Chapitre 3 : Mensonge
LEAH
Thor absent, il était temps de passer à l’offensive. Convaincre Loki de l’emmener chez lui fut un jeu d’enfant. Pour un dieu de la malice, il manquait clairement de réflexion. Si elle lui reconnaissait un certain talent pour la ruse, le jeune asgardien semblait tout accepter dès lors que cela venait d’elle. Pas de méfiance. Pas de doute. Son attachement était exagéré. Comme s’il surjouait le jeu de l’amitié. Pourquoi ? Elle l’ignorait. Dans tous les cas, elle n’allait pas s’en plaindre.
— Bon, c’est le bordel, je te préviens ! l’avait alerté le garçon. Et c’est moins cool que notre salon dans la dimension de poche, mais il y a une machine à popcorn…
Il ouvrit la porte avant d’ajouter :
— Il faut vraiment qu’on installe une machine à popcorn dans la dimension de poche !
Loki lui fit visiter la maison avec un enthousiasme agaçant, et elle se contenta de hocher vaguement la tête en lui suivant tel un fantôme.
— Tu veux manger un truc ? demanda-t-il en ouvrant le frigo. Quoiqu’on n’a pas grand-chose… Y a des jus de fruits étranges et des boissons hyper-protéinées. Thor s’est mis au régime « heatly » depuis qu’il a découvert TikTok. C’est insupportable… Je t’assure ! Hier, il a fait un gâteau au chocolat, en remplaçant le beurre par de la courgette.
Il referma le frigidaire dans une mine emplit de dégoût.
— De la courgette, Leah !
Comme à chaque fois qu’elle ne comprenait pas de quoi il parlait, elle se contenta de hausser les épaules et de souffler :
— Ah, ouais…
Au bout de dix minutes, lassée du dispersement de Loki, elle finit par l’attraper par la manche.
— Eh ! Tu sais si c’est vrai ce qu’on raconte à propos du livre des morts ?
Autant trancher dans le vif !
— Hein ? Le livre de quoi ?
— Le livre de Hel ! Celui qui recensent le nom de tous les asgardiens et midgardiens amenés à mourir.
— Je crois que ça me parle. J’ai lu quelque chose là-dessus en étudiant le royaume de Hel. Et alors ? Qu’est-ce qu’il a, ce livre ?
Leah s’étonna sincèrement de son ignorance. Il devait vraiment lui rester très peu de réminiscence de son ancien lui pour ignorer jusqu’à la raison de sa réincarnation.
— OK… Thor ne t’a rien dit ?
— Il ne m’a pas dit quoi ? Qu’est-ce que tu…
— Si tu es revenu, si tu t’es réincarné en… toi, et bah, c’est grâce à ce livre. Tu aurais demandé à la déesse de la mort de barrer ton nom à l’intérieur.
— Ah, oui ! Thor m’en avait touché deux mots lors de notre première rencontre, mais à l’époque, je le prenais juste pour le fou du bus… Mais comment sais-tu tout ça, toi ?
— Disons que ma mère est une sorcière spécialisée dans la nécromancie. Ce genre de truc, c’est son rayon, et la disparition du livre à pas mal fait parler de lui. Visiblement, ton grand frère aurait oublié de le rendre.
— Ta mère pense que c’est Thor qui le détient ? Qu’il le cache quelque part, dans cette maison ?
— C’est ce que j’ai entendu, oui.
C’était ici que tout se jouait. Soit Loki percevait la duperie et commençait à douter, soit il se laissait tenter par…
— Tu veux dire que j’ai le Death Note planqué chez moi ? Mais c’est ouf !
Bon… deuxième option. Comme Leah ne savait pas ce qu’était un Death Note, elle donna sa réponse habituelle :
— Bah, ouais…
— Il faut qu’on le trouve !
Même pas besoin de forcer. Loki faisait le travail à lui tout seul.
— Tu sais où Thor a pu le mettre ? Sans doute dans un lieu fermé par une serrure mystique, ou un coffre ensorcelé qui….
— Tu le surestimes ! se moqua Loki. Il est plus basique que ça. Il a dû le mettre là où il range tout ce dont il ne sait pas quoi faire.
— C’est-à-dire ?
***
À la cave ! Thor avait balancé le livre le plus sacré de Hel dans une cave humide et sombre. Cela la fit frémir et Leah observa avec dépit le bazar qui encombrait les lieux.
— À quoi ressemble-t-il ? demanda Loki en descendant les dernières marches pour atterrir sur un sol de terre battue.
— Comment le saurai-je ? mentit-elle. À un gros livre sombre, j’imagine.
— Ouais, je vois. Couverture en cuir noir et page jaunies ? Ils n’ont pas mis de paillettes ni de licornes dessus, j’imagine…
Les enfants passèrent bien vingt minutes à fouiller les lieux, avant que le battement d’ailes d’Ikol n’attire leur attention.
« Eh ! Tic et Tac ! Regardez un peu par ici ! »
Entre deux cartons contenant des décorations de Yule, ils le trouvèrent enfin. La poussière en avait blanchi le cuir et corné les coins.
— Quelle honte…, grogna Leah.
Elle voulut s’en saisir, mais Loki fut plus rapide. Il alla déposer le livre sur une caisse en bois, devant laquelle il s’agenouilla, afin de consulter l’ouvrage.
— Woh ! s’exclama-t-il. Donc là-dedans se trouvent les noms de tous les gens qui sont censés mourir, c’est bien ça ?
Leah allait répondre quand un piaillement l’arrêta. Ikol murmura à son oreille :
« Ce serait bien d’éviter de perdre ton temps à blablater, ma grande. J’ai le bec qui me démange. »
Leah pinça les lèvres, avant de s’approcher de Loki. L’enfant ne lui prêtait pas la moindre attention, trop occupé à consulter les pages du registre de Hel. Le lui arracher serait simple. Il avait beau retrouver quelques-uns de ses pouvoirs, il ne faisait pas le poids face à elle.
— Passe-le-moi, ordonna-t-elle d’une voix sombre.
— Attends, rétorqua-t-il. Je cherche quelque chose…
— S’il te plait, Loki, passe-moi ce livre.
Mais il ne sembla pas percevoir la menace dans sa voix. Le jeune dieu s’acharna à tourner les pages, jusqu’à trouver ce qu’il cherchait.
— Who… alors c’était bien vrai.
Son doigt glissa sur un nom raturé. Le sien. .
— C’est bizarre…
Son doigt descendit encore d’un centimètre de plus, pour effleurer le nom qui le suivait. Lucas Lannot.
— Vraiment bizarre… Lucas est techniquement mort, mais j’ai quand même l’impression d’être lui. En partie, du moins. Je suis à la fois Lucas et Loki… Bon ! Trouvons ton nom.
Et il recommença à tourner les pages. Leah frémit.
— Mon nom ? Pourquoi mon nom ?
— Bah, pour le barrer, andouille !
Elle pinça les lèvres et sentit ses muscles se tendre. Était-ce de l’agacement ? Pas si sûr, car sa gorge devint étrangement douloureuse.
— Tu ne le trouveras pas, Loki.
— Mais si, ne t’inquiète pas ! Il va seulement falloir être patient. Avoue que ce serait quand même sympa que tu deviennes immortelle, toi aussi. Comme ça on resterait les BFF pour l’éternité, et tu seras obligé de me supporter jusqu’à la fin des temps.
Leah l’observa s’agiter en jacassant. Un vrai moulin à parole, bien trop optimiste à son goût. Il semblait inconscient du piège qui se refermait lentement tout autour de lui. L’ordre de Hela résonnait dans sa tête : « Ne me déçois pas cette fois, ou ce sera la dernière. ». Leah essayait de se convaincre qu’elle obéissait par amour pour sa maitresse, mais n’était-ce pas seulement pour éviter la punition ?
— Bien sûr, il faudra qu’on fasse la même chose avec les autres. Thor, Korg, Miek, Dagmar… et même Sif, pourquoi pas. Si elle arrête de me torturer sur le terrain d’entrainement. Tu crois qu’on peut vieillir quand notre nom est barré du livre de Hel ? Je veux dire, grandir, oui. Puisque je le fais, mais vieillir ? Et je me dema…
— Loki !
Il finit enfin par lever les yeux sur elle et Leah serra les poings. Ca allait trop loin…
— Pourquoi fais-tu tout ça ?
Il haussa les épaules, comme si sa question était stupide :
— C’est normal de vouloir protéger les gens qu’on aime, Leah. Tu es bizarre, parfois…
Sans vraiment le comprendre, Leah se sentait émue. Touchée. Contrairement à Hela, Loki semblait réellement se soucier d’elle. Comme quand il l’avait invité à se réfugier dans sa dimension de poche, ou quand il l’avait aménagé, pour qu’elle s’y sente bien. Leah pinça les lèvres et baissa les yeux. Loki était naïf, oui. Mais il se démenait pour l’aider. Pour la protéger. Comme quand il s’était dénoncé à sa place, un peu plus tôt, dans la journée. Et elle, que faisait-elle pour le remercier ? Elle lui mentait, elle le trahissait. Elle allait livrer son âme à Hela sans vergogne. Tout ça pour ne pas se faire punir…
— Loki, finit-elle par reprendre, la voix fluctuante sous l’émotion. Je dois te dire quelque chose. Je suis…
« Elle est très trèèèès contente d’être ton amie ! Hein, Leah ? C’est ça que tu veux dire ? »
La pie se posa sur son épaule et la jeune servante fut presque certaine de voir flamber une lueur rougeâtre dans les deux billes noires qui lui servaient d’yeux. Loki releva la tête pour les observer.
— Hein ?
« Leah s’y connait vachement mieux que toi en nécromancie, tout ça… Tu devrais lui filer le livre, on gagnerait du temps. »
Le regard de Loki changea. Il perdit son éclat lumineux pour se parer de méfiance. Ses mains se resserrèrent autour de la couverture.
— OK. Qu’est-ce que vous mijotez, tous les deux ?
« Quoi ? s’offusqua Ikol. Comment ça ? Que veux-tu qu’on mijote ? »
— Ton intervention est plus que suspecte, Ikol.
« Eh ! Ça fait trois fois qu’elle te demande le livre, et tu ne soulèves rien. Moi, j’ouvre le bec une fois, et tout de suite, c’est suspect ? »
— Ouais… parce que c’est toi qui le demandes, justement. Tu mijotes toujours un truc…
La pie poussa un long sifflement contrarié.
« Je ne sais pas si je dois me sentir fier ou vexé. »
La tension venait d’emplir le moindre centimètre cube de la cave. Loki dévisagea Leah avec insistance, comme s’il la voyait enfin sans masque, sans subterfuge.
« Tu es parano, Kid ! Allez, donne-le… »
— Bon, ça suffit !
Leah envoya une langue de feu pour chasser la pie, et aussitôt, l’oiseau s’enfuit. Il remonta à l’étage dans une suite de piaillements outrés.
« Ça va ! Je me tire. Réglez donc vos problèmes entre vous, bande de jeunes ingrats ! »
Ikol disparut, et les deux enfants restèrent un temps à s’observer.
— Je dois te dire quelque chose, finit-elle par avouer.
— Quel genre de chose ?
— Tu ne trouveras pas mon nom dans le livre des Morts. Il n’y figure pas. Comme pour tous les habitants de Hel et des Enfers.
Elle attendit une réaction, mais le jeune dieu se contenta de la fixer, la bouche hermétiquement close, aussi enchaîna-t-elle :
— Je n’habite pas à Larvik, Loki. Je viens de Hel. Et je n’ai pas de mère, mais une maitresse, du nom de Hela.
Loki se redressa enfin. Lentement. Comme si le moindre bruit risquait de réveiller un monstre ancestral.
— Hela…
— Oui.
— Mais qu’est-ce que tu veux, au jus…
Son regard se braqua sur le gros volume qu’il pressait contre lui, et Loki lui adressa un regard empli de déception. Un regard qui la meurtrit plus que de raison.
— Tu es là pour le livre…
— Oui. Pour l’obtenir, Thor avait passé un marcher avec ma maîtresse. Il devait y inscrire le nom de Méphisto. Mais il a finalement passé un pacte avec le démon rouge afin de te retrouver, et iol a caché le livre, ici. Dans cette cave.
Loki baissa les yeux, ses mots se firent hésitants. Finit l’air enjoué, le gamin trop bavard. Il était clairement sur la défensive.
— Et Hela… Qu’aurait-elle fait une fois qu’elle aurait obtenu le livre ?
Leah ne sut pas quoi répondre. À dire vrai, elle ne voulait pas le faire, car elle savait que ce serait l’élément qui briserait les dernières fibres de la confiance qui les reliaient, tous les deux. Mais elle se devait d’être honnête. Pour que Loki sache le danger qui le guettait depuis les profondeurs infernales. Pour le protéger, car « c’est ce que faisaient les amis, non ? » Qu’importe que cela les éloigne définitivement. Qu’importe la punition qui en découlerait. Il était temps pour elle de prendre ses propres décision et d’agir selon ce qui lui semblait juste.
— Elle avait pour projet d’y inscrire le nom de Méphisto et de prendre le contrôle de l’Enfer. Après quoi, elle se serait vengée de la trahison de Thor, en remettant ton nom à sa place, dans le livre des Morts.
— Elle m’aurait renvoyé au néant…
— Oui.
— Et tu pactisais avec Ikol à ce projet ? Il était d’accord pour te…
— Non ! En fait, je lui ai menti. Je lui ai dit que tu serais épargné s’il m’aidait à récupérer le livre. Que seul Thor serait impacté par la vengeance de Hela, mais je doute que cette dernière ne tienne la moindre promesse faite à cet oiseau de malheur…
Le regard qu’il lui adressa était déchirant. Pas haineux, pas vengeur. Juste blessé. Comme si Leah venait de désintégrer tous ses espoirs.
— Alors… tu me mentais depuis le début ? Tu n’as jamais été sincère ? Mais… je croyais qu’on était amis ?
Leah croisa les mains devant elle et baissa les yeux pour toute réponse. Elle se sentait honteuse, ses joues étaient en feu. Loki resserra sa prise autour du livre et fit un pas en arrière.
— Je ne te le donnerai pas…
— Je n’en veux pas… Je voulais juste…
— Va-t’en.
— Loki, attends. Je…
— Va-t’en, Leah ! Sors de chez moi !
Il venait de crier. Enfin, sa peine muait en colère.
— Et ne reviens pas. Je ne veux plus jamais te revoir !
En moins d’une seconde, il disparut, engloutit par l’un de ses portails menant à sa dimension de poche.
Seule dans la cave, Leah resta un instant, figée. Tout était allé si vite… Venait-elle de faire le bon choix ? Peu importe : ce qui était fait était fait. Il était temps d’assumer et de se préparer au courroux de Hela. Mais pire que la punition infernale de sa maitresse, ce qui lui faisait de la peine, c’était de savoir que jamais Loki ne lui pardonnerait.
LOKI
Loki resta de longues minutes seul, assis sur le tapis de sa dimension de poche, le livre de Hel pressé contre sa poitrine. Le regard fixe et la respiration sifflante, il tentait de canaliser les émotions qui menaçaient de le submerger. Traitresse…
Un tsunami de colère menaça sa barricade, et l’enfant balança le livre à travers la grotte, dans un long cri rageur. Ses pouvoirs se déchainèrent sans qu’il ne le contrôle : une onde de choc balaya le grand écran plat, qui bascula dans le vide avant de se fracasser au sol.
Ce refuge qu’il avait mis tant de cœur à construire ces derniers jours ressemblait désormais à un champ de ruines. Après de longues inspirations pour retrouver son calme, Loki finit par se relever et alla ramasser le livre.
— Ikol ! Viens ici tout de suite !
Il ouvrit un portail menant à sa chambre, et l’oiseau ne se fit pas prier. Il quitta son armoire pour le rejoindre. Le volatile observa les meubles renversés, l’écran explosé, et se retint de toute remarque. Il faisait bien…
— Tu étais au courant pour Leah ?
« Oui. Ce n’était pas compliqué à deviner. Elle ressemble beaucoup trop à sa maitresse, et elle empeste l’essence de Hel. »
— Tu m’as donc trahi…
« Erreur ! J’ai fait tout le contraire. Cette petite garce voulait ta peau. J’ai donc passé un marché avec elle pour qu’elle te laisse en paix. Un livre contre ta vie, ce n’est pas cher payé… »
— Hela se serrait venger sur Thor !
« Et alors ? »
Loki n’alla pas chercher plus loin. Ikol était fidèle à lui-même. Il ne servait que son propre intérêt.
« Et maintenant ? On fait quoi, Kid ? Car la gamine est hors-jeu, mais sa maitresse ne lâchera pas l’affaire de sitôt. Je connais ma sœur… elle fera tout pour récupérer son fichu bouquin. »
— Elle ne l’aura pas, et je m’en assurerai personnellement.
« En le gardant ici ? Même si c’est compliqué, un bon magicien pourrait très bien… »
— Non. J’ai encore mieux.
Il se dirigea d’un pas déterminé vers le fond de la grotte, dans l’enclave avec le squelette de l’énorme serpent. Il contourna la stèle, et posa une main sur la paroi rocheuse. Aussitôt, des runes lumineuses apparurent. Elles flamboyèrent et convergèrent, jusqu’à créer une porte. Cet accès, il l’avait caché, même à Leah. C’était son secret. Sa honte. La porte s’ouvrit sur un lieu sans murs, sans plafond, s’étendant sur d’éternelles obscurités. À peine eut-il posé un pied à l’intérieur que des flammes vertes formèrent un cercle tout autour de lui. La prison de l’ancien Loki ! La geôle infernale d’Ikol. Il l’avait ramené ici, accolée à sa dimension de poche.
La pie passa à son tour par le portail magique, et elle reprit aussitôt apparence humaine. Car ici était le seul lieu où Ikol pouvait revêtir sa véritable forme. Son ancien lui épousseta sa tenue et renvoya ses longs cheveux noirs en arrière.
— Je dois bien l’avouer… Cet endroit ne me manque aucunement, mais j’apprécie quand même de retrouver mes mains et mes jambes. Les ailes, au bout d’un moment, c’est lassant… Tu as déjà essayé de manger de sushi avec des ailes ? C’est une vraie galère…
Là-dessus, il fit apparaître son trône pour s’y jeter sans ménagement, les deux jambes sur l’accoudoir. Loki, le jeune, lui, ne lui prêta pas la moindre attention. Il s’était approché du surmontoir central, celui où trônait le casque à cornes dorées. Après un bref regard à l’apparat magique, il déposa le livre de Hel, juste à côté.
— Ici, Hela ne le retrouvera jamais, conclut-il.
Le livre resterait caché dans une prison dimensionnelle, elle-même dans une dimension de poche, verrouillée par une porte magique.
— Tu ne te doutais vraiment de rien, Kid ?
L’enfant se retourna. Son double avait fait apparaître un verre de martini, dans lequel flottait une petite olive.
— Pour ta grande amie, là ? Tu ne l’as vraiment pas vu venir ? Je veux dire… tu es bien moins intelligent et charismatique que moi, soit. Mais quand même, tu restes un Loki !
— Si, avoua-t-il avec peine. Si je me doutais que Leah mentait, mais je pensais…
— Que tu pouvais fermer les yeux et faire comme si tout allait bien ? Ça s’appelle du déni, ça, Kid.
— Au début, je restais avec elle, car ça m’intriguait. Je voulais savoir ce qu’elle avait derrière la tête. Puis elle a parlé de ses histoires avec sa mère. Et, je ne sais pas… je pensais qu’on avait vécu la même chose. Qu’on pouvait se comprendre. Qu’elle était comme moi…
— Si ça peut te rassurer, vous vous ressemblez en tout point ! Regarde : elle t’a menti et t’a manipulé pour atteindre son objectif, avant de te planter un couteau dans le dos. C’est tout nous, ça !
— Non ! riposta Loki. C’est toi, pas moi.
Ikol sembla réfléchir avant de hausser les épaules et de siroter sa boisson.
— Mouais… je ne peux pas te contredire sur ce point-là. Tu es le Loki le plus mimi-pathétique de toute la création. Que ça te serve de leçon : les sentiments, ça rend faible. Ça rend vulnérable. Je te l’avais bien dit, pourtant ! Bon, assez pleurniché. Que faisons-nous à présent ?
Loki poussa un long soupir avant de prendre la direction de la sortie :
— Je vais tout révéler à Thor.
Ikol sursauta sur son trône et la moitié de son martini se déversa sur sa somptueuse tunique de cuir asgardien.
— Que… quoi ? Eh !
Il accourut pour suivre l’enfant, et redevint une pie, dès le passage vers la dimension de poche franchie ; derrière eux, la porte runique se referma avant de disparaître.
« Répète ça ? s’offusqua l’oiseau. Tu veux dire quoi à notre abruti de frère, exactement ? »
— Tout.
« Tout… sur le livre de Hel ? »
— Tout ! Leah, les plans de Hela et aussi pour toi.
L’oiseau poussa un long cri rauque et vint voler devant lui, comme pour l’arrêter.
« Tu es malade ? Objection votre honneur ! Je te rappelle que je suis un fragment de ton toi passé, avec tes souvenirs et tout ce qui va avec ! Révéler à Thor que je suis ici, ça revient à dire : Eh, coucou frangin ! Tu peux me passer le 06 de Fury ? Faut que je réserve une place dans sa somptueuse prison pour le millénaire à venir ! »
— Il comprendra ! répliqua l’enfant.
Il chassa l’oiseau de la main et ouvrit un portail menant à sa chambre. Loki lança aussitôt un sort de détection, mais il ne repéra aucune âme vivante dans la maison. Leah avait dû fuir. Tant mieux.
« Thor ne comprend jamais rien ! Et il ne sait pas mentir. Sérieusement, tu voudrais lui imposer tous tes problèmes ? Tu trouves que tu ne lui donnes pas déjà assez de fil à tordre comme ça ? »
Loki se retourna et sa main se referma autour de la queue de la pie. L’oiseau se retrouva suspendue comme un gibier en train de faisander.
— Si je veux prouver que j’ai changé, prouver que je suis devenu quelqu’un de bien, alors il me faut dire la vérité !
Les deux ailes pendues dans le vide, la pie lui adressa un regard dédaigneux :
« Ouais, t’as raison ! Il doit encore gérer une potentielle guerre avec les terriens, le dédain de son peuple tout entier, son déshonneur… ajoutons le plan diabolique de Hela et avouons-lui que tu as réveillé ce que redoutait Fury… Cela devrait l’achever une bonne fois pour toutes ! Parfois, mentir, c’est rendre service, Kid ! »
— Si je ne dis rien, il risque de…
« Si tu ne dis rien, il n’en saura rien ! Point, à la ligne. Au lieu de vouloir lui rajouter du poids sur les épaules, essaye de le soulager. Enfin… si tu veux réellement l’aider, j’entends. Par contre, si tu veux l’envoyer en burn-out intersidéral, vas-y ! Balance-lui tout à la tronche ! »
Loki soupira et relâcha l’oiseau. Ikol, aussi fourbe qu’il soit, n’avait pas tort. Son frère était déjà enseveli sous les problèmes. Ils se voyaient à peine ces derniers temps. Ce n’était peut-être pas le moment de lui ajouter d’autres soucis à gérer. Le livre était caché, Hela ne l’aurait pas, et tant que personne ne découvrait la présence de Ikol, alors tout irait bien.
— Je…
Sa phrase s’en coupa là. Un bruit sourd résonna. Un bruit de corne, qui vibra jusque dans la cage thoracique de l’enfant.
« Eh, bah… ça faisait longtemps que je n’avais pas entendu ça. »
— Qu’est-ce que c’est ?
« Ça, c’est la corne qui annonce le retour d’un drakkar transportant un dignitaire de haut rang… ou un roi. »
Loki se jeta à la fenêtre, les yeux ronds. Dans le ciel crépusculaire, un drakkar descendait. Il le reconnu sans mal, avec ses voiles dorées scintillantes, et le bouc à sa proue. C’était celui que Thor avait emprunté dans l’après-midi. Loki resta un temps plongé dans la stupéfaction. Thor n’était pas vraiment du genre à fanfaronner en usant de cérémoniels pompeux, pourtant la corne sonna à nouveau, comme pour annoncer son retour à la ville toute entière.
Sans plus attendre, Loki sortit de sa chambre et dévala les escaliers.
« Mais attends ! brailla Ikol dans son dos. Rassure-moi, tu ne vas rien lui dire, hein ? »
Il ne répondit pas. Il ne savait plus trop quoi penser à ce sujet.
Le Drakkar atterrit sur la place principale de la ville, là où la foule s’était amassée. Tout le monde semblait intrigué de cette arrivée en fanfare. Loki du jouer des coudes pour se frayer un passage. Un escalier se déroula depuis le pont principal, permettant aux passagers de descendre un à un. Sans grande surprise, Loki reconnut Sif, Brunehilde, Dagmar… puis Thor apparut, accompagné d’un inconnu. Ce dernier portait une tenue exceptionnelle. Une armure, entièrement composée d’or. Derrière lui, une longue cape noire fouettait l’air à chacun de ses pas.
« Tiens, tiens, tiens…, résonna la voix de Ikol, qui avait pris de la hauteur pour observer discrètement la scène. Qu’avons-nous là ? Ne serait-ce pas ce cher Sigurd ? »
Sigurd !? Loki ouvrit de grands yeux emplis de stupeurs. Le héros d’Asgard ? Le seul, l’unique ? Il avait lu toutes ses aventures dans les livres : de son combat contre le dragon Fafnir, à l’obtention de son immortalité. Il s’était abreuvé de ses récits héroïques, de ses mille victoires remportées avec l’aide de Gram, son épée légendaire… Sigurd ! Le premier héros… Celui qui avait du fuir pour échapper à la colère de Bor, le père du père de tous.
— Mais… qu’est-ce qu’il fait ici ? couina l’enfant qui n’en revenait toujours pas.
C’était une véritable question : voilà des millénaires que Sigurd avait déserté. Le voir débarquer, bras dessus bras dessous, avec Thor était donc plus que surprenant. Ne réussissant pas à contenir son impatience, Loki accourut en direction de son aîné dès qu’il eut mis pied à terre.
— Ah, mon frère ! entama Thor en l’apercevant. Tu es ici. Bien. Laisse-moi te présen…
Loki ne lui laissa pas le temps de terminer sa phrase. Il releva des yeux écarquillés sur le grand héros tout d’or vêtu :
— C’est vraiment Sigurd ?
L’interpellé fronça les sourcils, avant de se retourner vers Thor :
— C’est vraiment Loki ?
Thor, lui, pinça les lèvres, avant de hausser les épaules :
— C’est… vraiment compliqué.
Une certaine confusion régna, jusqu’à ce que Loki s’avance afin d’inspecter Sigurd. Son armure dorée, ses épaulières aiguisées... Il ressemblait aux gravures dans les livres.
— Vous avez votre épée, Gram ? Je peux la voir ?
Ah ! L’épée magique de Sigurd baignée dans le sang du dragon Fafnir… Une légende ! Passé la surprise, le héros finit par souffler avec amusement, puis se pencha pour se mettre à hauteur du jeune dieu de la malice :
— Non. Je ne l’ai plus. Elle est cachée, en sécurité. Mais j’ai une autre épée, Balmund !
Il dégaina une immense lame, entièrement faite d’or, et gravée de runes magiques. Son métal flamboya aux derniers rayons du soleil, comme s’il captait sa lumière pour pouvoir ensuite la déverser sur ses ennemis.
— Trop cool ! souffla Loki, les yeux pétillants d’admiration. Je peux la…
Des mains le saisir par les épaules, afin de l’obliger à reculer. Celles de Sif.
— Ça suffit ! Oust, la vipère. Laisse les adultes discuter entre eux.
Loki se remémora alors la raison de sa présence ici : la trahison de Leah, le plan diabolique de Hela, Ikol… Il devait dire la vérité !
— Mais je dois parler à Thor…
— Plus tard, mon frère, répondit ce dernier. Ce soir, nous festoierons ! Il faut préparer un grand banquet, comme nous savons si bien les faires, en tant que fiers Asgardiens !
Le fils d’Odin bomba le torse et Loki fronça les sourcils. Ça sonnait faux, ça ! C’était surjoué.
— Mais vendredi, c’est soirée tacos !
La posture impériale de Thor en prit un coup, mais il conserva quand même un sourire éclatant, avant de saisir son cadet par les épaules.
— Mais non, mais non… Pas de banalités midgardiennes pour ce soir. Nous ferons un festin de volaille rôtie et de sanglier grillé, et nous nous abreuverons de tonneaux d’hydromel !
— Ce n’est pas très « heathly » ça, Thor…
Thor se pencha pour lui murmurer à l’oreille :
— Loki… s’il te plait, fait un effort. Il faut vraiment convaincre Sigurd de nous aider. C’est très important. Nous devons faire bonne figure, donc j’apprécierais que tu fasses ce que l’on te demande, pour une fois, et qu’on évite tout drame, hum ?
Loki fut tenter d’insister, mais les paroles d’Ikol lui revinrent en mémoire : Au lieu de vouloir lui rajouter du poids sur les épaules, essaye de le soulager. Peut-être que pour une fois, l’oiseau avait raison. Thor semblait suffisamment préoccuper pour l’heure, ses révélations pouvaient attendre.
— En quoi Sigurd va nous aider ?
— Je t’expliquerais plus tard, mon frère, mais pour l’heure, va donc rejoindre Dagmar et Arvid, afin de les aider pour les préparatifs de la soirée…
Loki n’eut pas vraiment son mot à dire. Il se laissa emporter, adressant tout juste un dernier regard angoissé à son aîné, qui fanfaronnait auprès de Sigurd sans se douter de la menace qui les toisait, depuis les enfers de Hel.