Chapitre 20
Les heures qui ont suivi ont été une véritable torture. Chaque coup de fil, chaque notification sur mon téléphone me faisait sursauter, le cœur battant la chamade.
L'attente des résultats de la prise de sang était un poids constant, oppressant, mais étrangement mêlé à la joie subtile que m'avaient apportée les mots de Stéphane.
Je m'efforçais de mener une vie normale, de me concentrer sur mon travail à la caserne, sur l'installation de la maison que nous venions d'emménager, mais mon esprit était ailleurs, suspendu à cette unique information qui allait changer ma vie.
Finalement, l'e-mail tant redouté est arrivé. Une notification sobre du laboratoire, presque banale, qui contenait pourtant le verdict.
Mon cœur a martelé ma poitrine avec une violence inouïe. Je me suis enfermée dans la salle de bain, l'espace le plus intime où je pouvais me cacher, le souffle court, les mains tremblant tellement que j'ai eu du mal à ouvrir le fichier PDF joint.
Je ne voulais pas le lire en détail sur l'écran.
Non, j'avais besoin de le tenir, de le matérialiser.
Alors, avant même de déchiffrer les premières lignes, j'ai cliqué sur "imprimer".
J'ai pris mon courage à deux mains pour traverser le couloir et me rendre dans le salon où se trouvait l'imprimante, comme si ce simple trajet était une épreuve en soi.
Et là, sur la feuille fraîchement imprimée, en lettres claires et sans équivoque, sous la ligne "HCG bêta", est apparu le chiffre.
Un chiffre élevé.
Un chiffre qui ne laissait absolument aucune place au doute, à l'interprétation.
POSITIF.
J'étais enceinte.
Le papier a glissé de mes doigts, tombant en un murmure léger sur le carrelage froid.
Une vague d'émotions m'a submergée, m'a coupée le souffle, m'a laissée pantelante.
Il y a eu la surprise, d'abord, une stupeur presque comique face à la réalité de ce petit être qui grandissait en moi, qui existait déjà.
Puis, une peur familière, celle du bouleversement, de l'inconnu, des défis qui s'annonçaient.
Comment allais-je gérer ça ? Comment ma carrière, si récemment retrouvée et si précieuse, allait-elle être impactée par cette nouvelle ? Et la procédure contre Bernier, encore en cours, allait-elle être compromise ?
Mais au milieu de cette tempête de doutes, de ces questions angoissantes, quelque chose d'autre a émergé, puissant et inattendu.
Une vague immense de tendresse. Une chaleur douce et réconfortante s'est répandue dans ma poitrine, une sensation de bonheur pur, inouïe, qui balayait tout sur son passage.
Ce petit être, cette vie nouvelle qui commençait en moi, c'était la preuve tangible que, malgré tout le mal que j'avais enduré, malgré les épreuves, la vie continuait.
Elle fleurissait.
C'était le signe d'un nouveau départ, non pas seulement pour notre famille recomposée, mais pour notre histoire, celle de Stéphane et moi, qui prenait une dimension nouvelle et merveilleuse.
Mes mains se sont posées instinctivement sur mon ventre, le protégeant déjà, le caressant avec une douceur infinie.
Un sourire, cette fois, un sourire rempli d'une joie profonde et sincère, a éclairé mon visage, chassant les dernières ombres de l'incertitude.
Ce n'était pas le moment que j'avais imaginé, non. C'était bien mieux. C'était la vie qui s'imposait, et elle était merveilleuse.
Il était temps d'en parler à Stéphane, de partager cette incroyable nouvelle avec l'homme que j'aimais.
Mais avant cela, une autre personne méritait de savoir, de partager ma joie, ma sœur de cœur.
J'ai saisi mon téléphone, mes doigts ne tremblaient plus. J'ai cherché le contact d'Olga, ma meilleure amie, ma confidente de toujours. Elle était la première à qui je voulais annoncer la nouvelle, Stéphane étant à son travail je ne voulais pas lui téléphoner, et je ne voulais pas lui annoncer cette grande nouvelle, comme on annonce une nouvelle banale, loin de ses yeux pour y voir sa réaction.
La sonnerie a retenti, longue, puis la voix enjouée d'Olga a rempli l'écouteur.
— Salut ma belle ! Ça va ? Tu as eu des nouvelles de tes examens ?
J'ai pris une grande inspiration, retenant un sanglot d'émotion qui menaçait de monter.
— Olga... Tu ne vas pas croire ce que je vais te dire... Ma voix était un mélange de rires et de larmes, trahissant l'immensité de ma joie.
Un silence à l'autre bout du fil, puis sa voix, plus douce, plus attentive : «
— Dis-moi tout, tu m'inquiètes...
— Je... Je suis enceinte, Olga ! Positif ! Je vais avoir un bébé ! Les mots ont jailli, libérés, remplis d'une euphorie contagieuse.
De l'autre côté, j'ai entendu un cri, un hurlement de joie pur et simple.
— QUOI ?! Non, c'est pas vrai ! C'est incroyable ! Mon Dieu, c'est merveilleux ! Je suis tellement heureuse pour toi, ma chérie !
J'ai souri, les larmes coulant librement sur mes joues, mais des larmes de bonheur. La vie, décidément, savait nous surprendre de la plus belle des manières.
***
Enceinte. Le mot résonnait dans chaque fibre de mon être, une mélodie à la fois douce et assourdissante, comme le chant lointain d'une cloche d'église par un matin brumeux.
Les larmes coulaient silencieusement sur mes joues, un mélange de soulagement intense, la fin d'une attente insoutenable et d'une joie qui me serrait le cœur, une chaleur douce irradiant depuis ma poitrine.
Le plus beau des cadeaux, comme l'avait dit Stéphane, ces mots prononcés, résonnant désormais avec une vérité nouvelle et profonde.
Et le plus grand des secrets, pour l'instant.
J'ai regardé le jardin mouillé par la pluie bretonne, les carreaux de la fenêtre striés de perles scintillantes. Chaque goutte, ruisselant lentement, semblait emporter avec elle mes dernières anxiétés.
Un sourire, timide d'abord, puis grandissant, a balayé peu à peu toutes mes peurs, remplaçant l'anxiété par une douce anticipation.
Ce petit être, blotti quelque part en moi, minuscule mais déjà si présent, était le fruit de notre amour, le symbole de notre nouveau départ, de notre résilience après tant de tourments.
Mon ventre, encore plat, semblait déjà receler un univers.
Mais comment l'annoncer à Stéphane ? Comment trouver les mots justes pour partager cette nouvelle qui allait non seulement bouleverser notre monde, mais aussi le sublimer ?
Je voulais que ce soit un moment spécial, un instant suspendu dans le temps, que nous chérissions toujours. L'idée de le surprendre, de voir la surprise se transformer en un éclat de joie pure dans ses yeux, me remplissait d'une douce, presque insoutenable, impatience.
J'ai passé le reste de l'après-midi dans un état second, mon esprit tourbillonnant d'idées, chacune plus folle que la précédente.
Le parfum du café fraîchement moulu emplissait la cuisine, mais je ne le remarquais qu'à peine.
Les enfants sont rentrés de l'école, leurs rires cristallins et leurs jeux emplissant la maison comme à l'habitude, une joyeuse cacophonie. Nina, avec ses nattes folles, et Elio, les joues rougies par le froid.
Je les regardais, et mon cœur débordait d'amour. Bientôt, la famille allait s'agrandir. Nina et Elio auraient un petit frère ou une petite sœur, un nouveau compagnon de jeux, un être à chérir.
Cette pensée m'envahissait d'une tendresse infinie, presque palpable.
Avant le retour du travail de Stéphane, portée par une impulsion irrésistible, je me suis rendue dans une petite boutique du centre-ville, celle qui vendait des vêtements pour bébés aux couleurs pastel.
Elle n'était qu'à deux pas de la maison, une chance. J'ai demandé à Nina de veiller sur Elio le temps de ma courte absence, sachant qu'ils étaient absorbés par une partie de leur jeu favori.
Le carillon de la porte de la boutique a tinté gaiement en entrant.
Après avoir parcouru les différents rayons, mes doigts effleurant les tissus doux et minuscules, je suis tombée sur un petit pyjama jaune poussin.
Dessus, en lettres capitales brodées, il était inscrit : « 50% PAPA 50% MAMAN ».
Je l'ai trouvé parfait, une évidence, le messager idéal pour annoncer la nouvelle à Stéphane.
Le cœur battant, j'ai demandé à la vendeuse, au sourire bienveillant, de l'emballer dans un petit sac en papier kraft orné d'un ruban délicat.
Le soir, après le dîner, dont je n'avais goûté que la moitié, nous nous sommes installés dans le salon. Une douce lumière tamisée dans la pièce, projetant de longues ombres sur les murs.
Les enfants jouaient calmement dans leur chambre, et un silence paisible, presque sacré, régnait.
C'était le moment. Mon cœur battait la chamade, un tambour fou dans ma poitrine, et mes mains devenaient moites.
J'ai pris le petit sac que j’avais soigneusement déposé près du canapé un peu plus tôt, mes doigts frôlant le ruban du sac en papier.
— Tiens, j'ai une surprise pour toi, ai-je murmuré, ma voix trahissant mon émotion, tremblante d'une anticipation mêlée de nervosité.
Stephane a froncé les sourcils, intrigué, son regard se posant sur le mystérieux paquet. Il a pris le sac dans ma main, ses doigts chauds effleurant les miens.
Ses yeux se sont posés sur le contenu.
Il a d'abord relu le texte sur le pyjama, perplexe, une légère ride d'incompréhension traversant son front. Puis, comme une ampoule qui s'allume, ses yeux se sont écarquillés. Un éclair d'incrédulité a traversé son regard, suivi d'une compréhension fulgurante qui a tout balayé sur son passage.
Son regard est remonté vers le mien, et ses yeux, d'habitude si vifs, se sont remplis de larmes, des perles brillantes reflétant la lumière de la lampe.
— Sarah ? a-t-il soufflé, sa voix rauque d'émotion, à peine audible, comme un murmure arraché au plus profond de son âme.
J'ai hoché la tête, un sourire éclatant sur les lèvres, les larmes coulant librement sur mes joues, des larmes de pur bonheur.
— Oui, Stéphane. Nous allons avoir un bébé. Notre famille s’agrandit.
Il n'a rien dit. Il n'a pas eu besoin de mots. Il m'a juste attirée contre lui dans une étreinte puissante, me serrant si fort que j'ai senti ses côtes contre les miennes, le parfum familier de son après-rasage m'enveloppant.
J'ai enfoui mon visage dans son cou, sentant ses larmes chaudes sur ma peau, un mélange de sel et de tendresse.
C'était un mélange de soulagement, de bonheur pur et infini, et de l'incroyable force de notre amour qui se manifestait dans ce silence éloquent, plus puissant que toutes les déclarations.
Quand il s'est éloigné un instant, son visage était ravagé par l'émotion, des traces de larmes sillonnant ses joues, mais ses yeux brillaient d'une joie indescriptible, d'une lumière nouvelle.
— Un bébé… Notre bébé, Sarah. C'est… c'est incroyable. Le plus beau des cadeaux.
Il a posé délicatement sa main sur mon ventre, un geste si tendre, si naturel, que mon cœur a fondu, une chaleur exquise se répandant en moi.
— Je savais… je sentais que quelque chose se passait. Mais ça… c'est au-delà de mes espérances.
Nous sommes restés là, enlacés, à savourer ce moment magique, les larmes et les sourires se mêlant dans une symphonie silencieuse. La joie dans ses yeux était le plus beau miroir de la mienne, une promesse de jours heureux.
***
Quelques jours plus tard, l'excitation de la nouvelle ayant un peu laissé place à la concrétisation, à la réalité de cette nouvelle vie, j'ai pris rendez-vous avec le Docteur Dubois, la même médecin qui avait prescrit les analyses.
C'était un après-midi ensoleillé, une belle journée pour la saison, où le chant des oiseaux filtrait à travers la fenêtre de la salle d'attente.
Stéphane a insisté pour m'accompagner, sa main cherchant la mienne sans cesse, comme pour s'assurer que ce rêve était bien réel.
Le Docteur Dubois, une femme souriante aux yeux pétillants et à la voix rassurante, nous a accueillis chaleureusement dans son cabinet lumineux. Le parfum discret de l'antiseptique se mêlait à une légère odeur de fleur.
— Alors, Sarah, les résultats sont sans appel, je suis ravie pour vous ! a-t-elle commencé, son regard clair se posant sur moi en consultant mon dossier sur son écran d'ordinateur.
— C'est une excellente nouvelle.
Stéphane m'a serré la main, son sourire ne le quittant pas, ses doigts caressant doucement le dos de ma main. Un silence empreint d'une joie partagée a empli la pièce.
— Je voudrais que nous fassions une échographie de datation rapidement, a poursuivi la médecin, en se tournant vers nous, son stylo à la main.
— Cela nous permettra de déterminer l'âge exact de la grossesse, de s'assurer que tout se développe bien et de fixer une date prévisionnelle d'accouchement. C'est une étape importante pour les premières semaines, pour s'assurer que tout est en ordre.
Elle a noté le rendez-vous sur une feuille, me donnant l'ordonnance et l'adresse précise du cabinet d'échographie, expliquant le cheminement avec clarté.
— Vous avez des questions ? a-t-elle demandé en nous regardant tour à tour, percevant notre mélange de bonheur et d'une légère appréhension.
Stéphane a posé sa main protectrice sur mon ventre, un geste instinctif.
— Juste savoir si tout va bien, si il… si le bébé est bien là où il doit être.
Son ton était empreint d'une légère inquiétude, d'un désir ardent de confirmation.
Le Docteur Dubois a souri, un sourire qui se voulait apaisant.
— Pour l'instant, toutes les indications sont très bonnes. L'échographie nous donnera plus de précisions, la première image de votre petit. Mais je suis très optimiste. Félicitations à vous deux. C'est une magnifique aventure qui commence.
Nous avons quitté le cabinet, main dans la main, le cœur empli d'une joie sereine et d'une nouvelle attente, celle qui nous portait vers la prochaine étape. L'attente de cette première image, la première preuve visuelle, tangible, de notre petit miracle qui grandissait en moi. Le soleil nous a accueillis à la sortie, comme une bénédiction.
***
Le jour de l'échographie était enfin arrivé, auréolé d'une anticipation mêlée d'une légère nervosité qui faisait vibrer chaque fibre de mon corps.
Stéphane avait posé sa matinée au travail, et nous sommes partis tous les deux, main dans la main, nos doigts entrelacés comme une promesse silencieuse, vers le cabinet d'échographie.
Le soleil breton, rare et précieux, inondait les rues de Brest d'une lumière douce et dorée, faisant scintiller l'asphalte encore humide.
L'ambiance était légère, presque joyeuse, une bulle de bonheur nous enveloppant loin du tumulte de la ville.
Le cabinet était d'un calme apaisant, l'air imprégné d'une forte odeur d'antiseptique mentholée, créant une atmosphère purifiée.
Une jeune échographiste, au sourire et aux yeux doux, nous a accueillis avec une gentillesse réconfortante. Elle m'a invitée à m'allonger sur la table d'examen, dont le drap de papier froissait sous mon poids. Stéphane s'est installé à mes côtés, sur la petite chaise prévue pour les accompagnants, si proche que nos genoux se touchaient. Sa main a immédiatement cherché la mienne, et il a serré mes doigts avec une tendresse infinie, une ancre dans l'océan de mes émotions.
— Alors, on va regarder ce petit bout de chou, a-t-elle annoncé d'une voix douce et professionnelle, appliquant un gel frais sur mon ventre.
Le contact a été un peu surprenant, une vague de froid sur ma peau chaude, mais je n'y ai prêté qu'une attention distraite, tous mes sens tendus vers l'écran sombre.
Elle a commencé à promener la sonde sur ma peau, ses mouvements précis et doux.
Au début, l'écran affichait des formes indistinctes, des tourbillons gris et noirs, des ombres floues qui ne disaient rien à mon œil inexpérimenté, ressemblant à une carte abstraite.
J'ai senti Stéphane se pencher, son souffle se faisant plus court et plus saccadé à mes côtés, l'attente palpable entre nous.
Puis, doucement, l'échographiste a ajusté l'angle, ses doigts agiles effleurant les commandes, et soudain, une image est apparue. Non plus un simple point insignifiant, mais une silhouette reconnaissable. Un petit corps en devenir, mesurant à peine quelques centimètres, avec des minuscules bourgeons de bras et de jambes, et cette petite lumière pulsante en son centre, un point lumineux scintillant dans l'obscurité de l'écran.
Mon cœur a fait un bond dans ma poitrine, un battement si fort qu'il en devenait douloureux.
— Voilà, a dit la voix douce de l'échographiste, presque un murmure.
— On voit bien le fœtus. Et cette petite lumière là, c'est son cœur qui bat.
Un sanglot muet m'a échappé, une vague d'émotion si intense qu'elle m'a coupée le souffle. Les larmes ont embué mes yeux, brouillant un instant cette image si précieuse et pourtant si fragile.
C'était réel. Non pas une intuition, non pas un simple résultat positif sur une feuille du laboratoire, mais une existence tangible, visible, devant nos yeux.
Ce petit battement, si fragile et pourtant si fort, ce "poum-poum" visuel, était le signe de vie le plus incroyable que j'aie jamais vu, le début de tout.
J'ai tourné la tête vers Stéphane, mes yeux embués cherchant les siens. Ses yeux étaient rivés sur l'écran, grands ouverts, brillants d'une humidité similaire à la mienne. Son visage, d'ordinaire si expressif, était figé dans une expression de pure merveille, de tendresse absolue, comme s'il contemplait le miracle du monde. Il serrait ma main si fort que mes doigts en étaient engourdis, presque insensibles, mais je ne sentais rien d'autre que l'émotion brute qui nous submergeait, nous reliant dans ce moment unique.
Après de nombreuses mesures faites sur notre bébé, l'échographiste a souri.
— Et voici la date de la conception, a-t-elle repris, ses doigts courant sur son clavier avec une aisance impressionnante.
Vous êtes à 17 semaines de grossesse, soit un peu plus de 4 mois. Ce qui nous donne une date de terme aux alentours du… » Elle a calculé un instant, le cliquetis des touches remplissant le silence.
— …de la fin janvier et très exactement le 29 janvier .
Fin janvier. Le temps semblait s'accélérer et ralentir à la fois. Ce n'était plus une idée lointaine, une hypothèse, mais une échéance concrète, inscrite dans le calendrier. Un petit être allait faire son entrée dans nos vies, au cœur de l'hiver breton, transformant à jamais notre quotidien.
— On entend le cœur aussi ? a demandé Stéphane, sa voix à peine un murmure, chargé d'une émotion palpable, comme s'il craignait de briser la magie.
— Oui, bien sûr, a répondu l'échographiste, en activant une fonction sur l'appareil.
Un léger son, comme un galop de cheval rapide et régulier, a empli la pièce. Poum-poum. Poum-poum. C'était le son le plus beau que j'aie jamais entendu. Le son de la vie, de notre futur, un rythme puissant qui promettait tant.
J'étais parcourue d'une vague de surprise concernant la date de conception. Comment avais-je pu porter un petit être si longtemps sans m'en rendre compte, sans que mon corps ne me donne des signes plus clairs ? Quatre mois… le temps avait filé, et ce petit secret avait grandi en moi en toute discrétion.
Nous sommes sortis du cabinet, des étoiles plein les yeux, une petite photo en noir et blanc de ce minuscule être serrée dans ma main, déjà précieuse. Le monde autour de nous semblait plus lumineux, l'air plus doux, les bruits de la ville transformés en une douce mélodie.
Notre petit miracle était bien là, et l'aventure ne faisait que commencer, prometteuse et pleine d'amour.
***
Les jours qui ont suivi la première échographie ont été un tourbillon d'émotions douces et de nouvelles réflexions.
Cette minuscule photo en noir et blanc de notre bébé était devenue notre talisman, une preuve tangible de ce miracle en cours.
La première personne à qui j'ai eu envie de la partager, bien sûr, c'était Olga, ma sœur de cœur, ma confidente, celle qui me comprenait sans un mot.
Je lui ai envoyé la photo par message, mon pouce tremblant sur l'écran tandis que mon cœur battait la chamade. Un simple cœur, un emoji de bébé.
Quelques secondes plus tard, mon téléphone a vibré avec une frénésie joyeuse. Un flot d'emojis de cœurs, de bébés, et de larmes de joie a déferlé, suivi presque immédiatement d'un appel vidéo. Son visage radieux, malgré la distance, a rempli l'écran.
— Sarah ! Oh mon Dieu, Sarah ! C'est… c'est incroyable ! s'est-elle exclamée, ses yeux brillants de larmes.
J'ai ri, les miennes coulant déjà.
— Oui, Olga. C'est bien réel. On l'a vu… on a entendu son cœur.
— Je suis tellement heureuse pour vous ! C'est le plus beau des cadeaux après tout ce que vous avez traversé. Et toi, comment tu te sens ? Pas trop fatiguée ?
— Ça va, un peu à l'ouest par moments, mais heureuse surtout. Et toi, comment ça se passe avec Éric ?
Olga a soupiré, un léger sourire aux lèvres.
— On avance, doucement. C'est pas simple de tout concilier, mais il m'a demandé de venir vivre avec lui. On cherche un appartement ici, ensemble, pour être enfin vraiment sous le même toit. C'est un grand pas, tu sais.
Elle a marqué une pause, son sourire s'élargissant.
— Et l'association, ça roule. On a eu quelques nouveaux membres et on prépare une belle collecte de fonds le mois prochain. On a même eu un article dans le journal local. Ça me manque de ne pas te voir aussi souvent, mais je sens que ce que tu as construit continue de grandir.
Puis, une idée s'est imposée à moi, une évidence.
— D'ailleurs, Olga… J'ai quelque chose à te demander. Pour nous, c'est… c'est tout naturel. On voudrait que tu sois la marraine de ce bébé.
Le sourire d'Olga s'est élargi, ses yeux s'emplissant de nouveau de larmes.
— Moi ? Oh, Sarah ! Bien sûr que oui ! Je serais tellement honorée !
Son bonheur, si sincère, a réchauffé mon cœur et m'a rappelé que, malgré les défis à venir, nous étions entourés d'amour.
Maintenant que la nouvelle était bien réelle pour nous, Stéphane et moi avons commencé à réfléchir à la meilleure façon de l'annoncer à Nina et Elio.
Il était hors de question de leur cacher trop longtemps, surtout avec mon ventre qui allait bientôt s'arrondir, mais nous voulions que ce soit un moment magique pour eux aussi.
— Il faut qu'on trouve un truc spécial, a dit Stéphane un soir, alors que nous étions installés dans le canapé, les enfants couchés. Quelque chose qu'ils n'oublieront jamais.
Je hochais la tête, un petit sourire aux lèvres.
— J'hésite entre une chasse au trésor et un cadeau avec un indice… ou peut-être une histoire, avec un nouveau personnage qui arrive ?
Stéphane a réfléchi.
— La chasse au trésor, je sens que ça leur plairait bien. On pourrait cacher le pyjama de bébé, et la dernière énigme les mènerait à ça.
L'idée de le faire de manière ludique, de voir leurs visages s'illuminer, trottait dans nos têtes. Leurs rires animaient déjà la maison, et l'idée de les voir réagir à cette nouvelle, de les imaginer futurs grand frère et grande sœur, remplissait nos soirées d'une anticipation joyeuse, chaque discussion renforçant l'excitation.
Parallèlement à cette effervescence personnelle, ma vie professionnelle à la caserne continuait, mais avec une nouvelle complexité.
Je savais que ma grossesse devrait être annoncée à ma hiérarchie à un moment donné, mais je ne voulais pas le faire tout de suite.
Mon ventre était encore plat, et je tenais à continuer à faire quelques interventions, à me sentir utile et pleinement opérationnelle aussi longtemps que possible.
L'idée de me sentir mise de côté, même temporairement, me pesait.
Mais surtout, une peur diffuse me rongeait : celle d'être jugée. Je venais d'arriver ici, une nouvelle recrue dans cette caserne de Bretagne, et l'idée d'annoncer une grossesse si peu de temps après mon arrivée me faisait craindre d'être perçue comme peu investie, ou pire, comme un fardeau.
« À peine arrivée et déjà enceinte, » j'imaginais les murmures, les regards. Cette pensée me mettait une pression supplémentaire.
Cependant, la réalité me rattrapait, et vite. Les changements dans mon corps, même subtils au début, commençaient à se faire sentir. La fatigue insidieuse, les nausées matinales discrètes… tout cela rendait les choses plus difficiles.
Lors des tests sportifs annuels, une épreuve pourtant routinière pour moi, la difficulté s'est faite beaucoup plus présente.
Je devais courir mes douze minutes habituelles, faire mes tractions, mes pompes…
— Allez Sarah, un dernier tour ! On ne lâche rien ! a crié le sergent, sa voix pleine d'encouragement mais sans indulgence.
Chaque course, chaque minute de gainage me demandait un effort décuplé.
Une fatigue nouvelle me gagnait plus rapidement, et mon souffle était plus court, mes muscles tiraient plus que d'habitude.
Je serrais les dents, le cœur battant à tout rompre, essayant de maintenir le rythme sans attirer l'attention.
Je devais redoubler de vigilance pour ne rien laisser paraître, pour maintenir mon niveau sans éveiller les suspicions de mes collègues ou de mes supérieurs. C'était un numéro d'équilibriste constant, entre mon désir de discrétion et les impératifs de ma condition physique. Je me savais moins agile, moins endurante, et l'idée d'une intervention à risque me préoccupait de plus en plus, malgré ma détermination farouche.
Et puis, il y avait cette autre ombre, persistante et lourde : l'affaire Bernier.
Mon téléphone a sonné en fin de journée, et en voyant le numéro de mon avocat, j'ai su que ce n'était pas une bonne nouvelle.
— Sarah, a-t-il commencé, sa voix empreinte d'une légère lassitude, mais aussi d'une pointe d'agacement. Bernier n'a toujours pas donné de signe de vie depuis notre dernière tentative de contact. Aucune réponse aux convocations, aucune trace fiable.
Le silence au bout du fil en disait long. Je pouvais presque l'entendre soupirer.
— Nous avons épuisé les voies classiques. Il semble qu'il soit devenu introuvable, qu'il ait fait le nécessaire pour se volatiliser.
— Vous pensez qu'il fuit la justice ? ai-je demandé, ma voix plus ferme que je ne l'aurais cru.
— C'est de plus en plus probable, Sarah. Il tente de se soustraire à ses responsabilités. Nous allons devoir passer à la vitesse supérieure, émettre un mandat d'arrêt, mais ça va prendre du temps.
Une vague d'amertume m'a envahie. Ce lâche fuyait, encore et toujours. Cela me rappelait le combat que j'avais déjà mené pour obtenir justice.
Mais cette fois, la perspective de devenir mère renforçait ma détermination. Je ne pouvais pas laisser cette affaire en suspens, pas pour moi, et pas pour mon enfant à venir qui méritait de grandir dans un monde où la justice triomphe.
Il fallait que Bernier réponde de ses actes.
Ce coup de fil, bien que décevant, ne faisait que renforcer ma résolution : la justice devait être rendue, coûte que coûte.