Chapitre 2 : Souviens-toi
THOR
Le petit s’était effondré comme une poupée de chiffon entre ses bras. À l’arrière de son crâne, une plaie laissait passer un filet de sang ; il avait dû se blesser en tombant sur la voie. Bien embêté, Thor était sorti du métro, Loki sous le bras, avant d’user de Mjöllnir pour les propulser plus loin. Il avait fini par forcer la porte d’un hôtel particulier laissé à l’abandon, dont la plupart des fenêtres avaient été barricadées. Pas de lumière. Il avait donc déniché quelques bougies dans ce qui devait être autrefois la salle de restaurant, puis avait installé l’enfant dans une chambre, à l’étage. Loki ne se réveillait pas. C’était étrange de le voir aussi fragile : un simple coup sur le crâne ne suffisait pas à blesser un asgardien. Pas même un enfant. De toute évidence, son frère avait hérité de la consistance fragile des humains en intégrant son nouveau corps.
L’hôtel était vieux et délabré. Certaines fenêtres brisées laissaient entrer des courants d’air inquiétants. On s’attendait presque à voir, au bout du couloir, apparaitre un être d’outre-tombe. Mais finalement, n’était-ce pas le cas ?
Thor s’approcha du lit pour observer le jeune garçon inconscient. Il était très différent du Loki avec qui il avait partagé son enfance. Son visage était plus rond, et sa tignasse brune plus lisses. Ses iris renvoyaient un vert électrique, là où le frère qu’il connaissait les avaient d’un bleu glacial. Pourtant, Thor l’avait reconnu du premier coup d’œil. En vérité, plus que le physique, ce qui l’avait convaincue de son identité, c’était son comportement. Ses gestes, ses mimiques, son sourire manipulateur… Même dans cette vie, Loki choisissait la voix de sournoiserie en vivant de petites arnaques à la sauvette.
— Certaines choses ne changent pas, hein, mon frère ? répéta-t-il.
À croire que Loki était né pour la duperie et le mensonge, qu’importe son incarnation.
Une sonnerie de téléphone le fit sursauter. Le fils d’Odin sortit le petit cellulaire qu’on lui avait confié de sa poche. Incapable de se souvenir, comment fonctionnait cette diablerie, Thor pesta en retournant l’objet en tous sens.
— Mais comment s’enclenche cette satanée… ah ! Voilà.
— Thor ? Vous m’entendez.
— Vous semblez loin, Fury. Vous avez une toute petite voix.
— Vous tenez le téléphone à l’envers ?
Thor éloigna l’appareil de son oreille, l’observa, puis le retourna prestement.
— Non. Du tout. Ça doit être la connexion. La France, c’est vraiment la campagne.
— Vous l’avez retrouvé ? coupa Fury.
Lors de son arrivé sur Midgard, Thor ne savait pas vers qui se tourner. Méfisto avait raison : il aurait besoin d’aide pour retrouver Loki. Il avait tout d’abord contacté Banner, mais le docteur l’avait alors orienté vers Nick Fury. L’ancien directeur du SHIELD possédait un accès à de nombreuses bases de données, et il ne fallut pas longtemps pour remonter jusqu’à plusieurs Lucas Lannot, domiciliés en France. Avec un peu de recherches, l’un des profils se détacha nettement des autres. Celui d’un jeune garçon, ayant perdu ses parents lors du grand effacement. Tous trois étaient en voiture lorsqu’un camion, élagué de son chauffeur, les avait percutés. Lucas fut le seul à survivre à l’incident, mais il se retrouva alors atteint d’une lourde amnésie. L’enfant, âgé de cinq ans, fut confié par les services sociaux à son oncle.
Thor avait aussitôt rendu visite à ce cher tonton, mais qu’elle déception lorsqu’il découvrit une maison vierge d’enfants. L’oncle, un cinquantenaire bedonnant, habitait une maison délabrée, au jardin envahi par les ronces et les détritus.
— Vous faites partie des services sociaux ? s’était méfié l’humain.
— Non, monsieur, avait poliment répondu Thor. À dire vrai, il se trouve que Lucas et moi… avons un lien de parenté.
— Connerie ! grogna l’autre. C’est moi son unique famille, et je ne vous connais pas.
— Je suis un cousin… éloigné du côté de sa mère. Enfin, peu importe. Je suis venue ici pour le voir. Est-ce possible de me laisser entrer ?
— Lucas n’est plus là. Et même s’il l’était, je ne vous laisserai pas entrer.
— Plus là ? s’était étonné Thor. Comment ça ? Où est-il ?
— Ce petit morveux s’est sauvé ! Il a foutu le camp il y a presque un an de ça.
— Il… Il a fugué ? Mais vous avez prévenu la police ?
— Bien sûr ! Vous me prenez pour qui ? Tant qu’on ne l’a pas retrouvé, je ne touche pas sa pension, figurez-vous. Et j’ai besoin de sa pension ! J’ai dû réduire ma consommation de clopes à cause de ce sale petit égoïste. Un ingrat, qui n’a aucune considération pour tout ce que j’ai dû sacrifier pour lui.
Thor était resté interdit, incapable de répliquer. Il n’était pas expert en matière d’éducation, et élevé un jeune Loki était sans doute une tâche des plus complexe, mais cet homme-là ne lui inspirait pas la moindre confiance.
— Je vois et, heu… Vous avez des nouvelles ? La police a avancé dans ses recherches ?
— La dernière fois qu’il a été vu, c’était à la capitale. C’est tout ce que je sais.
Thor ne s’était pas attardé. Il n’apprendrait rien de plus de cet oncle dépravé, et il dut arpenter Paris des jours entiers, avant d’établir une piste. Fury avait eu connaissance d’un groupe de jeunes vandales mutant. Un regroupement de gamins usant de leur don pour commettre de petits délits ou détrousser les touristes. Ils se faisaient appeler les Fils de Tomy. Ce fut l’enregistrement d’une caméra de surveillance qui les mena sur les traces de Lucas. L’image était mauvaise, mais on y voyait bien un garçon d’une dizaine d’années, user de magie à la lueur verdâtre. Le cœur de Thor avait bondi dans sa poitrine : cet éclat, il l’aurait reconnu entre mille.
— C’est lui, avait-il déclaré à Fury. Pas de doute. C’est Loki.
Thor s’était rendu, chaque soir, dans l’une des zones d’activités du groupe de jeunes malfrats, mais à son grand désespoir, les seuls garnements qu’il avait croisés étaient tous plus humains les uns que les autres. Jusqu’à ce soir. Jusqu’à ce qu’il le voie faire ses tours de passe-passe derrière son stand de fortune, qu’il entende ses paroles mielleuses afin d’endormir ses victimes. Menteur, manipulateur et voleur. Non. Certaines choses ne changent jamais…
Thor adressa un regard à la version enfantine de son frère, avant de répondre à Fury :
— Oui. Oui, je l’ai retrouvé.
— Et alors ?
— Il a fui, mais je suis presque sûr qu’il ne m’a pas reconnu.
— Cela voudrait dire que Méphisto n’a pas menti.
— Oui, concéda Thor que cette idée venait peiner.
— Ce n’est peut-être pas plus mal si on prend en compte le passé et les actes de votre frère, enchaina Fury. Thor, je vous ai aidé à le retrouver, car un Loki en liberté sur Terre, ça ne me plait pas. Mais sachez que, quoi qu’il se soit passé, réincarnation ou non, il n’est pas le bienvenu ici. Pas après les atrocités de New York.
— Je comprends, répondit Thor. Je vais lui parler…
— Faites, mais une fois que vous en saurez plus, ramenez-le ici, qu’il reçoive enfin le jugement qu’il mérite.
Et il raccrocha. Thor resta figé un instant, avant de laisser son bras retomber contre sa cuisse. Bien entendu… les humains allaient réclamer justice. Loki ne pouvait plus se dissimuler sur Asgard, désormais. Mais avant de penser à tout cela, il fallait déjà qu’il sache ce qu’il restait réellement de son frère. Ce que cette réincarnation lui avait couté.
Par-delà les vitres poussiéreuses, la lune avait parcouru la moitié de son chemin, lorsque l’enfant s’agita enfin entre ses draps. Thor, qui somnolait sur une chaise, se leva. Loki poussa un gémissement plaintif et plissa les paupières. Il semblait encore comateux.
— Tu m’as bien fait courir, mon frère, finit par dire le fils d’Odin. Comme lorsque nous jouions petits dans les jardins du palais. Mais tu n’as jamais gagné à ce jeu.
Sa voix eut l’effet d’un électrochoc. Loki ouvrit grand les yeux et se redressa vivement sur le matelas cabossé. Il poussa un cri, puis manqua de tomber en se débattant avec sa couette. Thor le saisit par les bras afin de le calmer, mais cela produisit l’effet inverse ;
— Cesse de t’agiter ainsi ! Tu as pris un sacré coup sur la tête. Tu risques de…
— Lâche-moi ? Espèce de sale pervers ! Lâche-moi !
— Non, je… quoi ? Pervers ? Non, ce n’est pas… enfin, Loki !
Thor le libéra et l’enfant alla s’agglutiner contre le mur, les genoux repliés sous le menton. L’ombre dévorait à moitié son visage, mais Thor ne pouvait manquer l’éclat haineux que renvoyait ses deux iris de jade. Le fils d’Odin leva les mains en signe d’apaisement, puis prit une voix qui se voulait rassurante :
— Allons, je ne te ferais aucun mal. Tu n’as pas à t’inq…
— C’est ça ! Je les connais bien, les pervers dans ton genre. J’en ai vu d’autres !
— Non, je ne te veux aucun m…
Il se tut, comme si les paroles crues du garçon s’immisçaient enfin dans son cerveau.
— Attends… Qu’est-ce que tu sous-entends par-là ?
Le gamin siffla à la manière d’un chat mécontent, puis il leva une main qu’un halo vert recouvrit :
— Tu n’approches pas, sinon…
— Je n’approche pas. Promis ! Je reste où je suis. Tiens, regarde, je recule.
Thor réalisa un pas en arrière, les mains toujours dressées, et les secondes s’écoulèrent dans un silence glacial.
— Loki, finit-il par intervenir. Tu te…
— Mais qui est Loki , bordel ?
Le fils d’Odin hésita. Donc, il avait vu juste.
— C’est toi. Tu ne te souviens vraiment de rien ?
— Moi ? Je suis Serrure ! J’ignore qui est Loki, mais tu te trompes de cible, pervers !
— Non, je t’ai déjà dit que…
Il soupira. Cela allait être plus compliqué que prévu.
— Je croyais que tu t’appelais Lucas ?
— Ca, c’était avant. Maintenant, je suis Serrure.
— C’est un nom ridicule.
— La seule chose ridicule dans cette pièce, c’est toi.
Bon ! Il n’avait pas perdu son sens de la répartie, au moins.
— Écoute Loki…
— Serrure !
— Oui, peu importe. Donne-toi le nom que tu veux, mais… Tu ne te souviens vraiment pas de moi ?
Il attendit une réponse qui ne vint pas. Le garnement garda la bouche hermétiquement clause, dans une posture emplie de défit.
— Loki… C’est moi ! Je suis ton frère.
Thor s’attendait à beaucoup de réactions, mais pas à celle-là : Loki éclata de rire. Le gamin complètement apeuré semblait désormais se moquer ouvertement de lui.
— Mon frère ?
— Oui.
— Alors, j’ai peut-être oublié beaucoup de détails depuis la mort de mes parents, mais je suis certain d’une chose : je suis fils unique.
Cette réflexion blessa presque Thor. Fils unique ?
— Je n’ai plus aucune famille, mis à part mon alcoolique d’oncle. Mes parents ne m’ont rien laissé d’autre.
— Attends. Tu parles de monsieur et madame Lannot, là ?
— Bien sûr. De qui d’autre ?
— Mais ce ne sont pas tes parents… Enfin, pas vraiment.
Il laissa planer un silence : peut-être que rappeler à Loki d’où il venait lui rendrait la mémoire.
— Je sais que tu vas avoir du mal à me croire, mais tu n’es pas de Midg… de cette planète. Tu es Loki, fils adoptif de Odin et Fregga, prince d’Asgard et héritier légitime de Jötunheim. Tu es le demi-dieu de la Malice, né parmi les géants des glaces, puis élevé par les Ases. Tu as été tué, voilà six ans, des mains de Thanos, alors que nous essayons de fuir notre extinction : le Ragnarök. Je te pensais mort, je t’ai pleuré, je t’ai vengé, mais j’ai découvert que tu avais barré ton nom dans le livre de Hel. Et je te retrouve enfin, réincarné dans le corps d’un enfant humain, à jouer les petits vandales dans les rues de Paris. C’est une nouvelle chance qu’on nous accorde, mon frère !
Sa longue tirade achevée, Thor reprit son souffle. Le silence s’étira. Il attendit. Une réaction. N’importe laquelle.
— D’accord, finit par déclarer l’enfant. Tu es encore plus cinglé que je ne le pensais…
— Quoi ? Mais… Non ! Enfin, Loki ! Tu as bien dû te rendre compte que tu étais différent des autres ? Tes pouvoirs, tes capacités…
— Les mutants, ce n’est pas ce qui manque à Paris ! Ça ne fait pas de moi un demi-dieu, ou je ne sais quoi d’autre.
— Ca n’a rien à voir ! Tu es bien plus qu’un mutant, mon frère. Tiens, tu veux une preuve ? Comment se fait-il que tu me comprennes ?
— Heu… parce que tu parles français ? Idiot.
— Erreur ! Je te parle en asgardien en ce moment même. Mais comme tout asgardien, tu as le don du langage universel. Tu comprends donc n’importe quelle langue de la galaxie. Tu as dû le remarquer, non ?
— C’est un de mes pouvoirs, voilà tout.
— D’accord. Alors, dis-moi, es-tu certain que je te parle en français, là, maintenant ?
Loki se crispa, et son front se plissa d’incertitude. Non, il ne le pouvait pas. Thor le savait. Car Thor n’avait pas prononcé un seul mot en français depuis leur rencontre.
— Je ne sais pas dans quelle langue tu parles… avoua l’enfant.
— Bien, on avance !
Thor avança, lentement, précautionneusement pour éviter que le gamin ne tente une énième fuite. À chaque pas, il avait peur de le voir s’envoler comme un oiseau effarouché.
— Tu ne te souviens vraiment de rien ? Tu n’as pas… je ne sais pas… des images qui te reviennent ? Des paysages, des visages qui te hantent depuis l’accident ?
Loki, Lucas, Serrure, peu importe le nom qu’il se donnait, sembla enfin rentrer dans la réflexion et pinça les lèvres. Thor lui connaissait cette expression. Qu’importe le changement de corps, Loki arborait toujours les mêmes attitudes, les mêmes mimiques.
— Je fais des rêves récurrents.
— Quel genre de rêve ?
— Je marche dans les rues d’une cité.
— Et à quoi ressemble-t-elle, cette cité ?
— C’est… compliqué à décrire. Mais la ville est entourée d’eau et de montagnes, comme les fiords de Norvège. Il y a un grand pont arc-en-ciel pour la rejoindre, et quand le soleil se couche, les murs dorés scintillent de mille feux.
— Et au centre, il y a un majestueux palais composé de dizaines de tours qui s’élèvent dans le ciel, comme l’aile d’un oiseau géant ?
— Comment le sais-tu ?
— C’est Asgard, que tu décris.
La discussion semblait enfin lancée. Du moins, l’enfant avait-il cessé de tout rejeter en bloc et se montrait enfin intrigué. Thor jugea l’instant propice : il se saisit de sa besace déposée sur la commode, et glissa une main à l’intérieur.
— Je t’ai apporté quelque chose… j’espérai que cela réveille en toi quelques souvenirs.
Il déposa ce qu’il tenait sur l’oreiller : un médaillon et une dague. D’abord hésitant, Loki finit par se saisir de la lame et, après une brève inspection, la rangea de la poche de son blouson.
— J’aurais parié que tu aurais fait ça, ricana Thor. C’était l’une des tiennes.
Ensuite, Loki se saisit du collier. Un pendentif accroché à une chaîne d’or pur.
— Ça doit valoir cher, nota le garnement en sous-pesant le bijou au creux de sa main.
— Essaye de revendre ça et je te mets une volée, menaça Thor. Qu’importe que tu ressembles à un géant des glaces ou à un mioche en couche culotte !
Loki lui adressa un regard empli de défie. De toute évidence, il avait gardé sa témérité et son goût pour la contradiction. Il fit longuement tourner le médaillon entre ses doigts avant de tirer sur la petite coche permettant de l’ouvrir. L’enfant se figea lorsque l’intérieur du bijou se dévoila. Il sembla même à Thor le voir trembler.
— Tu la reconnais, pas vrai ?
— Je…
— C’est Frigga. Notre mère. Vous étiez proches tous les deux. Peut-être même trop à mon goût. Je dois l’avouer, j’étais un peu jaloux.
Il laissa le silence s’étirer avant de reprendre :
— Tout comme toi, elle était une sorcière. C’est elle qui t’a appris à maitriser la magie et l’illusion. Tu avais beau être adopté, tu lui ressemblais énormément.
Le temps fila et Thor réussit à s’approcher suffisamment pour s’asseoir sur le lit sans que son frère ne prenne les jambes à son cou. Comme ensorcelé par le portrait en noir et blanc de Frigga, l’enfant le remarqua à peine.
— Je l’ai déjà vu. Assez souvent, en fait.
— Dans tes rêves ?
— Elle y est presque à chaque fois.
— Il faut croire que tu n’as pas tout perdu, finalement.
Loki leva enfin les yeux et tous deux se dévisagèrent. Assis en tailleur, il semblait plus en confiance, quoique sur la défensive. Thor devina sans mal le trouble qui le traversait. Lui-même était dépassé par les évènements. Il ne savait pas à quoi s’attendre quand Méphisto l’avait lancé sur les traces de son frère réincarné, mais sans doute pas à un enfant perdu dans les ruelles d’une ville trop grande, dénué de tous souvenirs. Se doutait-il seulement de qui il était dans son ancienne vie ? De tout ce qu’il avait fait, le meilleur, comme le pire ? Les paroles de Fury lui revinrent alors en mémoire : Ramenez-le ici, qu’il reçoive enfin le jugement qu’il mérite. Peut-être valait-il mieux le laisser dans l’insouciance finalement. S’il ignorait tout de son ancien lui, peut-être qu’on ne tiendrait pas le jeune Loki responsable des actes de son aîné.
Las de sa contemplation, l’enfant referma le médaillon.
— Qu’est-ce que tu me veux, au juste ?
— Et bien… je veux te ramener chez nous.
— À Asgard ?
— Non, grimaça Thor. Non. Asgard a été détruite. Il y a eu le Ragnarok et d’ailleurs c’est toi qui… Enfin, peu importe. Désormais, nous vivons à la Nouvelle Asgard. C’est en Norvège, au milieu des fiords. Là où les premiers humains nous ont vénérés. Tu verras, c’est un endroit magnifique, bordé de montagnes et d’étendue balayé par les vents. Ça te plaira. J’en suis certain. Et les autres vont être…
— Merci, mais non merci.
Loki balança le médaillon que Thor rattrapa à la volée, les yeux ronds.
— De… comment ça, non merci ?
L’enfant se leva, la mine dédaigneuse.
— Écoute… Je veux bien croire que tu sois une sorte de divinité extraterrestre, ou quelque chose dans le genre. Ce qui ne t’empêche pas d’être complètement marteau, soit dit en passant. Mais de là à ce que je gobe ton histoire de frère perdu, il ne faut pas exagérer.
Loki s’avança de plusieurs pas. Son équilibre semblait précaire et il passa une main à l’arrière de sa tête. Sa plaie devait encore le faire souffrir. Le sang coagulé avait agglutiné ses cheveux en amas hirsutes.
— Mais… que fais-tu de tes visions du palais ? s’enquit Thor en se levant à son tour. Tu as reconnu le visage de notre mère. Loki, tout cela, tous ces souvenirs d’Asgard…
— Ce ne sont pas des souvenirs, corrigea-t-il. Ce sont des rêves. J’ignore comment tu as fait pour entrer dans ma tête. Peut-être est-ce là un de tes pouvoirs. Peut-être es-tu télépathe, ou je ne sais quoi d’autre…
— Ca, c’était plutôt ton truc à toi, pour le coup.
— …Mais je ne suis pas cinglé au point de suivre un inconnu dans un soi-disant bled paumé en Norvège, à la première belle histoire qu’il me raconte. Sur ce, chao, looser. J’ai des choses à faire.
Le gamin réalisa le signe L de ses doigts, avant d’abandonner sur place un Thor médusé. Looser… cela allait décidément encore plus compliquer qu’il ne l’avait imaginé. Après avoir poussé un long soupire, Thor se saisit de Mjöllnir, de sa besace, puis se lança à la poursuite de l’enfant.
— Loki ! Attends !
Mais ce dernier remontait le couloir à grandes enjambées en faisant la sourde oreille.
— Loki… Et ! Écoute, je sais que cela doit faire beaucoup à encaisser, mais tu dois me faire confiance !
— Confiance ?
Il lui adressa un rapide coup d’œil par-dessus son épaule.
— Je ne sais même pas comment tu t’appelles.
Cette révélation frappa le fils d’Odin. Bien sûr… il aurait peut-être dû commencer par là. Thor accéléra le pas afin de lui barrer la route et le garnement n’eut d’autre choix que de s’arrêter.
— Je suis Thor.
Il attendit une réaction, n’importe laquelle, mais rien ne vint.
— Le dieu du tonnerre. Le roi d’Asgard ?
Toujours aucune réaction.
— Bon… tu ne te souviens peut-être plus de moi comme de ton frère, mais tu dois bien connaître mes exploits ici, sur Midgard ?
Il posa un poing sur sa hanche, et dressa son marteau.
— Je suis le plus fort des Avengers !
— Ah oui, finit enfin par répondre Loki. La bande de super-troufions américaine, là ?
— De sup…
Thor manqua de s’étouffer.
— Non, nous sommes des superhéros ! Nous avons sauvé le monde et tout le reste de l’univers un bon nombre de fois. Nous sommes des célébrités et…
— Peut-être aux États-Unis, mon vieux. Mais ici, tu es en France. Et on déteste le culte de la personnalité. Allez, écarte-toi.
Loki força le passage pour prendre la direction de l’escalier. Thor ne savait plus sur quel pied danser. Il ne savait plus comment le convaincre. Faire entendre raison à un Loki adulte était déjà compliqué, mais avec sa version préadolescente et amnésique, cela semblait tenir du mythe. Son poing se resserra sur le manche de Mjöllnir. Qu’importe ! Il n’abandonnerait pas. S’il le fallait, il ramènerait ce mini Loki par la peau des fesses à la Nouvelle Asgard. De toute manière, Fury étant au courant de sa réincarnation, il n’avait plus vraiment le choix.
— Je ne te partirai pas, Loki. Tu m’entends ? Je resterai ici, dans cette contrée reculée de Midgard, jusqu’à ce que tu retrouves tes souvenirs.
— Mais… bordel ! s’agaça l’enfant. Sérieusement, tu n’as rien de mieux à faire ? Comme sauver le monde ou lancer la production de figurines à ton effigie ? Lâche-moi, maintenant. Je ne te suivrais pas.
— Cela fait six ans que je te pense mort. Je ne t’abandonnerai pas à nouveau, pas maintenant que je t’ai retrouvé ! Tu as besoin de temps, soit ! Mais je reste. Ces rues ne sont pas sûres pour un enfant seul. Je veillerai sur toi jusqu’à ce que tu retrouves la mémoire et la raison.
— Je n’ai pas besoin d’un dieu bodybuildé, maniant un marteau électrique pour me…
Loki s’arrêta sur la dernière marche et sa phrase se coupa. Ses mains se resserrèrent sur la rambarde, puis, finalement, contre toute attente, il se retourna. Ses yeux examinèrent Thor de haut en bas, puis un sourire naquit aux coins de ses lèvres.
— Quoi que…
Il revint sur ses pas pour faire face au dieu du tonnerre. L’escalier accentuait leur différence de taille. Ainsi, Thor le dépassait de bien trois têtes.
— Tu ne me lâcheras pas, hein ?
— Non. Comme je te l’ai dit.
— Bien ! Dans ce cas tu vas devoir te rendre utile.
— Comment ça ?
— Tu veux que je te fasse confiance ? Que je te crois ? Alors il va falloir faire tes preuves.
— Très bien. Dis-moi comment et je te montrerai ma bonne foi.
Le sourire du gamin s’élargit un peu plus, puis il tourna les talons pour gagner le rez-de-chaussée.
— Suis-moi. Je vais t’expliquer en route.
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ANECDOTES
Les retrouvailles :
Dans la version Comics, les retrouvailles se font beaucoup plus rapidement et Kid Loki récupèrent assez vite ses souvenirs. Il en faut finalement peu pour que le petit dieu de la malice suivent son frère avec entousiasme. Mais pour des raisons scénaristiques, j’ai volontairement fait tarder le retour de ses souvenirs et la confiance entre les deux frères. cela me permet notemment d’ajouter de la tension narative en faisant apparaître des défits et des obstacle : Thor qui va devoir choisir entre la moral et son envie de protéger son frère, en décidant ou non de le donner à Fury pour son jugement. Mais il se déssine aussi d’autres problèmes : notemment les plans machiavéliques à peine voilé du jeune Loki et sa volonté de manipuler Thor.
Un personnage plus noire que prévu ?
Dans la BD, Kid Loki est fondamentalement bon. Il est la plus «gentille» de ses incarnations, même s’il reste en nuance de gris et passe son temps à mentir, ou à se lancer dans des quêtes impossibles. Dans de début de fanfiction, on découvre un sale gosse un peu moins “doux”, qui n’hésite pas à trahir/blesser si c’est nécessaire, mais ces agissements sont justifiés par un passé dur, et une vie où il ne cotoie que de mauvaises personnes. Kid se protège, mais il évolura par la suite, et je dirais même que certaines choses s’inverseront.