous-jacente.
Mais un après-midi, un appel de Maître Girard a secoué cette stagnation. Sa voix était plus animée que d'habitude.
— Sarah, j'ai des nouvelles, et elles sont significatives, a-t-il annoncé sans préambule.Les gendarmes ont réussi à interroger Yann Bernier, le fils aîné du lieutenant. Il a fini par parler.
Mon cœur a fait un bond. Le fils ? J'avais toujours su que Yann était sous l'influence de son père, mais je ne l'imaginais pas le trahir.
— Qu'est-ce qu'il a dit ?
— Il a confirmé les soupçons sur la fuite de son père et, plus important encore, il a parlé d'une maison de vacances familiale dans le Nord. Un endroit isolé, peu fréquenté, où son père avait l'habitude de se retirer quand il voulait être seul. Il l'a décrite comme une sorte de refuge.
Maître Girard a marqué une pause, et j'ai perçu son excitation contenue.
— L'information a été immédiatement transmise aux gendarmes de la région du Nord. Ils vont lancer des recherches là-bas. C'est une piste sérieuse, Sarah. La première vraie piste concrète que nous ayons.
Une vague d'espoir, mêlée d'une prudence bien ancrée, m'a traversée.
Cette fois, ce n'était pas une simple rumeur, mais une indication donnée par un membre de sa propre famille.
L'idée que Bernier puisse enfin être localisé, que la justice puisse avancer, était un soulagement inespéré. Le fait que son propre fils l'ait trahi montrait l'étendue du désespoir ou de la pression exercée sur Yann, ou peut-être une prise de conscience tardive de la gravité des actes de son père.
J'ai remercié Maître Girard, mon esprit déjà en ébullition.
Cette nouvelle énergie, cette possibilité de dénouement, était un moteur puissant.
Mon corps se préparait à accueillir la vie, et une autre partie de moi se préparait à voir la justice, enfin, faire son œuvre. L'ombre de Bernier, après des mois de flou, semblait enfin se dessiner plus clairement, peut-être à la veille d'être rattrapée par la lumière.
***
Les dernières semaines de grossesse ont été à la fois les plus longues et les plus rapides de ma vie.
Mon corps, désormais entièrement dévoué à Alba, était lourd mais magnifique.
Chaque mouvement de notre petite fille était palpable, un pied ici, une main là, des roulements qui faisaient onduler mon ventre.
L'impatience était à son comble, teintée d'une douce appréhension face à l’imminence de la naissance.
À la maison, l'atmosphère était empreinte d'une excitation joyeuse et d'une tendresse particulière.
Nina et Elio étaient devenus d'adorables petits "assistants de grossesse".
— Maman, Alba bouge ! Tu sens ? s'exclamait Nina, le visage collé à mon ventre, attendant une réaction.
Elio, plus farceur, essayait parfois de lui parler à travers mon nombril.
— Dis, petite sœur, tu sors bientôt ? On t'attend pour jouer !
Leurs questions incessantes sur "comment ça va sortir ?" ou "est-ce que ça va faire mal ?" me faisaient rire et me forçaient à trouver les mots les plus doux pour les rassurer et les préparer.
Stéphane était mon roc. Il était d'une patience et d'une tendresse infinies. Il ne manquait jamais de me masser le dos le soir, de me préparer des infusions apaisantes, ou de me ramener mes envies les plus folles en pleine nuit.
Nos soirées étaient douces, souvent passées à caresser mon ventre, à parler à Alba, à imaginer sa voix, ses premiers sourires.
Nous avions installé le siège auto, préparé la valise pour la maternité, vérifié mille fois que le berceau était parfait. Chaque petite tâche était un pas de plus vers elle, renforçant notre bulle d'amour et de complicité.
Le 25 janvier. La date approchait à grands pas. Les contractions, qui avaient été de simples tiraillements, commençaient à se faire plus intenses, plus régulières, même si elles restaient irrégulières.
Elles me rappelaient que la nature faisait son travail, que mon corps se préparait. Mon congé maternité avait commencé, et cette nouvelle liberté me permettait de me reposer, de me concentrer sur les derniers préparatifs, et de savourer ces derniers moments avec mon ventre rond.
C'était le 28 janvier, la veille de la date prévue.
La nuit était tombée, calme et froide.
J'étais allongée, tentant de trouver une position confortable, quand une contraction, plus forte que les autres, m'a saisie. Elle n'était pas juste un tiraillement, c'était une étreinte puissante qui m'a coupé le souffle. Au même instant, j'ai senti un liquide chaud se répandre entre mes jambes.
Ma poche des eaux avait rompu.
J'ai regardé l'horloge lumineuse : 2h du matin. Puis une autre contraction, dix minutes plus tard.
Et une autre, de plus en plus régulière, de plus en plus intense.
J'ai réveillé Stéphane d'un léger mouvement.
— Stéphane… Je crois que c'est pour aujourd'hui. Ma poche des eaux vient de rompre.
Il s'est redressé d'un coup, les yeux embués de sommeil, mais immédiatement alertes.
— Tu es sûre ? Ça fait mal ?
— Oui. Régulier. J'ai respiré lentement, comme on me l'avait appris aux cours de préparation à l'accouchement.
Il s'est levé d'un bond, l'adrénaline remplaçant le sommeil.
— Ok, ok. Respire. Je vais chercher les enfants et les déposer chez les voisins. »
Nina et Elio, réveillés en catastrophe, étaient à la fois excités et un peu intimidés par l'agitation.
— Le bébé arrive, Maman ? a chuchoté Nina, les yeux grands ouverts. On va avoir une petite sœur !
Après avoir confié les enfants à nos gentils voisins, qui s'étaient réveillés en souriant et en nous souhaitant bonne chance, Stéphane m'a aidée à descendre à la voiture. Chaque contraction était une vague, m'obligeant à me concentrer, à respirer profondément. Le court trajet jusqu'à la maternité m'a semblé une éternité, baigné par la lumière blafarde des lampadaires.
À l'arrivée, l'équipe de la maternité nous a accueillis avec calme et professionnalisme.
Après l'examen, la sage-femme, une femme douce et rassurante, a confirmé :
— Vous êtes bien en travail, Madame. Le col est ouvert à quatre centimètres. C'est pour bientôt !
Les heures qui ont suivi ont été un mélange de douleur et de concentration intense.
Stéphane était là, à mes côtés, tenant ma main sans relâche, essuyant mon front, me parlant doucement. Il a été ma force. Il me rappelait les techniques de respiration, me massait le dos quand la douleur devenait trop forte. Son soutien inconditionnel était ma meilleure anesthésie.
Puis, après de longues heures d'efforts, de poussées, et d'une intensité que je n'aurais jamais imaginée pour un troisième enfant, la sage-femme a dit :
— Allez, encore un petit effort, Madame, elle est là !
Un dernier hurlement, une dernière poussée, et une sensation de libération incroyable.
Un cri. Un petit cri perçant, aigu, qui a rempli la pièce d'une vie nouvelle.
— C'est une fille ! a annoncé la sage-femme, son sourire radieux.
Elles l'ont posée délicatement sur ma poitrine. Un petit corps chaud, moite, couvert de vernix. Une petite tête, les cheveux sombres, les yeux clos.
Notre petite Alba.
Je l'ai serrée contre moi, sentant son cœur battre contre le mien, son souffle léger sur ma peau.
C'était elle. Notre fille. Toute la douleur s'est effacée, remplacée par une vague d'amour pur et absolu, si intense qu'elle me submergeait.
Stéphane, les larmes coulant librement sur son visage, a posé une main tremblante sur sa petite tête, puis sur mon bras.
— Notre petite Alba… Elle est magnifique, Sarah. Tellement magnifique.
Nous sommes restés là, enlacés tous les trois, dans cette bulle, le monde extérieur s'étant tu pour laisser place à ce premier instant magique.
La famille était enfin complète.
***
Les trois jours qui ont suivi notre retour à la maison ont été un doux chaos.
Les nuits étaient courtes, rythmées par les tétées et les petits gazouillis d'Alba, mais chaque instant était empli d'une tendresse inouïe.
Nina et Elio s'étaient transformés en gardes du corps miniatures, observant leur petite sœur avec une curiosité émerveillée, rivalisant pour savoir qui pourrait lui tenir la main le plus longtemps.
La maison, d'ordinaire si pleine de leurs jeux, avait trouvé un nouveau rythme, plus doux, plus intime.
Leurs oncles et tantes d'adoption n'ont pas tardé à pointer le bout de leur nez pour un séjour à la maison.
C'est avec une joie immense que j'ai vu arriver Olga et Éric, suivis de près par Cécile et Mathis.
Les retrouvailles ont été chaleureuses, des rires et des accolades remplissant le salon.
— Oh mon Dieu, elle est magnifique, Sarah ! s'est exclamée Olga, les yeux déjà humides, en découvrant Alba, endormie paisiblement dans son berceau.
Éric, avec une tendresse inattendue, a doucement caressé sa petite joue.
Cécile, lumineuse, a pris Alba dans ses bras avec une aisance naturelle.
— Elle est parfaite. Et elle a tes cheveux et ta bouche Sarah !
Mathis, un peu intimidé par tant de fragilité, a souri timidement.
Les enfants étaient ravis de revoir tout le monde, profitant de l'agitation. Nina a fièrement présenté sa petite sœur, tandis qu'Elio montrait les nouveaux jouets d'Alba, déjà installés dans la chambre.
Nous avons partagé des repas improvisés, échangé des nouvelles. Olga et Éric ont parlé de leur recherche d'appartement, qui avançait bien.
— On a une visite décisive la semaine prochaine, a confié Olga, les yeux pétillants. C'est peut-être le bon !
Cécile et Mathis, quant à eux, racontaient leurs projets professionnels post-humanitaire, des étoiles dans les yeux. Le salon était rempli d'une ambiance joyeuse et conviviale, un véritable cocon de bonheur.
Au milieu de cette bulle de tendresse, le monde extérieur a refait surface de la manière la plus abrupte. Le téléphone a vibré, et en voyant le nom de Maître Girard s'afficher, mon cœur s'est serré.
L'affaire Bernier... je l'avais presque oubliée ces derniers jours, absorbée par la naissance. Je me suis excusée auprès de mes amis et me suis isolée un instant.
— Sarah, j'ai des nouvelles de l'enquête, a commencé mon avocat, sa voix inhabituellement grave, presque hésitante.Ce n'est pas ce à quoi nous nous attendions.
Une boule s'est formée dans ma gorge.
— Ils l'ont trouvé ?
— Oui, ils l'ont trouvé. Les gendarmes de la région du Nord ont localisé la maison de vacances dont Yann avait parlé. Ils s'y sont rendus ce matin pour vérifier.
Il a pris une profonde inspiration.
— Bernier a été retrouvé mort, pendu dans la grange de sa maison de vacances.
Le silence a fait le vide autour de moi. Pendu. Le mot résonnait, froid et brutal.
Ce n'était pas l'arrestation, le procès, la confrontation que j'avais imaginée.
C'était une fin sombre, solitaire, tragique à sa manière. Une vague complexe d'émotions m'a submergée : du soulagement, oui, car il ne serait plus une menace, il ne fuirait plus la justice.
Mais aussi une amertume profonde. Pas de confrontation, pas de réponses claires.
La justice ne serait jamais rendue comme je l'avais espéré.
— Il… il n'y aura pas de procès, alors ? ai-je demandé en confirmation, ma voix cassée.
— Non, Sarah. L'enquête préliminaire se poursuivra pour confirmer les circonstances du décès, mais s'il s'agit bien d'un suicide, l'action publique s'éteint avec le décès du prévenu.
J'ai remercié Maître Girard, raccrochant le téléphone avec une main tremblante. La nouvelle était difficile à digérer.
La fin d'un chapitre, certes, mais pas celle que j'avais écrite dans ma tête.
Ce n'était pas la victoire éclatante, mais un dénouement silencieux et tragique.
Je suis retournée dans le salon, et le bruit joyeux des voix de mes amis, les rires d'Elio, m'ont paru lointains, presque irréels.
Je savais que je devrais le raconter, à Stephane, Olga et Cécile, qui avaient tous suivi cette affaire avec moi.
Mais pour l'instant, je voulais juste tenir Alba dans mes bras, me raccrocher à cette nouvelle vie, pure et innocente, qui venait de naître.
***
La voix de Maître Girard résonnait encore à mes oreilles quand je suis retournée auprès de mes amis. Le joyeux son de la maison semblait s'être éloigné, remplacé par un lourd manteau de pensées.
J'ai cherché le regard de Stéphane, qui, me voyant le visage pâle et l'expression grave, a compris immédiatement que la nouvelle n'était pas bonne.
Il s'est approché, posant une main protectrice sur mon épaule, et les autres ont cessé de rire, sentant le changement d'ambiance.
— Qu'est-ce qui se passe, Sarah ? a demandé Cécile, son sourire s'effaçant.
J'ai pris une profonde inspiration, sentant le poids des mots avant de les prononcer.
— Ils ont retrouvé Bernier.
Leurs visages se sont éclairés d'un espoir fugace.
— Mais... il est mort. Il s'est pendu dans la grange de sa maison de vacances.
Le silence est tombé, cette fois plus profond et plus lourd que le précédent. Olga a porté sa main à sa bouche, ses yeux s'écarquillant. Éric et Mathis ont échangé un regard sombre.
Mais c'est le visage de Cécile qui s'est figé. Toute la lumière a semblé la quitter.
— Pendu ? » a-t-elle murmuré, sa voix à peine un souffle. Non... non, ce n'est pas possible.
L'annonce a eu l'effet d'une déflagration, non pas de joie ou de soulagement, mais d'une rage impuissante.
Pour moi comme pour Cécile, cette fin était une trahison, la pire des lâchetés.
J'avais passé tant de temps à me battre, tant enduré pour que cet homme réponde de ses actes, pour que la justice soit faite, pour que nous, les victimes, puissions enfin tourner la page avec le sentiment d'une victoire. Et il avait encore réussi à nous échapper.
— Il nous a volé ça aussi, ai-je lâché, ma voix trahissant ma frustration. Il a encore échappé à la justice, à sa responsabilité. Il restera impuni.
Cécile a secoué la tête, les larmes lui montant aux yeux.
— C'est ça. Le lâche. Il n'a même pas eu le courage d'affronter les conséquences de ce qu'il a fait. Il nous a volé la possibilité de le regarder en face, de témoigner, de voir un juge prononcer une sentence. Sa voix montait, empreinte d'une amertume poignante. Il a choisi sa sortie, comme toujours, en fuyant.
Olga s'est approchée de Cécile, la prenant dans ses bras, tandis que Mathis posait une main réconfortante sur son épaule.
Stéphane, lui, m'a serrée contre lui. Il comprenait ma déception, ma colère sourde. Ce n'était pas la justice que nous avions tant espérée. Il n'y aurait pas de procès, pas de reconnaissance formelle de sa culpabilité par une cour.
Bernier avait fermé le dossier à sa manière, cruelle et définitive, laissant derrière lui un sentiment d'inachevé.
Les heures suivantes, l'ambiance joyeuse de la fête a été remplacée par une tristesse diffuse, un sentiment d'injustice lancinant.
Nous avons parlé, longuement, de cette fin inattendue.
Olga et Éric ont exprimé leur choc, leur incompréhension.
Cécile, rongée par ce dénouement, a trouvé un écho à sa propre colère dans la mienne.
Nous avions besoin de partager cette frustration, de la vider. Ce n'était pas la libération espérée, juste un chapitre qui se fermait brutalement, sans résolution satisfaisante.
La victoire du silence sur la parole, de la lâcheté sur la responsabilité.
Mais au milieu de cette amertume, le petit corps d'Alba, paisiblement endormie dans son berceau, était un rappel puissant de la vie qui continuait.
Une nouvelle vie, pure et innocente, qui méritait que nous allions de l'avant, malgré les ombres du passé.
Bernier avait choisi sa fin, mais nous, nous choisirions notre avenir.
***
Les jours qui ont suivi l'annonce de la mort de Bernier furent étranges, empreints d'une quiétude qui n'était pas tout à fait celle que j'avais imaginée.
Le soulagement, un sentiment furtif et presque coupable, se mêlait à une profonde amertume.
Stéphane avait été d'un soutien indéfectible, comprenant sans mots l'absence de véritable clôture que cette fin nous avait laissée.
Cécile, restée quelques jours de plus en Bretagne avec Mathis, partageait cette même rage silencieuse.
Nous avions passé des heures à discuter, à vider notre sac, à nous répéter que Bernier avait eu une fin de lâche, échappant une dernière fois à la justice qu'il méritait.
Ce n'était pas la victoire, le sentiment d'avoir obtenu réparation, que nous avions tant espéré. C'était la fin d'une traque, oui, mais pas la fin d'une histoire pour nous.
Pourtant, la vie, dans sa sagesse infinie, avait d'autres plans.
Alba, notre petite Alba, fut conçue dans la tourmente de l'affaire Bernier, un paradoxe lumineux qui liait le pire de mon passé au meilleur de mon avenir.
Chaque gazouillis, chaque sourire, chaque petite main qui agrippait mon doigt était un rappel puissant de la beauté de la vie qui continuait.
Les premiers mois furent un tourbillon de nuits courtes et de journées remplies de découvertes.
Nina et Elio avaient accueilli leur petite sœur avec une joie débordante. Nina, avec sa douceur naturelle, adorait la bercer et lui chanter des comptines, tandis qu'Elio, toujours en quête d'interaction, tentait déjà de lui montrer ses voitures miniatures, impatient de partager ses jeux.
La maison vibrait de cette nouvelle énergie, plus complète, plus heureuse que jamais.
Après mon congé maternité, le retour à la caserne s'est fait en douceur. J'avais repris mes fonctions au bureau, et j'appréciais la routine, le sentiment d'être utile sans les risques du terrain.
Mais l'appel de l'action restait fort.
Progressivement, et après de longues discussions avec Stéphane et le Commandant Le Gall, j'ai eu la possibilité de reprendre les interventions.
Le Commandant, confiant de mes capacités et ma détermination, avait mis en place un suivi pour m'assurer une réintégration optimale.
Retrouver l'adrénaline, le travail d'équipe sur le terrain, cette sensation unique de se sentir utile dans l'urgence, fut une bouffée d'oxygène.
La peur du jugement s'était totalement évanouie.
J'étais Sarah, sapeur-pompier, et aussi une jeune maman, et les deux rôles s'intégraient désormais, renforçant ma conviction que je pouvais être tout ce que je voulais être.
L'affaire Bernier, quant à elle, s'est officiellement close. Le rapport des gendarmes a confirmé le suicide.
Yann, son fils, a refusé tout contact par la suite, s'enfonçant dans le silence et la honte.
Pour nous, il n'y aura pas de procès, pas de verdict public.
L'impunité de Bernier restait une cicatrice, un rappel amer que la justice n'est pas toujours parfaite.
Mais avec le temps, j'ai appris à vivre avec cette réalité. La véritable justice n'allait pas venir d'un tribunal, mais de ma propre résilience, de ma capacité à me reconstruire.
Bernier avait essayé de détruire, de briser, mais il n'avait pas réussi.
Notre famille était plus forte, plus unie que jamais.
Olga et Éric, de leur côté, avaient finalement trouvé l'appartement de leurs rêves et s'étaient installés ensemble, concrétisant des mois de relation.
L'association que je lui avais léguée avait prospéré sous sa direction, devenant un refuge et un soutien précieux pour d'autres victimes, une manière indirecte pour moi de continuer le combat.
Cécile et Mathis, après leur retour d'Afrique, s'étaient lancés dans de nouveaux projets humanitaires, portant l'espoir là où il manquait.
Nos vies continuaient, s'épanouissaient, chacune à sa manière.
Je regardais Alba, si paisible dans mes bras, et le sourire de Stéphane en la contemplant.
Le chemin avait été long et semé d'embûches, mais j'avais trouvé ma place ici, en Bretagne, au sein de cette caserne, et plus important encore, au cœur de cette famille que nous avions construite.
Le passé ne s'efface jamais complètement, il laisse des marques, des cicatrices, des leçons. Mais il ne dicte pas l'avenir.
Mon avenir, notre avenir, était devant nous, lumineux et plein de promesses, porté par les rires de nos enfants et l'amour inconditionnel qui nous liait.