HERNANDO
« Dérangés ». Ils sont aussi dérangés l’un que l’autre. Maria est partie, me laissant Nico à fleur de peau. Quand je le vois se diriger vers le club, je le stoppe.
— N’y retourne pas. Pas dans cet état. Il y a eu assez de bordel pour ce soir.
Il me lance un regard noir.
— Rentre chez toi ! Insisté-je.
Contre toutes attentes, il monte dans sa voiture et quitte le parking à une vitesse folle, évitant de justesse deux passants. J’ai bien cru que cette soirée finirait en bain de sang, heureusement, j’ai réussi à lui faire entendre raison. Si, ça continue ainsi, il va y avoir un mort, et j’aimerais vraiment ne pas être un dommage collatéral. Je devrais demander une prime de risque.
Cela fait des années que je n’avais pas vu Nico dans cet état. La dernière fois, c’était juste après son premier meurtre. Il réagit de cette manière quand les sentiments le submergent et qu’il ne parvient pas à les repousser. Dans ces moment-là, sa solution, c’est de se laisser envahir par la haine. Il s’enferme dans une bulle de colère afin de se débarrasser des autres émotions. C’est ça façon de se protéger, il a été éduqué et forgé ainsi. Il ne sait pas comment faire autrement. Je suis sûr que les propos de Maria l’ont profondément touché, c’est pour cela qu’il a perdu le contrôle.
Quant à elle, certes, elle s’est sortie de ce cercle vicieux, elle a évolué, mais elle ne maîtrise toujours pas ses sentiments. Elle est paumée entre sa haine pour lui et l’amour qu’elle lui portait ou lui porte encore. Là est tout le problème.
Ça a toujours été compliqué entre eux, le jeu du « je t’aime, moi non plus » ou « je te fuis, tu me suis, tu me suis, je te fuis ». Ils se sont toujours protégés l’un l’autre, mais aucun ne l’assume, ils sont attachés, mais aucun ne l’accepte. Ils ont toujours eu ce fil invincible qui les lie et, même avec le temps, il ne s’est pas effilé. Quand j’y pense, ils ont de la chance. J’adore ses deux psychopathes, alors ils peuvent compter sur moi pour jouer le rôle de psy, médiateur et même d’entremetteur.
Trois jours se sont écoulés depuis cette fameuse nuit. On n’a toujours aucune nouvelle de Maria, et Nico est à prendre avec des pincettes. Quand il arrive au centre, le personnel se disperse comme un vol d’oiseaux. Il est insupportable. À la première heure ce matin encore, il est dans mon bureau.
— Tu as regardé si, son nom apparaissait sur aucun vol ?
— Putain ! Oui, Nico, comme depuis trois jours.
— Elle n’a pas pu disparaître, bordel !
Il me jette un regard assassin.
— Je te préviens, ne recommence pas avec tes idées à la con. Je supporte tes conneries depuis deux jours déjà, alors si tu ne veux pas finir six pieds sous terre, ferme-la !
J’avoue que le voir dans cet état, ça m’amuse beaucoup. Je profite de la situation pour le charrier toute la journée, je ne le lâche pas. Il essaie de me faire croire qu’il souhaite seulement la possédée, mais je n’y crois pas une seconde. La vérité, c’est que ça le rend fou de ne pas savoir où elle se trouve.
— Je te jure que si elle ne réapparait pas très vite, je les extermine toutes les deux.
Étonnamment, c’est la première fois qu’il laisse traîner autant les choses avant de tuer quelqu’un, mais ça, il ne l’assumera pas.
— Et pour ma prime de risque ?
— Tu peux te la mettre où je pense. Abruti.
Il quitte mon bureau en claquant la porte, il va falloir que je la retrouve, sinon le bâtiment ne tiendra pas le coup, ou il pétera les plombs et va faire d’énormes dégâts. Il ne se rend pas compte, mais trouver du personnel fiable, ce n’est pas facile de nos jours.
La sonnerie de mon téléphone résonne dans la pièce. Où je l’ai posé encore, putains! Ils vont me rendre fou. Quand je le récupère, le nom qui apparait à l’écran me met immédiatement le sourire aux lèvres.
— Bonjour, Soha ! Et non, je ne sais toujours pas où elle est.
— Salut ! J’ai enfin réussi à l’avoir.
Elle souffle de soulagement. Après que Maria ait disparu, Soha était morte d’inquiétude, alors elle m’a contacté. Quand je lui ai fait un petit résumé de la situation, elle a voulu prendre le premier avion, bien décidé à buter Nico. J’ai bien sûr essayé tant bien que mal de défendre mon ami, mais sans résultat. C’est certain, ses charmes n’ont aucun effet sur elle, je pense qu’elle le hait peut-être encore plus que Maria. Dans tous les cas, depuis, on s’appelle tous les jours pour se tenir au courant des avancées de chacun.
— Elle m’a garanti qu’elle viendrait au club cette après-midi pour en finir avec Millers.
— Comment va-t-elle ?
— Elle m’a dit que ça allait, mais avec elle, on n’est jamais sûr de rien. Elle a beaucoup de mal à se confier.
— Oui ! je connais ça, j’ai exactement le même.
— Hernando, promets-moi d’être là pour elle. S’il y a encore un souci de ce genre, appelle-moi immédiatement. Je prendrai le premier avion. Et je lui couperai les couilles.
Maria a dit la même chose quand elle a tué l'autre con au bureau. Qu'est-ce que c'est que cette manie de vouloir émasculer à tort et à travers.
— Promis.
— Et pas un mot à Maria sur le fait qu’on se contacte. D’ailleurs, avec tout ça, j’ai oublié de te remercier. Alors, merci d’avoir fait semblant de ne pas me connaître le soir où elle nous a présentés.
— Avec plaisir.
— Non, vraiment, je t’en dois une. Si ma sœur avait découvert qu’on se connaissait et surtout comment on s’est rencontrés. Elle aurait été capable de prendre un vol aller-retour rien que pour me botter le cul.
— C'est une possibilité. Mais avec de la chance, découvrir que tu as piraté le système informatique des Black pour avoir des infos et lui sauver les miches, ça aurait peut-être et je dis bien peut-être fais passer la pilule.
Soha est adorable en plus d'être sublime.
— J’en doute.
— Ne t’inquiètes pas, ton secret est bien gardé. Et je sais même comment tu pourrais payer ta dette.
— D’accord, dis-moi !
— Un tête-à-tête quand on se verra.
Elle bégaie, gênée.
— Et... Et si on ne se rencontre jamais ?
— Je sais où te trouver.
— Tu ne vas pas faire plus de 8000 km rien que pour un rencard !
— Pour toi, sans hésiter.
— Je vois ! Tu es le genre « Beau parleur ». En attendant, on reste en contact. Ça me rassure que tu veilles sur elle en mon absence.
— Avec plaisir. Sache que je suis dispo jour et nuit.
Elle rit puis raccroche. Je m’affale sur mon fauteuil, je crois que je suis amoureux. Bon maintenant, je n’ai plus qu’à prévenir, grincheux. Je monte à son bureau avec la ferme intention de le faire chier. Il devrait être plus abordable après mon excellente nouvelle.
— Roméo ! j’ai retrouvé ta Juliette.
Il me jette un couteau qui se plante à quelques centimètres de ma chaussure. Ok, c’est encore trop tôt.
— Elle nous rejoint cette après-midi au Hot pour Milers.
— Elle pense que je suis à sa disposition ?
— Je suis juste le messager.
— Comment l’as-tu trouvé ?
— Oh ! je suis le meilleur, tout simplement.
Sans chercher plus loin, il me fait signe de sortir et reprend l’étude de son document. Plus tard dans la journée, je retrouve Maria au bar du club, en pleine conversation avec Zoé. Je m’installe avec elles en attendant que Nico se décide à arriver. Bien évidemment, il se fait désirer et se pointe en fin de soirée. Lorsqu’il nous aperçoit en train de discuter et rire, son visage se ferme. Il est jaloux, que c'est mignon. Oh ! Je sens que je vais bien m’amuser.
Quand il s'assoit à côté de nous, lui et Maria ne se lâchent pas du regard. Ils ont tous les deux les traits déformés par la fatigue. Maria a encore les yeux gonflés, comme si elle avait pleuré sans s’arrêter pendant 72 heures.
— Bah ! Dit donc ! Vous avez des têtes à faire peur tous les deux.
— Ferme-la !
Nico a l’air las de mes commentaires, et en ce qui concerne Maria, elle me donne un coup de poing dans l’épaule qui me fait grimacer.
— Tu es une véritable brute, râlé-je en me frottant la zone d'impact.
Le club ouvre dans deux heures, ce qui nous laisse largement le temps de tout organiser. Je peux voir que Nico ne la quitte pas des yeux. Je suis sûr qu’il ne pense qu’à une chose, découvrir où elle a passé ses nuits. Cette question doit lui brûler les lèvres.
— Tu es prête ? On n’a pas eu le temps de discuter des détails, lui demande Nico.
— Hernando m’a fait le topo en patientant et m’a montré la salle qui m’est réservée avec le juge. Il ne me reste plus qu’à cacher mes couteaux dans un endroit stratégique et à me préparer pour le service.
Leur discussion est cordiale, c’est le calme après la tempête.
— Qu’est-ce que tu as prévu comme tenue ?
Oh, je ne perds pas une miette de leur échange. Je m’attendais à cette question. Il est si prévisible.
— Les filles ont tout prévu.
Je le connais tellement que je suis le seul à me rendre compte qu’il est tendu. Il essaie de garder le contrôle, mais en vrai, il est à bout. Savoir que des hommes vont la voir en tenue sexy, ça le rend dingue. Oh putains, je vais m’amuser.
— Très bien, il arrive vers 22 heures, on ouvre dans deux heures, prépare-toi, lui lance-t-il l’air de rien.
Nous restons tous les deux au bar pour assurer ses arrières. On entend des rires provenant de la loge. Elle fait son apparition deux heures plus tard. Elle est à couper le souffle. Les filles lui ont trouvé un mini short en cuir, un soutien-gorge assorti avec des talons aiguille noirs. La réaction de mon ami ne se fait pas attendre : il la décore des yeux et lance des regards noirs à tous les clients qui osent l’admirer.
Je me positionne devant lui afin de le couper dans sa contemplation et lui tends une serviette en papier.
— Oh ! Chef, essuie la bave de ta bouche.
Il me pousse sans ménagement, me faisant presque chuter de mon tabouret, ce qui me fait sourire. Maria se rapproche du bar au même moment et commence à servir les premières commandes. Comme prévu, le juge tombe rapidement sous son charme. Plus la soirée passe, plus les mains deviennent baladeuses et les regards affamés. En voyant la tête de Nico, je ne peux pas m'empêcher de me foutre de sa gueule, discrètement, je ne souhaite pas mourir ce soir. Il est au bord de la crise de nerfs, il essaie de ne rien montrer, mais si ça continue, il va buter tout le monde. Quel jaloux !
— Bon, je me casse! Veille sur elle.
Il se lève et quitte le club en vitesse, alors j’éclate de rire, je me marre tellement que j’en ai les larmes aux yeux. Le voir dans cet état, c’était un vrai bonheur. Après ce que j’ai découvert ce soir, je ne suis pas près de le lâcher. Je ne le pensais pas accro à ce point.