Chapitre 5 : Bon et mauvais mensonge

THOR

Tout alla très vite. Trop vite. Il n’eut pas même le temps de réagir que Loreleï propulsait déjà l’enfant dans les airs. Son frère percuta un pilier, avant de rebondir et de rouler sur le sol.

— Loki !

L’enfant glissait inlassablement sur le sol incliné. Son corps trop frêle passa au travers d’une fenêtre et l’estomac de Thor se souleva. Tomber… Loki allait chuter de la tour, s’écraser plusieurs dizaines de mètres en contrebas. Les images d’une scène sordide défilaient sous ses yeux, quand une masse verte jaillit pour rattraper l’enfant au vol. Banner atterrit lourdement sur le sol. Entre ses bras, l’enfant était inerte. Sa tête se balançait mollement dans le vide. Une poupée de chiffon, sans vie…

Un goût amer remonta jusque dans la gorge du fils d’Odin. Cette vision réveilla en lui les flammes d’une colère sourde. Son sang se mit à bouillir dans ses veines. La tempête se déchaina dans son esprit, et il se retourna vers Loreleï. En trois pas, Thor fut sur elle. Il éloigna les guerrières qui maintenait la sorcière prisonnière, et la souleva d’une seule main.

— Tu crois avoir souffert lors de tes précédentes incarcérations ? siffla-t-il, les yeux illuminés de rage. Crois-moi… tu n’as encore rien connu ! Je vais te faire regretter d’avoir posé les mains sur lui !

Et il la balança au sol dans une violence. Le marbre craqua sous la puissance de l’impact, tandis que milles filament électriques dansaient tout autour d’eux.

— Thor ! tempéra Sif en le saisissant par le bras. Arrête !

Comme il aurait aimé lui arracher la tête ! Comme il aurait jubilé d’écraser son sourire de vipère sous son marteau. Mais Sif avait raison… Après quelques inspirations, Thor finit par tourner les talons et accourut en direction de Banner, qui prenait le pouls de l’enfant.

— Ça va, Thor. Ça va, le rassura le médecin. Il est sonné, mais il est en vie…

Entre ses bras, l’enfant s’agitait mollement. Il plissa les paupières, le visage tordu par la douleur, puis se cambra en repliant son bras contre sa poitrine.

 — En revanche, son poignet est brisé. Il va avoir besoin de soin rapidement.

— On a du matériel médical dans l’avion.

Il se retournèrent.  Quake venait de passer la porte au pas de course, le front en sueur. Elle était recouverte d’une couche poussière blanche qui lui conférait des airs de fantôme, comme si elle s’était roulée dans la farine.

Thor s’agenouilla pour prendre son jeune frère par les épaules, et ce dernier finit enfin par ouvrir les yeux.

— Ca va, mon grand ?

— T… Thor… bredouilla-t-il, encore assommé.

Puis, d’un coup, il s’agita. Une aura de peur traversa son regard :

— Lo… Loreleï…

— Doucement, doucement… Tout va bien. Tu ne crains plus rien.

Le fils d’Odin avait l’impression d’être un torrent d’émotions plus ou moins vives et contradictoires. La peur, la colère, le soulagement, la honte… Tout cela formait un bouillon qui rendait ses gestes et ses paroles maladroites.

— Par la barbe de notre père, Loki…, finit-il par soupirer. N’apprendras-tu donc jamais à obéir ?

Il souriait, malgré le masque de crainte qui barrait encore son visage et le tambourinement incessant de son cœur.

— Pardon… marmonna l’enfant, en baissant les yeux. Je voulais… Je voulais seulement aider.

Thor poussa un long soupir, puis posa une main protectrice sur la tignasse corbeau du jeune dieu de la malice.

— Je sais, dit-il en appuyant son front contre le sien. Oui, je sais…

Thor finit par se relever et rejoignit les guerrières qui avaient menottées Loreleï. Le visage tuméfié de l’ensorceleuse transpirait d’une haine farouche. Malgré son mutisme, on devinait sans mal ses menaces et ses promesses de vengeance.

C’est alors que Sigurd approcha, la démarche hésitante. Finis, le grand héros fier et assuré. Il était la métaphore même de l’affliction.

— Thor, entama-t-il. Pardonne-moi… j’ignorais que Loreleï me tenait sous son contrôle. Si j’avais su, jamais je…

Le fils d’Odin posa une main rassurante sur ses épaulières dorées :

— Ne t’en fais pas. Je sais déjà tout cela. Loreleï est un être perfide et sournois. J’aurais dû me douter du piège dans lequel elle nous attirait…

Sigurd fit un signe de tête, comme pour le remercier de sa compréhension, et Brunhilde les rejoignit, la mise soucieuse :

— J’ai fait le guet depuis l’un des balcons. Certains hommes de Loreleï on prit la fuite… Sans doute ceux qui la servaient volontairement, sans être prisonniers de ses charmes.

— Alors il faudra les retrouver, répondit Thor. Ce sont eux, le véritable danger désormais. Ils continueront à semer la guerre et la discorde sur Midgard.

— Cela, je peux m’en charger, proposa Sigurd. Nous les traquerons sans relâche avec mes hommes, jusqu’à ce que la paix soit assurée.

Thor acquiesça dans un sourire reconnaissant. Sigurd avait à cœur de se faire pardonner. Il allait devenir un allié fiable et de poids. Ce qui n’était pas du luxe, dans leur situation.

— Et que faisons-nous de ceux que la sorcière a envoutés ? enchaîna Brunehilde. Ils sont nombreux à errer comme des fantômes dans cette caverne. J’ai l’impression qu’ils ne comprennent pas ce qui leur arrive.

— Ils viennent avec nous, répondit Thor. Et, s’ils prouvent qu’ils n’ont eu d’autre choix que d’obéir aux ordres de Loreleï, alors ils seront libres de venir vivre à La Nouvelle Asgard… ou bien à Asgardia, selon leur conviction.

— Bien entendu, appuya Sigurd.

Là-dessus, Thor revint en direction de Banner pour aider son frère à se relever. Mais l’équilibre de l’enfant était précaire, et il vacilla aussitôt sur le côté. Il finit donc par le prendre dans ses bras, avant de déclarer :

— Nous en avons fini. Rentrons chez nous.

***

Loreleï avait été placée dans une cellule capable de retenir les prisonniers de la pire espèce. Ces anciens esclaves, eux, avaient pris place à l’arrière de l’appareil, sous la garde de Sif. Mieux valait rester prudent : certains jouaient peut-être la comédie.

À l’avant de l’appareil, le voyage du retour fut des plus silencieux. Thor finit par s’approcher du poste de commande, ou Quake actionnait divers boutons et leviers. Il n’avait jamais été un bon pilote. Même conduire un vaisseau asgardien était complexe pour lui, alors les engins terrestres, n’en parlons pas.

— Quand arrivons-nous ? demanda-t-il en se penchant pour observer la nuit étoilée qui s’étendait à perte de vue devant eux.

— Dans deux bonnes heures, je dirais, répondit l’Agente. Comment va-t-il ?

Thor tourna la tête pour observer l’enfant profondément endormi sur une banquette. En arrivant dans le vaisseau, Banner avait utilisé l’ancien matériel du SHIELD pour s’assurer que le jeune asgardien ne souffrait pas de lésions. Après quoi, il lui avait créé une sorte d’attèle, puis lui avait administré un antidouleur, un « chouilla » puissant. Entre ça, sa nuit blanche et les émotions fortes, le petit avait sombré en quelques secondes dans un profond sommeil.

— Ça va, finit-il par répondre. Je crois qu’il y réfléchira à deux fois avant d’insister pour venir en mission, désormais…

Un sourire furtif se dessina sur les lèvres de l’espionne.

— Vous vous souvenez de m’avoir balancé par l’un des balcons de la tour ?

— Malheureusement, oui, grimaça-t-il. Et je m’en excuse. Ce n’était pas très… galant de ma part.

— Non, ce n’est rien de le dire.

Elle laissa passer un court silence avant d’ajouter :

— Il m’a sauvé la vie, vous savez ? Votre frère. S’il n’avait pas été là, j’aurais fini par m’écraser. J’ai beau être résistante, je ne survivrais pas à une chute de plusieurs dizaines de mètres. C’est un gentil garçon.

Thor laissa passer un souffle amusé.

— Vous direz ça à votre patron.

— C’est déjà fait. Mais Thor, je crois qu’il serait bon que vous demandiez à Loki où il a récupéré le collier. L’original, je veux dire. Aux dernières nouvelles, il ne devait pas être en sa possession.

C’était très juste. Il y avait lui-même songé. À tous les coups, le petit diable avait fait une excursion en ville quand les adultes avaient le dos tourné.

— Fury m’a demandé de lui ramener Loreleï, ajouta Quake. Il veut l’enfermer au Raft pour garder un œil sur elle. Mais j’imagine que vous avez d’autres projets ?

— Oui. Je préfère qu’elle reste à La Nouvelle Asgard. Maléfique ou non, elle est l’une des nôtres, et c’est à nous d’assumer nos criminelles.

— Je me doutais un peu de votre réponse, avoua-t-elle. Ça sera difficile de faire avaler ça au directeur…

— Vous trouverez bien un moyen de lui annoncer…

***

Ils atteignirent La nouvelle Asgard très tard dans la nuit, ou très tôt le matin, les deux options étant acceptables. Le soleil n’avait pas encore percé la masse obscure qui recouvrait cette partie du globe. Quake repartit, le petit groupe rejoignit la place de la mairie.

— Nous allons enfermer cette sorcière dans nos geôles, expliqua Sif. Et elle y restera sous bonne garde. Tu nous accompagnes, Thor ?

Le fils d’Odin hésita, avant de se retourner vers son cadet, resté en arrière. L’enfant marchait d’un pas maladroit, encore sous l’effet de l’anesthésie.

— Je crois que je vais devoir, une fois de plus, te déléguer cette tâche, Valkyrie, s’excusa-t-il à l’attention de Brunhilde.

Cette dernière se contenta de lui donner une tape dans le dos.

— Ramène ton infernal frère à la maison. Mais Thor… qu’importe les mésaventures de Loki aujourd’hui, il est toujours tenu d’aller s’excuser auprès des propriétaires du Søt Lykke.

— Bien entendu.

Il les observa s’éloigner, avant de faire demi-tour pour pousser son cadet en direction de la maison. Pas un mot. Une tension sourde les accompagna sur le chemin du retour. Ce ne fut qu’une fois l’enfant dans sa chambre que Loki se décida à ouvrir la bouche :

— Tu es fâché ? suspecta-t-il.

Thor vint s’asseoir sur le lit, pour lui faire face.

— Oui.

— Parce que j’ai failli tout faire foirer ?

Il aurait été un ingrat d’appuyer cette hypothèse, aussi soupira-t-il :

— Parce que tu m’as désobéi. Parce que tu t’es mis en danger et que tu m’as menti.

— Toi aussi, tu m’as menti, se défendit l’enfant.

— Certains mensonges peuvent être faits pour de bonnes raisons. Comme pour protéger des personnes qui l’on aime. Je reconnais ne pas tout t’avoir tout dévoilé, mon frère, mais c’était uniquement pour ta sécurité…

— C’est ce que je fais aussi !

Thor soupira. De toute évidence, Loki ne comprenait pas. Était-ce dû à sa personnalité, toujours enclin au conflit et à l’indigence, ou bien à sa jeunesse ? Sans doute un peu des deux.

— Je sais que tu voulais bien faire, mais ce n’est pas ainsi que tu…

— Je veux seulement aider, Thor ! Je veux te prouver que j’ai changé.

— Mais tu n’as rien à me prouver.

— Et les autres, qu’en pensent-ils ?

 Thor chercha ses mots. En ramenant Loki à la Nouvelle Asgard, il lui avait promis un foyer chaleureux et aimant. Mais cela avait été tout l’inverse, même s’il sentait que la situation évoluait depuis quelque temps.

— Je sais que la méfiance des asgardiens à ton égard te pèse, mais je…

— Il n’y a pas que ça, Thor ! Aujourd’hui, les tensions pèsent entre les humains et les Asgardiens, et je suis la cause du problème.

— C’est plus compliqué que ça, Loki.

— Vraiment ? Que se passera-t-il, alors quand les Midgardiens apprendront que vous hébergez Loki, le destructeur de New York, à la Nouvelle Asgard ? Loki, qui a déchaîné les hordes des chitauris sur ce monde ? Loki, qui à remit la première pierre d’infinité à Than…

— Tu es ce Loki-là ?

— Non. Je ne le veux pas.

— Alors il n’y a pas de problème.

— Tu arrondis les angles, mais je suis et je resterai un problème. Et tu le sais. Le déni n’y changera rien.

Loki le fixa, comme en attente d’une réponse. Mais que répondre à ça ? Thor sentait bien la détresse de son cadet, mais il ignorait comment l’apaiser. Il éluda finalement la question en se saisissant d’un objet attaché à sa ceinture.

— Tiens. Tu l’as perdu dans la bataille.

Il tendit la petite couronne dorée de son frère. L’une des cornes s’était brisée, sans doute lors du coup reçu par Loreleï. L’enfant s’en saisit, l’analysa, avant de la balancer à travers la chambre. Thor en resta stupéfait.

— Je n’en veux plus. Je n’aime plus les cornes…

— Alors quoi ? se moqua-t-il. Tu vas troquer ta couronne contre une cagoule ?

— Certainement pas ! Je verrai… Je ferais autre chose, mais sans cornes. Ou alors des cornes très stylisées.

Loki ramena ses genoux sous son menton et dévia le regard. Il semblait se débattre contre l’image que le monde avait de lui. Se débattre avec lui-même. Car plus que tout autre, son ennemi, c’était lui. Et il en avait toujours été ainsi. Que ce fut dans cette vie ou dans l’autre. Il faudrait du temps pour qu’il se pardonne toutes ces fautes qu’il n’avait pas commises…

— Tu devrais essayer de dormir, finit par conclure Thor en se levant et en allant éteindre la lumière. Nous reparlerons de tout cela demain.

— Thor, l’arrêta Loki avant qu’il ne ferme la porte. Es-tu toujours fâché ?

— Mon frère… Autrefois, tu commis de nombreuses fautes. Et ce, uniquement par jalousie ou par égoïsme. Des actes fourbes, des mensonges… Aujourd’hui, tu as manipulé. Aujourd’hui, tu as menti, car tu restes Loki, après tout. Mais ne l’as pas fait pour tes propres desseins. Tu as agi dans l’intention d’aider et de protéger les autres. Je crois que cela veut tout dire.

Il put lire l’incompréhension sur le visage de son cadet, mais Thor n’en dirait pas plus pour ce soir.

— Dors, à présent.

Il referma la porte.

LOKI

Il rêva cette nuit-là. Mais pas des rêves paisibles, qui vous transportent dans de belles contrées lointaines. Non. C’était un sommeil agité, troublé, dans lequel s’entrelaçaient des souvenirs sombres et des pensées dérangeantes. Il se réveillait par intermittence dans un état comateux. La sueur plaquait son t-shirt contre sa peau, et ses cheveux sur son front. Ce fut un craquement qui le tira définitivement de sa somnolence. Loki se redressa d’un coup sec, les yeux écarquillés. Au milieu de la chambre se tenait une mince silhouette dévorée par l’ombre. Quelqu’un… il y a quelqu’un dans ma chambre !

— Arrière ! s’écria-t-il en faisant apparaître une boule de feu verte au creux de sa main valide.

Le visage de Leah se dévoila alors sous les éclats émeraudes. Leah… la dernière personne qu’il s’attendait à voir. Cela le plongea dans la confusion. Rêvait-il ? Était-elle vraiment là, où n’était-ce qu’un…

 — Je ne viens pas en mal, Loki, murmura la jeune fille pour l’apaiser.

Puis la surprise laissa place à la colère, et ses flammes redoublèrent d’intensité.

— Qu’est-ce que tu fais là ? siffla-t-il sur le ton du défi.

Leah croisa les mains devant elle, avant de dévier le regard. Elle semblait en peine. Prête à fuir.

— Je voulais juste te dire adieu.

— Adieu ?

— Oui. Je risque de ne pas pouvoir revenir avant un long moment, vu ce qu’il m’attend…

Il n’ajouta rien. Qu’était-il censé dire ? Ou bien faire ? Appeler Thor ? Crier à l’aide ? La chasser ? Ce fut elle qui reprit la première :

— L’échec de ma mission à ses conséquences. Hela me le fera payer en m’enfermant dans une des geôles de Hel. Mais je voulais venir te parler, avant.

— Pourquoi ?

— Pour m’excuser… et pour te remercier.

— Me remercier de quoi ?

— De t’être soucié de moi. De l’attention que tu m’as portée. Tu es le premier à le faire…

Là encore, il resta muet, incapable de la moindre réponse.

— Je sais que c’est mal placé de ma part, mais je viens également te demander un service…

— Quel genre de service ?

Leah releva les mains et une flamme rouge y flamboya. Lorsque cette dernière s’éteignit, la jeune fille portait un chiot dans les bras. Loki resta stupéfait. Il s’attendait à beaucoup de chose, mais pas à ça. Bien que jeune, l’animal affichait des airs de molossoïde menaçant, et quelque chose dans son regard transpirait la magie infernale.

— Garm, le chien de Hel, a eu une portée, expliqua Leah. Hela m’a demandé de trouver un foyer aux sept chiots au plus vite, sinon, elles s’en débarrasseraient elle-même. C’était une autre de mes missions, tu vois ? J’ai confié un des chiots à Méphisto, un autre aux nouveaux mutants… et ainsi de suite. En fait, j’ai trouvé une famille pour tous… sauf pour celui-là. Mais je n’ai plus le temps de m’en charger, désormais. Et sans adoptant, Hela le jettera dans les tréfonds du néant. Ça me peine. Je pense qu’il a le droit d’avoir sa chance, comme tout le monde.

L’animal le fixait avec des yeux rougeoyants. De sa gueule s’échappa une langue enflammée et avant qu’une voix rauque, bestiale, ne grogne :

— Meurtre…

Loki grimaça :

— Heu… Leah, je crois qu’il a un problème, ton chien !

— Oui, répondit-elle, embarrassée. C’est le plus bavard de la portée. Il a fait fuir tous les potentiels adoptants, mais peut-être réussiras-tu là où j’ai échoué.

Elle s’avança d’un pas, et lui tendit le chiot avant d’insister :

— Tu veux bien t’occuper de lui, s’il te plait ?

L’animal s’agita avant de lâcher un nouveau jet de flammes et Loki se plaqua dos au mur dans une grimace d’appréhension. Il avait toujours rêvé d’avoir un chien, oui. Lorsqu’il errait dans les rues de Paris, il se rendait parfois au parc. Là-bas, des maîtres promenaient leur animal en laisse, ou bien jouaient avec eux à la balle, ou au frisbee… Il avait toujours envié cette complicité, lui qui était désespérément seul. Lui, qui n’avait confiance en personne. Mais pour le coup, avec ce chien-là, la notion de sécurité restait toute relative.

— Leah, si c’est encore une entourloupe, tu pe…

— Non, Loki, promis ! Je te le jure sur ma vie, sur celle de ma maîtresse, et sur tout ce qui est : je ne cherche pas à te duper. Je voulais seulement m’excuser, même si je sais que tu ne m’accorderas pas ton pardon. Et pour le chien, tu n’es pas obligé d’accepter. Je peux repartir avec, si c’est ce que tu veux.

Loki finit par quitter son lit et tourna autour de Leah afin de l’étudier. Ses épaules étaient basses, son regard fuyant... Elle semblait résigner. De la crasse recouvrait sa longue robe verte, comme si la jeune fille avait erré des années entières dans des lieux obscurs et froids. À quoi ressemblait Hel ? L’ancien Loki y était allé mais, lui, n’en conservait aucun souvenir.

— Combien de temps Hela va-t-elle te garder enfermé ? interrogea-t-il.

— Je ne sais pas… c’est à son bon vouloir. La dernière fois, je suis restée si longtemps dans ce trou rocheux que j’en ai perdu la notion du temps. Il n’y avait ni lumière, ni eau, ni nourriture…

Loki pinça les lèvres. Dans sa tête se rejoua leur rencontre, celle au Sot Lykk. Ses paroles, ses compliments, ses promesses… Que des mensonges ! Leah était venu pour le manipuler, pour le pousser à lui remettre le livre de Hel. Oui, mais voilà : ce n’était pas son plan à elle, c’était celui de sa maîtresse. « Je crois qu’il a le droit d’avoir sa chance, comme tout le monde », avait-elle dit en parlant du chiot. Oui… Une seconde chance. C’était aussi ce que lui voulait, désespérément. Ce qui l’avait poussé à commettre des erreurs encore aujourd’hui. Leah l’avait dupé, mais au final, elle avait décidé de le protéger. De se montrer honnête et d’assumer les conséquences de ses actes. Si Leah cherchait sincèrement à se repentir, alors ne méritait-elle pas, elle aussi, une seconde chance ?

— Tu ne peux pas fuir pour éviter d’être puni ? suggéra-t-il. Qu’est-ce qui t’oblige à retourner dans le royaume de Hel ?

— Je suis liée à Hela. Elle peut me retrouver n’importe où. Elle peut me forcer à revenir…

— Même depuis ma dimension de poche ?

— Non. Là-bas, c’est différent. Il lui faudrait déjà en connaître l’existence pour me… mais pourquoi demandes-tu ça ?

Pour toute réponse, Loki leva sa main valide. Un portail s’ouvrit sur le petit salon sens dessus dessous : il faudrait qu’il pense à ranger.

— Cache toi là avec le chien. Pour le moment, en tout cas. J’imagine qu’en cherchant un peu, nous finirons bien par trouver un moyen de défaire ce lien qui t’unit à Hela.

La jeune fille laissa ses épaules retombées et ses yeux noirs s’emplir de stupeur.

— Ce n’est ce que je te demande, Loki.

— Je sais.

— Alors, pourquoi tu…

— C’est ce que font les amis, Leah.

Un silence lourd tomba, et le masque impassible de la servante infernale se fendit. L’émotion transperça. Ses yeux se mirent à luire, mais au moment ou elle ouvrit la bouche pour répondre, un grincement retentit. Un grincement provenance du couloir.

— Merde ! jura Loki.

Sans plus attendre, il poussa la jeune fille et le chiot par-delà le portail.

— Meeuuurrttrrree…, grogna l’animal diabolique.

Moins d’un second ! C’est le délais qu’il y eut entre la fermeture de la faille et l’apparition du visage de Thor à la porte de sa chambre. L’enfant se retourna, aussi droit qu’un piquet et la mine grimaçante.

— Loki ? Tu ne dors pas ? J’ai cru entendre des voix…

— Je… J’ai fait un cauchemar.

Cette réponse sembla le convaincre. Thor finit par se frotter les yeux sans insister :

— Retourne te coucher. Il est encore tôt…

Et il repartit comme il était venu. A nouveau seul, Loki s’autorisa enfin à respirer. Il avait eu chaud… Très chaud ! L’enfant revint vers son lit avant de se laisser tomber comme une pierre sur le matelas, le visage entre les oreillers. Son poignet recommençait à le lancer affreusement, et un sentiment de perdition lui arracha un long râle angoissé.

— Je suis dans la mouise…