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GiadaMyla
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Chapitre 15

Chapitre 15

Il était un peu plus de minuit lorsque mon téléphone a vibré. Une alerte, brève. Un message d’un numéro inconnu.

Pas de mots. Juste une photo : ma voiture, garée devant la maison de Stéphane. Immobile sous le réverbère d’une rue silencieuse. Le cliché, pris à la va-vite, était légèrement flou, mais indubitablement reconnaissable, avec ma plaque d’immatriculation bien visible.

J'ai su, instantanément, que Bernier l’avait reçue aussi.

J’ai levé les yeux vers Stéphane. Il préparait deux tasses de café, les enfants dormant dans le salon sur des matelas de fortune. Il m’a vue pâlir.

— Qu’est-ce qu’il y a ? a-t-il demandé en posant la cafetière.

Je lui ai tendu le téléphone. Il a plissé les yeux, puis a soupiré longuement, comme si le souffle lui manquait. Il n’a rien dit tout de suite. Juste un regard, d’un calme désarmant.

— On s’en doutait, Sarah. Qu’il finirait par savoir.

— Il va exploser.

— Alors qu’il explose.

La convocation est tombée dès le lendemain matin. Un mot bref, sec, comme toujours : « Bureau du Lieutenant Bernier. 9h00. Toi et Stéphane. »

Stéphane a esquissé un sourire en lisant le message, mais son regard était sombre. J’ai senti, dans sa manière de se redresser, de passer sa main sur sa nuque, qu’il n’était plus simplement un pompier. Il était prêt à défendre. À se battre.

Le bureau était fermé, tel une gueule prête à mordre. Bernier nous attendait, debout derrière son siège, un sourire carnassier sur les lèvres, les bras croisés aussi rigides que son masque de colère. Il nous a fait entrer sans un mot.

— Alors, c’est confirmé ? Vous vous envoyez en l’air comme deux adolescents pendant que moi je vous couvre ? a-t-il lancé avec un rictus.

Je n’ai pas bronché. Stéphane, lui, a avancé d’un pas lent, silencieux, se campant devant le bureau.

— Ce que nous faisons en dehors de nos heures de garde ne vous regarde pas.

Bernier a claqué des mains sur le bois.

— Ne me parle pas comme ça ! Tu crois que je n’ai pas les moyens de te briser ? Je t’ai fait monter, Stéphane. Je peux te faire chuter encore plus vite.

Il s’est tourné vers moi.

— Et toi. Petite garce opportuniste. Tu crois qu’en jouant la victime et en écartant les cuisses à un autre, tu vas m’avoir ?

J’ai senti la colère monter en moi, froide, limpide.

— J’ai déjà envoyé un dossier au commandant. Avec des témoignages. Des enregistrements. Dix-sept femmes, mon Lieutenant. Dix-sept. Et votre ton ici ne fait que confirmer ce que je décris dans ces pages. Continuez. Je vous en prie.

Un silence épais est tombé. Bernier a reculé d’un pas, ses yeux se sont rétrécis.

— On ne me fera pas tomber comme ça. Le commandant sait qui je suis. Ce que nous valons, nous, les vrais soldats du feu. Il verra bien la différence entre une petite sapeur blessée et un officier méritant.

Sa voix tremblait.

— C’est ce qu’on verra, ai-je soufflé.

Stéphane a posé une main discrète dans mon dos. Un geste simple. Présent. Inébranlable.

***

Le courrier venait de partir, accompagné des preuves sonores, des copies de témoignages, et d’un résumé chronologique irréfutable. J’avais mis du temps à le rédiger, à relire chaque phrase pour en retirer la colère brute. Ne garder que les faits. Les mots d’une vérité qui ne tremble plus.

Il n’y avait plus rien à faire, sinon attendre.

Et espérer que la machine, enfin, s’active.

Les jours qui suivirent furent étranges, suspendus dans une attente fiévreuse. Je n’avais plus la force de rentrer chez moi chaque soir. Trop peur d’y être seule. Trop besoin de Stéphane. Des enfants. De ce cocon fragile que nous avions commencé à bâtir.

Alors il nous a proposé de rester.

— Ce n’est pas grand. Nous dormirons en mode camping. Mais je veux que vous soyez ici. C’est la seule chose qui me semble juste, maintenant.

J’ai accepté. Non pas par besoin, mais par pure envie.

Nous avons improvisé un quotidien en équilibre. Une table pour quatre dans la petite cuisine. Des matelas dans le salon. Les enfants s’étaient adaptés sans rechigner. Nina me regardait parfois avec une tendresse complice, comme si elle avait tout compris. Elio, lui, passait ses journées à traîner derrière Stéphane, admirant sa carrure et ses gestes précis quand ils bricolaient ensemble.

Le soir, une fois les lumières éteintes, il m’arrivait de poser la tête contre son torse, d’écouter les battements lents de son cœur. Et de penser, pour la première fois depuis des années, que peut-être… je n’étais plus seule au combat et que je méritais d’être enfin heureuse.

Stéphane ne disait pas grand-chose. Mais il était là. Avec une constance rassurante. Et une intensité que je n’avais jamais connue.

—Tu sais, m’a-t-il dit un soir, je n’ai pas envie que ce soit temporaire. Même si c’est le chaos autour de nous. Même si Bernier nous guette. Je veux qu’on tienne. Qu’on reste.

— Moi aussi, ai-je murmuré.

Et dans la pénombre, j’ai senti sa main chercher la mienne. Pas pour me retenir. Mais pour m’emmener ailleurs.

La guerre n’était pas finie. Mais je n’étais plus une soldate isolée.

J’étais une femme en lutte, oui. Mais aimée. Et bientôt, la justice allait devoir m’écouter.

***

Il n’a pas crié. Il n’a pas explosé. Pas cette fois.

Bernier a préféré le silence. Un silence retors, méthodique, pesant. Il savait que le commandant avait accusé réception de mon courrier. Il savait qu’un dossier dormait, quelque part, prêt à se réveiller.

Alors il a choisi de nous broyer autrement. Pas frontalement, mais sournoisement.

Le matin même où j'ai reçu le mail automatique d’accusé de réception du commandant, quelques lignes sèches, administratives, mais suffisantes pour m’arracher un frisson de soulagement, Bernier m’a convoquée au standard. Il ne m’a même pas regardée dans les yeux.

— Tes compétences ont été désactivées sur le logiciel. Tu n'as plus les accès nécessaires. C’est comme ça. Tu restes à la caserne, tu ne pars plus en intervention. Tu es là pour faire… de la présence. C’est tout.

Je n’ai pas réagi tout de suite. Il a juste haussé les épaules, un rictus amusé par sa propre cruauté.

— Il faut bien que je protège mes gars. Et puis, tu as trop de stress ces temps-ci, non ? C’est pour ta sécurité, Sarah.

Je n’ai rien dit. Je suis sortie. Les mains tremblantes. La gorge nouée.

Dans la cour, j’ai croisé Stéphane. Il revenait de son travail, le regard dur, les mâchoires serrées.

— C’est bon, j’ai compris. Il me rétrograde. Je n'ai plus le droit de commander quoi que ce soit. Je redeviens un simple sapeur au niveau de mes fonctions. Il m’a dit que c’était pour me “remettre à ma place”.

Il a esquissé un sourire amer, presque désolé.

— Il veut qu’on craque, Sarah.

— On ne craquera pas, ai-je rétorqué, plus pour m’en convaincre que pour le rassurer.

— Non. Mais ça va être long.

***

Les jours qui suivirent furent une lente torture.

Je restais assise, assignée à des tâches vides de sens. Plus d’accès au logiciel. Plus de responsabilités. Juste une présence fantomatique dans une caserne que Bernier rendait chaque jour plus toxique.

Il avait retrouvé sa vieille méthode : les regards lourds, les messes basses, les insinuations crasseuses. J’étais celle qui “couchait pour grimper.” Celle que l’on écartait “pour éviter les problèmes.” Une ombre de trop.

Stéphane, lui, encaissait en silence. Il obéissait, faisait ses rondes comme un bleu. Mais derrière son calme apparent, je voyais la colère sourde qui le rongeait. Ce n’était plus qu’une question de temps avant qu’il ne rompe.

Parfois, dans un couloir vide, il glissait sa main dans la mienne. Discrètement. Juste pour me rappeler que nous étions deux. Deux contre un système tordu. Deux à ne pas plier.

Un après-midi, alors que j’aidais Nina à réviser ses cours, mon téléphone a vibré. Le nom s’est affiché : Commandement Départemental.

« Bonjour sapeur,

Votre dossier a bien été réceptionné. Il est en cours d’examen par la cellule de déontologie et sera étudié selon les procédures en vigueur.

Nous reviendrons vers vous dans les plus brefs délais.

Respectueusement,

Commandant Départemental »

Quelques phrases. Et pourtant, un vertige. C’était réel. C’était lancé.

— Ils ont répondu, ai-je soufflé à Stéphane en lui montrant l’écran.

Il a lu. Puis il m’a regardée longuement, ses yeux ancrés dans les miens.

— Tu viens de déclencher un séisme, Sarah.

Mais Bernier, lui, n’avait pas encore tremblé. Il continuait à parader, à asseoir son autorité par le vide, à manipuler les jeunes recrues et à attiser la peur. Son clan resserrait les rangs. Et ses favoris redoublaient d’obéissance malsaine. Il savait qu’il était en sursis. Et comme tout prédateur acculé, il devenait plus dangereux encore.

— Tu veux vraiment te battre contre moi ? a-t-il lancé un jour en me croisant, le regard froid et menaçant.

— Tu crois qu’un mail du commandant va me faire plier ? Tu crois qu’ils vont croire une sapeur qui couche avec un adjudant-chef ? Tu crois que je n’ai pas de quoi te faire passer pour une déséquilibrée ? J’ai tout, Sarah. Même ce qu’il ne faut pas.

Je ne lui ai rien répondu. Mais j’ai appuyé sur le bouton de mon dictaphone, dissimulé dans ma poche.

Le soir, Stéphane m’a attendue à la maison. Un thé fumait sur la table. Les enfants étaient couchés, plongés dans le sommeil. Il a ouvert les bras et je me suis glissée contre lui, épuisée. Pas triste, juste vidée de toutes mes forces.

— On tiendra,  a-t-il murmuré dans mes cheveux, sa voix grave et rocailleuse. Je ne te lâcherai pas. Même si je perds mon poste. Mon grade. Tout.

— Tu n’as pas à tout perdre pour moi, Stéphane.

— J’ai déjà tout gagné en te rencontrant. Ce que je perds là-dedans, je n’en ai plus besoin. Et au pire, nous pourrons toujours le reconstruire ailleurs.

Je l’ai regardé, bouleversée par sa détermination nue, inébranlable. Et j’ai compris que ce n’était plus une histoire d’amour naissante. C’était une alliance. Une fidélité. Un serment sans mots.

Le lendemain, en arrivant à la caserne, j’ai découvert une note sur mon casier. Le papier était froissé, l’écriture rageuse.

« Tu ferais mieux d’arrêter tant qu’il est encore temps. Tu n’es pas la première. Et tu seras pas la dernière. »

J’ai souri. Pour la première fois, vraiment souri. Parce que cette note prouvait qu’ils avaient peur. Et que leur peur n’était que le début de leur chute.

***

Bernier m'attendait dans son bureau, un sourire carnassier étiré sur le visage. Il avait l'air d'un chasseur sûr de son coup, et c'était ce qui me glaçait le plus. Il ne hurlait plus, non. Sa nouvelle stratégie était bien plus insidieuse, bien plus personnelle.

— Sarah, j'ai une surprise pour toi, a-t-il dit, sa voix mielleuse me donnant la chair de poule.

— Quelqu'un est venu te rendre visite. Une vieille connaissance.

Une silhouette est apparue dans l'embrasure de la porte. Mon cœur a raté un battement, puis s'est mis à tambouriner furieusement contre mes côtes.

C'était David. Mon ex-mari. Le père de mes enfants. L'homme qui avait méthodiquement détruit mon estime de moi pendant des années.

Il n'avait pas changé. Ses cheveux impeccables étaient coiffés avec la même précision obsessionnelle, et son sourire ne laissait transparaître que la froideur de son calcul. La même veste coûteuse, le même parfum entêtant. Tout de lui criait la perfection de façade.

— Sarah, ma chère Sarah, a-t-il lancé, sa voix traînante me vrillant les tympans.

— Ça faisait longtemps.

Bernier s'est levé, un geste théâtral.

— David, que j’ai eu la chance de retrouver grâce à quelques recherches, est venu apporter son témoignage dans le cadre de l'enquête te concernant, Sarah. Il a des choses très intéressantes à dire sur ta… stabilité émotionnelle.

Le sang s'est retiré de mon visage. J'ai senti mes genoux fléchir. David. Le monstre que j'avais tant de mal à laisser derrière moi. Il était là, rappelé à la vie par Bernier, comme une arme de destruction massive.

— Bernier, vous n'avez pas le droit ! ai-je réussi à articuler, ma voix étranglée.

— Oh, j'ai tous les droits, Sarah, a-t-il rétorqué, ses yeux brillants de malveillance. Surtout quand il s'agit de protéger mes sapeurs des éléments perturbateurs. Et ce monsieur ici présent a une perspective unique sur votre comportement, n'est-ce pas, David ?

David a ri, un rire sec, sans joie.

— En effet, mon Lieutenant. Sarah a toujours eu des… sautes d'humeur. Une certaine tendance à l'exagération. Et à la victimisation. Surtout quand les choses ne tournent pas en sa faveur.

Chaque mot était un coup de poignard. Il connaissait mes faiblesses, mes peurs. Il avait passé des années à les créer. Il savait exactement comment me briser.

— Tu vois, Sarah, a continué Bernier, le bras posé sur l'épaule de David comme sur un vieil ami,  David va nous aider à y voir plus clair. Après tout, qui mieux que ton ancien époux pour parler de ta… fragilité ?

Mon regard est passé de Bernier à David, puis est revenu à Bernier. Une rage froide a commencé à monter en moi, supplantant la panique initiale. Ils pensaient me réduire au silence avec ça ? Ils pensaient que l'ombre de mon passé me ferait plier ? Ils se trompaient lourdement. Je n'étais plus la Sarah qu'il avait torturée. J'étais celle qui avait survécu.

— Tu peux dire tout ce que tu veux, David, ai-je dit, ma voix étonnamment calme. Bernier peut te manipuler comme il veut. Ça ne changera rien à la vérité.

Le sourire de David a vacillé un instant. J'ai vu une pointe de surprise dans ses yeux, une fissure dans sa façade parfaite. Il s'attendait à me voir effondrée, en larmes, suppliante. Mais j'étais là, debout.

— Et vous, Bernier, ai-je ajouté, en le fixant droit dans les yeux. « Vous êtes désespéré si vous devez en arriver là. Ça montre juste à quel point vous avez peur.

Je me suis détournée d'eux, ma tête haute. Je savais que le chemin serait encore plus difficile maintenant. David était une blessure rouverte. Mais il était aussi une nouvelle preuve de la lâcheté de Bernier. Et cette preuve, je comptais bien l'ajouter à mon dossier.

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