Chapitre 3 : escapade infernale
LOKI
L’enfer de Méphisto était très différent de l’enfer de Hel. Ici, tout n’était que roche en fusion et fosses volcanique. Les cris des âmes torturées résonnaient dans le lointain, entrecoupées par le claquement sec des fouets. Une odeur de soufre et de fer lui retournait l’estomac : il en fallut de peu pour que Loki rende ses tacos de la veille.
— Je crois que je préférais le royaume de Hel, grimaça-t-il devant une rivière de sang dans laquelle flottaient des membres découpés.
« Oui. Quand on sait que ce sont les mythes et les croyances collectives qui forgent les enfers, on se dit que les terriens ont quand même un goût prononcé pour le mélodrame… ou le masochisme. »
Ils suivirent l’indication fournie par Hela, et remontèrent en direction du palais de Méphisto. Le plus dur était encore d’éviter les démons, qui n’auraient fait qu’une bouchée d’eux. Heureusement, la reine de Hel lui avait fourni un artefact capable de dissimuler leur odeur et Thori se montra plutôt calme, excepté la fois où le chiot tenta d’arracher une jambe à un supplicié.
Alors qu’ils contournaient une forêt aux arbres carbonisés, des exclamations attirèrent leur attention. Loki se dissimula derrière les restes encore fumants d’un gros tronc pour observer. Par-delà s’étendait une vaste plaine à l’herbe sanguinolente. Sur ce terrain plus ou moins lisse, quatre démons jouaient au golf. Enfin… à une version bien sordide du golf : les balles étaient composées de crâne de nouveau-nés, et les clubs, de tibias humains. Loki grimaça.
— C’est lui, Méphisto ? demanda-t-il en pointant un démon à la peau entièrement rouge.
Avec sa barbiche noire et ses cheveux enflammés, il était à l’image de ce que certains Midgardiens appelaient le diable. Tout chez lui semblait piquant, hérissé, de sa longue cape pourpre à son col haut effilé. Ne manquait plus que les cornes de bouc…
« Oui. Et à côté, nous avons Zom, Shadrac et Kazann… Que des grosses pointures ! Mieux vaut les éviter. »
Ils contournèrent donc soigneusement les joueurs et Loki laissa trainer une oreille discrète. De quoi pouvait bien parler une bande de démons lors de leur jour de congé ?
— Tu triches, Méphisto ! s’insurgeait Shadrac.
— Bien entendu que je triche. Qu’attendais-tu d’autre de moi ?
— Il te faudra plus que cela si tu souhaites un jour devenir le nouveau Satan.
Un éclat de rire général balaya le trio infernal.
— Ah, vous verrez… Un jour, j’y parviendrais. Le plus grand de tous les Satanas ! J’ouvrirais les portes et les neuf royaumes deviendront mon nouvel Enfer.
— Rien que ça ? se moqua Kazann. Et comment comptes-tu t’y prendre ? Il faudrait déjà réussir à rassembler tous les seigneurs des enfers sous ta coupe…
— J’y travaille, mon cher. J’y travaille. Il ne me manque qu’un peu de peur…
De peur ? De quoi parlait-il ?
« Kid ! Bouge-toi ! On n’a pas toute la journée ! »
Loki délaissa les quatre démons pour franchir la muraille menant au château de Méphisto. Enfin… château ? L’édifice tenait davantage du donjon. D’après Hela, la première chose à faire était de retrouver Tyr, son général infernal. Son plus fidèle soldat ! Et pour ce faire, il leur faudrait s’enfoncer dans les profondeurs de l’enfer. Un escalier en pierre menait à plusieurs niveaux de forme circulaire. Parfois, des cris de douleur résonnaient et Loki se retournait alors dans un bond. Sur les murs étaient gravés des scènes de torture, des tableaux terribles, où s’amoncelaient corps rachitiques et démons armés de fourches. Arrivé au pied d’une stèle, Loki lut les inscriptions gravées dessus :
— Luxure… C’est le premier niveau ?
« Le second. Le premier, c’est celui que nous avons traversé en venant ici : les Limbes. Mais il nous faudra encore descendre bien plus bas pour retrouver Tyr. »
— Il nous faut son épée, d’abord…
Une autre indication fournie par Héla : Tyr possédait une arme légendaire forgée par le feu de l’enfer, et capable de fendre absolument n’importe quoi. Os, chaire, métal, pierre… Rien ne lui résistait. Un tel objet ne serait pas de trop dans leur quête. D’après ce qu’on leur avait dit, l’épée se trouvait dans l’armurerie de Méphisto, quelque part, au second niveau.
Loki observa autour de lui. Une multitude de portes closes parsemaient ce long corridor obscur. Ici, l’espace et le temps semblaient se distordre, à tel point qu’on ne savait plus d’où l’on venait ni où l’on voulait aller. C’était un monde absurde, capable de se déformer. Un véritable labyrinthe et Loki craignait de découvrir une scène terrible à chaque tournant. Parfois des démons surgissaient. Ils avaient alors tout juste le temps de se jeter derrière une statue ou une porte entrebâillée, afin de se dissimuler. Loki fut obligé de museler Thori au risque d’attirer l’attention, mais cette opération faillit bien lui couter deux doigts.
« Eh, Kid ! Par ici ! Je l’ai trouvé ! »
Il accourut pour rejoindre la pie, perchée sur le linteau d’une lourde porte en bois. De l’autre côté, l’armurerie ressemblait à un dépotoir. Ici s’amoncelaient toutes les fourches, les lances, les pics et objets de torture des enfers. Loki ramassa un ustensile, formé d’un gros anneau en métal, d’une sorte de fourchette et de deux petites chaînes reliées à une manivelle.
— Ça sert à quoi, ça ?
« Pas sûr que tu veuilles le savoir, Kid… Et repose-le, avant d’attraper une maladie ! Tu ne sais pas où ça a trainé. »
Loki lâcha l’objet dans une grimace de dégout. Non… Il ne voulait pas savoir.
Ils fouillèrent cet immonde capharnaüm durant bien vingt minutes, avant de retrouver l’épée de Tyr. Ou du moins, sa garde. L’arme ne possédait pas de lame.
— Heu… C’est ça la terrible épée infernale de Tyr ? s’étonna l’enfant en s’en saisissant.
« Tu vois la petite encoche au sommet du pommeau ? Appuie dessus. »
Loki obtempéra, et à peine eut-il enfoncé le cran, qu’une lame entièrement composée de flammes rougeoyantes se déploya. Loki sursauta sous la surprise, avant de laisser passer un cri admiratif. La chaleur était telle que cela lui brulait les mains.
— Regarde, Ikol ! On dirait un sabre laser !
Il se mit à jouer de l’épée. À chaque coup, cette dernière émettait un bourdonnement électrique.
« Je te regarde et j’ai de la peine… Cesse de jouer. On doit retrouver Tyr ! »
Loki éteignit l’épée, avant de l’accrocher à sa ceinture, puis ils revinrent en direction de l’escalier.
Aujourd’hui, l’Enfer de Méphisto ressemblait à celui de Dante. Des paliers se succédaient, les uns en dessous des autres, formant une immense ruche, où chaque péché possédait son étage attitré. Mais Loki avait lu que le diable rouge pouvait modifier son domaine à sa guise. Le réorganiser selon son humeur… Que se passerait-il s’il décidait de le modifier, alors qu’ils se trouvaient encore à l’intérieur ? Un frisson lui échappa. Mieux ne valait pas y penser.
Il leur fallut descendre jusqu’au septième palier pour retrouver Tyr. Le Général était enfermé dans une prison creusée à même la roche, retenu prisonnier par des chaînes métalliques. Ses liens le maintenaient, bras et jambes écartés, dans un équilibre précaire. Une position des plus inconfortable. Loki se demandait depuis combien de temps il était coincé, ainsi.
— Heu… salut ?
Le visage à moitié dévoré par l’ombre, Tyr releva la tête, et un éclat sanguinaire illumina son regard.
— Toi…
Véritable montagne de muscles, Tyr aurait pu concurrencer Thor. Un arceau doré lui cerclait le crâne et deux longues tresses de cheveux noirs encadraient un visage blafard, creusé. Cadavérique. Le géant s’agita, et ses chaînes se mirent à cliqueter comme une menace.
— Donc, on se connait ? supposa Loki en se ratatinant sur place.
— Oui… Oui, Loki, fils de Laufey, je te connais !
— Et comment définirais-tu notre relation jusqu’à présent ?
— La dernière fois que nos chemins se sont croisés, je t’ai promis une mort lente et douloureuse.
— Ah…
Loki envoya un petit regard noir à la pie perchée sur son épaule.
— Je vois.
Décidément, son ancien lui avait eu le chic de se faire détester du monde entier. Prenant son courage à deux mains, Loki passa entre les barreaux pour s’avancer dans la geôle. Ils étaient robustes, mais suffisamment espacés pour laisser passer un frêle enfant de onze ans.
— Écoute, Tyr, entama-t-il sur le ton de la repentance. Qu’importe ta rancœur envers moi, elle n’a plus lieu d’être. Je suis un tout autre Loki, désormais. Et puis, je suis ici pour t’aider. Hela m’a demandé de te libérer…
La montagne de testostérone s’agita et Loki sentit son souffle putride rebondir contre sa joue.
— Ma reine ? Pourquoi aurait-elle accepté de pactiser avec un vil serpent, comme toi ?
— Nous avons nos affaires… ça ne te regarde pas. Mais aujourd’hui, je suis là pour te sortir de cette prison. Alors j’apprécierais grandement que tu évites de me réduire en charpie si je brise tes chaînes. Tu comprends ma position ?
Tyr se contenta d’un long grognement pour toute réponse. Bon… on s’en contentera ! Loki se saisit de l’épée du Général et en alluma la lame. Ceci fait, il commença à trancher les chaînes qui entravaient le prisonnier. Libéré, Tyr tomba à genou. Ses jambes semblaient ne plus le porter et il resta là un instant à quatre pattes, le front contre le sol. Lentement, il fit craquer chacune de ses articulations : ses doigts, ses poignets, son cou… Il était un peu rouillé.
— Tu vois ? souleva Loki en s’approchant avec prudence. Nous sommes dans le même cam…
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase. Tyr se retourna pour le saisir à la gorge et le plaquer contre le mur. Ikol s’envola en poussant un cri rauque.
« Kid ! »
Loki se retrouva bloqué. Les coups qu’il envoyait au gros poing du guerrier semblaient lui faire moins d’effet qu’une pichenette.
— Lâche-moi ! Lâche m…
Les yeux du Général, d’un azur polaire, le détaillèrent un instant, avant qu’il ne se décide enfin à le libérer. Loki glissa le long du mur, les jambes flageolantes.
— Tu as changé, nota Tyr. Tu n’es plus le même Loki…
— Oui ! C’est ce que je t’avais dit avant que tu essayes de m’étrangler !
— Lui, par contre, il ressemble à l’ancien.
Il pointa la pie du doigt, et Ikol s’empressa de prendre de la hauteur pour se poser, à l’abri, dans un renfoncement du plafond.
« Ouais… ouais. On s’en fiche. Y a plus important, là, gros balourd ! Alors viens pas me chauffer le plumage. »
Tyr alla récupérer son épée tombée au sol. Loki remarqua alors qu’une de ses mains avait été coupée : son bras se finissait sur un moignon de métal, dans lequel le Général clipsa la garde de son arme. Lorsque la flamme se déroula, c’était comme si Tyr possédait une extension du feu de l’enfer à son poignet.
— Je t’ai fait une promesse, dieu du chaos ! menaça-t-il en dressant son poing enflammé en direction de l’oiseau. Et je tiens toujours mes prom…
— Soit mon maître…
Tyr ne finit pas sa phrase. Il baissa les yeux sur le chiot qui venait de s’accrocher à sa botte. La langue pendante, Thori fixait le Général dans un mélange d’admiration et d’envie.
— Soit mon maître…
Loki plissa les yeux, vexé. Cette sale bête oubliait qui lui achetait ses croquettes.
— Qu’est-ce que c’est que ça…, marmonna Tyr en soulevant le chiot par la peau du cou.
— C’est Thori, mais… on s’en fiche ! Tyr, nous devons désormais libérer les Valkyries de Bor. Avec vous à ses côtés, Hela pourra reprendre le contrôle du royaume de Hel. La seule question qui importe c’est : vas-tu m’aider, oui ou non ?
Le général vint s’agenouiller face à lui, sa lame enflammée encore au poignet, et Loki sentit ses cheveux se hérisser sur sa nuque.
— Si c’est ce qu’a ordonné ma reine, alors oui, petite Loki : je viens avec toi.
D’un seul geste, il fit fondre les barreaux et ouvrit un passage pour s’extirper de cette geôle qui le maintenait captif depuis tant d’années. Tyr se redressa et fit craquer son dos.
— Méphisto va regretter d’avoir bafoué le royaume de Hel !
***
Les Dísirs ou dises, les deux noms étant maudits, servaient communément de croquemitaines aux Ases. Ainsi, lorsqu’un petit asgardien refusait de finir son assiette, ou d’apprendre par cœur ses leçons, on lui disait que les terribles valkyries d’outre-tombe viendraient le dévorer. Un subterfuge classique de l’éducation, usité par un nombre infini de parents à travers toute la galaxie… sauf que dans le cas des Dísirs, la légende était bien réelle !
On raconte qu’elles étaient autrefois les walkyries vierges de Bor. De fantastiques guerrières, que rien ne semblait pouvoir arrêter… Mais un jour, après une bataille, l’illustre père d’Odin les surpris en train de se repaitre de la chair des asgardiens morts au combat. Pour les punir, Bor les transforma en créature anthropophage, à jamais esclave d’une faim insatiable. Prononcer leur nom revenait à les invoquer. Quiconque les appelait à haute voix devenait leur cible, et les terribles Walkyries n’avaient alors de cesse que de mettre en pièce celui qui avait eu l’outrecuidance de prononcer ces deux syllabes : Dí et sirs. Avec les siècles, plus aucun asgardien ne savait si cela tenait du mythe, ou bien de la réalité, mais tous craignaient de clamer leur nom.
Loki marchait au côté de Tyr, la capuche rabattue sur la tête, et Ikol perché sur ladite capuche. Le pie devait se dire que Tyr n’oserait pas l’attaquer ici, au risque de décapiter l’enfant. Cela aurait fait mauvais genre auprès de Hela.
— Quoi ? grogna Tyr en sentant les petits regards en coin que lui balançait l’enfant.
— Est-ce vrai ?
— Quoi donc ?
— Il y a des rumeurs… comme quoi tu serais aussi un fils d’Odin ? Ce qui ferait de nous des fr…
— Balivernes ! Je ne serais jamais frère avec un être de ton espèce.
Loki haussa les épaules.
— Tant mieux, alors… car vu ce que l’on raconte au sujet de ta relation avec Hela, ce serait un brin incestueux.
Le grand Général de l’enfer laissa passer un souffle rauque et agita dangereusement son moignon d’acier sous le nez de l’enfant :
— Continue à promulguer de telle sornette et je te coupe la langue, prince des mensonges !
— Eh ! Je n’y suis pour rien ! C’est ce qui écrit dans les livres d’histoire sur Midgard…
— Je n’ai jamais aimé les midgardiens.
Loki haussa les épaules. Visiblement, l’humour et le débat étaient deux qualités qui manquaient au Général de Hel.
Les Dísirs étaient retenus au huitième niveau de l’enfer de Mephisto. Ruse et Tromperie, lut-il, sur une stèle. Ici, des fausses avaient été creusées et des hurlements remontaient des ténèbres.
— Par ici, l’encouragea Tyr.
Une porte bien plus impressionnante que les autres attira son attention. Elle était barricadée d’impressionnantes barres de fer. Pas de serrure. Pas de clef. Quoi qu’il se cache là derrière, on avait pris soin de faire en sorte que personne ne puisse le libérer. Au-dessus, sur le linteau de marbre, était gravée une inscription en latin. Il la lut :
— À toi qui souhaites ouvrir les portes de cette prison, prends garde, car il n’y a qu’une seule façon. À haute voix, prononce leur nom et aussitôt, les Valkyries te dévoreront…
— Impossible de défoncer cette porte, nota Tyr en l’inspectant. Elle est scellée par la magie.
— C’est plutôt malin, commenta Loki. Le seul moyen de libérer les Valkyries de Bor est de se sacrifier en les appelant. Sur le papier, c’est simple, mais peu de personnes serait d’accord de se laisser dévorer pour ouvrir une porte.
« Charmant, commenta Ikol. Ce n’était pas au programme, ça… Bon, qui se désigne volontaire ? »
Loki sentit le regard de Tyr se poser sur lui et aussitôt, il recula de plusieurs pas.
— Eh, non ! C’est hors de question. Je ne suis pas là pour ça…
— Peut-être que c’est ce qu’avait prévu Hela, commenta le Général. Tu es la clef.
— Je… quoi ? Non ! Nous avons un accord avec ta maîtresse, et cela n’en fait pas partie. Il nous faut trouver une autre solution… et cesse de me regarder comme ça !
Tyr poussa un grognement avant de tourner les talons.
— Très bien. Reste là.
Le géant des enfers remontait le corridor quand Ikol claqua du bac sur son épaule :
« Moi, je t’aurais forcé à le dire… »
— Tout le monde n’est pas aussi tordu que toi.
Il y eut un bruit de métal, une explosion, et des cris retentirent. Quand Tyr revint, il tirait derrière lui un pauvre malheureux. Des membres rachitiques s’échappaient des haillons qui lui servaient d’habits. Son visage était creusé et ses yeux, deux billes noires entourées de cernes violettes. Loki sursauta quand Tyr le balança à ses pieds.
— Qui est-ce ? s’inquiéta l’enfant.
— La clef.
— Pardon ?
Tyr soupira avant de pointer le pauvre bougre qui se tortillait pour se redresser.
— C’est un détenu asgardien. Puisque ni toi ni moi ne comptons ouvrir cette porte, il n’a qu’à le faire.
— Tout ce que vous voulez…, supplia l’homme en rampant vers eux. Tout ! Du moment que je sois enfin libre, monseigneur…
Loki recula quand il tenta de saisir le bas de sa tunique.
— Mais… mérite-t-il un tel sort ? Je veux dire… Se faire dévorer par les valkyries zombies de mon grand-père…
« Pourquoi crois-tu qu’il soit ici, Kid ! râla Ikol. On ne finit pas en enfers pour avoir offert des fleurs, maintenant, change-moi ce pauvre type en kebab ! »
Loki se pencha vers le détenu dont les yeux ne cessaient d’osciller : gauche, droite, gauche, droite… Il semblait dément. Après tant d’années enfermé dans les geôles de Méphisto, qui ne le serait pas ?
— Quel était ton crime ? demanda l’enfant. Pourquoi t’a-t-on condamné à l’Enfer ?
— Je suis innocent, monseigneur… C’était une erreur. On m’a accusé de les avoir tués, tous, mais ce n’était pas moi…
Loki adressa un regard à Tyr, le genre qui signifiait : « Ah, tu vois ? Je te l’avais bien dit ? » quand le détenu ajouta :
— Je n’ai fait que les libérer de leur souffrance ! Ils sont retournés à la terre. Tous ! Mort. Leur enveloppe charnelle déchiquetée, broyée, lacérée… Poussière tu étais, poussière tu seras…
Loki bondit en arrière, tandis que le détenu se lançait dans un long rire machiavélique.
— Oui, bon, OK…, grimaça-t-il. Il fera l’affaire.
Tyr le souleva d’une main pour le placer face à la porte.
— Si tu veux être libre, prononce le nom des Valkyries de Bor ! Appelle les terribles guerrières d’outre-tombe, la Sororité de l’Effroi !
— Qui ça ? demanda le damné d’une voix grésillarde.
Loki avala de travers, avant d’échanger un regard avec Ikol. Qui ça ? Comment ça, qui ça ? Tout le monde connaissait les Dísirs !
« Ah… ça, ça va compliquer les choses. »
— On fait quoi ? demanda Tyr en lâchant le détenu qui s’écroula sur le sol.
Loki se frotta les yeux. La fatigue commençait à se faire sentir. Depuis combien de temps errait-il dans les différents Enfers ? Lorsqu’il avait quitté sa chambre, il devait être près de minuit.
— Il va falloir ruser, soupira-t-il. Et mieux ne vaut pas trainer : ta libération ne passera pas longtemps inaperçue.
Loki se pencha pour se mettre à hauteur du prisonnier.
— Très bien, vieux débris ! Peux-tu lire ça ?
Le nom des valkyries infernales s’inscrivit en lettres de feu au-dessus de sa main ouverte. L’homme papillonna des cils, comme si la lumière lui brulait les yeux.
— Je… je ne sais pas lire, messire…
Génial ! Loki retint un grognement de dépit.
— Bon… On va faire encore plus simple. Répète après moi : Di !
— Di…
L’enfant laissa un temps de silence avant d’ajouter :
— Sir !
— Sir…
— D’accord, les deux ensembles, maintenant, ça donne…
— Sisir !
Le silence qui s’en suivit fut terriblement gênant. Les poings de Loki se crispèrent : cet idiot se fichait de lui, ce n’était pas possible…
« Laissez-le-moi. Je vais me le faire… »
Las de tourner en rond, Tyr attrapa le détenu par le col et se mit à le secouer comme un cocotier. Loki tenta bien de le calmer, mais le Général semblait hors de lui.
— Cesse de jouer les imbéciles ou je te renvoie dans ta geôle après t’avoir écorché vif !
— Non, non… pitié… Plus de prison.
— Alors, répète et fais-le bien ! Di…
— Di !
— Sir !
— Sir. Disir !
« Ah, bah voilà ! »
Tyr balança l’homme à terre et les plaques de métal scellant la porte tombèrent une à une. Ploc, ploc… Loki recula tandis que les battants s’ouvraient dans un grondement terrible. Un vent putride balaya le corridor, puis des hurlements s’élevèrent. Glaçant ! Loki sentit un frisson lui remonter jusque dans la nuque. L’air se rafraichit aussitôt et il se mit à trembler.
— Heu… bégaya-t-il. Tyr… On devrait peut-être…
Derrière la porte, tout n’était que ténèbres. Le noir complet. Puis, soudain, des yeux s’ouvrirent. Des yeux aussi blancs que la neige. Des yeux dénués de vie. À ses pieds, Thorry couina, avant de venir se réfugier entre ses jambes. S’il n’était pas pétrifié sur place, Loki aurait fait la même chose avec Tyr.
Que venait-il de réveiller ? Quelle monstruosité avait-il libérée ?
Clap. La porte venait de finir de s’ouvrir. Loki ouvrit la bouche, mais ne put prononcer le moindre mot : un véritable ouragan le balaya. Il se retint de justesse pour ne pas être soufflé en arrière. Par-delà ses bras dressés en bouclier, il perçut un méli-mélo de membres décharnés, de corps rapiécés, de couronnes effilées, de lames acérées… Cette masse informe se jeta sur le pauvre prisonnier, encore agenouillé au sol. Puis vint le cri de douleurs, le craquement des os que l’on broie, le bruissement de la peau qu’on déchire… Quand, enfin, la tempête se calma, Loki abaissa les bras pour découvrir un spectacle terrible : les Disirs s’étaient jetées sur leur proie, réduisant le pauvre malheureux en un amas sanguinolent et difforme. Loki se sentit pâlir.
— Tu es bien impressionnable, petit dieu fragile, se moqua Tyr. Contemple ce que tu as déclenché !
Leur festin achevé, les terribles Valkyries de Bor se relevèrent une à une. Des zombies… c’était clairement le plus simple pour les décrire. Loki se crut un temps dans un « Walking Dead » version viking. La peau partiellement décomposée des Disirs laissait parfois apparaître l’éclat blanc d’un os, ou le contour déformé d’un organe. Même leur armure de Valkyrie semblait provenir d’outre-tombe. L’une d’entre elles, aux longs cheveux blancs et aux épaulettes dorées, s’avança. Son pas était trainant, son dos courbé, comme brisé en deux.
— Qui nous a libérés ? tonna sa voix rocailleuse. Qui a osé nous réveiller…
Tyr s’avança sans crainte, ce qui ne fut pas le cas de Loki, qui préféra rester en retrait. Impossible d’ouvrir la bouche : l’odeur du sang lui retournait encore l’estomac.
— Salutation, Brün, première des Disirs…
Brün, qui devait être la chef de la horde, tourna sur le Général deux globes entièrement blancs.
— Tyr... Ainsi c’est toi qui es venu nous sortir des abysses infernaux ?
— En fait, c’est lui.
Il désigna Loki du pouce, et aussitôt, l’attention de Brün se porta sur l’enfant.
— Tiens, tiens, tiens… Qu’avons-nous là ? Un petit asgardien ? Un petit terrien ? Un mélange intéressant. Il doit être succulent.
L’enfant recula d’un pas supplémentaire. Pour le coup, il n’avait plus envie de jouer au grand « Loki ».
— Tyr nous a amené le dessert ! renchérit une autre guerrière.
Toute la troupe partit en fou rire et Ikol claqua du bec, comme agacé. Il voleta furieusement autour de la troupe macabre.
« Bon, ça suffit les morfales ! Vous n’avez pas mieux à faire qu’effrayer un mioche ? Hela vous attend ! Vous avez une guerre à déclencher, alors du balai ! »
Brün poussa un long grognement et essaya de saisir l’oiseau, en vain.
— Quelle impertinence ! Comment oses-tu t’adresser ainsi à…
Ce fut Tyr qui la coupa.
— L’oiseau est insolent, mais il a raison ! déclara le Général. Nous avons à faire. Il faut rejoindre le royaume de Hel. Notre maîtresse nous demande.
Il ouvrit un portail aux lueurs froides. Loki reconnut la termitière de Hela de l’autre côté. Hel. Les Disirs franchirent la faille sans attendre, mais Loki, lui, ne bougea pas d’un poil.
— Viens, petit ! ordonna Tyr.
— Sans moi, riposta Loki en secouant la tête.
— Mais p…
— Je dois retourner à la Nouvelle Asgard avant de rejoindre Hela.
— Pourquoi ?
— Cela ne te regarde pas, Tyr.
Le Général le dévisagea un temps, mais n’insista pas. Après tout, ce n’était pas son problème et il devait avoir hâte de retrouver sa reine. Mais avant de franchir la faille, il dressa tout de même son épée enflammée en direction de Ikol.
— Toi et moi, nous n’en avons pas fini, oiseau de malheur !
« Ouais, ouais… parles à ma queue, ma tête est malade ! Allez, dégagez les zombies. »
Loki avala de travers, mais Tyr passa outre l’insolence de la pie. Pour cette fois du moins… Le Général traversa le portail, et ce dernier se referma dans un flash aveuglant.
Enfin seul, Loki s’autorisa à soupirer et ferma les yeux. Il avait hâte que cette aventure se finisse pour retrouver son lit et ses draps. L’odeur du sang, les cris des suppliciés, les corps décharnés… avec tout ça, ses cauchemars n’allaient pas s’arranger.
« Cesse de faire ta mijaurée et ressaisis-toi ! le gronda Ikol. Je te rappelle que c’était ton idée de nous envoyer en Enfers ! Il va falloir que tu t’endurcisses ! Et vite. »
— Je sais, je sais… approuva-t-il. Laisse-moi deux minutes, d’accord ?
Il prenait de grandes inspirations et tentait de contrôler le tremblement de ses membres, quand une vive lueur attira son regard.
— Qu’est-ce que c’est ?
La lumière émanait d’un l’escalier. Ce dernier descendait à pique, vers le dernier niveau infernal.
« Ça, c’est l’ultime cercle des Enfer, commenta Ikol. Mais pas sûr que ce soit moment de se laisser distraire, Kid ! »
Une impression étrange s’empara de lui. Cette lueur… il l’avait déjà vu quelque part. Ça lui était familier. Aussi, repoussant son envie de fuir à toutes jambes, il s’avança vers l’escalier.
— Attends… Juste une minute ! On y jette un œil, puis on s’en va. D’accord ?
« Mon avis a-t-il une réelle importance ? »
Tel un papillon attiré par la lumière, Loki descendit les marches une à une. Le dernier cercle était le niveau le plus étroit des sous-sols infernaux. Bordé par une imposante rangée de pylônes, il était le seul dénué de cages et de geôles. Au milieu de la pièce, posé sur une estrade de marbre, trônait une immense coupole dans laquelle flamboyait un feu plus rouge que le sang.
— Who…, souffla Loki en s’approchant. Ce feu… Il… Il irradie de quelque chose de…
« D’infernal ? Ouais ! Logique. Il s’agit de l’éternelle flamme, Kid. J’ignorais qu’elle se trouvait ici, d’ailleurs. À dire vrai, je pensais qu’elle avait été détruite lors du Ragnarök… »
— L’éternelle flamme ?
« Oui. L’un des trésors d’Odin ; une flamme capable de rendre la vie, aussi bien que de la reprendre. C’est elle qui a réveillé Surtur, et provoqué la fin d’Asgard. Enfin… Non. En fait, c’était moi. Mais la flamme m’a vachement aidé ! »
L’enfant ouvrit de grands yeux scandalisés :
— Attends… C’est toi qui as déclenché le Ragnarök ?
« Oh, ça va, hein ! C’était l’idée de Thor, à la base ! Je n’ai fait que rendre service. »
Thor lui avait expliqué que son ancien lui l’avait aidé lors du Ragnarök… mais il avait oublié de préciser qu’il en était aussi le responsable. À croire que, même en étant dans le camp des gentils, il ne provoquait que la destruction. Loki remit son regard sur les flammes. Ces dernières ondulaient dans une danse envoûtante. L’éternelle flamme. Le feu de la création. Le feu de la destruction…
— Comment Méphisto peut-il être en possession de cette flamme ? s’inquiéta-t-il. Et… Ne risque-t-il pas de l’utiliser à l’utiliser afin de provoquer un cataclysme ?
« Pour ta première question : aucune idée. Pour la deuxième : Non ! Il n’en a pas la puissance. »
Un grognement les interrompit et Looki se retourna. Thori recula, le poil ébouriffé et les babines retroussés.
— Meurtre… gronda le chien en observant les escaliers.
— Qu’est-ce qu’il t’arrive ? s’étonna l’enfant.
Comme pour lui répondre, un aboiement résonna, et un second chiot descendit les marches. C’était le portrait craché de Thori, mais avec un pelage un peu plus long. Loki retint un hoquet de surprise. Un glaçon lui tomba dans l’estomac. Mince… Il avait oublié ce détail…
« Ce n’est pas l’autre sac à puces que tu à fait adopter à Mephisto, ça ? »
— Si… Il a dû sentir la présence de son frère.
Des applaudissements retentirent. Lents. Sinistres.
— Bravo, vraiment ! Je ne m’y attendais pas, à celle-ci.
La silhouette de Méphisto apparut dans l’escalier. Le diable rouge descendit les marches une à une, sans se presser, un sourire malsain sur le visage.
— Moi qui ai aidé ton frère à te retrouver… Moi qui ai accepté de te délester d’un chiot de Hel… Voilà que tu me plantes un couteau dans le dos en délivrant les fidèles de Hela.
Il observa un temps pour l’observer, avant de soupirer :
— Et moi qui pensais que nous étions amis… Mais je me trompais. Car toi comme moi, nous avons ce point en commun : nous ne possédons aucun ami.
Loki ne répondit pas. Impossible. La situation le dépassait complètement. Il se contenta de faire face au démon, le dos vouté, les muscles contractés.
Méphisto laissa passer un sourire carnassier avant d’ajouter :
— Tu comprends qu’il va falloir que je t’étripe, maintenant ?
« On se tire, Kid ! »
Le cri d’Ikol agit comme une décharge d’adrénaline, et Loki essaya d’enclencher une téléportation vers sa dimension de poche. Mais rien ! Une vague lueur verte illumina la paume de ses mains avant de s’évanouir.
— Qu’est-ce qu…
— Tu es trop loin de la surface, petit, ricana Méphisto. Tu es coincé avec moi, on dirait !
« Plan B, Kid ! »
Plan B ? Quel plan B ? Loki chercha une idée, et la seule qui lui vint en tête fut particulièrement stupide : il donna un puissant coup de pied dans l’éternelle flamme. La coupole se renversa, et le feu sacré se répandit sur le sol telle une trainée de poudre. Méphisto fut pris de court. Il se jeta sur le côté afin de ne pas finir carbonisé.
« Remonte, vite ! »
Loki ne se fit pas prier. Il courut en direction de l’escalier et remonta les marches quatre à quatre, mais déjà, les rugissements de colère du diable rouge le poursuivaient :
— Tu ne perds rien pour attendre, morveux ! Je t’ai rendu la vie, je peux te la reprendre !
Alors qu’ils passaient en courant devant les fosses, Ikol poussa un cri rauque :
« Kid ! Les grilles ! Ouvre les grilles ! »
Bonne ou mauvaise idée ? Ce n’était pas le moment de réfléchir à ce genre de détail. Aussi Loki fit-il sauter plusieurs loquets, et les barrières des fosses s’ouvrirent une à une. Des créatures d’outre-tombe en surgirent. Des êtres au corps décharné par la faim et les supplices, prêts à réclamer vengeance. En premier lieu, les monstruosités se tournèrent vers l’enfant. Elles fixèrent sur lui leur regard avide, mais Loki désigna Méphisto du doigt :
— C’est lui ! se défendit-il. C’est lui qui vous a enfermé et torturé toutes ces années !
Il n’en fallut pas plus pour que les âmes damnées se retournent, puis se jettent sur le diable rouge.
— Rah ! Lâchez-moi ! rugit le roi infernal. Comment osez-vous poser les mains sur ma personne, déchet de l’humanité !
« On monte, vite ! »
Atteindre la surface ! Retrouver l’air libre ! C’était la seule chose qui comptait. Il devait remonter afin de pouvoir enclencher sa téléportation et quitter cette dimension maudite. Mais alors qu’il atteignait le cinquième cercle, le sol se mit à trembler sous ses pieds, et tout le décor changea autour de lui. Les murs, le plafond, les portes des cellules… tout se mit à bouger. Méphisto remodelait son donjon infernal. Il le modifiait à sa guise, afin de le ralentir. Loki chancela tandis qu’un gouffre s’ouvrait devant ses pieds. Il était pris au piège. Impossible de franchir cette crevasse qui semblait descendre jusqu’aux entrailles de l’enfer.
— Tu n’iras pas plus loin, le mioche !
Loki se retourna. Méphisto s’avançait vers lui. Son long manteau était déchiré, et une balafre traversait sa joue. Les créatures des fosses lui avaient fait passer un sale quart d’heure et cela l’avait mis d’extrême mauvaise humeur. Loki recula, mais quand ses talons fleuretèrent avec le vide, il ne put rien faire d’autre que pousser un gémissement de dépit.
— Ikol…
« Bon, d’accord ! Bouge pas ! »
La pie s’envola et, comme à la jardinerie, le percuta. Son corps et le sien fusionnèrent. Loki sentit cette décharge de puissance, cette magie ancestrale, inonder ses veines.
« Je prends les commandes ! Je te préviens, ça peut surprendre la première fois. »
— Que… quoi ?
Il n’eut pas le temps de comprendre quoi que ce soit qu’un fourmillement le recouvrit tout entier. Loki observa ses mains se transformer. Elles rapetissèrent, alors que son corps s’allongeait. Il voulut crier, mais impossible. Chacun de ses os, de ses organes, semblait se tordre, se mouvoir. Ce n’était pas douloureux, mais extrêmement déroutant. À côté, ses petites métamorphoses avec Leah n’étaient rien. Même sa vision changea, les couleurs devinrent moins vives, moins étendues.
« T’agite pas ! Laisse-toi faire. »
Une langue fourchue sortit de sa bouche. Un serpent ! Il était devenu un immense serpent ! Il délaissa le contrôle de son corps à Ikol, et ce dernier se pencha pour saisir Thori dans sa gueule. C’était étrange de sentir ses muscles se contracter sans qu’il ne le leur demande. L’animal se recroquevilla sur lui-même, avant de relâcher la pression. Il sauta. Le serpent percuta le plafond pour s’immiscer dans une faille. Malgré l’étroitesse du canal, le reptile s’y faufila sans mal, et Loki ferma son esprit. Il perdit chacun de ses sens, il se sentait comme balayé par le rouleau d’une immense vague. Ce ne fut que quelques minutes plus tard, quand, enfin, le terrible reptile jaillit de terre, qu’il retrouva ses esprits. Il avait atteint la surface des limbes. Lentement, Loki reprit forme. Le cœur battant, le souffle court et les membres flageolants, il rampa avant de réussir à se remettre sur ses jambes.
— Ik… Ikol !
« Je suis là. »
La pie était tombée à terre. Thori reniflait son plumage et Loki intervint avant que le chiot n’ai l’idée de le croquer.
— J… j’étais vraiment un serpent ? bégaya l’enfant.
« Tu es une vipère dans l’âme, morveux ! Mais pas le temps de s’extasier. Faut se barrer d’ici, et vite ! »
Il acquiesça et pressa l’oiseau contre lui, avant de lever sa main libre. Une faille s’ouvrit. Enfin !
— Non ! cria une voix. Tu ne m’échapperas pas !
Méphisto arrivait en courant, une horde de démons sur les talons. Loki poussa un hoquet de peur, puis sauta par le portail en tirant sur le collier de Thori. Tous trois s’écrasèrent sur le sol rocheux de la caverne. Loki referma aussitôt le portail. Le visage colérique du démon rouge, son enfer diabolique… tout disparut.
Il lui fallut une minute pour se remettre de ses émotions et il resta là, avachi sur le sol, Ikol entre les bras. Son corps tremblait machinalement, sa respiration était sifflante. La froideur du sol sur sa joue lui fit du bien, mais il se sentait comme vidé de toute énergie.
Thori poussa un jappement, avant de filer dans sa cage sans demander son reste. S’il en avait été capable, le chiot aurait refermé la grille derrière lui : visiblement, lui non plus n’avait pas apprécié cette journée en enfer.
— Loki ?
Leah apparut du petit enfoncement qu’ils avaient aménagé en salle de bain. La jeune fille frottait ses cheveux humides à l’aide d’une serviette.
— Qu’est-ce qui t’arrive ? Et… c’est quoi cette odeur ? Attends ! C’est du soufre ? Tu… d’où viens-tu ?
Il ne répondit pas. Pas le temps ! Dès que ses jambes le lui permirent, il se releva et rejoignit la petite cavité avec l’autel et le squelette du serpent. Tant pis pour la discrétion : il ouvrit la porte magique menant à la dimension d’Ikol.
— Loki ! râla Leah en le pourchassant. Peux-tu me dire ce que tu… Attends ! C’est là depuis quand, ça ?
Il déposa la pie qui reprit aussitôt apparence humaine, une fois la porte franchie. Il semblait en piteux état, au bord de l’évanouissement. Ikol s’étendit sur le sol, les bras en croix, et poussa un long râle plaintif :
— Il me faut un Martini…
— Loki !
Leah venait de hurler. Ses grands yeux noirs le dardaient avec férocité et elle passa, elle aussi, dans la dimension fantôme pour le saisir par le poignet :
— Vas-tu me dire ce qu’il se passe ?
— Je n’ai pas le temps de…
— Tu reviens des Enfers ? C’est ça ?
Il se pinça les lèvres. Elle ne le lâcherait pas de toute façon.
— Oui…
— Desquels
— Un peu de tous, en fait. Mais t’inquiètes pas. Tout va bien…
— Tu te fous de moi, là, j’espère ?
Il libéra son poignet pour attraper le livre de Hel, posé sur l’estrade.
— Je vais tout arranger, Leah ! assura-t-il en retournant dans la caverne principale. Pour toi, pour ta servitude…
— Qu’est-ce que tu as fait, bon sang ?
— J’ai passé un accord avec Hela. Après ça, tu n’auras plus jamais rien à craindre d’elle.
Le regard de la jeune fille se braqua sur le livre et son teint pâlit :
— Tu lui as promis le livre en échange de ma liberté ?
— Oui… ça, et aussi sa parole de laisser Thor tranquille. Tu vois, tout s’arrange !
— Mais comment…
— J’ai peut-être aussi libéré Tyr et les valkyries de Bor afin de lui permettre de reconquérir Hel… Méphisto n’était pas très content, mais ça en valait la peine.
— La peine ?
Leah semblait abasourdi. Ses lèvres se mirent à trembler et ses épaules s’abaissèrent :
— Loki… Tu es vraiment en train de me dire que tu as provoqué une guerre entre les rois des enfers, là ?
— Oui, dis comme ça, ça peut faire peur, mais…
— Il n’y a pas de « mais » ! Tu as conscience du chaos que tu sèmes ?
— C’est pour la bonne cause !
— La bonne cause ? Non, mais… Tu as provoqué une guerre infernale pour tes intérêts personnels ! C’est typiquement le genre de plan machiavélique que cet enfoiré aurait pu fomenter !
Elle désigna Ikol, toujours affalé sur le sol, et ce dernier leva un poing en l’air :
— Carrément ! Petit Loki deviendra grand…
Loki prit un temps de silence. Elle n’avait pas tort, oui…
— Sauf que lui l’aurait fait pour des raisons égoïstes, alors que moi, c’est pour de bonnes raisons !
Leah ferma les yeux et secoua la tête, comme navré de toutes ces révélations. Il l’avait… déçu ? Pourtant, c’était pour elle, pour Thor, qu’il avait pris tous ces risques.
— Ce genre de chose, Loki, ça se paye forcément un jour. Tu crois vraiment que Méphisto te laissera…
— Mephisto sera trop occupé à se défendre de Hela pour se soucier de moi.
Ils s’observèrent longuement, en silence, sans oser ajouter quoi que ce soit. Leah finirait par comprendre qu’il avait raison. C’était la seule manière pour elle d’obtenir sa liberté. La seule manière d’anéantir la menace que Hela faisait peser sur elle et sur Thor.
— Écoute, on n’a pas le temps de parler de ça pour le moment. Je dois rapporter le livre à ta maîtresse, ou sinon, notre accord ne tient plus. Et Méphisto ne tardera pas à se lancer à ma poursuite, alors…
Il tourna les talons pour quitter la dimension, et Leah lui emboita le pas. Ikol, en revanche, daigna tout juste se redresser :
— M’en voulez pas les enfants, mais moi je reste ici, hein ! J’ai assez donné pour la journée. Si vous avez besoin de moi… oubliez-moi !
La porte se referma avant de disparaître.
— Que comptes-tu faire, à présent ? le harcela Leah alors qu’il remontait les marches menant à la caverne.
— Je retourne au royaume de Hel.
— Bien, je t’accompagne.
— Quoi ?
Il se retourna si brusquement qu’elle le percuta.
— Hors de question ! C’est trop dangereux. Tu dois rester ici et…
La gifle partit d’un coup. Le claquement qu’elle produisit se répercuta en écho sur les murs et Loki vacilla en arrière, une main sur la joue.
— Tu… Tu m’as frappé ? bégaya-t-il, les yeux emplis d’incrédulité.
— Oui, crétin ! Et tu en mériterais d’autres. Tu es complètement inconscient ! Tu bouleverses l’ordre des choses sur un coup de tête, Loki ! Même si tu penses agir pour la bonne cause. Mais c’est trop tard pour faire marche arrière, désormais. Alors on va finir ce que tu as commencé, mais je viens !
— Ma… Mais Hela, elle…
Leah le fit taire en levant un doigt menaçant sous son nez.
— C’est le cadet de nos soucis ! Et ne me dis pas ce que je dois faire ou non. Venant de toi, c’est de l’hypocrisie.
Loki chercha quoi ajouter, mais rien ne lui vint à l’esprit. La douleur à sa joue finit par le convaincre de ne pas insister, et il se contenta d’acquiescer d’un signe de tête. Il dressa une main afin d’ouvrir un portail. Ce dernier lui demanda plus d’énergie que les autres : ouvrir ne porte vers une autre dimension, même déjà visitée, était compliquée, surtout dans son état actuel. De l’autre côté de la faille, l’image du palais de Hela fluctuait, comme menaçant de disparaître.
— Allons-y.
Si Loki franchit rapidement le portail, Leah sembla comme hésiter. Elle passa un pied, puis l’autre, puis une main… Comme si franchir la frontière risquait de la foudroyer sur place. Finalement, elle s’avança. Son regard balaya la plaine morte et Loki y lut une crainte douloureuse.
— Ça va ? s’inquiéta-t-il. Ca doit te faire bizarre de revenir ici. Je veux dire, tu…
— Ca va ! le coupa la jeune fille en reprenant son air froid. Je n’ai pas besoin que tu t’inquiètes pour moi. Inquiète-toi plutôt pour toi, Loki !
Il se recroquevilla sur lui-même. Connaissant son tempérament, il se doutait qu’elle lui reprocherait d’avoir agi dans son dos, mais quand même… C’était pour elle qu’il avait bravé les dieux des morts, après tout ! Un peu de reconnaissance, serait-ce trop demandé ?
— Te revoilà…
Les deux enfants se retournèrent alors qu’une faille déchirait le paysage stérile de Hel. Au travers, Loki reconnut le décor du bureau de Hela, et cette dernière s’avança pour les rejoindre. Elle avait revêtu son armure de guerre noire. Une tenue hérissée, venimeuse… Son casque à patte d’araignée semblait encore plus volumineux et elle tenait à chaque main une épée à la lame courbe.
Derrière elle suivait Tyr, puis les quinze Disirs. À la lumière du jour, Loki les trouva moins repoussantes. Leur peau semblait moins décomposée, et leurs armures plus lustrées.
Hela posa un regard froid sur sa jeune servante, que cette dernière soutint avec détermination. Loki fut surprise de la découvrir si téméraire. Leah avait une telle crainte de la déesse qu’il s’attendait à ce qu’elle s’effondre à la première confrontation.
— Leah… Après m’avoir déçu tant de fois, voici que tu me trahis en t’alliant à la proie que je t’ai envoyé traquer… Je dois au moins te reconnaître ton audace, pour une fois. C’est bien la première fois que tu fais preuve de caractère.
Leah ne répondit rien, mais refusa de baisser les yeux et la reine de Hel finit par se détourner d’elle pour pointer le livre, que Loki tenait entre les bras.
— Donne-le-moi.
— Le contrat, d’abord !
Hela se pencha afin de mettre son visage face au sien et un sourire sournois étira ses fines lèvres :
— Un conseil pour la prochaine fois, petit Loki, pense à signer le contrat avant d’en réaliser les contreparties… Mais tu as de la chance : je n’ai qu’une parole. Le voici.
Elle extirpa un parchemin de sous son manteau et le déroula.
— Rédigé selon les thermes énoncés ensemble. Leah retrouve sa liberté, et je promets de ne me venger ni sur toi ni sur ton frère.
Loki se saisit du document pour le passer en revue. Il aurait apprécié l’aide d’Ikol : il n’y avait pas mieux que ce vieux volatile pour flairer l’entourloupe, mais pour une fois, il devrait agir seul.
— Ca semble correct, déclara-t-il.
— Alors, il ne reste plus qu’à signer.
Hela fit apparaître un stylo plume et le lui tendit. L’enfant s’en saisit, mais s’étonna rapidement :
— Il n’y a pas d’encre…
— Oui, Loki. C’est normal. En enfer, on ne signe pas à l’encre.
— On signe avec son sang, ajouta Leah dans un souffle.
Oh… Loki pinça les lèvres, mais s’accomplit. Il se piqua le bout de l’index à l’aide du stylo et une perle rouge en recouvrit la pointe. En moins d’une seconde, le document fut signé.
— Voilà qui est fait !
Hela leva une main et le parchemin disparut dans une combustion spontanée.
— Du calme, il n’est pas détruit. Je l’ai juste archivé, expliqua-t-elle face au regard scandalisé de l’enfant. Maintenant, donne-moi le livre !
Il obtempéra, non sans une certaine réticence, et la déesse caressa la couverture de cuir avec avidité.
— Parfait… Il est temps de faire changer les choses.
— Eh ! la rappela-t-il alors qu’elle tournait les talons en compagnie de ses troupes. Et pour Leah ?
Hela prit le temps d’ouvrir une faille par laquelle deux immenses loups apparurent. Il reconnut sans mal Garm, la gardienne de la grotte. L’autre ne devait être que Fenrir, la terrible monture de la déesse de la mort.
— Oui, oui…, râla-t-elle en enfournant le col de l’immense canidé. Tu es libre, ma fille. Félicitations.
Elle leva une main et une lumière verte recouvrit Leah avant de s’estomper.
— Maintenant, je vous conseille de quitter mon royaume au plus vite et surtout, de ne jamais y revenir.
Hela leur adressa un dernier regard impérieux. Le genre qui ne laissait place à aucun compromis.
— Maintenant, pardonnez-moi, mais j’ai une guerre à mener.
La déesse ouvrit un énième portail. Bien pus grand, bien plus vaste. De l’autre côté, tout n’était que lave et roche volcanique. L’Enfer de Méphisto… Tout autour d’eux résonnèrent des cris terrifiants. Partout, dans le royaume de Hel, des âmes se regroupaient pour former une véritable armée.
— Venez à moi, trépassés asgardiens. Vous, les morts sans honneurs ! Vous, les oubliez de Walhalla… l’heure de la reconquête à sonner.
— Loki, pressa Leah en se saisissant de son bras. Il ne faut pas rester ici…
Déjà, des âmes damnées commençaient à affluer vers eux. Comme les Disirs, ils avaient des airs de zombies. Sous les casques et les armures, ne restaient que chair putréfiés et os saillant.
— O… Oui.
Il s’empressa d’ouvrir un portail vers sa dimension de poche. Cela puisa ce qui lui restait d’énergie et Leah du l’aider à en franchir le seuil afin de se mettre en sécurité.
La tête lui tourna, et la jeune fille l’accompagna jusqu’au canapé ou il se laisse tomber comme un pantin désarticulé.
— Bordel, jura-t-il, la tête entre les coussins. Quelle journée…
— C’est la nuit, Loki. Enfin, le matin. Il est bientôt sept heures.
— Quoi ?
Il écarquilla les yeux avant de se saisir de son téléphone. Son alarme sonnait dans moins de quarante minutes. Il avait un entrainement avec Sif, aujourd’hui…
— Non ! lâcha-t-il dans un cri plein de regret.
Peut-être qu’il réussirait à se faire porter pâle ? Quoi que… la guerrière n’était pas du genre à le laisser s’en tirer aussi fac…
— Loki !
Leah se tenait droite comme un piquet, les bras croisés et le visage pincé.
— As-tu conscience de ce que tu viens de provoquer ?
Il se redressa au prix d’un incroyable effort. Tout son corps était perclus de douleurs, un peu comme si on lui avait roulé dessus avec un char d’assaut.
— On ne peut pas parler de ça demain, Leah ?
Elle soupira avant de s’asseoir à côté de lui, le regard dans le vague. Elle avait perdu son air colérique. En vérité, Loki eut du mal à décrypter l’expression affichée sur son visage, à l’heure actuelle.
— Merci, finit-elle par souffler, alors que le silence s’étirait.
Loki lui flanqua un petit coup de poing sur l’épaule, ce qui ne manqua pas de la surprendre.
— C’est normal de faire ce genre de chose pour sa B.F.F. !
Leah le toisa froidement, avec qu’un sourire ne perce enfin sa carapace.
— Ne crois pas que ça va m’empêcher de te frapper, alors arrête avec ça !
ANECDOTES
Le bordel aux enfers :
Loki va plusieurs fois se rendre aux enfers dans les Comics. Et il va foutre un sacré bordel aussi bien chez Hela, que chez Mephisto, que chez Sutur. Mais Sutur étant plus ou moins mort dans la MCU, je me suis contentée des deux premiers :) (et c'est déjà pas mal).
D'ailleurs, il va effectivement engendré un gros conflit entre Hela et Mephisto, même si les raisons sont autres dans la BD.
TYR
Tyr (qui est bien un fils caché d'Odin dans les Comics.) est un célèbre asgardien, qui a été puni par sa lacheté en étant envoyé à Hel après sa mort. Mais il le vit (ah ah) plutôt bien, et en effet, certains passages laissent deviner une relation assez intime entre Hela et lui.
Mention spécial pour sa main coupée, dans laquelle il encastre son épée !
Les disirs
Elles ont un rôle beaucoup plus important dans le Comics, mais je n'ai pas réussi à bien les intégerer dans la fanfic.
En effet, dans la BD, elles sont très proches de Loki : il a été leur maître lors de son ancienne vie, et il les à "vendu" à Mephisto.
En échange, le diable rouge à donné un bout de son domaine à Hela pour créer le royaume de Hel.
Kid Loki va "travailler" avec elles, si je puis dire, et se sentira coupable de leur sort. Il finira par les libérer de Méphisto pour les maître sous le commandement de Hela, où elles seront bien mieux traitées.
Ce sont des personnages extrêmements intéressants !