Chapitre 19
La Bretagne n'a pas seulement tenu ses promesses, elle les a dépassées avec une grâce inattendue.
Stéphane est absolument ravi de son travail à Brest ; il s'épanouit pleinement dans son rôle.
Loin des craintes initiales, ses collègues l'ont intégré au groupe avec une simplicité déconcertante, comme s'il avait toujours fait partie de l'équipe. Cette aisance a grandement contribué à notre sentiment d'apaisement.
Un soir, en rentrant du travail, Stéphane affichait un sourire radieux.
— Tu sais, je crois que j'ai enfin trouvé ma place ici, m'a-t-il dit en s'affalant sur le canapé, un soupir de contentement. Les gars sont géniaux. Ils m'ont demandé si je voulais participer à un tournoi de foot le mois prochain.
Je l'ai regardé, soulagée.
— Vraiment ? C'est super, mon amour ! Je suis tellement heureuse de te voir comme ça.
— Moi aussi, a-t-il répondu en me serrant dans ses bras. C'est un monde à part de ce qu'on a connu.
***
La nouvelle caserne est un monde à part de celle que nous avons laissée derrière nous. Finis les murs qui résonnaient de tensions latentes et d'une ambiance pesante.
Ici, l'atmosphère est saine, du moins en apparence. Auparavant, pour toute personne extérieure, il aurait été facile d'imaginer un climat idyllique, et pourtant c'était loin d'être le cas. Les sourires masquaient alors des jalousies, des non-dits et une hiérarchie tyrannique.
Mais ici, c'est différent. Nous avons rapidement intégré une équipe soudée, et le nouveau chef est un homme d'une bienveillance rare.
Malgré son jeune âge, il dégage une maturité et une autorité naturelle. Son approche humaine, son écoute attentive et son leadership positif sont un souffle d'air frais, un contraste frappant avec la toxicité et l'autoritarisme de Bernier.
Pouvoir travailler côte à côte, dans un environnement aussi sain et stimulant, est une véritable bénédiction. Chaque jour est une nouvelle opportunité de se reconstruire et de retrouver le sens profond de notre engagement.
Lors d'une de nos premières réunions d'équipe, le chef, un homme d'une trentaine d'années aux yeux clairs, s'est adressé à nous.
— Bienvenue à tous, a-t-il commencé d'une voix calme. Mon objectif est simple : que chacun se sente bien ici, que la communication soit ouverte et que l'on travaille dans le respect mutuel. N'hésitez jamais à venir me voir, pour n'importe quel sujet. Ma porte est toujours ouverte.
Stéphane m'a donné un coup de coude discret.
— Tu te rends compte ? Pas de "Bernier-style", juste de la bienveillance.
J'ai souri en hochant la tête.
— C'est presque irréel.
***
Cependant, au milieu de ce bonheur retrouvé et de cette sérénité naissante, les échos du passé nous rappellent que la bataille n'est pas encore totalement terminée.
Mon avocat m'a contactée avec des nouvelles troublantes concernant Bernier.
Il ne s'est pas présenté à une audience cruciale avec le juge, une étape décisive pour faire la lumière sur ses agissements passés.
Cette absence a soulevé de vives inquiétudes ; personne n'a eu de signe de vie de lui depuis des jours. Sa disparition, aussi étrange qu'elle puisse paraître, ne fait qu'ajouter une couche de mystère et d'incertitude à cette affaire déjà complexe.
Bien que son absence puisse nous procurer un certain répit temporaire, elle est aussi source de nouvelles interrogations.
Est-ce une fuite ? Une tactique ? L'incertitude est parfois plus lourde à porter que la confrontation directe.
Mon téléphone a vibré en fin d'après-midi. C'était Maître Girard.
— Bonjour, je vous appelle au sujet de l'audience de Bernier, a-t-il dit, sa voix trahissant une légère inquiétude.
Mon cœur a fait un bond.
— Oui, Maître ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
— Eh bien… il ne s'est pas présenté. Aucune nouvelle, pas de justification, rien. Le juge est très ennuyé.
J'ai froncé les sourcils.
— Il a disparu ? Mais comment c'est possible ?
— C'est bien la question que tout le monde se pose. Sa famille n'a aucune idée de son absence. On ne sait pas si c'est une stratégie ou… autre chose.
J'ai raccroché, le cerveau en ébullition. Stéphane, voyant mon visage, m'a demandé :
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Bernier… il ne s'est pas présenté à l'audience. Personne ne sait où il est.
Stéphane a sifflé.
— C'est étrange, quand même. Très étrange.
***
Malgré cette ombre persistante, la vie continue d'avancer.
La semaine prochaine marquera une étape importante pour Stéphane et moi : nous pourrons enfin partir en intervention tous les deux lors de notre première garde au sein de notre nouvelle équipe. L'excitation est palpable. Retrouver le terrain, l'adrénaline qui nous pousse à nous dépasser, et le sens de notre vocation, mais cette fois-ci, libres de la pression, de la peur et des dynamiques toxiques qui nous étouffaient. C'est comme une renaissance professionnelle, un nouveau chapitre à écrire, main dans la main.
Quelques jours avant, en préparant nos tenues, j'ai senti une pointe d'appréhension mêlée à l'excitation.
— Tu penses que ça va aller ? ai-je demandé à Stéphane, les yeux rivés sur mon uniforme.
— Reprendre le rythme…
Il a posé sa main sur mon épaule.
— Bien sûr que ça va aller ! On est ensemble, et cette fois-ci, on est dans une bonne équipe. Finie la pression, la peur. On va adorer, tu verras.
Cependant, alors que la perspective de reprendre les interventions se précisait, une nouvelle préoccupation a commencé à me tarauder : ma fatigue persistante.
Malgré le soulagement d'être en Bretagne et la joie d'un environnement de travail bienveillant, cette sensation d'épuisement ne me quittait pas.
Mon énergie, loin de revenir comme je l'espérais, semblait stagner, voire s'amenuiser.
Je me disais que pour être pleinement opérationnelle, pour être à la hauteur des défis physiques et mentaux de notre métier, il fallait que je sois au top de ma forme. Ce n'est pas seulement une question de bien-être, mais aussi de sécurité pour moi et pour les autres.
Un matin, en me levant, j'ai soupiré devant le miroir. Mes cernes étaient encore là. Stéphane m'a rejointe.
— Tu as l'air fatiguée, a-t-il constaté, le front plissé.
— Je le suis, ai-je admis, frustrée. Je ne comprends pas. Tout va bien ici, je suis moins stressée… mais l'énergie ne revient pas. J'ai l'impression que mon corps n'arrive pas à suivre.
— Tu devrais peut-être aller voir un médecin, juste pour faire un point, a-t-il suggéré doucement.
— C'est ce que je compte faire, ai-je répondu. Je veux être sûre que tout va bien, et surtout, qu'il me donne des vitamines. Il faut que je sois en pleine forme pour la reprise.
J'ai donc décidé de faire un bilan de santé complet, avec une angoisse sous-jacente à l'idée de me voir prescrire des antidépresseurs ou tout autre médicament trop fort, qui m'aiderait à surmonter la tempête que mon corps avait subie ces derniers mois.
Je voulais m'assurer que tout allait bien, écarter toute pathologie sous-jacente, et surtout, demander au médecin des vitamines ou des compléments pour me "booster" et me remettre d'aplomb après tous ces mois de stress intense. Il fallait que mon corps suive le rythme de mon esprit, qui, lui, était enfin prêt à avancer, à embrasser cette nouvelle vie.
Trouver un médecin qui accepte de nouveaux patients près de Brest n'a pas été une mince affaire, un véritable parcours du combattant face à des cabinets surchargés.
Mais après quelques appels, un peu de persévérance et probablement un brin de chance, j'ai fini par obtenir un rendez-vous. Il était fixé pour deux semaines plus tard.
Quand la secrétaire m'a donné la date, j'ai soupiré.
— Deux semaines ? C'est un peu long, j'espérais avant la reprise opérationnelle…
— C'est le premier créneau disponible, Madame, a-t-elle répondu d'une voix neutre. On est très sollicités en ce moment.
Je me suis résignée.
— D'accord, je prends.
Je ne verrai pas le médecin avant ma reprise opérationnelle, ce qui est un peu frustrant, mais cela me laissera le temps d'organiser les derniers cartons, de finaliser notre installation et de m'habituer un peu plus à ma nouvelle routine bretonne, ses embruns et son rythme plus doux.
J'espère sincèrement que ce bilan me donnera les clés pour retrouver toute mon énergie et aborder ma nouvelle vie de sapeur-pompier avec la vitalité nécessaire, celle qui me permettra de me donner à fond et de profiter pleinement de chaque instant.
***
Huit jours après avoir repris les interventions, et ressentant toujours cette étrange léthargie, je me suis rendue à mon rendez-vous chez le nouveau médecin prés de Brest.
Le cabinet était lumineux, l'ambiance apaisante, loin de l'austérité de certains lieux hospitaliers où l'on se sent parfois anonyme.
J'ai été accueillie par le Docteur Dubois, une femme d'une cinquantaine d'années aux cheveux grisonnants coupés court, au regard bienveillant et à l'écoute attentive. Son bureau, parsemé de livres et de plantes vertes, respirait la sérénité.
Je lui ai expliqué la situation en détail, remontant le fil des mois passés : les pressions incessantes et le harcèlement sous Bernier, le combat judiciaire épuisant pour faire reconnaître la vérité, le stress intense du déménagement et l'installation dans notre nouvelle vie, et enfin, l'épuisement persistant qui refusait de s'estomper malgré le calme retrouvé.
Je lui ai décrit mes nausées qui ne cédaient pas, ma fatigue écrasante qui ne s'améliorait pas même après de longues nuits de sommeil, et ma sensibilité accrue aux odeurs et aux bruits.
Je lui ai confié ma conviction que tout cela était le contrecoup du stress post-traumatique, et que je voulais juste des vitamines pour retrouver mon énergie et être à nouveau pleinement opérationnelle pour mes interventions, ma vocation de sapeur-pompier me tenant vraiment à cœur.
Le Docteur Dubois m'a écoutée sans m'interrompre, hochant la tête de temps en temps, son visage reflétant une profonde empathie.
Elle a pris des notes sur son carnet, puis m'a posé quelques questions précises sur mon sommeil, mon alimentation, et la régularité de mon cycle menstruel, des détails que j'avais jugés insignifiants jusque-là.
Puis, elle a souri doucement, un sourire qui contenait une part de compréhension que je ne pouvais pas encore saisir.
— Je comprends parfaitement que vous attribuiez cela au stress intense que vous avez vécu, Sarah. Votre corps a en effet subi une épreuve considérable. Cependant, avec ce que vous me décrivez, certains symptômes que vous évoquez me font penser à d'autres pistes que nous devrions explorer.
Je préfère écarter certaines choses avant de vous prescrire quoi que ce soit qui ne serait pas adapté à la situation.
Elle a griffonné sur son ordonnance, puis m'a tendu le papier. Ses yeux ont rencontré les miens, et elle a ajouté :
— Je vais vous prescrire un examen sanguin complet. On va rechercher pas mal de choses : votre bilan thyroïdien, votre taux de fer, vos vitamines, bien sûr… et aussi un dosage de vos hormones.
Mon regard s'est posé sur le bas de l'ordonnance, où un terme médical, court et familier, était inscrit en lettres claires, entouré d'un cercle.
"Bêta-hCG".
Un frisson a parcouru mon échine, froid et inattendu. J'ai levé les yeux vers le médecin, qui m'observait avec un sourire encore plus énigmatique qu'auparavant.
Le Docteur Dubois a ajouté, sa voix pleine de douceur et une lueur pétillante dans les yeux :
— On verra bien ce que ça donne. Mais ça pourrait expliquer beaucoup de choses, croyez-moi.
Je suis ressortie du cabinet avec l'ordonnance en main, un mélange de confusion et d'une étrange excitation qui me submergeait. Ce que le médecin avait suggéré, sans le dire explicitement, était une possibilité que je n'avais absolument pas envisagée, trop absorbée par la bataille contre Bernier et les méandres du déménagement.
Mon corps me disait peut-être quelque chose que mon esprit avait refusé d'entendre, une nouvelle bien plus grande et plus bouleversante que tout ce que j'avais traversé ces derniers mois.
***
Alors que la porte se refermait derrière moi, le silence de l'appartement m'a enveloppée, lourd de mes pensées tourbillonnantes. L'ordonnance, froissée dans ma main moite, semblait brûler.
Le mot du Dr. Dubois, "HCG", l'hormone de grossesse, martelait mon esprit.
Non, ce n'était pas possible. Pas maintenant. Pas après tout ce que j'avais traversé.
Je me suis effondrée sur le canapé, le souffle court, comme si l'air lui-même me manquait.
Lentement, implacablement, les pièces du puzzle se sont assemblées, révélant une image d'une clarté effrayante.
Les nausées matinales que j'avais attribuées au contrecoup, la fatigue écrasante que j'avais mise sur le compte du stress, cette sensibilité accrue aux odeurs qui m'avait tant perturbée... Tout pointait dans la même direction.
Mon corps m'avait envoyé des signaux, des murmures que mon esprit, trop occupé à survivre, avait délibérément ignorés.
Une vague de doute et d'anxiété m'a submergée, m'enfonçant un peu plus dans le coussin.
Une grossesse. Mais comment ? Stéphane et moi avions été tellement happés par le tourbillon des événements, la lutte, le déménagement.
C'était trop tôt, beaucoup trop précipité. Nous venions à peine de poser nos valises dans ce nouveau cocon, à peine de commencer à reconstruire notre vie.
Une nouvelle naissance, maintenant, signifiait de nouvelles incertitudes, de nouveaux bouleversements.
Mes mains tremblaient en attrapant mon téléphone. J'ai tapé mes symptômes, cherchant désespérément une autre explication, une échappatoire.
Mais chaque recherche ne faisait que renforcer l'évidence.
La peur a commencé à s'insinuer, froide et rampante. Peur de l'inconnu, peur de l'immense responsabilité qui s'annonçait, peur de l'impact sur Stéphane, Nina, et Elio. Nous formions enfin une famille, unie et apaisée.
Une nouvelle naissance risquait de tout chambouler, de briser cet équilibre si chèrement acquis.
Et puis, il y avait Bernier. La procédure était en cours, oui, mais il restait une menace latente, une ombre persistante.
Qu'est-ce qu'une grossesse signifierait pour mon rôle de sapeur-pompier, pour les interventions ?
Et si David, dans son aberration, utilisait cela contre moi ?
Je me suis levée d'un bond, arpentant le salon, mes pensées s'entrechoquant avec violence. Non, ce n'était pas le bon moment. Ce n'était pas le plan.
Le plan, c'était la sérénité, la reconstruction progressive, cette nouvelle vie que nous avions envisagée.
Soudain, un pincement au cœur. Je me suis arrêtée devant la fenêtre, regardant la vie s'écouler dans la rue. Au fond de moi, une petite étincelle, fragile mais tenace, a commencé à luire.
Un enfant. Un bébé avec Stéphane. L'idée, malgré la peur et l'incertitude, n'était pas entièrement sombre. Elle portait en elle la promesse d'un amour nouveau, d'un lien encore plus profond. Mais le doute, lui, était omniprésent, écrasant.
Il fallait que j'en aie le cœur net. Vite.
« Et si… et si c'est vraiment ça ? » ai-je murmuré à mon reflet dans la vitre, ma voix à peine audible. « Qu'est-ce que je fais ? »
Mon reflet m'a renvoyé un regard inquiet, sans réponse. La question résonnait dans le silence de la maison. Je savais ce que je devais faire. La certitude, même effrayante, était préférable à cette anxiété rongeante.
***
La semaine qui a suivi mon rendez-vous chez le médecin a été une torture silencieuse. L'ordonnance, froissée dans mon sac, pesait une tonne, un fardeau que je traînais partout.
Je ne voulais pas alarmer Stéphane inutilement.
Il avait tant donné, tant sacrifié pour que nous trouvions enfin cette paix en Bretagne.
Lui parler de cette éventualité, c'était risquer de le replonger dans une incertitude que je voulais absolument lui épargner tant que je n'aurais pas de certitude moi-même.
Mais garder ce secret était une épreuve déchirante. Mon esprit tournait en boucle, oscillant entre une excitation diffuse et une peur panique.
Il fallait absolument que j'en parle à quelqu'un, à la seule personne qui pourrait comprendre sans juger, sans s'alarmer outre mesure : Olga.
J'ai attendu que les enfants soient profondément endormis et que Stéphane soit sous la douche, le bruit de l'eau couvrant ma voix, pour prendre mon téléphone.
J'ai composé le numéro d'Olga, le cœur battant la chamade. Elle a décroché à la première sonnerie, sa voix joyeuse et insouciante emplissant l'écouteur.
— Sarah ! Ça va ? Tout se passe bien là-bas en Bretagne ? La mer, l'air frais, tout ça ?
— Oui, ça va, » ai-je commencé, ma voix trahissant une nervosité que je n'arrivais pas à masquer. Enfin… pas tout à fait. Il faut que je te parle. C'est important.
J'ai senti son ton changer instantanément, devenir plus attentif, plus grave.
— Qu'est-ce qu'il y a ? Tu m'inquiètes.
— Je suis allée voir un médecin ici, pour faire un bilan de santé avant de reprendre pleinement les interventions. J'étais tellement épuisée ces derniers temps, tu sais. Et puis… ces nausées qui n'en finissaient pas.
J'ai pris une grande inspiration, le cœur tambourinant dans ma poitrine.
— Elle m'a fait une ordonnance pour des examens sanguins. Et elle a insisté pour un… un dosage hormonal.
Un silence pesant a suivi mes mots, puis la voix d'Olga, plus douce, presque un murmure :
— Un dosage hormonal ? Tu veux dire… elle pense à une grossesse ?
— Oui, ai-je soufflé, les larmes me montant aux yeux, brouillant ma vision. Elle pense que je suis enceinte.
La ligne est restée silencieuse un instant de plus, un silence lourd de sens. Puis Olga a dit, avec une tendresse infinie qui m'a serré la gorge :
— Oh, Sarah… Mon Dieu.
— Je sais. Je sais que c'est fou. C'est le pire timing possible, non ? On vient juste d'arriver, on sort à peine de l'enfer avec Bernier, on essaie de reconstruire une vie paisible. Et là… un bébé ? Je ne m'y attendais tellement pas. Je suis tellement déboussolée, Olga. Tellement de doutes.
Les larmes ont commencé à couler librement sur mes joues, chaudes et salées. Tous les sentiments refoulés ont éclaté : la peur de ce chamboulement colossal, l'appréhension de l'inconnu, et aussi, au fond, une pointe de joie inavouée, fragile mais présente.
— C'est normal d'avoir des doutes, Sarah, m'a-t-elle rassurée d'une voix calme et apaisante. Surtout après tout ce que tu as traversé. C'est un choc, une énorme nouvelle. Mais écoute-moi bien : c'est aussi un cadeau, un incroyable cadeau de la vie. La vie te fait un clin d'œil, te donne une nouvelle chance de bonheur. Et Stéphane… qu'est-ce qu'il en pense ? Tu lui as dit ?
— Il ne sait pas. Je ne lui ai rien dit. Je veux attendre les résultats des analyses. Je ne veux pas l'alarmer pour rien, tu comprends ?
— Tu as raison d'attendre pour les résultats. C'est plus sage. Mais peu importe ce que les analyses révèlent, Sarah, souviens-toi que tu n'es pas seule. Je suis là, et Stéphane sera là aussi. Et si c'est le cas… ce bébé, il ne sera pas un problème. Il sera le symbole de votre victoire, de votre nouveau départ, de votre résilience. Ne l'oublie jamais.
Ses mots ont été un baume sur mes peurs les plus profondes. Le simple fait de prononcer ces mots à voix haute, de partager ce poids avec Olga, a allégé mon fardeau d'une manière incroyable.
J'ai raccroché, les larmes toujours là, mais avec un peu plus de sérénité et d'espoir. Il fallait attendre. Et maintenant, j'avais quelqu'un à mes côtés pour cette attente.
***
L'appel à Olga avait apaisé une partie de mes angoisses, un soulagement temporaire qui flottait comme une brume légère.
Mais la véritable réponse, celle qui allait dissiper le brouillard ou le rendre plus dense, ne viendrait que des résultats de l'examen sanguin.
J'ai pris mon courage à deux mains et, un matin gris de Bretagne, me suis rendue au laboratoire.
La piqûre fut rapide, à peine une égratignure, mais l'attente qui a suivi a été une éternité.
Chaque heure qui me séparait du verdict était un mélange étrange de peur panique et d'une curieuse, presque coupable, impatience.
Durant cette période d'incertitude suspendue, l'envie d'en parler à Stéphane est devenue irrésistible.
Chaque regard, chaque geste de tendresse de sa part ravivait le dilemme. Comment ne pas partager cela avec l'homme que j'aimais, alors même que je m'étais promis de ne pas l'alerter avant d'avoir des certitudes ?
J'ai commencé à le questionner discrètement, de manière détournée, comme si ces pensées venaient de nulle part, pour sonder ses envies, ses rêves d'avenir, sa vision de notre famille.
Un soir, alors que la pluie crépitait doucement contre les fenêtres et que nous étions tous les deux blottis sur le canapé, les enfants déjà profondément endormis, j'ai lancé, l'air de rien, le cœur battant à tout rompre :
— Dis-moi, Stéphane, tu te vois où dans quelques années ? Une fois qu'on sera bien installés ici, avec les enfants… Qu'est-ce que tu imagines pour nous ?
Il a souri, ses yeux marrons brillants de tendresse sous la lumière tamisée du salon.
Il a réfléchi un instant, puis a dit d'une voix douce :
— Je nous vois bien, Sarah. Heureux. Une vie simple, peut-être, mais tellement pleine. Le jardin aménagé, avec nos propres légumes. Nina et Elio grandissant, épanouis, courant partout… On pourrait même avoir un chien comme Nina en rêve !
J'ai pris une grande inspiration, retenant mon souffle, sentant mon cœur s'accélérer. C'était le moment.
— Et… un enfant, un jour ? J'ai fait une pause, ma voix à peine un murmure. Tu aimerais en avoir un autre, toi ? Une fille, un garçon… ?
Il a tourné son regard vers moi, ses yeux s'ancrant dans les miens, un sourire encore plus large éclairant son visage. Il n'y avait pas la moindre hésitation, juste une certitude limpide.
— Un enfant ? Avec toi, Sarah ? Mais c'est une évidence pour moi. Plus qu'une évidence, c'est… c'est un désir profond.
Il a tendu la main, prenant la mienne, ses doigts caressant doucement ma peau.
— Depuis que je t'ai rencontrée, tout a pris un sens nouveau. J'ai trouvé en toi la femme avec qui je voulais construire une famille, la mère que je voulais pour mes enfants. La mère de Nina et Elio, oui, bien sûr, mais aussi… la mère de notre enfant, de notre petit nous, si un jour cela devait arriver. Ce serait le plus beau des cadeaux.
Ses mots ont résonné en moi comme une douce mélodie, chaude et enveloppante. Ils ont balayé une grande partie de mes doutes, remplaçant la peur par une vague de tendresse et de soulagement inouï. Sa sincérité, la simplicité de son désir, étaient un baume apaisant sur toutes mes interrogations.
Ce n'était pas seulement une évidence pour lui, c'était aussi, je le savais au plus profond de moi, une évidence pour nous.
Maintenant, il ne restait plus qu'à attendre les résultats. Et quoi qu'il arrive, je savais que Stéphane serait là, à mes côtés, pour accueillir ce qui viendrait. La peur n'avait pas disparu, mais elle était désormais mêlée d'une douce anticipation.