MARIA
Mon ventre crie famine, je meurs de faim. Quand, il me propose d’aller manger, je crois avoir rêvé. A-t-elle point que l’envie de me pincer pour vérifier, me démange. Aujourd’hui, il va pleuvoir de la merde. J’aimerais lui lancer une phrase pleine de sarcasme, mais je me retiens. Il faut que j’arrive à me faire inviter à la soirée qui aura lieu dans un mois. Nous nous apprêtons à quitter son bureau quand son téléphone sonne. Avant de prendre l’appel, il me demande de l’attendre à la voiture. Bien entendu, j’ai autre chose en tête.
En sortant, je tombe nez à nez avec sa secrétaire. Une femme magnifique, à croire que c’est le seul critère d’embauche ici. Elle me détaille d’un air mauvais. À voir la manière dont elle bavait devant lui tout à l'heure, je suppose qu’elle doit me voir comme une rivale. Si tu savais, chéri, je te le laisse avec grand plaisir.
Je descends les étages un par un, jusqu’à ce que je trouve enfin le service informatique. J’avance et passe la porte sur laquelle est inscrit Hernando. Son bureau est immense, avec un nombre impressionnant d’écrans. Je profite du fait qu’il ne m'ait pas entendue arriver pour me faufiler juste à coter de lui et prends une voix grave.
— C’est comme ça que tu travailles? Feignasse.
Il sursaute, jette son casque et éteint rapidement son pc.
— Putains ! Maria, tu m’as fait flipper.
— Je ne savais pas que tu étais payé pour jouer à Call of.
— On est amis tous les deux, tu ne me balancerais pas ?
Il me fait rire avec ses deux mains jointes en signe de prière.
— Ton secret est bien gardé. Profites-en pour t’améliorer, parce qu’il y a du boulot.
— Trop drôle ! Ce n’était pas mon jour, c’est tout.
— Oui, bien sûr.
— Que me vaut l’honneur de ta visite ? Je te manque trop, n’est-ce pas ?
— Tu as tout compris.
Il me sourit, ravi d’entendre ma réponse. J’avoue que j’apprécie passer du temps avec lui, c’est un véritable antidépresseur.
— Mais ce n’est pas la seule raison.
— Je m’en doutais! Tu me brises le cœur.
Il se tient la poitrine d’un geste théâtral.
— J’aimerais persuader Nico de me laisser travailler avec toi.
— Continue, tu m’intéresses.
— On pourrait former une équipe. Tu as sûrement entendu parler de mon talent pour la discrétion. Je voudrais le mettre au profit des Black. En testant les systèmes de sécurité du bureau de Nico et de Francisco.
Ça fait des jours que j’y réfléchis et je reste convaincue que c’est la meilleure solution pour avoir accès à des renseignements utiles.
— Oublie ! C’est mort ! Il n’acceptera jamais.
— Tu me sous-estimes. Es-tu prêt à parier ?
Il reste pensif quelques secondes.
— Je tiens le pari. Il ne prendra jamais le risque de te laisser libre accès à des informations aussi importantes.
— OK ! Si tu as tort. Tu devras me dire une vérité sur Nico Mancini.
— Parfait ! Et toi, tu me donnes le numéro de ta sœur.
Il n’est pas croyable. J’accepte de toute façon, je sais que je vais gagner ce pari… enfin, j'espère.
— Au fait, tu as encore fait parler de toi. Déjà deux morts à ton palmarès.
Il est au courant pour la femme du comptable. J’aurais dû me douter qu’il lui en parlerait.
— Et pour tout à l’heure, ça mérite des félicitations. Tu as fait sensation.
Il dit cela en tapant doucement dans ses mains. C’est la deuxième personne à me féliciter aujourd’hui, mais l’entendre de mon connard de colocataire ne m’a pas fait le même effet. Déjà, lors de son discours, je l’avais trouvé sublime. Son rôle de dictateur au regard glacial lui sied à merveille, mais l’entendre me féliciter, ça l’a rendu encore plus attirant.
— C’était mon jour de chance ! J’ai pu abattre un de ces cons avec une autorisation en plus. C’est comme gagner le gros lot.
Après mon affrontement, ils me voyaient différemment. Aucun d’eux n’avait osé me faire face à nouveau, mais je sais que cela ne durera pas. Quand leur chef aura le dos tourné, je devrais de nouveau prouver ma valeur.
— Je me répète, mais vous êtes aussi malade l’un que l’autre !
— Qu’est-ce que tu ne comprends pas dans: « On se rejoint à la voiture »?
La voix de Nico nous fait sursauter.
— Et habillée de cette façon en plus. Tu cherches à te faire violer ?
Il m’horripile. Il sait trouver les mots pour me faire sortir de mes gonds, ce salop. Mais je commence à le cerner : il est juste hors de lui parce qu’encore une fois, je ne lui ai pas obéi, et il déteste ne pas m’avoir sous son contrôle.
— Après ce qui vient de se passer, je ne pense pas qu’un de tes connards tente sa chance tout de suite.
— Elle a raison, renchérit Hernando.
Nico lui jette un regard de tueur.
— Séparément, vous êtes déjà exaspérants, mais alors ensemble, vous êtes insupportable. Aller, Maria, dit au revoir, on y va !
Il m’attrape par le bras et me titre vers la sortie. Je m’extirpe de sa prise et lui lance d’un ton glacial :
— Lâche-moi ! Je connais le chemin. Merci.
La route se fait dans un silence de plomb, ce qui me permet de réfléchir aux différentes façons de lui faire part de mon idée. Quand je sors de mes pensées, je réalise que nous quittons la ville.
— Où vas-tu ? On ne devait pas aller manger?
— Tu n’imagines pas que je vais t’emmener au restaurant dans cette tenue.
Il n’est pas croyable.
— C’est un petit top noir, tu aurais préféré que je garde ma chemise pleine de sang, peut-être ?
— Tu aurais moins attiré l’attention, j’en suis sûr.
Il détaille mon corps sans aucune discrétion.
— N’importe quoi !
Il me met mal à l’aise, à chaque fois qu’il fait des allusions sur mon corps. Il l’a bien compris, cet abruti.
— Comme tu nous obliges à repasser par la maison, on pourrait manger ici.
Il me regarde perplexe. Je prends une mine blasée.
— Je sais cuisiner. Moi !
— Je ne souhaite pas mourir aujourd’hui.
Avec son air taquin, il est tellement sexy. Pourquoi le destin me met-il constamment au défi ? Pourquoi il ne l’a pas rendu aussi moche qu’il est détestable.
— Si je voulais te tuer, je ne choisirais pas une mort aussi douce que l’empoisonnement.
Je m’active en cuisine, je confectionne une pizza. J’avais déjà préparé la pâte hier soir, il ne reste plus qu’à l’étaler, ajouter la garniture et la mettre au four. Cuisiner est pour moi un excellent moyen de me détendre. Normalement, j'écoute de la musique et danse en même temps, mais son regard est beaucoup trop pesant sur moi. Il ne m’a pas quitté des yeux pendant toute la préparation, il a sûrement voulu s'assurer que je n’allais pas l’empoisonner.
Je vais profiter de ses 20 minutes de cuisson pour plaider ma cause.
— J’ai quelque chose à te proposer.
Il lève son visage vers moi, les sourcils relevés. Je me lance de toute façon, je n’ai pas d’autre choix.
— Je sais que toi et ton père avez des dossiers très importants dans vos bureaux, alors j’aimerais servir de test de sécurité. S’il y a des défaillances, je les trouverai et les communiquerai à Hernando. On travaillerait en binôme.
Je le vois se tendre sur sa chaise. Il n’a pas l’air d’apprécier que je mette en doute sa sécurité.
— Impossible ! Déjà, tu n’arriveras pas à entrer sans te faire remarquer, et si par chance, tu y parviens, tu n’auras jamais le temps de cracker les disques durs.
— Je te le propose parce que je suis inégalable dans ce domaine. Donc si ça devient difficile, voire irréalisable pour moi, personne ne pourra y accéder, crois-moi.
Il se lève, se poste devant moi, puis saisit ma mâchoire entre ses doigts.
— Je ne sais pas pour qui tu te prends! Mais arrête de me prendre pour un idiot.
Il serre légèrement sa prise, m’obligeant à soutenir son regard.
— Je sais très bien que tu ne fais pas cela par bonté d’âme. Et je te trouve bien sûr de toi ! Tu penses véritablement être la meilleure ?
Sa prise sur ma mâchoire se resserre de plus en plus, devenant désagréable. Il est vraiment en train de mettre mes capacités en doute. Il m’agace avec son sourire arrogant qui ne quitte pas ses lèvres.
— Tu es prêt à parier ? Alors accepte ! Qu’est-ce que tu risques ? Si je n’y parviens pas, ça confirmera que tu as raison.
Il me regarde perplexe.
— Je vais y réfléchir. Si je te dis oui. Tu devras me le prouver.
Il me relâche enfin, puis repart s’asseoir. Je ne peux m’empêcher de me masser la zone endolorie. J’aurais pu me défaire de sa prise, mais je risquais de le provoquer, et ce n’est pas dans mon intérêt pour le moment. Maintenant, il n’y a plus qu’à croiser les doigts. Ses essais sont l'unique solution pour trouver un moyen de pression sur lui. Le four sonne, et on passe à table. C’est étrange de ne plus manger seul, et encore plus d'être en sa compagnie.
— Où as-tu appris à cuisiner ?
Ce mec souffle le chaud et le froid à une vitesse folle. C’est la première fois qu’il me pose une question aussi personnelle.
— Avec Soha.
— C'est qui pour toi ?
Deux questions d’affilée. C’est du jamais vu.
— C’est la fille de mon mentor, celle avec qui j’ai grandi quand je suis parti d’ici.
— Ton mentor ne t’a pas appris à ne pas laisser tes sentiments gérer tes décisions et ta vie ? Tu ne t’es jamais dit que si tu ne les avais pas rencontrés, tu n’en serais pas là, aujourd’hui ?
Il est tellement arrogant. Ça n’existe pas, les personnes qui n’ont rien à perdre. Je vais le lui prouver.
— Je suis plus qu’heureuse de les avoir rencontrés. Elles m’ont permis de ne pas finir comme toi. Et si tu veux tout savoir, elle m’a appris à respecter et à protéger les gens que j'aime et à tuer tous les individus qui les menaceraient. Elle m’a également inculqué que la vengeance demandait de la patience.
— La vengeance est pour ceux qui n’ont rien à perdre. Ce n’est pas ton cas.
C’est reparti! Son côté connard est de retour. Ça n’a pas duré longtemps. De toutes ses personnalités, c'est la plus présente.
— Pourquoi prends-tu plaisir à rendre les rares moments passés ensemble détestables ? Pourquoi tes mots sont-ils constamment acerbes et offensants ?
Encore ce sourire méprisant que je déteste, ça va saigner.
— Tu crois que parce qu'on se connaît depuis l’enfance, je deviendrais quoi ? Ton ami ? Comme, je te l’ai déjà dit, je te hais de tout mon être, je ne souhaite qu’une chose, te briser.
Je serre les poings. Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi énervant. Cet homme est imbuvable. Sur ces mots, il part en claquant la porte. Comme à chaque fois qu’on passe du temps ensemble, je finis sur les nerfs, au bord de l’implosion. Alors, je profite d’être enfin seul pour jeter un œil à mon nouveau contrat et me changer les idées.