MARIA
Je me relève, tous les regards se posent sur moi. Le problème n’est pas la tête, mais bien le fait que je sois une femme, bien entendu. Je reconnais rapidement M. MANCINI, c’est le seul qui est petit et bedonnant au milieu de tous ses hommes qui ont l’air d’avoir été taillés dans la roche. Mes iris se perdent ensuite dans ses yeux bleu foncé qui me rappellent ma jeunesse. Il est grand, costaud, on peut apercevoir ses muscles qui tirent sur le tissu de sa chemise noire. Son visage est carré, ses cheveux courts et sombres. Et j’entrevois un tatouage à la base de son cou qui se termine sur son avant-bras. Son teint est bronzé, dû à ses origines italiennes. Avec les rayons du soleil du mois de mai qui éclairent son visage, il est à ce damné.
M.MANCINI demande à ses hommes de partir, sauf son héritier. Il s’avance vers moi et me présente ses condoléances. Il me présente à son fils en utilisant mon nom de mercenaire. J’adopte une apparence détachée et fais mine de ne pas le reconnaître. Se souvient-il de moi ? Savait-il que j’étais devenu une mercenaire ? Il reste de marbre, comme tout bon criminel. Les émotions ne font pas partie de son monde, il est donc impossible de connaître ses pensées. Je commence à croire qu’ils naissent avec des visages inexpressifs. Pendant ma formation, c’était difficile pour moi de cacher mes sentiments, étant très impulsive. Cela m’a pris un moment et m'a valu de nombreux châtiments. Roberto était une ordure.
— Souhaites-tu te joindre à nous, pour le repas organisé au nom de ton père ?
— Désolée, je dois décliner votre offre, j’ai un courrier à envoyer.
Avec mon plus beau sourire de cinglée, je récupère la tête et me dirige vers ma moto. Je compte bien adresser un avertissement au réseau qui a attaqué Roberto. J’ai une réputation à sauvegarder.
Il ne tarde pas à me rappeler le contrat.
— 20 h chez Nico, à moins que tu ne souhaites déshonorer l’accord passé avec ton père.
Son sourire est détestable, il pense avoir la main mise sur moi, mais je connais la liberté. Je n’y renoncerai pas. Je lui fais un signe de tête pour lui faire comprendre que j’ai entendu, puis je repars.
Après avoir transmis mon colis, j’appelle Soha, pour avoir des nouvelles. Elle me fait un résumé, puis j’en fais de même. Je lui parle de mon rendez-vous de ce soir et l’informe que je la recontacterai demain pour lui faire un topo. Puis, notre conversation devient professionnelle. Elle m’envoie deux contrats par mail. Comme je suis à New York, autant, que cela soit bénéfique.
20 H 00
Je patiente dans le bureau. Il est très spacieux, avec une décoration moderne et chic, un mélange de blanc et de noir, très masculin. Je me suis servi un whisky en attendant leur arrivée. La porte s’ouvre et, comme je l'avais prévu, ils ne pensaient pas me trouver ici. Le futur chef braque son arme sur moi. Je souris et lui fais signe avec mon verre.
— Tu devrais renforcer la sécurité, on rentre chez toi comme dans un moulin.
Je vois la colère déformer son visage. Il s'empare de son téléphone et déserte la pièce. Il revient rapidement, et ne me quitte plus des yeux, il arrive même à me déconcerter. M.MANCINI sort le contrat, et je rêve de l’étouffer avec.
Je te rappelle les accords :
— Maintenant que Roberto nous a quittés, c’est toi notre assassin. Tes obligations sont simples : tu ne peux prendre aucun engagement concernant quelqu’un de notre clan ni qui pourrait avoir un impact sur les Black Fever.
Je n'ai fait qu'une exception, il y a quatre ans. J’étais dans une mauvaise passe, alors j’avais accepté un contrat sur la tête à Nico. Me disant que lui seul serait à la hauteur. Lui, peut-être, aurait pu mettre fin à mon calvaire. Si Tanaka n’avait pas été là, l’un de nous deux serait mort, à l’heure qu’il est. L’avait-il découvert ?
— Tu dois systématiquement prévenir le chef des Black, si tu as ou entends parler d’une transaction concernant un membre du clan.
C’est cette obligation qui me dérange le plus. En tant que mercenaire, je ne dois pas interférer entre les organisations ni donner des informations sur mes employeurs. Je suis normalement soumise au secret professionnel. Oui ! Même chez les criminels, il y a des règles.
Malheureusement, maintenant que mon père est mort, j’appartiens également aux Black. Je fais signe à Francisco que je suis d’accord avec le contrat. Il me jette un regard acéré, rempli de haine, un mauvais sourire se dessine sur son visage.
— Est-ce que je t’ai dit que Nico prendra ma place de chef dans quelques mois ? Oui ! tu dois le savoir. Tout se sait dans notre monde, n’est-ce pas ?
À ces mots, je comprends que ce rendez-vous n’était rien d’autre qu’un piège. Il est au courant, cela ne fait aucun doute. J’acquiesce d’un mouvement de tête.
— Alors, tu aurais dû avoir plus de jugeote. Crois-tu vraiment que je n’aurai pas appris pour le contrat que tu as accepté sur la tête de mon fils ? Comme tu t’en doutes, ton choix aura des conséquences.
Il sort un briquet et brule le document, avant que je puisse réagir, quatre hommes ont leurs armes braquées sur moi, dont Nico. Ses yeux étincellent de fureur, je suppose qu’il ne savait pas que j’avais prévu de le tuer. Si je tente quoi que ce soit, je serai morte avant de toucher à un de mes couteaux. Je n’essaie même pas de plaider ma cause. Cela signifierait leur parler de moi, de lui, du jour où j’ai complètement perdu pied. Leur avouer les motifs de mon choix me rendrait vulnérable. Il est hors de question que je leur fasse ce plaisir. Alors, je lui crache d’un ton plein de mépris.
— Tu as raison, mais finalement, je ne l’ai jamais honoré. La preuve ton bambin est ici !
Je fais un signe de tête dans la direction de Nico, comme pour appuyer mes dires. Je peux voir qu'il me fusille du regard. Il ne souhaite qu’une chose : me faire taire.
— Tu es toujours aussi arrogante. Tu n’aurais jamais fait le poids. Ne sois pas stupide.
Son assurance m’agace au plus haut point. Mais au fond, je sais qu’il n’a pas tort. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’avais acceptée. Lui et moi, c’est du 50/50.
— Je t’avais fait une énorme faveur. Et toi, espèce de sale gosse, tu as voulu jouer. Maintenant tu vas assumer.
— Tuez-moi alors ! Qu’on en finisse !
Je ne le quitte pas des yeux, mon regard est hostile.
— Et gâcher ce talent ? Je ne fais jamais les choses par compassion ou gentillesse. Je n’ai pas accepté ces conditions sans raison, je compte bien en tirer profit.
Il avance vers moi, un dossier dans les mains. S’il approche encore, je pourrai l’abattre avant de mourir. Je déteste ses airs supérieurs, il est plein d’assurance, comme si rien ne pouvait l’atteindre. Cet homme est ignoble.
— Te tuer te ferait trop plaisir, par contre si j’exécute Soha ?
Il jette le dossier sur le bureau, en mettant bien en évidence des photos d’elle, dans la maison, dans la rue… Je n’avais jamais ressenti autant de haine, je m’avance vers lui, mais rapidement, j’ai un couteau sous la gorge. Je sais à qui il appartient, je reconnais très bien la queue du dragon tatouée sur le bras de Nico.
Elle est mon unique famille. Je me mords l’intérieur de la joue si fort que je me fais saigner, un gout de fer se répand dans ma bouche. Il n'y a rien de pire que la trahison. Mon père était le seul à connaitre l’existence de Tanaka et de sa fille.
— Quel traitre !
— Ton père ? Tu le connaissais donc si peu ? C’était un homme loyal. Quand il a su, il est venu immédiatement me trouver et il m’a dit où te trouver. Il ne t’a jamais pardonné ce choix. Grâce à lui, je connais tes faiblesses.
Son sourire s’élargit. Un jour, je ferai en sorte que cet homme ne puisse plus jamais sourire.
— Formée pour tuer ou non. Tu n’es pas une Black, tu n’es pas éduquée, comme mes enfants, tes sentiments te rendent faible. Toutes ses années d’enseignement foutues à la poubelle, Roberto doit être tellement déçu.
Même si je dois mourir ici, ça n’a pas d’importance. Je ne les laisserai jamais s’en prendre à elle. Je sens une compression sur mon cou, je ne sais pas si c’est le fait que Nico renforce sa pression ou ma respiration qui diminue en même temps que mes chances d’être libre. Je ressens une légère douleur puis du liquide chaud commence à couler sur ma peau.
— Qu’est-ce que tu veux ?
Dire cette phrase me retourne l’estomac. Il rejoint doucement son bureau, sort un papier, et demande à Nico de me conduire en face de lui, ce qu’il fait toujours, le couteau sous ma gorge.
— Voilà le nouveau contrat entre mon fils et toi, il sera ton chef, maintenant.
Je tressaille sur ces mots.
— Tu vas signer ce contrat, le respecter et ton amie restera en vie.
Je tuerai cet homme, je m’en fais la promesse. J’ai assuré à mon mentor que je protégerai sa famille, je donnerai ma vie, même ma liberté pour eux. Il me tend le document, et je sens que Nico se penche au-dessus de moi pour en prendre connaissance. Y aurait-il des non-dits chez les MANCINI?
J’arrive rapidement à la nouvelle clause : « La mercenaire Ombra n’a pas respecté les Black Fever, elle a perdu le droit d’être une femme libre. En plus d’œuvrer pour le réseau, elle devra habiter avec Nico et se comporter comme son épouse. Il pourra bien entendu tout mettre en œuvre pour la soumettre. Il sera le seul à pouvoir lui rendre sa liberté, s’il le souhaite. ».
Le piège se referme sur moi, j’aurais dû tuer son fils et disparaître.
— Je travaillerai avec les Black, mais je refuse de vivre comme l’une de vos épouses. Jamais !
— Tu feras les deux. Penses-tu être en position de négocier ?
Il secoue le dossier. Je me note dans un coin de la tête de lui enfoncer au fond de la gorge. Cet homme va se transformer en corbeille à papier quand j’en aurai fini avec lui.
Je n’ai plus le choix, je le dois à Tanaka. Je compte bien faire vivre un enfer à son héritier. Il n’y a écrit nulle part que je devais être une femme raisonnable et obéissante. Quant à me soumettre… je ris intérieurement. Il peut toujours essayer.
— Par contre, je ne signerai pas "Ombra" pour les individus que je devrais assassiner au nom du réseau. Il ne doit y avoir aucun lien entre Ombra et vous. Sinon, je ne recevrai plus d’information concernant les Black, et cela ne serait pas à votre avantage, je peux vous le garantir.
— Tu souhaites surtout garder ta réputation de mercenaire intacte.
Nico se décide enfin à intervenir.
— Putain, tu parles ? Et en plus de ça, tu réfléchis ? Félicitations !
Son couteau resserre un peu plus mon cou. Francisco sort son téléphone et s’écarte de nous. Je sens un souffle chaud, à mon oreille, une odeur agréable remplit mes narines.
— Tu vas passer les pires moments de ta vie, je te ferais payer. Crois-moi, tu vas vite te soumettre.
Il a une voix grave, très sexy, qui me donne des frissons. Je lui réponds avec dédain, essayant de dissimuler la réaction de mon corps.
— J’adore les défis. On va bien s’amuser.
On se menace du regard, mais l’arrivée de Francisco met fin à notre duel. Quelques minutes passent dans un silence de plomb. Un "toc" à la porte brise le silence. Une jeune femme blonde, grande et mince, un vrai mannequin, entre dans la pièce. J’aperçois toutes ses œillades lubriques. Elle donne des documents à son patron et repart sans un mot, en roulant des hanches avec insistance, me faisant lever les yeux au ciel. Aucun amour-propre.
— Voilà le nouveau contrat avec ta demande.
Il me le tend, et je constate que tout est en ordre.
— Un stylo, ça peut être utile ! ironisé-je
Tout d’un coup, je suis violemment projetée en avant, et une goutte de mon sang coule sur le papier. Un rire amer se fait entendre derrière moi.
— Voilà, tu as signé.
Il me relâche, s’ouvre la main, sans aucune marque de douleur sur le visage, et fait tomber, lui aussi de son sang sur le contrat. Quand je relève la tête, mes yeux rencontrent les siens. En silence, je lui promets qu’il paiera pour son geste.