Chapitre 4 : Plus jamais seul
THOR
Une fois Grégory prit en charge par les infirmiers, Thor avait quitté l’hôpital. Le fils d’Odin avait erré un temps dans la ville, remontant les grandes avenues bordées de mille boutiques au luxe tapageur. À cette heure, tout était fermé, sauf les boulangeries, dont une douce odeur de viennoiserie s’échappait. Son estomac grondant, Thor craqua. Il acheta une demi-douzaine de pains au chocolat qu’il engloutit en moins d’une minute. Ça lui vaudrait plusieurs séances de sport pour rattraper les dégâts, mais tant pis. Thor était énervé. Non, en fait… Pour dire la vérité, Thor était surtout déçu. Il avait bêtement espéré que ce serait un nouveau départ. Une nouvelle chance de nouer un lien avec son frère, mais il fallait regarder la vérité en face : réincarnation, ou pas, amnésie ou non, Loki restait Loki. À peine l’avait-il retrouvé que son cadet l’avait déjà manipulé, dans le but de le trahir. Et que dire de son indifférence face au sort de ce pauvre Grégory… Fury avait raison. Loki ne changerait pas.
Ce fut justement à cet instant que son téléphone sonna. Thor engouffra sa dernière bouchée de viennoiserie, avant de décrocher.
— Allo ? entama-t-il, la bouche pleine.
— Thor ? Où en êtes-vous ?
— J’en suis à me demander ce que j’ai fait au ciel pour être maudit de la sorte.
— Hein ?
Il y eut un bruit étrange, suivi d’un grésillement. Visiblement, Fury ne s’attendait pas à une telle réponse.
— Où est Loki ? insista l’ancien directeur du SHIELD. Vous êtes avec lui ?
— Non. J’ai dû le laisser. Il y a eu des complications.
Cette réponse ne plut pas à Fury, qui laissa passer un long soupir agacé.
— Thor, si je vous ai aidé à le retrouver, ce n’est pas pour le laisser filer dans la nature au premier imprévu.
L’Avengers s’assit sur un banc baignant dans la lumière chaude d’un lampadaire. Son regard se perdit un instant sur le paysage environnant. Un peu plus loin, sous le pont Mirabeau, coulait la Seine.
— Oui, oui. Je sais.
— Vous lui avez parlé ?
— Oui.
— Et alors ?
Le fils d’Odin forma une boule avec le sachet de viennoiseries, puis l’expédia dans une poubelle, de l’autre côté de la rue. Panier !
— Vous aviez raison sur toute la ligne.
— Bien. Je vous avais prévenu. Maintenant, retrouvez-le et ramenez-le-moi, une bonne fois pour toutes.
— Fury ?
— Oui ?
— Quel sort lui réservez-vous, au juste ?
— Je vous ai déjà dit que nous ne le l’éliminerions pas, si c’est là votre inquiétude.
— Oui, je sais. Mais qu’allez-vous en faire, alors ?
— Nous nous assurerons qu’il ne puisse plus nuire à la sécurité de la Terre en le gardant en lieu sûr.
— En gros, vous allez le mettre en cage et le garder prisonnier jusqu’à la fin de temps ?
— En gros, oui. Mais c’est une bien douce sanction en comparaison de ses crimes.
— Oui, je sais. C’est… c’est sans doute mieux ainsi.
— Maintenant, ramenez-le, Thor. Chaque seconde que Loki passe en liberté est un risque de plus pour le peuple de la Terre. Vous n’avez pas le temps de vous épancher sur vos retrouvailles familiales.
— Oui, oui… Je m’en occupe tout de suite.
Fury raccrocha. Thor laissa son bras retomber mollement sur ses genoux, puis il resta là encore quelques minutes, seul, sur son banc. Après un dernier soupir, il se leva enfin, et fit apparaître son marteau dans sa main. L’heure de la justice était venue.
***
La fenêtre du bureau était restée grande ouverte, ce qui facilita son entrée. Mais une fois à l’intérieur, le fils d’Odin fut surpris de découvrir la pièce sens dessus dessous. Les meubles avaient été renversés et le mur du fond, partiellement éventré.
— Loki ? s’inquiéta Thor.
Pas de réponse. C’est alors qu’une détonation retentit. Cela provenait du couloir, et Thor s’y engagea au pas de course : que se passait-il, encore ? Dans quel pétrin son frère venait-il de se fourrer ?
Il n’eut pas longtemps à attendre pour avoir la réponse à ses questions. Le sol du corridor s’était effondré, créant une ouverture directe sur l’étage inférieur. Là, derrière les décombres, se tenaient quatre hommes, et l’un d’entre eux venait de saisir… de saisir son frère à la gorge. L’enfant se retrouva plaqué contre le mur, avant de recevoir un coup à la mâchoire. Le cœur de Thor manqua un battement. Loki…
— Tu vois, il y a quelques minutes, j’étais encore prêt à t’épargner, cracha l’agresseur. Je t’aurais vendu à un réseau pédophile ; au moins, tu m’aurais rapporté de l’argent. Mais là, tu as juste mérité que je t’écrase comme l’insecte que tu es, Serrure. Je vais te tuer. Te massacrer.
Que… Que venait-il de dire ? Le poing de Thor se resserra sur le manche de son marteau. La situation le frappa violemment, tous comme les paroles de cette ordure. Sans même le contrôler, des éclairs commencèrent à jaillir tout autour du fils d’Odin. La colère ! Sourde. Grondante. Elle surpassa sa surprise pour déferler dans chaque centimètre de son corps. La vision de son jeune frère, suspendu dans le vide, en train de s’étouffer, raviva en lui toute la douleur et la rage qui l’animait depuis tant d’années. C’était pareil… La même scène qu’il y a six ans, lorsque Thanos avait abattu Loki sous ses yeux. Il n’avait rien pu faire. Il avait été impuissant, alors que son cadet se retrouvait pendu, la trachée écrasée… Et ça… Oui, ça ! Il ne le supporta pas. Un cri de rage roula dans sa gorge, avant de se libérer, aussi puissant que le tonnerre. Thor envoya Mjöllnir. Le marteau fendit l’air pour frapper l’homme de plein fouet. Ces acolytes eurent à peine le temps de se retourner, que le fils d’Odin sautait déjà pour les rejoindre, et balançait son poing. Le premier vola jusque dans la cage d’escalier. Le deuxième tenta d’user de son pouvoir – une sorte d’onde de choc – mais la rage de Thor fut telle que cela balaya à peine ses cheveux en arrière. Un coup : cela suffit à faire décoller le mutant du sol et à l’envoyer percuter le plafond.
Face à ce carnage, le dernier homme encore debout, ou plutôt, l’adolescent, poussa un cri de frayeur, et prit les jambes à son cou. Dans le couloir, Loki était tombé au sol. Affalé au milieu des décombres, l’enfant semblait peiner à retrouver son souffle. Thor allait pour le rejoindre, quand un coup de feu retentit, mais la balle ne fit que ricocher sur le torse du dieu.
— Merde ! Mais… putain !
Le fils d’Odin tourna un regard noir sur le mafieux, sans doute le fameux « Big Tomy », à en juger par son costume hors de prix et son ventre proéminent. Thor fonça droit sur lui. L’homme n’eut pas le temps de dire ouf qu’il se retrouva suspendu dans le vide. Thor le maintint par le col, à travers une fenêtre brisée. Tomy pédala dans le vide.
— Je… Non ! Attendez, couina-t-il, les yeux exorbités par la peur. Écoutez ! Ne faites pas ça. On peut s’arranger. Je vous laisse le môme. Allez-y, prenez-le et faites-en ce que vous voulez !
— Tu n’aurais jamais dû lever la main sur mon frère !
— Vo… Votre frère ? Non, attendez.
Tomy se cramponnait à son bras pour ne pas tomber, mais son corps boudiné ne cessait de se balancer de gauche à droite, et sa voix monta dans des aigus ridicules.
— Pi… Pitié. Je… j’ignorai qu’il s’agissait de votre frère, je vous l’assure. Si j’avais su… alors jamais je ne lui aurais fait subir tout ça.
Thor essayait de regagner son calme, mais les derniers mots de Tomy vinrent balayer ses efforts.
— Tout ça ? Tout ça, quoi ? Qu’est-ce que tu lui as fait ?
Pour toute réponse, Tomy grimaça et son silence fut sans doute la pire des révélations. Les paroles de Loki, lors de leur première rencontre, lui revinrent brutalement en mémoire. « Je les connais bien, les pervers dans ton genre. J’en ai vu d’autres ! »
Un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale, et son sang se figea. La hargne qui s’empara de lui fut pire encore que celle de Sutur lorsqu’il déchaina le Ragnarök. Thor s’était toujours montré clément envers les humains : après tout, ils étaient si fragiles… Mais pour une fois, le fils d’Odin n’eut aucun scrupule. D’un geste du bras, il envoya Tomy dans les airs. Le mafieux s’envola dans un arc de cercle, avant de retomber comme une pierre. Son corps se brisa sur le bitume et Thor resta là, à observer les restes de cet être abject s’épancher sur le sol. Certains humains sont pires que le plus machiavélique destructeur de monde…
Un gémissement dans son dos le ramena soudain à la réalité. Sa colère mua en une inquiétude profonde, et Thor revint sur ses pas.
— Loki ! dit-il en s’agenouillant. Ça va ? Tu es blessé ?
Le dos plaqué contre le mur et les mains dressées en guise de bouclier, le gamin ne répondit pas. Son regard vide semblait passer au travers de Thor, comme s’il était perdu dans une transe cauchemardesque. La peur. C’est ce que le fils d’Odin lut dans le regard de son jeune frère. Il était en état de choc.
— Loki, insista-t-il avec inquiétude. Tu as mal quelque part ?
Il posa une main sur l’épaule de l’enfant, et ce dernier sembla enfin le remarquer. Ses yeux se mirent à luire, puis il poussa un long gémissement, avant de fondre en larmes. Loki pleura. Son corps se mit à trembler tandis que des sanglots s’échappaient entre ses lèvres blanchies par la peur. Thor se figea. Il était… dépassé. Tétanisé. Il ne s’attendait pas à voir son frère s’effondrer ainsi. Mais alors, une réalité crue le frappa : Loki était un môme. C’était bien un gamin tremblant de peur qui lui faisait face. Pas un dieu millénaire de la malice. Pas un être perfide, prêt à sacrifier la vie de d’innocents pour obtenir un trône. Non. Un simple gosse, perdu et choqué, qui avait subit durant trop d’années, la violence d’un monde qui ne voulait pas de lui.
Loki laissa passer une suite de mots incompréhensible, avant de se jeter entre les bras de son aîné. Sous la surprise, Thor manqua de peu de basculer en arrière. Finalement, passé la stupéfaction, l’Avengers referma les bras autour des épaules du jeune garçon.
— Ca va aller, dit-il simplement, la voix incertaine. C’est fini. Tu ne crains plus rien.
Thor attendit que l’enfant se calme. Que faire de plus ? Dans les décombres de ce vieil immeuble sordide, tandis que dehors, Big Tomy se vidait de son sang, le fils d’Odin se retrouva totalement démuni.
— Ca va aller, répétait-il encore et toujours. Tu verras, tout va s’arranger. Tu ne seras plus jamais seul.
***
Ils étaient retournés dans l’hôtel abandonné. Au-dehors, le jour commençait à poindre le bout de son nez et on distinguait les premières lueurs de l’aube. Recroquevillé sur lui-même, le petit s’était muré dans le silence. Thor était descendu à la recherche de vivres et il dénicha un pack de bouteilles d’eau dans l’ancienne réserve. Le geste lent, l’esprit confus, il observa son maigre butin sans vraiment y prêter attention. Son téléphone vibra dans sa poche et la notification qu’il y lut le fit frémir. C’était un message de Nick Fury : « Pourquoi ne répondez-vous pas ? Rappelez-moi. »
Le fils d’Odin pinça les lèvres avant de soupirer. Ses yeux lui piquaient. Il commençait à fatiguer. Non pas physiquement : il aurait très bien pu encore courir un marathon - mais mentalement. C’était une fatigue psychique, comme si ses nerfs jouaient aux montagnes russes.
— Mère de toute chose, chuchota-t-il à lui-même. Viens à mon aide, car là, je ne sais plus quoi faire…
Lorsqu’il était reparti chercher Loki dans ce repère de mafieux, les choses étaient pourtant claires : récupérer le gamin et l’amener à Fury. C’était facile ! Mais maintenant… Avec ce qu’il s’était passé, avec ce qu’il avait constaté, ses grandes certitudes prenaient l’eau. Ne restait que des doutes. Livrer Loki à l’ancien directeur du SHIELD semblait le plan le plus logique : après tout, les humains avaient-ils tort de craindre un nouveau coup du dieu de la malice ? Combien d’innocents étaient morts par sa faute ? Loki était un individu dangereux, qui devait recevoir un jugement pour tous ces crimes. Oui… Mais voilà : l’enfant qu’il avait récupéré dans cet immeuble délabré, celui qui se recroquevillait sur son lit à l’étage, ne se souvenait pas de tout ça. Et en l’absence de souvenirs, après cette résurrection, était-il encore responsable des actes de son ancien lui ? Oui, Thor doutait. En oubliant tout ce qu’il avait fait, Loki avait peut-être reçu un cadeau. Une seconde chance. Celle de la repentance, et Thor se voyait mal le livrer en pâture à Fury.
Lorsqu’une migraine menaça de lui fendre le crâne, le fils d’Odin décida de mettre de côté ses doutes et de remonter. Dans la chambre, Loki n’avait pas bougé d’un millimètre. Il était toujours là, assis sur le lit, les bras encerclant ses genoux. Ses deux iris de jade fixaient le vide sans but précis.
— Tiens, dit Thor en lui tendant une bouteille. Bois un peu, ça te fera du bien.
Le gamin attrapa la bouteille sans ouvrir la bouche.
— Est-ce que ça va ? hésita Thor. Tu as mal quelque part ? Si tu veux, je peux t’emmener voir un médecin pour…
— Je ne veux pas voir de médecin.
Ces premiers mots depuis des heures. Il y avait du progrès ! Thor s’assit à côté de lui. Loki avait brisé sa méfiance. Il ne cherchait désormais plus à le fuir dès lors qu’il approchait de trop près. Les minutes s’écoulèrent dans un silence lourd et Thor s’agitait, mal à l’aise.
— Je suis désolé, finit-il par confier.
— Pourquoi ? maugréa le gamin.
— Je n’aurais jamais dû te laisser seul là-bas.
— C’est moi qui t’ai dit de partir.
— Oui, mais c’est moi, l’adulte. Je n’aurais pas dû t’abandonner sur place. C’était irresponsable… même si je ne suis toujours pas content de la manière dont tu m’as menti, ou de celle dont tu as traité ton ami Grégory.
Loki laissa planer un silence avant de demander avec une certaine hésitation dans la voix :
— Tu l’as conduit à l’hôpital ?
— Oui.
— Et… comment va-t-il ?
Thor se demanda si cela l’intéressait réellement. Loki s’inquiétait-il vraiment pour son camarade, alors que quelques heures plus tôt, il l’aurait laissé sans vergogne se faire torturer par Big Tomy ?
— Oui. Ça va. Il s’en remettra. J’espère surtout qu’il pourra trouver une famille et vivre une vie normale, loin des rues…
Le silence. Encore. Il perdura un peu plus longtemps cette fois-ci, et les questions ne cessèrent de défiler dans la tête de l’Avengers. Finalement, après une longue réflexion, Thor se demanda ce qu’aurait fait Odin et Frigga à sa place. Puis il secoua la tête : c’était évident. Ils auraient protégé leurs fils.
Thor descendit du lit pour venir s’accroupir en face de l’enfant.
— Tu ne peux pas rester ici, dit-il en le fixant. Tu en as conscience ?
— Je sais. Je devais aller en Italie….
— Et tu auras fait quoi, en Italie ?
Loki haussa les épaules.
— Peut importer. C’est fichu, maintenant.
— Accompagne-moi à la Nouvelle Asgard, proposa à nouveau le dieu du tonnerre. Tu y seras en sécurité. Je t’assure… Viens avec moi, et je ne laisserai plus jamais personne te faire du mal.
Loki le fixa à son tour avant de laisser passer un ricanement acide :
— Sans vouloir te vexer, Thor, tous les adultes qui m’ont sorti cette niaiserie se sont trouvé être de sombres connards.
Il avait beau n’avoir que onze ans, Thor lui trouvait quand même une maturité tout adulte. Que ce soit par son intelligence, son côté maniéré ou ses répliques cinglantes. Sans doute le résultat d’une enfance passée dans un monde emplie de violence et de manipulation.
— C’est vrai, mais cela sera différent, cette fois. C’est à Asgard qu’est ta place. Parmi les tiens.
Loki le détailla longuement avec de soupirer :
— Tu sembles si sur de toi…
— De quoi ?
— Que je sois ton frère.
— Hum… Pour être honnête, je n’ai jamais eu le moindre doute à ce sujet.
— Et qu’est-ce qui t’en a convaincue ?
— Tu sais, ton ancien toi était un maitre dans l’art de la métamorphose. J’ignore si tu possèdes encore ce don, mais, en ce temps-là, qu’importe l’apparence que tu prenais, j’étais toujours capable de te reconnaitre… À ton plus grand regret, d’ailleurs. Et tu vois, je crois que ça n’a pas changé. Je te reconnaitrais n’importe où, n’importe quand.
L’enfant l’observa en silence.
— Certaines choses ne changent jamais, c’est ça ?
— Exactement, Loki.
— Sauf que je ne suis pas ton frère. Je ne suis pas Loki.
— Qui es-tu, alors ?
L’enfant pinça les lèvres avant d’enfouir son visage entre ses genoux.
— Je n’en sais rien…
Sa voix venait de se teinter de tristesse, comme à deux doigts de se briser.
— Je ne sais plus, en fait… J’ignore qui je suis.
Thor du choisir ses mots avec soin, comme par peur qu’une tournure maladroite éloigne son frère de lui à tout jamais.
— Eh bien… C’est peut-être le signe qu’il est temps pour toi de devenir celui que tu veux être réellement ? Pas de Loki, pas de serrure… Et si tu le souhaites, tu pourras découvrir tout cela à la Nouvelle Asgard, avec moi.
L’enfant le dévisagea. Longuement. Il hésitait, c’était évident. Mais avec ce qu’il venait de se passer, il ne pouvait plus rester à Paris. Il n’y était plus en sécurité. Que ce soit à cause des représailles du gang de Big Tomy, ou bien à cause de Nick Fury, qui ne cesserait pas de le traquer.
Un grésillement vint mettre un terme à leur échange. Tous deux se tournèrent vers Mjöllnir. Posé sur une commode, le marteau émettait une étrange lumière bleutée, et de petits arceaux électriques remontaient le long de son manche.
— Qu’est-ce qu’il se passe ? s’inquiéta Loki.
— Aucune idée, c’est la première fois qu’il fait ça.
Thor se saisit avec précaution de l’arme et cette dernière regagna son état normal. Étrange. Pourquoi est-ce que…
— C’est grâce à ce marteau que tu peux créer des éclairs ?
Tiens ? Le petit semblait enfin sortir de sa phase apathique pour faire preuve de curiosité. C’était plutôt bon signe.
— Non, répondit Thor. En vérité, c’est seulement un catalyseur, mais avec lui, je suis bien plus puissant.
Il fit virevolter Mjöllnir à la manière d’un jongleur avant de le rattraper.
— Il n’a pas l’air si lourd que ça, vu de prêt…
Et voilà le retour du sale gosse dédaigneux ! Thor ne put s’empêcher de ricaner : il préférait encore l’entendre balancer quelques moqueries plutôt que de le voir pleurer.
— Tu penses ? Eh bien, vas-y, essaye donc de le soulever, champion !
L’Avengers déposa le marteau sur la table de chevet, et Loki s’avança sur le lit pour se saisir de l’arme. Mais au moment où ses doigts s’enroulèrent autour du manche en bois, un flash blanc illumina la pièce. Un souffle venu d’un autre monde balaya Thor et le fils d’Odin se retint de justesse pour ne pas tomber.
— Loki ! s’alerta-t-il, une main devant les yeux en guise de bouclier.
Quand enfin la luminosité baissa, il aperçut l’enfant, debout, Mjöllnir entre les mains. Thor se figea et battit des paupières.
— Par la barbe d’Odin, marmonna-t-il. Tu… tu l’as soulevé.
S’il s’attendait à ça ! S’il y avait bien une personne qu’il aurait pensé incapable de cet exploit, c’était bien Loki.
— Tu sais ce que cela veut dire ? Ca signifie que tu es digne de Mjöllnir. Or, seul ceux qui ont… Eh… Loki ?
L’enfant semblait pétrifié, les cheveux hérissés sur le crâne.
— Je…, bégaya-t-il. Je m…
— Attends, lâche ça.
Thor lui prit le marteau des mains, avant de l’observer de haut en bas.
— Ca va ? Tu t’es pris une décharge ou…
— Non, je… Ce n’est pas ça….
— C’est quoi, alors ?
Le petit leva lentement les yeux sur son aîné, puis ses lèvres se mirent à trembler. Un temps, Thor craignit qu’il se remettent à pleurer.
— Je me souviens…
— Tu…
Il lui fallut plusieurs secondes pour assimiler l’information.
— Attends, de… quoi ? Tu te souviens de quoi ?
— D’Asgard… Du palais, de la bibliothèque. Des cours avec mère. De père sur son trône… Thor, je me souviens de notre enfance ! Enfin… en partie, je crois.
Il ne sut que répondre. Le fils d’Odin resta là, aussi droit qu’un piquet. Il… Il se souvenait ? Mais alors… Se rappelait-il aussi de ses multiples trahisons ? De son attaque sur New York ? De la fois où il a exilé Odin sur Midgard pour s’emparer de son trône ? Se remémorait-il de toute sa colère, de toute sa peine, de toute cette rage qui l’avait poussé à commettre l’irréparable ?
— Tu… Tu te souviens quoi d’autre ?
— Je ne sais pas. C’est confus.
Il attrapa sa tête entre ses mains et grimaça, comme prit d’une violente migraine.
— Tu te souviens de toi adulte ? insista Thor. De notre excursion sur la terre des géants des glaces ? Ou bien de Thanos ?
Les yeux de Loki s’agrandir d’effroi :
— Thanos ? Le titan violet qui est à l’origine du Snap ? Je l’ai rencontré ?
Bon… de toute évidence, il ne se rappelait pas avoir travaillé pour le destructeur de monde. C’était plutôt une bonne nouvelle.
— Donc…, reprit Thor, tu ne te rappelles que de notre enfance sur Asgard ?
— Je… je crois. Enfin, je ne sais pas. Qui est Holda ?
Thor pinça les lèvres. Holda… le premier coup de cœur de Loki, mais l’asgardienne avait fini par lui préférer son aîné. Ce n’était peut-être pas le moment de revenir sur leur première grande dispute.
— C’est sans importance, rétorqua Thor. Autre chose te revient ?
Loki hésita, il semblait confus.
— Non… Je veux dire, je me souviens de ce que j’ai vécu ici, sur Midgard depuis l’accident. De mon oncle, de BigTomy et de…
— Bien ! On ne va peut-être pas insister davantage pour ce soir, alors, hein ? C’est largement suffisant…
Thor s’empressa de ranger Mjöllnir dans sa besace. Mieux valait éviter que Loki ne regagne toute sa mémoire, et avec elle, ses envies inconditionnelles de trône et de discorde.
— Je ne comprends pas ce qu’il s’est passé ! paniqua l’enfant en s’agitant en tous sens. Pourquoi… Pourquoi ça me revient, maintenant ?
Le dieu du tonnerre observa le marteau avant tiré sur la fermeture éclair.
— Mjöllnir est une part d’Asgard, expliqua-t-il. Une part de son âme. Peut-être l’un des seuls fragments qui restent depuis le Ragnarök. Et tous les Asgardiens tiennent leurs pouvoirs de l’âme d’Asgard.
Thor se retourna pour faire face à son frère :
— Peut-être qu’en touchant Mjöllnir, une partie de notre monde s’est infiltré en toi afin de réveiller tes souvenirs endormis ?
Cette information sembla laisser l’enfant perplexe. Thor lui-même avait du mal à y croire, mais il ne voyait pas d’autres explications. Délaissant son sac, il revint vers Loki qui n’avait pas bougé d’un millimètre.
— Est-ce que ça va ? Je veux dire… tu n’as pas des envies bizarres ?
— Comme quoi ?
— Je ne sais pas… Comme l’envie de t’asseoir sur un trône, ou bien de me poignarder ? Au hasard.
Loki ouvrit de grands yeux scandalisés.
— Hein ? Mais non ! Pourquoi aurais-je envie de faire ça ?
— C’était juste une question.
Thor se nota de ne plus jamais laisser le petit toucher au marteau. S’il retrouvait toute la mémoire, s’il redevenait le Loki d’avant, alors il ne pourrait plus le protéger contre Fury… ou contre lui-même.
L’enfant semblait encore sous le choc. Il recula pour se coller dos au mur, avant de plonger dans un lourd silence.
— J’ai l’impression que les choses ne vont faire qu’empirer, marmonna-t-il au bout d’un instant.
— Pourquoi dis-tu ça ?
— Je l’ignore... Mais j’ai un mauvais pressentiment. Comme si la terre entière allait m’en vouloir. Comme si… tout le monde allait être contre moi.
— Moi, je suis de ton côté, mon frère. Je te l’ai dit.
— Tu feras comme les autres, Thor. Tu finiras par m’abandonner.
Cette dernière phrase toucha Thor au cœur, aussi s’approcha-t-il avec douceur et demanda :
— Sais-tu qui tu es, à présent ?
Loki hésita un instant, comme s’il venait de lui poser une question piège. Comme si sa réponse risquait de déclencher un cataclysme.
— Je suis… Je suis Loki. Fils d’Odin et de Frigga. Je… je suis un prince d’Asgard.
Un sourire naquit sur les lèvres du dieu du tonnerre. Enfin !
— Alors, Loki, laisse-moi te faire une promesse.
Thor posa ses mains sur les frêles épaules de son frère.
— Peu importe ce qui arrivera. Peu importe ce que le destin nous réserve, si quelqu’un essaye de te faire du mal, je l’en empêcherai. Tu peux avoir confiance en moi. Tout ça… C’est peut-être une chance, finalement. Un mal pour un bien. Il est temps à présent d’écrire ton avenir. Et nous le ferons, ensemble.
Loki ouvrit la bouche, mais aucun mot n’en franchit la frontière. Il dévia le regard, comme par pudeur. Comme pour dissimuler sa gêne.
— Tu ne seras plus seul, insista Thor. Je t’en fais la promesse.
Quand Loki remit son regard sur lui, une larme perlait sur sa joue.
— D’accord… mon frère.
Ces deux derniers mots sonnèrent comme une délivrance. Un nouveau souffle. Comme si Thor avait enfin trouvé ce qu’il était venu chercher ici. Il l’aurait volontiers serré l’enfant dans ses bras, mais il se retint, de peur de le voir à nouveau s’éloigner.
— Rentrons à la maison, Loki. Rentrons chez nous.
Le jeune asgardien chassa ses larmes d’une main et renifla.
— D’accord.
Thor alla récupérer ses affaires, mais au moment où il passait la lanière de sa besace à son épaule, son téléphone sonna. Sur l’écran s’afficha un nom qui le fit frémir : Nick Fury.
— Qui est-ce ? demanda Loki en approchant.
Thor referma le poing autour de l’appareil et celui-ci se brisa dans un craquement.
— Personne, répondit-il en poussant le garçon vers la sortie. Ne t’en fais pas pour ça.
Ils quittèrent l’hôtel abandonné, laissant derrière un Paris s’éveillant aux premières lueurs du jour. Mais dans la chambre abandonnée, une voix grésillante s’échappa du haut-parleur :
— Thor ? Thor, répondez, bon sang ! Que se passe-t-il ? Où est Loki ? Bordel, Thor… qu’avez-vous fait ?
ANECDOTES
Ainsi s’achève ce premier épisode. Les éléments notables de ce passage sont sans doute le retour des souvenirs de Loki, du moins en partie. Si je garde la trame principale, on notera des différences avec les Comics. Dans la BD, c’est Thor qui rend volontairement une partie des souvenir à Loki, en le faisait toucher Mjöllnir. De plus, Loki est moins méfiant. Il crois plus rapidement Thor, mais ses rêves lui donne une idée des atrocités qu’il a pu commettre dans sa précédente incarnation. C’est donc de se souvenirs de ces atrocités que Loki à peur. Pour le roman, j’ai préféré accentué la méfiance de l’enfant (ce qui me semble plus crédible comme réaction) et le laissé encore dans l’insousciance. Kid Loki ignore qu’il était un «méchant» et un être détesté. Bien entendu, entre Fury et ce que le lecteur sait, on se doute que les choses ne vont pas être aussi simple que l’espère Thor.