Epilogue
THOR
Les négociations avaient été laborieuses… Thor avait sous-estimé le conflit opposant les Dieux de Manchester aux anciens rois de l’Outre-monde. Ces derniers n’étaient pas prêts à céder leur place à la modernité. Le plus farouche à cette idée étant encore Merlin lui-même. La magie et les créatures fantastiques du panthéon celtique avaient toujours dominé la dimension d’Avalon. Il n’était pas près de céder leur place au métal et à l’industrie.
Si Thor désirait obtenir l’aide des dieux de Manchester, afin de permettre l’indépendance d’Asgardia, il n’avait pas le choix : il faudrait convaincre les forces arthuriennes de signer un accord. Mais les choses étaient plutôt mal engagées…
— Cela a toujours été ainsi ! Pourquoi en serait-il autrement ?
Le roi Arthur frappa du poing sur la table avant de balayer en arrière son épaisse cape d’hermine. Avec sa longue barbe blanche et sa couronne dorée, il avait des airs d’Odin. Du moins, renvoyait-il cette aura implacable d’autorité et de puissance.
De l’autre côté de la table se tenait « Maître Wilson ». Du moins c’était-il présenté ainsi, car il avait avoué n’être le maître de personne. Il représentait, à lui seul, les dieux de Manchester tandis qu’en face, s’alignait toute une brochette de haute personnalité d’Avalon.
— Oui, répliqua-t-il en remontant les lunettes sur son nez. Il en a toujours été ainsi… voilà votre seule défense. Jamais vous ne vous demandez ce qu’il peut y avoir d’autre.
Wilson possédait l’apparence d’un gentleman, avec sa redingote et sa canne, à ceci près qu’il était entièrement composé de fer. Un métal étrangement malléable, qui se tordait, se pliait, sans crissement à chacun de ses mouvements.
Thor, Sigurd et Captain Britain se tenaient en bout de table, comme pour arbitrer l’échange. Mais à chaque fois qu’il avait essayé d’intervenir, la situation semblait encore plus s’envenimer.
— Pourquoi changer quand ce qui est en place nous convient ? protesta le roi.
— Mais parce que les choses changent ! L’Outre-monde est issue des rêves des humains. Il est l’inconscient britannique ! Et eux changent. Les dieux de Manchester en sont la preuve vivante ! Vous vous cantonnez à un passé éternel. Vous vous accrochez à cette image fondamentalement rurale, faite de prairie, de magie et de fée… Nous, nous disons que l’Angleterre est urbaine.
— Vous polluez avec votre charbon et votre acier ! Et vous usez du feu du roi rouge pour alimenter vos villes diaboliques !
— Et alors ? Vous désapprouvez ? Le roi rouge est un monstre. Il vit pour détruire. Oui, sa fureur alimente nos villes. Mais en l’enfermant et exploitant ainsi sa puissance, cela répare un peu toutes les souffrances qu’il a causées…
La confrontation repartie de plus belle et Thor finit par soupirer quand le roi de fée commença à dégainer son arme.
— Du calme, allons, du calme !
— Dans quel camp êtes-vous, Thor ? s’était agacé Merlin. Les asgardiens sont alliés d’Avalon depuis des siècles. Pourquoi aujourd’hui nous tourner le dos et aider cette bande de fous mécaniques ?
— C’est donc ainsi que vous définissez la modernité ? brima Maître Wilson.
— Nous ne tournons le dos à personne, répliqua le fils d’Odin. Nous cherchons seulement à trouver un terrain d’entente sur ce conflit que dur entre vous depuis trop d’années.
— Pour votre intérêt personnel ? grogna Arthur. Oui ! Je suis au courant de vos « soucis ». Vous espérez que la technologie alimentée par les flammes de ces machineries diaboliques vous aide à retrouver votre indépendance ? Je ne vois nulle impartialité ici, dieu du tonnerre.
— Bon…
Captain Britain venait de se lever en faisant racler sa lourde chaise.
— Je crois que le débat n’avancera pas plus pour ce soir. Je propose donc de nous arrêter ici, et de reprendre dès demain.
— Voilà une excellente idée ! appuya Thor, heureux de se voir offrir cette porte de sortie.
Il s’empressa de se lever à son tour et suivit Captain en dehors de la salle des négociations. Derrière eux, les propos accablants et les attaques dégradantes avaient déjà repris.
— Nous faisons du sur place, commenta Sigurd. Voilà deux jours que nous sommes ici, et rien ne se passe.
— Oui, appuya Thor. Peut-être qu’il serait bon de visiter les villes de ces chers dieux de Manchester. Après tout, nous avons pu visiter Avalon et constater par nous-même ce que reproche Arthur à ces créatures de fer. Il serait bien d’en faire de même avec l’autre camp…
Parmi les effets néfastes, on assistait à un dépeuplement de la zone rurale de l’Outre-monde. Un peu partout dans les campagnes, les villages devenaient déserts. Les paysans disparaissaient. Les magiciens d’Avalon soupçonnaient les maîtres de Wilson de faire un lavage de cerveau à la population afin de les contraindre à venir travailler dans leur ville d’acier.
— Ce serait peut-être bien, oui, approuva Captain. Je vais demander à repousser les négociations. Nous proposerons à Sir Wilson de nous faire visiter sa ville principale. Au moins nous saurons ce qu’il en est…
— Très bien.
Thor se frotta les yeux. Tous ces pourparlers lui donnaient mal au crâne. La paperasse de La Nouvelle Asgard lui manquait presque. D’ailleurs, en parlant de ça, voilà près de quarante-huit heures qu’il n’avait pas pris de nouvelles. Il était peut-être bon de s’informer si la ville était toujours debout. Il extirpa son téléphone de sa poche, celui que Loki avait ensorcelé pour lui permettre d’appeler depuis n’importe où. À la vue de l’appareil, Captain croisa les bras et prit une moue moqueuse :
— Par la barbe de Merlin, Thor ! Tu oses utiliser une aberration moderne, ici ? À Avalon ? Prends garde que Lancelot ne te voie pas faire, ou tu finirais au cachot.
Le fils d’Odin lui envoya un rictus complice, quand quelque chose lui revint en mémoire. Il coinça le téléphone entre son oreille et son épaule et extirpa un prospectus de Stonehenge de sa poche.
— Ah, j’y pense ! Tu peux me signer ça, Captain ?
Le superhéros britannique observa le papier avec un sourire goguenard :
— Tu veux vraiment un autographe ?
— Ce n’est pas pour moi, c’est pour mon frère… Si je ne lui ramène pas, il risque de… Allô ?
On venait de décrocher et la voix de Korg résonna dans l’appareil.
— Ah, Thor ! Salut. Alors, c’est comment l’Outre-monde ?
Il prit conscience que depuis son arrivée, il n’avait pas mis un pied en dehors du château du roi Arthur. Sa réponse se fit hésitante :
— Heu… c’est vert. Tout se passe bien de votre côté ?
— Oh, oui. Plutôt bien.
— Loki ne vous a pas mené la vie dure ?
— Non, ça va. Un peu de mal à le faire sortir de son lit, ce matin. Il a dû faire de cauchemars. Mais à part ça, il est bien allé à son entrainement ce matin. Depuis, il zone sur le canapé. Tu veux que je te le passe ?
— Oui, s’il te plait.
— D’accord. Ne bouge pas. Loki ! C’est ton frère au téléphone.
Il y eut un bruit grave, puis la voix ensommeillée de l’enfant résonna dans l’appareil.
— Salut, Bro.
— Salut, mon frère. Alors, tu as été sage ?
— Une vraie image.
— Hum… pas de bêtise depuis mon départ ?
Un léger silence pesa avant que Loki ne réponde :
— Rien de notable.
— Sûr ?
— Bon sang, Thor, quand apprendras-tu à me faire confiance ?
— Très bien, très bien, tempéra le fils d’Odin. Je suis fier de toi. Essaye de poursuivre sur cette voie, d’accord ?
— Tu rentres quand ?
— Je l’ignore. Peut-être après-demain, mais rien n’est sûr. Oh, et j’ai ce que tu voulais. Le souvenir, la dédicace de Captain Britain…
— Cool ! Ca se passe bien de ton côté ?
Thor osa un coup d’œil en direction de la salle des négociations. La troupe d’Arthur sortait tout juste, le visage fermé et la démarche agacée.
— Ca avance, on va dire. Mais c’est en bonne voie. J’espère que d’ici peu, nous pourrons vivre dans une Asgardia indépendante.
Pas de réponse. Ce nouveau silence le rendit dubitatif. C’est vrai qu’il n’avait jamais demandé à Loki ce qu’il pensait de l’idée de quitter la Terre.
— Ca te plairait de vivre à Asgardia.
— Ouais… ça va être cool.
Pour un dieu des mensonges, il le trouva très peu convaincant.
— Bon, je dois te laisser. Mais je te rappelle demain, d’accord. En attendant, je compte sur toi pour obé…
— Pour obéir à Sif et Korg. Je sais ! Tu me le répètes à chaque fois. J’ai un cerveau, tu sais ?
Bon, s’il râlait, c’est qu’il n’était pas si contrarié que ça.
— Très bien, mon frère. Ne te couche pas tard.
— Ouais. Bonne nuit, Bro.
— Bonne nuit.
Il raccrocha. Le téléphone entre les mains, Thor sentit comme une pointe de culpabilité lui mordre l’estomac. Il oubliait parfois que son cadet se sentait tout autant asgardien que midgardien. Quitter la planète sur laquelle il avait grandi n’était sans doute pas facile à envisager, aussi se promit-il de creuser le sujet à son retour.
— Tiens.
Captain lui tendit le prospectus de Stonehenge sous le nez et Thor s’en saisit en le remerciant.
— J’ignorai que tu avais un deuxième frère. Il a quel âge ?
Il échangea un regard avec Sigurd. Pour le bien de tous, mieux valait encore dissimuler la véritable identité de Loki, même à des amis comme Captain.
— Onze ans.
— Onze ans ? Mais attends… Odin et Frigga avaient déjà…
Il plaqua une main sur l’épaule de Captain pour l’entrainer à sa suite.
— S’il te plait, ne pose pas de question gênante, coupa-t-il dans un sourire crispé. Et si nous allions boire ? J’imagine que l’Outre-monde à de merveilleuses tavernes ?
— Oh, eh bien, oui. Tu ne vas pas être déçu.
Thor rangea le téléphone dans sa poche, et tous trois quittèrent le palais.