Chapitre 4 : La confiance

LOKI

Ils avaient fait ce qu’on lui avait dit, comme on lui avait dit, et sans râler. Ce qui tenait, avouons-le, de l’exploit. Pour être honnête, Loki se sentait coupable. Un peu plus, et il aurait offert le livre des Morts à Hela sur un plateau d’argent. Un peu plus, et il aurait permis à la déesse des morts de se venger de Thor. Il avait donc décidé de se rendre utile, de tout faire pour soutenir son frère et ne plus provoquer de catastrophe.

Le banquet se tint dans la salle principale de la mairie. On avait décoré les lieux à la « asgardienne », comme pour prouver à Sigurd que les habitants de la ville n’avaient rien oublié de leur tradition et de leur culture.

Loki avait épiés les conversations en quête de réponse, mais il était évident que, quoi que cache Thor et Sigurd, cela ne se ferait pas en public. Aussi, quand son frère quitta les festivités en compagnie du grand héros, l’enfant les suivit discrètement. Loki n’était pas, comme bon nombre d’Asgardien, une montagne de muscles taillée pour la guerre. En revanche, il excellait pour la furtivité et l’infiltration.

« Tu ne voulais pas faire un gentil toutou, ce soir ? » se moqua Ikol, posé sur son épaule.

— Si je veux aider, il faudrait peut-être que je sache quel est le problème, murmura-t-il. Et personne ne semble vouloir me dire ce qu’il se passe…

Thor et Sigurd se rendirent à l’étage, dans le bureau de Brunehilde, dont ils fermèrent la porte à clef, au grand damne du jeune dieu. Sur la pointe des pieds, il alla coller son oreille au pan de bois. Heureusement, Sigurd comme Thor avait ce défaut de parler fort, la discrétion était de mise. Si certaines choses lui resta obscures, Loki comprit le principal de la discussion.

 — …pas la solution à tout, disait Thor.

— Si notre peuple quittait Midgard, il ne serait plus persécuté. Nous pourrions retrouver une relation sereine avec les terriens.

— Ton plan est de détacher un bout de leurs planètes, pour créer la nôtre. Je doute qu’ils apprécient.

— J’ai acheté les terres sur lesquelles est construite Asgardia, voilà des siècles. Ils n’apprécieront pas, mais légalement, j’en fais ce que je veux.

Puis il y eut un silence, suivi d’un bruit de verres qui s’entrechoquent. Loki se crispa. Asgardia ? Quitter Midgard ? C’était quoi encore cette histoire…

— Bien entendu, reprit Sigurd, les Asgardiens désireux de nous rejoindre seront libre de le faire. Toi y compris, fils d’Odin. Et ne crains pas que je t’usurpe le trône. Je te le laisse de bonne grâce : je ne tiens le rôle de chef que par dépit. Je suis bien mieux en héros ou en ermite…

— Là n’est pas le problème, Sigurd. Vous vivez cachés, coupés du reste du monde. Mais pas nous. Des familles mixtes se sont créées. Beaucoup des habitants de la Nouvelle Asgards ont adopté un mode de vie proche de celui des humains, et ne désirent pas quitter cette planète.

— Chacun pourra agir comme bon lui semble : partir ou rester. Seulement, ils devront être conscients des risques que cela implique. Pour la grande majorité des terriens, un asgardien restera un asgardien. C’est-à-dire, un alien. Un étranger. Qu’importe qu’il ait fondé une famille ou non avec un des leurs.

Nouveau silence, et ce fut Thor qui reprit :

— Cela ne résout pas le problème des rebelles. Certains refuseront de quitter cette planète, car ils n’ont à cœur que de s’en emparer et de dominer les humains. Tant que cette menace persistera, nos relations avec Midgard seront en péril.

— Si fait, tu as raison… Et voici ma proposition, fils du Père de Tout : rejoins-moi dans notre projet. Aide moi à rendre Asgardia indépendante, créons une ville qui n’appartiendra qu’aux Asgardiens, et reprends la place qui t'est due sur le Trône. Ensemble, nous ressusciterons la véritable Asgard.

Ressusciter la véritable Asgard ? Loki échangea un regard avec Ikol. Quitter la Terre… il ne savait pas trop quoi en penser. Même si les quelques souvenirs issus de l’ancien Loki confirmaient bien son appartenance au peuple d’Asgard, il se sentait encore chez lui, ici, sur cette planète. Et puis, pas sûr que Uber Eat se mette un jour aux livraisons spatiales. Mais si Thor jugeait cela préférable… Tant pis, il le suivrait.

— Très bien, abdiqua Thor. De toute manière, avec le problème Loki, rester sur Midgard est devenu trop dangereux. Je n’ai plus le choix que de l’éloigner. Les humains ne lui pardonneront jamais ses actions passées.

Le cœur de l’enfant se serra. Le problème Loki… Encore une fois, il était Le problème. Le responsable ! S’il n’avait pas été là, s’il n’était pas revenu, alors son frère n’aurait sans doute pas à répondre à ce dilemme. Il aurait continué à arpenter l’espace avec l’équipe Quill, et vivrait libre, l’esprit serein. Mais non. Comme toujours, il ne faisait que compliquer les choses…

— Voilà qui me réjouis, enchaîna Sigurd. Alors maintenant, à moi de t’apporter mon aide.

— Tu semblais connaître l’identité de la personne dirigeant ce groupe de rebelles ?

— Oui. Du moins, j’ai de gros soupçons. J’imagine que le nom de Lorelei ne t’est pas inconnu ?

Ikol poussa un sifflement sur son épaule.

« Tiens, tiens, tiens… »

— On la connaît ?

« Oh, oui… On la connait même très bien. »

La pie s’ébouriffa les plumes.

« Très très bien… »

Le doute s’empara de Loki et il demanda avec hésitation :

— Tu veux dire qu’elle et toi, vous…

« Ouais. Mais ce n’est pas un exploit. Loreleï a batifolé avec la majorité de la gent masculine asgardienne. Avec nous, avec Thor…»

— Quoi !?

Sous la surprise, Loki en avait oublié la discrétion, et la porte du bureau s’ouvrit à la volée. Une main l’empoigna par le col et il se retrouva à patiner dans le vide. Le regard courroucé de son frère le fixait, prêt à l’épingler au mur.

— Loki… Je peux savoir à quoi tu joues ?

Passé la surprise, le jeune garçon répondit en s’étouffant à moitié :

— Je veux juste savoir ce que tout le monde me cache ! On ne me dit jamais rien ! Tu pars, tu reviens, tu passes tes journées avec Brunhilde, mais tu ne veux jamais me dire ce qu’il se passe !

Thor soupira avant de le déposer au sol.

— Cela ne te regarde pas.

— Si, ça me regarde ! Je veux aider. Je peux aider !

Ce fut Sigurd, adossé au bureau, les bras croisés, qui répondit :

— Sans parler du fait que tu es trop jeune pour participer à une quelconque mission, je doute que beaucoup de guerriers acceptent de combattre à tes côtés après les actions de ton ancien toi…

Cette réflexion le vexa presque. Il en avait assez qu’on lui incombe des fautes qu’il n’avait pas commises.

— Je ne suis plus le même ! Et je veux le prouver. Mais comment voulez-vous que je le fasse si vous m’écartez de tout ? Je suis aussi un prince d’Asgard, et la sécurité de mon peuple me regarde !

— Commence par apprendre le maniement de l’épée, et on en reparle, riposta Thor. En attendant, tu rentres à la maison immédiatement. Privé de buffet ! Ça t’apprendra à écouter aux portes.

Voilà ! Comme toujours, on l’écartait de toutes les grandes décisions. On le traitait comme un môme en lui dissimulant les problèmes. Ce n’était pas juste !

— Ce n’est pas toi qui voulais qu’on soit honnête l’un envers l’autre, Thor ? Pourtant, tu passes ton temps à me cacher des choses…

— Ca n’a rien à voir. Tout ceci n’est pas de ton ressort…

— Ah ouais ? Pourtant c’est bien moi le problème qui t’oblige à quitter Midgard et accepter la décision de Sigurd ?

Sa réflexion couta un instant d’hésitation à Thor.

— Non. Tu as mal compris, Loki. Ce n’est pas…

— Je veux aider ! insista l’enfant. Je veux partir en mission avec toi ! J’en ai marre de rester ici, à étudier ou à me faire molester par Sif ! Je veux vraiment être utile, pour une fois ! Donne-moi une chance !

Thor soupira, avant de s’accroupir pour se mettre à son niveau.

— Tu auras ta chance, mon frère, assura-t-il en posant une main sur son épaule. Je te le promets, mais ce n’est pas encore l’heure. Demain, je pars en mission, mais à mon retour, nous prendrons le temps de parler de tout ça. Je t’expliquerai alors tout ce que tu veux. D’accord ?

Loki voulut répliquer, mais il savait ses efforts vains. Il aurait beau taper du pied ou se rouler par terre, Thor n’accepterait pas de lui donner davantage de responsabilités. Autant abdiquer.

— D’accord…

— Bien.

Son frère l’obligea à faire demi-tour et le conduisit jusqu’aux escaliers en le poussant dans le dos.

— Rentre, maintenant. Il est tard. Ce n’est plus l’heure pour un enfant de veiller.

Loki descendit les marches en trainant exagérément des pieds, histoire que tout le monde entendent sa frustration. Il passa sans s’arrêter devant la salle du buffet, puis sortit, la mine bougonne. L’humeur massacrante. Un courant d’air glacial balaya sa tignasse charbonneuse en arrière.

« Ah là là, se moqua Ikol en venant voleter tout autour de lui. C’est dur d’être un môme, hein ? Fais tes devoirs, Loki… Privé de dessert tant que tu n’as pas rangé ta chambre… Mange tes Légumes… Non, Loki ! On n’invoque pas un démon millénaire dans le salon… »

— Quand je pense que je voulais tout lui dire… mais Thor me cache encore plus de choses. Il ne me fait pas confiance. Il me voit encore comme j’étais avant.

« Ah ! Je te l’avais dit. Thor ne comprend jamais rien à rien ! Mais ce n’est pas grave, Kid. On ne lui doit rien. Inutile de tout lui dévoiler, ça serait néfaste pour tout le monde. »

— Tu as raison, Ikol. Si je désire l’aider, ce n’est pas en parole, mais en acte que je dois le faire ! Je vais me rendre utile, qu’il le veuille ou non. Demain, je partirai avec lui en mission.

« Voilà ! Ca s’est un… heu… Quoi ? »

La pie se mit à voleter sous son nez.

« Pas bon plan ! Pas bon plan, du tout ! Je n’ai jamais dit ça ! Laisse la guerre et les dangers aux adultes ! Tu n’es pas prêt pour ce genre de choses. »

— Non ! C’est fini. J’en ai assez. Qu’importe les ordres de Thor, je lui prouverais qu’il peut avoir confiance en moi !

« Heu… en lui désobéissant et en prenant des risques inconsidérés ? C’est très bancal comme idée, tu en as conscience ? »

— Je m’en fiche ! Je ne veux plus rester enfermer à la Nouvelle Asgard. J’en ai assez de cette prison. Je maitrise la magie, maintenant. Je peux me défendre.

« Ouais… C’est surtout parce que tu n’as plus ta petite copine infernale avec qui passer du temps, et que rester coincé seul ici te rappelle à quel point elle t’a déçu, hein ? »

 Loki haussa les épaules et Ikol vint s’y poser.

« Ah, Kid ! Tu es épatant. Un esprit de contradiction, doublé d’un dieu de la protestation, ne vivant que pour contester des règles imposées… Pas de doute, tu es un Loki. »

— Non, Ikol. C’est pire que ça.

L’enfant releva sa capuche afin de se couper du vent, puis glissa les mains dans ses poches.

— Je suis français.