CHAPITRE 4 : Plus de mensonge… ou presque.
LOKI
Thor passa devant lui sans un regard. Cette expression sur son visage, cette tension dans ses poings… Loki frémit : son frère était furieux. Furieux, à cause de lui. La peur lui retourna l’estomac, mais l’enfant déglutit, avant de prendre son courage à deux mains :
— Mon… mon frère…
Thor se figea, avant de daigner, enfin, baisser les yeux sur son cadet. Ce regard… Loki y lut une colère sourde. Une expression rude, qu’il ne connaissait pas à son aîné. En tout cas, pas dans cette vie.
— Pourquoi as-tu quitté la Nouvelle Asgard ?
— Je… Je voulais…
Comme il était dur de répondre ! C’était comme si chaque syllabe risquait de déclencher le Ragnarök sur son âme. Car oui, il avait peur : peur de la réaction de Thor. Que ce dernier en ait assez de son comportement, de sa désobéissance perpétuelle et de tous ces ennuis qu’il lui apportait depuis qu’il avait rejoint sa vie… Une petite voix tournait en boucle dans sa tête : « Il va te renvoyer à la rue. Finis ta chambre chauffée, ton lit douillet, ou les soirées pizza. Tu as tout foutu en l’air. Encore une fois… Tu es pathétique. »
Sa réponse se fit étouffée : il avait du mal à articuler.
— Je voulais seulement acheter des fleurs…
À ces mots, plusieurs asgardiens échangèrent des regards surpris, puis Dagmar s’approcha pour déposer une main apaisante sur l’épaule de Thor :
— Thor… ton frère a besoin de soins.
La réflexion du médecin atténua un peu cette aura polaire qui animaient les yeux de Thor. Son expression mua, comme s’il prenait conscience de ce qui l’entourait. Qu’il n’était pas seul.
— Oui. Bien sûr. Loki, debout !
Il tendit la main vers son cadet. Une main qui se voulait sans doute salvatrice, mais ce geste brusque surpris l’enfant. Instinctivement, il leva son bras en guise de bouclier et tourna la tête. Sa réaction acheva ce qui restait de colère sur le visage de son aîné. Thor soupira, avant de s’agenouiller auprès de l’enfant.
— Tu n’as pas à avoir peur de moi, Loki. Jamais.
Il attrapa son bras avec douceur pour l’obliger à le baisser. Loki aurait voulu dire quelque chose, mais sa gorge le faisait atrocement souffrir. Bien plus encore que ces côtes, ou que son visage tuméfié.
— On rentre à la maison. Accroche-toi.
L’enfant passa les bras autour du cou de son aîné, et ce dernier le souleva aussi facilement qu’une simple plume. Pour Thor, il ne pesait rien.
— On se retrouve à la Nouvelle Asgard, ordonna-t-il aux autres, avant de faire tourner son marteau et de décoller.
***
Loki resta dans son lit, recroquevillé en position fœtale et la tête cachée sous son oreiller. Les soins de Dagmar l’avaient aidé : la médecine asgardienne était un somptueux mélange de magie et de technologies. Cela la rendait bien plus efficace que la médecine des humains, malgré tout, les hématomes sur son visage, et ses côtes comprimées continuaient de le faire souffrir. Mais ce n’était pas ça, la raison de son isolement. Il se sentait mal, psychiquement. Comme coupable. Coupable d’avoir déçu Thor, et surtout, il avait pris conscience du poids qu’il représentait. Lorsque ce « Fury » était apparu et avait parlé, l’enfant était encore étourdi par les coups reçus, mais il avait compris l’essentiel : Loki était un danger. Pour Thor, pour les asgardiens, pour le peuple de Midgard… pour tout le monde. Ikol avait raison depuis le début… Comment pouvait-il lutter contre ça ? C’était comme si son ancien lui n’avait légué pour héritage que la haine et la destruction.
D’ailleurs, en parlant de ça, un tapotement sur la vitre de sa chambre l’obligea à sortir de sa tanière. Loki se leva pour ouvrir la fenêtre.
« Pas trop tôt ! grogna la Pie en allant se poser sur le dossier de sa chaise. Ah, et merci, hein ! Sympa de m’avoir abandonné sur place. J’ai mis des heures à m’extirper des décombres ! Et après, j’ai galéré comme un fou pour voler jusqu’ici. Pourquoi ? Parce que je n’avais plus la moindre énergie. À cause de qui ? Hum… attends… Ah, mais oui ! À cause de toi ! Pour avoir sauvé tes petites fesses ! »
Loki ne prit même pas la peine de lui répondre. Il plongea sous les draps avant de remonter la couette au-dessus de sa tête.
« Ah, et en plus, tu boudes ? »
Il sentit l’oiseau se poser sur lui malgré les couvertures.
« Quoi ? Qu’est-ce que tu as ? Si te prendre une raclée te mets dans cet état, il va falloir relativiser, mon grand. Car des raclées, on en prend trèèss souvent. Crois-moi. C’est limite un don, chez nous. »
— Laisse-moi tranquille.
Il donna un coup de pied à travers la couette et l’oiseau poussa un cri contrarié.
« Et en plus, tu te venges sur moi ! Eh bien, vas-y, Kid ! Reste donc seul avec tes problèmes… »
Seul… pourtant, il aurait pu ne pas l’être. Étrangement, beaucoup de monde avait voulu prendre de ses nouvelles, une fois rentré à la Nouvelle Asgard. Même Sif était passée. Il n’avait répondu à aucune de ses questions, et la guerrière avait finalement lâché :
— OK ! Je te dispense de ton entrainement pour cette fois-ci. Mais ne crois pas que ça marchera à chaque fois, alors je te veux mardi, sur le terrain d’entrainement. Compris ?
Même s’il était resté muet, Loki ne pouvait s’empêcher de sentir une pointe de reconnaissance. Pourquoi les asgardiens se préoccupaient de lui, après tout ce qu’il leur avait fait subir ces derniers jours ?
— Tu es l’un des nôtres, lui avait soufflé Brunhilde, avant de quitter sa chambre.
Mais ce soulagement de se savoir soutenu ne chassait pas sa culpabilité. Cette pression qui lui tordait les entrailles, ce sentiment de crainte, car il y en avait une personne qui n’était pas venue prendre de ses nouvelles : son frère.
— Thor m’en veut, finit-il par confier en repoussant sa couette.
« Ouais, bah ça aussi il va falloir t’y habituer, Kid. Thor nous en a toujours voulu et nous en voudras toujours. »
— Jusque-là, c’était différent.
Le pie poussa un long sifflement, comme si cette discussion l’exaspérait.
« Écoute, ça me gave ! Clairement, mon rôle est de t’enseigner la magie. Pas de jouer les psychologues, mais je vais quand même te donner un petit conseil sur notre gros balourd de frère : Thor est naïf ! Dès que tu le prends par les sentiments, il devient aussi manipulable qu’un chien…. Vous vous ressemblez sur ce point, pour le coup. Mais bref ! Va le voir, fais couler quelques larmichettes, et sors-lui un truc du style : Pardon, oh, grand frère… Je suis tellement désolé de t’avoir déçu, oh toi, le plus fort de tous les Avengers… Tu verras ! Il va tout gober et passer l’éponge. Je l’ai déjà fait des centaines de fois. »
— Je n’ai pas envie de lui mentir, Ikol.
« Un mensonge ? Si c’était moi qui lui sortais, ça, ouais ! Ce serait un mensonge. Mais dans ton cas, pas sûr… Tu es si émotif. Pouah ! Ça me débecte tous ces sentiments. Enfin bref, j’ai suffisamment joué la baby-sitter. Sur ce, je vais me coucher. Salut ! »
Et la pie s’envola pour disparaître dans le placard, là où Loki lui avait confectionné un nid dans une boîte à chaussure. Après quelques minutes à cogiter, l’enfant céda : rester terré dans sa chambre ne faisait qu’attiser ses angoisses. Autant attraper le taureau par les cornes, une bonne fois pour toutes.
La maison était vide. Thor était sorti, et Loki savait exactement où le trouver. Il enfila à la va-vite un des blousons de son frère par-dessus son pyjama : il flottait dedans. Les manches étaient si grandes qu’elles lui arrivaient au mollet. Dehors, la nuit était tombée et un vent glacial balayait les étendues herbeuses. Le givre commençait déjà à tout recouvrir d’un manteau scintillant. Quelle heure était-il ? Il n’avait même pas pensé à regarder…
Comme prévu, Thor se trouvait au bord de la falaise, celle-là même où ils avaient discuté, quelques jours plus tôt. Le dieu du tonnerre observait l’horizon en buvant une bouteille de bière, assis sur l’un des nombreux rochers qui bordaient le précipice. Loki s’approcha à petits pas, prêt à faire demi-tour au moindre signe de danger. Pourquoi se comportait-il ainsi ? Pourquoi se montrer si craintif ? Des problèmes, il en avait connu des biens pires à Paris. La violence, la faim, l’incertitude même de survivre à la nuit… Là, ce n’était rien. Une banale discussion, mais l’idée de recevoir des reproches de son frère le plongeait dans une angoisse étourdissante.
— Tu es en colère ? finit-il par demander d’une petite voix.
Son aîné se retourna, un peu surpris de le découvrir ici.
— Oui, répondit-il finalement.
Loki se recroquevilla sur lui-même : au moins, c’était clair et direct.
— Mais pas contre toi. Contre moi.
Thor prit une gorgée de sa bière, avant de reporter son regard sur le large.
— Pourquoi ? insista Loki.
— Parce que j’ai été stupide. Si j’avais été un plus honnête envers Fury… envers toi, tout ça ne serait jamais arrivé.
Incertain du comportement à adopter, Loki resta en retrait, du moins jusqu’à ce que son frère tapote sur le rocher à côté de lui.
— Ne reste pas planté là. Viens t’asseoir.
Il obéit en silence. L’air frais s’insinuait dans son blouson trop grand et le faisait frissonner.
— Je suis désolé, confia l’enfant en contractant les épaules. Je t’ai désobéi… Je n’aurais pas dû sortir de la Nouvelle Asgard. Je pensais… que j’étais capable de m’en sortir tout seul dehors. Comme avant…
Il sentit le regard de Thor sur lui, puis ce dernier soupira, avant de tirer sur la capuche de l’enfant pour la rabattre devant ses yeux. Loki en fut aveuglé.
— Mais tu n’es plus seul, mon frère.
Thor enroula un bras autour de ses épaules pour le chahuté, et le sourire de son aîné finit par chasser son appréhension. Loki repoussa l’assaut en faisant mine de s’agacer.
— Arrête !
Le dieu du tonnerre laissa passer un ricanement, avant de retourner à sa contemplation. Au loin, quelques nuages vinrent jouer avec le halo de la lune, découpant des ombres étranges sur les monts, de l’autre côté du fiord.
— Mais il faut quand même mettre les choses au clair entre nous, Loki, reprit Thor. Je ne veux plus que tu sortes de la Nouvelle Asgard tout seul, peu importe la raison, tu as compris ?
— D’accord, céda l’enfant.
S’il fallait cela pour que son frère le garde auprès de lui, ce n’était pas cher payé.
— Et plus de mensonge, que cela vienne de toi ou de moi. Plus de cachoterie. Si nous voulons que ça fonctionne, si on ne veut plus courir le moindre danger, alors il faut que nous soyons honnêtes, l’un envers l’autre. À partir de ce moment, on se dit tout, d’accord ?
Loki sourit. Ça non plus ce n’était pas ch…
« Oui, enfin… presque tout, hum ? »
Son sourire fondit et ses yeux se braquèrent sur la fenêtre de sa chambre. De l’autre côté de la vitre, Ikol l’observait. Il lui sembla presque voir les yeux rougeoyants de la pie fixés sur lui, et son cœur manqua un battement. Les paroles de Fury lui revinrent alors en mémoire : …je compte sur vous pour faire ce qu’il faut si, un jour, il retrouvait ses souvenirs. S’il retrouvait son ancienne vie…
Loki se replia sur lui-même, comme si le destin venait de lui rappeler que tout n’était pas fini. Qu’il n’était pas si simple de se montrer honnête.
— Ça va ? s’inquiéta Thor de son changement de comportement.
— Oui… j’ai juste froid. Et je suis fatigué.
Son aîné finit sa bouteille d’une traite, avant de se lever.
— On rentre, alors. Allez, viens.
L’enfant suivit le pas, en essayant de camoufler son visage derrière sa capuche, comme pour que l’oiseau qui les épiait ne puisse pas le voir. Mais inlassablement, la voix d’Ikol venait résonner dans son crâne :
« Pas facile, la vie d’un Loki. Hein, Kid ? »