NICO
Il est 20 h 30. Je me sers un verre et l’attends sur la terrasse. J’espère qu’elle ne va pas faire de vague ce soir.
— Bon, tu te dépêches ! Ou tu viens à pied ! Hurlé-je, depuis la terrasse.
J’entends ses pas derrière moi au même moment. Quand je lui fais face, je constate que j’ai droit à son geste affectueux habituel. Son regard sur moi ne m’a pas échappé, je suis sûr qu’elle m’observait avant que je l’aperçoive.
— Tu sais où je te mettrai bien ce doigt, moi !
— Tu es un obsédé.
— Oh ! Ne fais pas ta sainte-nitouche. On sait tous les deux de quoi tu es capable ! Puis j’ai bien vu que je ne te laisse pas indifférente. Juste à l’instant, ton regard t’a trahi.
— Oui, tu es bel homme dans ton smoking noir et ta chemise légèrement ouverte, c’est vrai. Dommage que tout le reste soit à jeter.
— Tu verras, quand tu auras goûté à mes caresses, tu ne pourras plus te passer de moi.
— L’espoir fait vivre ! On y va ? Parce que là, c’est moi qui t’attends !
En nous dirigeant vers l’entrée, j’ai une vue magnifique sur son dos nu et ses fesses. Elle est resplendissante dans sa robe noire moulante, fendue sur le côté, laissant sa jambe découverte. Son maquillage est naturel, il ne faut pas grand-chose pour l’embellir, elle est déjà parfaite au naturel. Ses longs cheveux sont attachés avec un bijou qui ne met pas inconnu. L’envie de glisser mes doigts sur sa peau dénudée me traverse l’esprit.
On arrive après 40 minutes de route. La soirée a lieu dans notre demeure familiale. Nous sortons de la voiture, j’entends de la musique ainsi que les voix des invités qui proviennent de l’intérieur. En arrivant à sa hauteur, je ne peux pas m’empêcher de faire descendre ma main le long de son dos jusqu’à la limite de ses fesses. J’apprécie la chaleur de sa peau contre ma paume. À ma grande surprise, elle ne s’écarte pas. Nous avançons en direction de la maison, qui est comme toujours décorée du sol au plafond. Tout est démesuré, comme d’habitude. Mes parents adorent en mettre plein la vue, même le jardin y a eu droit. En longeant l’allée, je ne peux m’empêcher d’admirer toutes ces statues. Elles ont toutes perdu un bras ou une jambe, et certaines ont même perdu leur tête. Je me tourne vers Maria, qui me regarde, le sourire aux lèvres. Elle est magnifique. Jamais une femme ne m’a fait cet effet. Je m’attendais à une tout autre réaction de sa part, sachant ce qui s’est passé la dernière fois qu’elle est venue ici.
— Je suis surprise qu'elles n’aient pas été remplacées depuis le temps. Tu te rappelles ce jour-là ?
Bien sûr. Je me remémore cette journée à chaque fois que je traverse cette allée. On avait volé un pistolet à l’armurerie et nous nous étions entraînés sur les statuettes. On avait ri aux éclats en voyant ma mère au bord de la syncope, en découvrant ces trésors détruit. Mon père et Roberto nous avaient sévèrement punis, mais on s’en foutait tant qu’on était ensemble. Enfin, c’est ce que je croyais à l’époque, avant qu’elle nous lâche. Alors maintenant, dès que je pense à ce jour, c’est un sentiment de trahisons qui m’envahit.
— Non, j’oublie rapidement les choses sans importance.
Ma réponse la blesse, je m'en aperçois, car elle reprend sa marche en s’écartant de moi. À l’entrée, mes parents nous accueillent. On les salue, comme toujours, ma mère est joyeuse et souriante ; elle a toujours aimé recevoir. Elle complimente Maria sur sa tenue et sur sa beauté.
— Et Nico, elle est vraiment superbe, non ?
Je ne réplique rien. Je suis tellement envouté par sa perfection que je ne peux pas la quitter du regard, mais hors de question qu’elle s’en rende compte. Comment est-ce possible de détester autant quelqu’un, mais en même temps, de la vouloir tout autant?
— Maria, alors ta nouvelle vie te plait-elle ?
Ça m’aurait étonné que mon père ne fasse pas un commentaire sarcastique. Lui et Maria, ça n’a jamais été le grand amour. Depuis toujours, les piques fusent entre eux.
— Oui! Je suis la plus heureuse du monde !
Elle me prend par le bras et me donne un baiser sur la joue, me prenant par surprise.
— Votre fils est un ange tombé du ciel.
Elle lui fait un grand sourire, puis, sans attendre de réponse, nous fait entrer dans le couloir menant à la salle de réception. Je sens tout son corps se tendre, puis elle me relâche. J’adore le fait qu’elle tienne tête au vieux, ça me change de toutes ces pimbêches. Ce couloir est sans fin, toutes nos photos de famille y sont accrochées. Je déteste le traverser, c’est ma hantise, ça me rappelle à quel point je suis monstrueux. Heureusement que je suis entrainé à combattre toutes les émotions, ce qui me permet de garder une apparence neutre, afin qu’elle ne s’aperçoive de rien.
Arrivés dans la salle de réception, tous les regards sont braqués sur nous. Je la sens se crisper, elle a l’air très mal à l’aise. En la regardant attentivement, je revois la jeune fille d’il y a 10 ans, alors je presse un peu plus ma main sur son dos pour la rassurer. J’attrape deux coupes sur le plateau d’un serveur et lui en tends une.
— Tiens, ça te détendra.
— Je ne suis pas du tout tendue, merci.
Je m’approche de son oreille, son odeur sucrée m’enveloppe.
— Tu devrais, car toutes ces femmes aimeraient te tuer pour prendre ta place à mon bras.
Elle se tourne vers moi, et je n’ai qu’une envie : caresser ses lèvres. À chaque fois que je me retrouve près d’elle, c’est la première chose qui me vient à l’esprit. Il faut que je trouve le moyen d’assouvir ce désir qui m’anime pour enfin pouvoir passer à l’étape suivante : « la brisée ».
— Sérieux, comme tu peux être narcissique !
— Je n’y peux rien, elles sont folles de moi !
Elle lève les yeux au ciel, avec une mine désespérée. Je l’attrape par la taille puis nous avançons dans la foule. Je salue et la présente à plusieurs personnes ; tous les hommes la regardent avec appétit, ce qui a le don de m’agacer. Je sais qu’aucun d’eux n’osera l’accoster tant qu’elle est auprès de moi.
— Viens, on va danser !
— Non ! Sûrement pas.
— Je ne te laisse pas le choix.
Je la prends par les hanches et la fais valser au milieu des invités. Je rapproche nos corps de façon à sentir sa poitrine contre mon torse, laisser mes mains au-dessus de ses fesses devient difficile. Je meurs d’envie de parcourir ses courbes. Je me recule légèrement pour mieux l’observer et attrape son menton, l’obligeant à me regarder. Lorsque nos iris se rencontrent à nouveau, je perçois un voile de tristesse dans les siennes. Je reste un moment à la scruter, cherchant une explication à ce changement soudain et inattendu. Habituellement, le seul sentiment qui habite son regard quand elle pose les yeux sur moi, c’est la colère.
À cet instant, je n’ai envie que d’une chose, et d’ailleurs, ça m’obsède depuis que j’y ai goûté au club : sa bouche et caresser sa peau nue.
— Tu es merveilleuse ce soir.
J’étais tellement envahi par mes pensées perverses que j’ai laissé cette phrase m’échapper à voix haute. Ses yeux s’écarquillent de surprise, puis elle se ressaisit.
— Merci, tu n’es pas mal non plus.
— Juste pas mal ?
La chanson se termine et elle s’écarte de moi, comme si ce rapprochement l’avait brulée. J’aimerais la rattraper pour l’obliger à répondre à ma question, mais mon père prend place au micro. Il me demande de le rejoindre sur la scène et commence son discours. J’écoute d’une oreille distraite, trop occupé à balayer la salle du regard pour retrouver le fruit de tous mes désirs, et la bombe à retardement qui m’accompagne. Je ne suis même pas étonné de la voir se diriger discrètement vers le bar.
Quand il eut enfin fini de parler, il annonce sa retraite et me présente comme le nouveau patron. Des applaudissements retentissent dans la pièce, mais mon attention reste fixée sur mon insupportable mercenaire. Elle est en grande discussion avec un homme. Impossible de le reconnaître, car il me tourne le dos. Je descends de la scène avec empressement ; je dois rappeler à cet homme qu’on ne s’approche pas ce qui m’appartient. Mais M. Greco m’interpelle. C’est un membre important des Black Fever, cela fait des années que nous travaillons ensemble. Il est un des chefs de famille les plus influents après la nôtre. Je ne suis donc pas étonné de le voir avec sa fille à son bras. Il est vieux, mais pas fou, il sait qu’un mariage entre nous serait tout bénef’ pour lui. Mon père, qui, j'en suis sûr, a tout manigancé, fait les présentations.
J’apprends que la jeune femme s’appelle Sophia. Elle me fait un sourire aguicheur. Pas besoin d’être un génie pour comprendre ce qu’elle veut. En temps normal, j’aurais été ravi de pouvoir satisfaire tous ses désirs, mais aujourd’hui, je ne parviens pas à sortir Maria de mes pensées. Je n’écoute pas vraiment toute la discussion, je suis trop occupé à jeter un œil au bar. Je déteste l’idée qu’un autre homme soit aussi près d’elle. Je n’ai pas le temps de m’éclipser qu’on m’oblige à offrir un verre à la demoiselle. Malheureusement, je ne peux pas me permettre de refuser, au risque que son père voie cela comme une insulte. Je la conduis vers le bar dans l’espoir d’apercevoir la gueule de ce petit con, mais la fille Greco m’arrête.
— Si tu m’emmenais ailleurs ?
Elle n’a pas froid aux yeux, celle-là. J’avoue que sa proposition est vraiment tentante. Cela m'aiderait peut-être à retrouver mes esprits. Je commence à sortir de la salle, mais m’arrête net, en apercevant Maria qui se dirige vers la piste de danse avec ce connard.
— Putain, je n’y crois pas. Qu’est-ce qu’il fait là ?
Je lâche Sofia, qui me regarde sans comprendre, et me précipite vers eux, les poings tellement serrés que je m’en fais mal aux mains. Je bouillonne, je vais le tuer. Quand j’arrive à leur hauteur, Alejandro me repère et me fait face. J’essaie de garder mon calme.
— Tiens, Alejandro! Qu’est-ce que tu fais ici ?
Ma voix est froide, ce connard ne doit pas sentir que sa présence me met hors de moi, et encore moins sa proximité avec elle.
— C’est ainsi que tu accueilles ton cousin ?
L’ironie dans sa voix est claire.
— Tu n’as rien à faire ici. Ton père a trahi la famille, toi et toute ta lignée, vous êtes bannis.
— Je vois que tu as trouvé une vraie perle.
Je sens que je vais le saigner. Sa présence me met hors de moi, si ce connard commence à parler d’elle, je ne sais pas jusqu’où je pourrais aller. Notre petite discussion commence à attirer la curiosité et plusieurs regards se tournent vers nous. Alors, il s’avance vers moi et me parle à voix basse de manière à ce que je sois le seul à l’entendre.
— Tu ne veux pas me la prêter. Il y a plein de choses que j’aimerais lui faire, elle a l’aire chaude.
C’est la phrase de trop. Mon sang ne fait qu’un tour. Je sors mon couteau et lui met sous la gorge. Les invités reculent en poussant des cris de stupeur, l’inquiétude se lit sur leurs visages.
— Nico, ne fait pas le con.
Hernando intervient avant que ça finisse en bain de sang. Il était où jusqu’à maintenant, celui-là?
— Si tu ne pars pas immédiatement, je t’égorge.
— Tu as entendu. Dégage d’ici! Insiste Hernando.
Mon cousin lève les deux mains en l’air en signe de paix.
— Ne sois pas si désagréable, je comptais y aller de toute façon, je suis juste venu te féliciter. On se revoit bientôt.
— Si je te revois, je n’hésiterai pas à te tuer
Mon cousin me répond d’un ton sarcastique
— J’ai hâte.
Hernando m’attrape fermement par l’épaule pour m’empêcher de faire demi-tour. Je range mon couteau en le regardant quitter la pièce. Il n’est pas venu simplement pour me narguer, il prépare quelque chose, je dois m’en occuper rapidement. Je me tourne vers Hernando.
— Découvre ce qu'il manigance.
Je suis à la limite de l’explosion. La voir avec mon cousin m’a rendu dingue. Mais ce qui a tout déclenché, ce sont les mots de ce fils de chien. Mon père, demande à tout le monde de reprendre la soirée et se dirige vers nous. Il est fou de rage.
— Qu’est-ce qui t’a pris ? Tu peux m’expliquer ? Sortir ton couteau devant tout le monde. Je te rappelle qu’il y a des gens importants à cette soirée. Rentrez tous les deux. On en reparlera demain. Crois-moi !
S’il n’y avait pas des individus extérieurs au réseau, j’aurais égorgé ce connard pour ses mots. Normalement, j’aurais su garder mon sang-froid. Je ne sais pas pourquoi, mais dès qu’il s’agit d'elle, je perds le contrôle.
Fou de rage, je la saisis par le poignet sans ménagement et nous traversons la salle. Putain, je suis une boule de nerf. Je la sens essayer de se défaire de ma prise, m’obligeant à la serrer davantage. Arrivée dans l’allée, je la projette en avant et la relâche violemment. Elle se rattrape de justesse, évitant la chute. Quand elle se relève, elle s’avance vers moi, les poings serrés, ses yeux me lancent des éclairs.
— Quoi ! Il t’a énervé en jouant à qui a la plus grosse ? Du coup, tu penses que ça te donne le droit de passé tes nerfs sur moi ?
Ce n’est vraiment pas le moment, je ne suis pas sûr de réussir à contenir ma rage.
— Monte dans la voiture, tout de suite ! Ordonné-je.
— Tu rêves. Connards ! Pour qui tu te prends ?
Elle se positionne devant moi, me défiant du regard. Les personnes présentent dehors nous observent, avec insistance.
— Je te laisse le choix : soit tu montes dans cette voiture, soit je t’y mets de force et tu voyageras dans le coffre.
J’entends des cris provenant d’un groupe d’hommes.
— Allez-y patron ! Foutez-la dans le coffre.
— Venez essayer vous-même, bande de gros cons ! S’agace Maria.
Ils commencent à s’avancer vers nous.
— Restez où vous êtes ! ordonné-je.
Ils s’arrêtent tous instantanément.
— Oh ! Mais c’est qu’ils sont bien dressés, ces petits toutous !
Putains, ce n’est pas croyable, elle est incapable de se tenir tranquille pour une soirée.
— Continue de les provoquer si ça te fait plaisir, mais ils ne bougeront pas. Alors, monte dans cette putain de voiture. On continuera cette discussion tout à l’heure.
Ses yeux étincellent de fureur, mais elle obtempère, ce qui me soulage un peu. Je me voyais mal me battre avec elle au milieu de tous les invités, surtout qu’on a déjà bien foutu le bordel. Mon géniteur aurait été capable de nous faire buter tous les deux.
Le chemin du retour ce fait dans le silence. Je sers tellement fort le volant que mes phalanges sont devenues blanches. Je n’arrive pas à me calmer, mes veines pulsent contre mon cou. Je ne lui jette même pas un regard. Quand on arrive devant la maison, je m’avance vers elle, je n’ai pas le temps de m’approcher plus près qu’elle me stoppe dans mon élan.
— Je t’interdis de poser encore tes sales pattes sur moi, tu entends ?
— Pourtant ça ne te dérangeait pas quand c’était Alejandro ?
Merde, je regrette déjà cette phrase. Elle va y voir de la jalousie. Alors qu’en réalité, je ne ressens qu’un besoin incontrôlable de la posséder, la contrôler, la dompter. Imaginer les mains de mon cousin sur elle, ça me dégoute.
— Je n’y crois pas, tu es jaloux ?
— Jaloux ? Pour l’être, il faudrait que tu aies une quelconque importance pour moi. Tu ne penses pas ? Non, ce que je veux, c’est que tu te soumettes. Tu es mon objet, tu m’appartiens. Aucune femme n’a le droit de discuter ou de danser avec quelqu’un d’autre que son propriétaire.
On continue notre dispute en se dirigeant vers la maison. Heureusement que je n’ai aucun voisin, car nos voix deviennent de plus en plus fortes.
— Mon Dieu, il vaut mieux être sourde que t’écouter déblatérer des conneries pareilles.
— Demande-lui de te rendre muette, s’il t’entend.
Elle me jette un regard exaspéré.
— En même temps, si tu ne m’avais pas laissé, ce ne serait jamais arrivé. Que s’est-il passait avec ton cousin pour que tu pètes un plomb de cette façon ?
— Il ne fait plus partie de la famille!
— Comment voulais-tu que je le sache ? s’écrie-t-elle.
— Parce que c’est son père qui t’a embauchée pour me tuer, m’écrié-je à mon tour. Il voulait que son fils devienne le chef.
Elle me fixe, sans un mot.
— Dans tous les cas, tu ne peux pas te permettre de te comporter ainsi en soirée. Je t’avais demandé une seule de chose: te tenir tranquille. Putains! Même ça, tu en es incapable. Il va falloir que tu comprennes que je suis ton chef, donc tu me dois le respect!
— Je te dois le respect. Et toi alors ?
Ce n’est pas croyable, elle veut toujours avoir le dernier mot. Je suis déjà au bord du précipice.
— De quoi tu parles ?
— Tu as disparu avec cette fille, tu imagines que je vais faire comme toutes ces potiches à attendre que tu tires ton coup sans rien dire ?
Elle n’est pas sérieuse.
— Je n’y crois pas. Dans quel monde tu vis ? Je suis un homme, je fais tout ce qu’il me plaît, je ne te dois rien du tout. Toi, par contre, tu m’appartiens, ne l'oublie pas, j’ai ton destin entre mes mains.
— Cela ne change rien, je ne te permets pas de me traiter ainsi. Tu as peut-être mon destin entre tes mains, mais je ne te laisserai jamais me contrôler.
— Tu es bien sûre de toi !
Je me rapproche d’elle et la pousse jusqu’au bord de l’ilot de la cuisine. Je ne peux plus me contenir.