THOR
— Thor ! On l’a retrouvé.
Thor souffla. Enfin ! Le soulagement balaya l’angoisse qui l’animait depuis des heures. Après avoir découvert la disparition de Loki, le dieu du tonnerre avait arpenté les rues en espérant le repérer. Mais ses recherches ne menant à rien, il avait fini par frapper à la porte de Brunehilde. Son cheval ailé, Warsong, était en train de paître tranquillement dans son jardin. Signe qu’elle était bien rentrée.
Il dut frapper trois fois, avant que la valkyrie lui ouvre, les cheveux en vrac et le front plissé. À coup sûr, elle avait bu plus que de raison… encore une fois.
— Thor ? grogna-t-elle d’une voix mal réveillée. Mais, bon sang, qu’est-ce que tu fous là, à cette heu…
— Loki a disparu.
La valkyrie papillonna des cils, comme si l’information peinait à entrer dans son esprit confus.
— Disp… Comment ça disparut ?
— Il a fait le mur après notre dispute, et je crois qu’il a quitté la ville.
— OK. Heu… Il n’a pas pu aller très loin. Je vais demander à ce qu’on parte à sa recherche dès qu’il fera jour et…
— Non ! Tu ne comprends pas. Il faut le retrouver tout de suite ! Il est sorti de la Nouvelle Asgard.
— Écoute, je t’adore… mais il est cinq heures du matin, là. Ne t’en fais pas pour ton frère. C’est un gamin débrouillard. Il en a vu d’autres…
— En vérité, ce n’est pas ça qui m’inquiète…
La valkyrie sentit tout de suite son malaise, et son air embué par l’alcool se transforma en grimace de soupçon.
— Thor… Tu ne m’aurais pas caché quelque chose, par hasard ?
— Il se pourrait bien que, tu vois… Nick Fury soit au courant pour la réincarnation de Loki. Et je l’ai peut-être légèrement trahi, en ne le lui livrant pas. Du coup, je suis à peu près sûr qu’à cet instant précis, ce cher directeur cherche par tous les moyens à kidnapper Loki. Non, en fait : j’en suis certain.
Thor lui envoya un sourire qui se voulait désolé, mais Brunehilde afficha une mine déconfite. Sa main se resserra sur le battant de la porte.
— Tu as amené Loki ici en espérant que Fury ne le retrouve pas ?
— Grossomodo, ouais. C’est ça.
— D’accord.
Elle se frotta les yeux d’une main avant de soupirer.
— Tu as d’autres détails de ce genre à m’apprendre, ou je peux t’éviscérer dès à présent ?
Thor leva les mains en signe de reddition :
— J’ai fait ce que je pensais être juste ! Je n’allais pas laisser le petit payer pour des crimes dont il n’a même pas conscience ? Il n’est pas responsable de…
— Thor, le coupa la valkyrie en commençant à s’agacer. Je ne dis pas le contraire, mais as-tu conscience des tensions qui pèsent déjà ici ? Je te rappelle qu’aux yeux des humains, nous sommes une bande d’aliens, et que nous avons clairement colonisé un bout de leur terre pour en faire un état indépendant. C’est déjà suffisamment compliqué de nous intégrer, sans que tu déclenches une guerre avec l’ancien directeur de SHIELD.
— Je sais, je sais… Mais que voulais-tu que je fasse d’autre ? Je ne pouvais pas abandonner Loki. Pas encore une fois. Pas après ce qu’il avait traversé.
La Valkyrie poussa un long soupir avant de finir par le laisser entrer.
— Laisse-moi m’habiller… et prendre un cachet contre la migraine.
***
Une heure plus tard, ils avaient réuni une équipe pour fouiller les environs, mais c’était comme si l’enfant s’était envolé. En même temps, déjà dans son ancienne vie, Loki était un maître dans l’art de disparaître. Plus les heures passèrent, plus l’appréhension de Thor grandissait. Bien entendu, il songea à Fury : avait-il réussi à mettre la main sur son frère ? Mais bien vite, d’autres pensées le hantèrent : ce n’était pas Fury qui avait obligé Loki à faire le mur. Non ! C’était lui. Parce qu’il n’avait pas voulu être honnête. Parce qu’il n’avait pas eu le courage de révéler à son frère toute la vérité. S’il l’avait fait, le petit ne se serait sans doute pas senti trahi, et il n’aurait pas pris la poudre d’escampette.
Korg avait raison : pour éviter une catastrophe, il n’y a pas tout le temps besoin d’une armée, de guerre ou d’Avengers. Parfois, parler suffisait.
— Thor ! On l’a retrouvé.
C’était Dagmar. Le médecin de la ville l’avait rejoint à bord de son vaisseau, alors que le fils d’Odin parcourait les vallées environnantes. Le soleil commençait à décliner à l’horizon, nappant les montagnes d’un halo orangé.
— Il est rentré, insista Dagmar. Il est à la Nouvelle Asgard.
— Quoi ?
***
Lorsqu’il l’aperçut, assis au bord de la falaise, la nuit était tombée. Mais la lune, quasiment pleine, éclairait les alentours d’une lueur blafarde. Cette vue, le dieu du tonnerre la connaissait par cœur. Même l’écho des vagues se fracassant sur la roche en contre bas lui semblait familier.
Thor resta un temps à distance : que dire ? Quoi faire ? Comment aborder les choses ? Devait-il s’énerver ou bien… Les paroles de Korg lui revinrent en tête : Tu dois parler à ton petit frère, Thor.
Le fils d’Odin soupira. Il n’avait pas envie de crier, de toute manière. Alors, il s’approcha doucement.
— Je craignais que tu ne reviennes pas, entama-t-il d’une voix douce.
Le gamin entra la tête entre ses épaules, avant de rabattre sa capuche sur sa tignasse couleur corbeau.
— J’y ai longuement songé, figure-toi, avoua-t-il sans se retourner.
— Mais tu es revenu ?
— Oui.
— Pourquoi ?
— Parce que je me suis dit qu’ici ou ailleurs, ça ne changerait rien.
Le vent balayait l’herbe autour d’eux et l’odeur de l’océan envoya des effluves iodés. A l’horizon, la lune faisait miroiter la surface de l’eau de mille éclats argentés. C’était beau. Mais il se dégageait aussi une certaine tristesse de ce paysage. Comme une nostalgie latente. Le goût amer du passé.
Thor finit par s’asseoir aux côtés de Loki, et l’enfant ramena ses jambes contre sa poitrine, avant de les encercler de ses bras. Il se recroquevillait sur lui-même. Un reflex que Thor commençait à bien lui connaître. Une mimique défensive, sans doute. Il le faisait dès qu’il se sentait en position de faiblesse. Adieu le sale môme turbulent et insolent qui s’agitait dans tous les sens. Là, pour l’heure, son frère ressemblait à davantage à un bigorneau qui essayait de se cacher dans sa coquille.
Un peu nerveux, Thor se mit à arracher les brins d’herbe qui s’agitaient devant ses pieds.
— Écoute, Loki… Il faut que je t’avoue certaines choses. Des choses que je t’ai cachées. Mais sache que si je l’ai fait, c’est uniquement pour te protéger. Je crois cependant que tu as le droit de savoir ce q…
— Ne te fatigue pas, Thor. Je suis au courant.
Sous la surprise, le dieu du tonnerre arrache une motte entière.
— Au courant ? Mais de quoi ?
— De tout, soupira l’enfant. Il m’a fallu cinq minutes à peine pour le découvrir. Il y existe un truc qui s’appelle internet, Thor ! Sérieusement, tu pensais vraiment réussir à me cacher ça ?
— Je dois avouer que je l’espérai, oui…
Il fixa un temps le large avant d’ajouter :
— Mais j’avais tort. Et… j’aurais préféré que tu l’apprennes autrement. C’était à moi de te le dire.
Thor attendit. Il espérait que Loki aborde le sujet en premier, mais de toute évidence, son bigorneau de frère avait décidé de ne pas sortir de sa coquille et ne lui facilitait en rien la tâche.
— Et… tu veux en parler ? Je veux dire… Comment le prends-tu ?
L’enfant émit un pouffement, comme s’il venait d’entendre une bonne blague :
— Comment je vis d’être le méchant de l’histoire ? Un être abject ? Le destructeur de New York…
— Arrête, le coupa Thor. Ce n’était pas toi, ça. Et tu le sais !
— Ce n’est pas ce que penses les autres, Thor. Regarde les asgardiens ? Ils ont tout de suite eu peur de moi, ils se sont méfiés de moi… et ils avaient raison, au final. Hier, aujourd’hui… je détruis tout ce que je touche.
Loki enfouit son visage dans ses bras, et Thor l’observa longuement, en silence. La peine de l’enfant faisait écho en lui. Loki souffrait. En vérité, il avait toujours souffert, et Thor avait bien du mal à savoir comment l’aider sur ce point.
— Mon frère…, entama-t-il. Il ne tient qu’à toi de devenir celui que tu veux. Le passé… c’est derrière nous. Oublie tout ça. C’est à toi de construire l’avenir. Tu es différent aujourd’hui. Tu peux devenir qui tu veux.
— Et si tu te trompais ? marmonna l’enfant. Si c’était mon destin d’être mauvais. Si je redevenais celui que j’étais avant…
Sa voix vacillait sous l’émotion. Thor voulut le rassurer, mais Loki enchaina, en relevant sur lui des yeux luisants :
— Fais-moi une promesse, Thor, veux-tu ?
— Oui… Laquelle ?
— Si ça arrivait… Si je redevenais lui. Mon moi passé… Si je redevenais cet être que tout le monde déteste, alors promets-moi que tu me tueras.
Le fils d’Odin avala de travers et son cœur manqua un battement. Les mots de son cadet lui hérissèrent les cheveux sur la nuque. Le tu… Non…
— Jamais !
— Mais tu dois…
— Loki, jamais je ne ferais ça. Et de toute manière, je n’aurais pas à le faire, car tu ne redeviendras pas un être maléfique.
— Comment le sais-tu ? Comment peux-tu…
— Parce que tu ne l’as jamais été. Pas complètement, du moins.
— Mais si je retrouve mes souvenirs ? Si mon moi du passé essaye de reprendre le contrôle et qu’il…
— Loki.
Thor se tourna vers lui et posa ses deux mains sur les épaules du jeune garçon.
— Ca n’arrivera pas, car je ne le laisserai pas faire. Tu m’entends ? Et toi non plus, tu ne le laisseras pas faire. J’ai toute confiance en toi sur ce point. Et tu devrais également avoir confiance en toi.
Loki renifla. Thor en était persuadé : il se retenait pour ne pas fondre en larme.
— Avoir confiance en moi ?
— Oui.
— Mais… Je casse tout ce que je touche.
Le cœur de Thor se serra. S’il savait… Brisé, Thor l’était avant. En mille éclats, même s’il ne voulait pas l’admettre. Des années à ruminer le passé. Des années à se dire qu’il avait échoué, que tout était de sa faute… Mais l’arrivée de ce nouveau Loki avait changé les choses. Sans même le savoir, sans même que le fils d’Odin n’en prenne pleinement conscience, son frère avait commencé à recoller les morceaux.
— Et bien, il est temps de réparer, à présent, mon frère. N’oublie jamais : tu peux être la meilleure version de toi-même. Il ne tient qu’à toi de le devenir.
Thor lui adressa un sourire chaleureux, et le bigorneau tomba enfin la coquille. Sa bouche se tordit en une grimace, puis les larmes perlèrent sur sa joue. Loki grogna, avant de baisser les yeux, comme pour cacher sa faiblesse. Finalement, il envoya une main claquer contre son blouson de son aîné.
— Tu es insupportable ! râla l’enfant en essayant de refouler ses sanglots.
— Eh, oui. Je sais, approuva Thor dans un rire amusé. Je t’ai toujours agacé et je t’agacerai toujours. Ça, ça ne changera jamais. D’ailleurs, tu sais… c’est drôle que tu sois venu te réfugier ici. Sur cette falaise.
— Pourquoi ? demanda Loki qui peinait à reprendre contenance.
— Tu vois ce rocher ?
Il désigna un amas de pierres, juste à côté d’eux.
— C’est ici que nous avons vu notre père, pour la dernière fois. C’est là qu’il a rejoint le Walhalla.
Son frère releva sur lui des yeux ronds.
— Est-ce que… C’est moi qui l’ai tué ou…
— Quoi ? Non ! paniqua Thor. Par la barbe du père de toute chose ! Non… Odin était fatigué. Il devait partir rejoindre notre mère. Mais avant de nous quitter, il voulait que nous sachions qu’il nous aimait. Tous les deux. Ses fils.
Loki resta un instant interdit.
— Qu’il te le dise à toi, d’accord. Mais pourquoi à moi ? Je n’étais même pas de son sang… et visiblement, je n’ai fait que lui attirer des problèmes.
— Eh bien, tu n’étais peut-être pas aussi mauvais que tu voulais le faire croire, mon frère. Et Odin le savait.
Loki l’observa longuement, comme pour révéler tous ces souvenirs qu’on lui avait volés.
— Parle-moi de lui.
— D'Odin ?
— De lui, de mère, de moi... de tout. Je veux tout savoir…
Alors Thor parla du passé. Il parla de ce frère, qu’il eut autrefois et qui s’était perdu. Mais il ne parla pas que de ces mauvais choix, pas que de ses trahisons. Non. Il raconta les fois où ils s’étaient entraidés, tous les deux, comme des frères. De la manière dont ils avaient sauvé les asgardiens de leur terrible sœur, Hela. Il y eut des rires, il y eut de doutes et parfois même, quelques larmes. Plongé dans le récit de son passé, Thor ne vit pas la pie qui s’était posée sur un rocher, à quelques mètres à peine de lui. Pourtant l’oiseau les observait. Il écoutait. Attentivement, longuement.
Finalement, Ikol laissa passer un petit souffle amusé et claqua du bec :
« Ne pense pas que les choses seront si faciles, mon frère. »