NICO
Elle essuie la trace de sang qui a coulé le long de son cou, en me regardant droit dans les yeux. Ses yeux, en amande, sont d’un vert clair magnifique. Je peux y lire tout le ressentiment et la haine qu’on lui inspire. Elle me contourne, se dirige vers la petite table basse, prend une bouteille, puis sort de la pièce. Mes hommes quittent aussi les lieux. Dès que je me retrouve seul avec mon père, ma colère éclate.
— Tu aurais dû me parler de tout ça avant.
— Tu n’aurais jamais accepté.
Il a raison, si j’avais su qu’elle avait essayé de m’exécuter, j’aurais abattu Maria dès que j’aurais croisé son regard. J’ai l’habitude que des personnes désirent me tuer, penser que c’est elle me met hors de moi.
— Réfléchis, cette fille est une aubaine pour le réseau, elle peut tuer au nom d’Ombra quand on ne veut pas être inquiété.
Il est sûr de lui. Moi, je n’ai aucune confiance en elle.
— Tu seras qui veut ta mort, tu pourras te débarrasser des ennemis et des traîtres. Puis, je ne te laisse pas le choix, je suis encore le chef de ce réseau et donc le tien. Tu me remercieras plus tard, j’aurai aimé avoir cet atout.
— C’est pour cela que j’ai accepté de signer. Mais pourquoi m’obliges-tu à l’accepter jusque chez moi, à la supporter en tant que femme ? Cette fille est incontrôlable.
— Justement, garde-la à l’œil. Pour sa loyauté, je me suis assuré qu’elle honore son contrat, je me suis renseigné sur elle. Elle respecte toujours ses engagements et ne risquerait pas de perdre son amie.
Mon père ne laisse jamais rien au hasard, je lui fais confiance pour ça.
— Puis je suis vieux, pas fou. Elle est magnifiquement diabolique, j’ai vu que toi aussi, tu l’avais remarqué. Rends l’utile à l’agréable.
Sur ces mots, il quitte mon bureau.
Je me dirige vers la table basse et prends un verre, j’en ai bien besoin. Je repense à cette garce, aussi belle et sexy soit-elle, je vais lui faire regretter d’avoir voulu me tuer un jour. Après une bonne heure, je décide de descendre dans le salon. Elle est assise sur le canapé. Son regard se pose sur moi, me scrutant avec défi.
— Bon colocataire ! Où est ma chambre ?
Je lui montre l'endroit où elle est installée. D’un signe de la main, elle sourit, ce qui fait ressortir deux petites fossettes. Ses lèvres sont roses, pulpeuses, sensuelles. Elle se lève et s’approche de moi, elle a des jambes interminables. Je ne peux pas empêcher de balayer son corps du regard.
— Tu laisses ton épouse dormir ici ? Je pense que je vais plutôt prendre ta chambre. Toi, tu auras le canapé.
Son sourire s’élargit.
— Tu as raison, ma femme doit partager mon lit et je peux faire ce que je veux d’elle.
Sa gaieté disparait, son regard s’obscurcit, on ne voit presque plus le vert de ses pupilles, j’ai touché un point sensible, intéressant.
— Tu ne poseras jamais tes mains sur moi, je te tuerai sans hésiter, si tu essaies.
— Ne sois pas si coincée. Désolé de te décevoir, mais tu n’es pas mon genre.
— Tu sais ce qui me désole ? C’est de ne pas t’avoir abattu quand j’en avais l’occasion.
Quelle salope, je l’attrape violemment au cou.
— Vas-y, serre ! Demande-t-elle avec assurance.
Elle me fixe, je ne lis aucune peur dans ses iris.
— Ce n’est pas l’envie qui m’en manque, mais comme je te l’ai déjà dit, jamais, tu ne retrouveras la liberté, même pas par la mort.
Je la relâche et m’écarte d’elle.
— Je ne te pense pas aussi faible, crache-t-elle avec mépris.
Je suis loin d'être stupide : elle essaie de me pousser à bout. Je décide de l’ignorer, elle n’a pas peur de mourir, donc entrer dans son jeu n’a aucun sens.
— Premier étage, la chambre au fond du couloir à droite. Demain, je t’emmènerai au siège. Tu auras droit à une cour accélérée sur nos affaires. J’aurais bien continué notre petit jeu, mais j’ai d’autres projets ce soir.
Je lui fais un clin d’œil puis me dirige vers la porte d’entrée. Avant de quitter la maison, je me tourne vers elle et j’aperçois un joli majeur. Je réprime l’envie de le lui enfoncer dans la gorge : je suis attendu. J’ai le sentiment que les prochains jours vont être explosifs.
Direction la discothèque. Je dois parler avec mon bras droit et informaticien. Bien sûr, je retrouve Hernando au bar.
— Dans le bureau, on a une discussion à terminer.
Il me suit sans un mot. Je le laisse s'engouffrer à son tour dans la pièce et pousse la porte.
— Tu es censé être un informaticien spécialisé dans la sécurité ! Alors comment se fait-il qu’elle soit rentrée chez moi, sans que tu t’en aperçoives ?
— Avant que tu ne t’énerves, sache que ce n’est pas ma faute. C’est toi qui m’as dit, je cite : « Ne te prends pas la tête avec ma maison, personne n’osera y pénétrer sans mon autorisation. ».
— Tu es en train de me dire que tu n’as pas installé de caméras chez moi ?
— Ah, si, bien sûr ! j’en ai mis une à l’avant.
Il prend un air triomphant.
— Elle a dû passer par-derrière… Mystère résolu.
Ce mec est un champion pour me faire perdre patience. Je m’assois contre mon bureau, face à lui, et commence à jouer avec mon couteau.
— Tu sais, parfois, j’ai vraiment envie de te tuer.
— Pas besoin d’en arriver là ! Je règle ça dès demain, mais pour ma défense, je t’ai simplement pris au mot, donc je ne suis pas à cent pour cent responsable.
J’hallucine, il n’est pas croyable. Je m’approche dangereusement de lui, alors il lève les mains en l’air.
— OK, OK, c’est ma faute ! Bon si on parlait de quelque chose qui m’intéresse réellement.
Je suis toujours étonné de constater à quel point je peux être patient avec lui. Je sors une bouteille de whisky et deux verres, puis on s’installe sur le sofa.
— Le bruit court qu’elle a voulu te tuer, et que pour la punir ton vieux l’a privée de sa liberté en te la refourguant comme femme. Rassure-moi, ce sont des conneries ?
Ils ont tous la langue bien pendue.
— Non, c’est la vérité.
Il reste un moment déconcerté.
— Je me disais bien que je n’étais pas la seule raison de ta colère. Et elle a accepté ?
— Tu es con ou tu le fais exprès ! Bien sûr que non ! Il la menace. Ce n’est plus la même, je ne sais pas comment c’est possible, mais quelqu’un a réussi à se faire une place à ses côtés et il l’utilise contre elle.
Hernando n'a pas l'air étonné. Moi, je n'aurais jamais cru cela réalisable. Nous avons pourtant tous les deux été formés par le même homme.
— Qu’est-ce que tu comptes faire ?
Un sourire malsain se dessine sur mes lèvres quand je pense à tout ce que je vais lui faire.
— Je connais ce sourire, mec !
— Je vais la briser.
Il reste une seconde silencieux.
— Tu lui as posé la question ?
— De quoi parles-tu ?
— Ne fais pas semblant de ne pas comprendre. Lui as-tu demandé pourquoi elle a arrêté de s’entrainer avec nous ?
— Pourquoi je ferai une chose pareille ? Je n’en ai jamais rien eu à foutre d’elle. Ça va faire plus de treize ans, passe à autre chose.
Ça fait des années qu’il me tanne avec ça.
— Très bien, alors je le ferais. Moi, ça m’intéresse.
— Dans ce cas, fais vite, car elle sera plus qu’une coquille vide quand j’en aurai fini avec elle.
Il est trois heures du matin, lorsque je rentre, « You don’t own me » de Saygrace[1] résonne dans toute la maison, au moins le message est clair. Le salon est désert, le son provient de l’étage au moment où je commence à monter les escaliers, j’entends un bruit sourd. Je me précipite, mon pistolet en main.
Quand j’entre dans sa chambre, j’aperçois ses pieds au bout du sofa. Je ne peux pas voir sa tête. Je m’approche doucement. Mon regard se pose sur la bouteille de whisky, je suppose que le bruit venait de la bouteille qui a heurté le sol. Il en reste encore un peu, heureusement, sinon elle serait sans doute morte d’un coma éthylique. Creuser un trou à cette heure-ci ? Je n’en ai pas la force. Je balaye du regard le corps sur le sofa, je ne peux pas le quitter des yeux. Elle est étalée de tout son long, habillée d’un débardeur et d’une petite culotte en dentelle noire. Ses yeux sont fermés. Si je ne connaissais pas sa réputation, j’aurais presque cru voir un ange, mais dans son cas, c’est plutôt un démon.
Elle a un physique parfait, un petit cul bien bombé… je me reprends rapidement. Cette femme est dangereuse. Je me baisse pour atteindre l’enceinte et éteindre la musique. Mon visage se trouve à la hauteur du sien. En quelques secondes, je me retrouve avec la pointe d’un couteau sous le menton. Nos yeux se rencontrent. C’est la deuxième fois que je me trouve aussi proche d’elle. Son visage est ovale et fin, son teint est hâlé. Je n’ai pas le temps de l’observer plus longuement qu’elle se lève, puis enlève sa lame pour la positionner sur mon entre-jambe.
— Essaie quoi que ce soit et je te les coupe !
— Pour qui tu me prends ? Le jour, où ça arrivera, tu seras consciente. C’est même toi qui me supplieras.
Son rire est amer.
— Dans tes rêves, connards !
Puis, elle repart en titubant. Je ne peux réprimer un sourire. Je me demande comment elle a fait pour ne pas me tuer ou me castrer. J’avoue que j’aurais préféré mourir plutôt que de vivre sans ma queue. Je sors rapidement de mes pensées quand, elle retire son tee-shirt. J’aperçois son dos nu. Elle a un tatouage partant de la nuque, qui disparaît dans sa culotte. C’est un phénix. Je peux aussi distinguer des cicatrices, sûrement des souvenirs de ses entrainements. Je reste à la contempler quand elle arrive au pied du lit. Elle se laisse tomber en avant.
Je quitte sa chambre et me dirige dans la mienne. Je décide d’aller me doucher, mon corps réagit à ces images qui me reviennent en tête : sa peau, ses formes, son regard. Je plonge rapidement sous l’eau froide. J’ai besoin d’effacer l’effet qu’elle a sur moi. Je me répète qu’elle a essayé de me tuer, ce qui suffit à me rappeler pourquoi j’ai signé ce contrat. Mon but, c’est de la détruire. Je ne lui rendrai jamais sa liberté.
[1] Titre d’une chanson. Traduction Je ne t’appartiens pas. « Saygrace » nom de l’artiste.