PROLOGUE
Thor
Le tonnerre éclata au-dessus de la plaine. Son souffle balaya les herbes folles, agita les feuillages et brisa les branches mortes. Des zébrures orageuses traversaient un ciel noir de colère, quand une silhouette humanoïde se dessina au milieu des cumulonimbus déchainés. Immense, rougeoyante. Ce corps en perdition tomba comme une pierre ardente, avant de s’écraser au sol. L’impact fut d’une incroyable violence. Une onde de choc propulsa cailloux et débris sur des kilomètres. Des arbres furent déracinés, des pans herbeux arrachés… Puis, dans la nuit noire, une voix résonna :
— Tu signes là ton dernier méfait, Méphisto !
C’était une promesse, plus brûlante encore que la foudre. Une seconde silhouette apparut dans le ciel orageux. Plus petite, celle-ci, mais auréolée d’une lumière diaphane. Des muscles saillants se dessinaient sous des manches de cuir. Il s’agissait d’une force de la nature, d’une bête féroce armée d’un marteau. Thor se laissa descendre, jusqu’à ce que ses pieds touchent le sol fendu. Devant lui s’ouvrait la crevasse dans laquelle Méphisto était étendu. Le démon rouge semblait brisé, à bout de force. De sa gueule ouverte s’échappait un long râle d’agonie. C’était fini ! Thor avait gagné.
— Tu ne peux me tuer, dieux du tonnerre. Si tu m’achèves, je retournerais alors aux enfers qui m’ont vu naître. Jamais tu ne te débarrasseras de moi. Je suis inéluctable.
— Le dernier à m’avoir dit ça l’a amèrement regretté.
Thor lâcha Mjöllnir. Le marteau s’écrasa avec fracas, plus lourd que mille enclumes, puis le fils d’Odin tendit la main. Un ouvrage à la couverture de cuir apparut. Un livre sacré, aussi vieux que le temps lui-même, et dont la simple vu extirpa un cri d’horreur au grand Mephisto :
— Co… Comment l’as-tu obtenu ?
— C’est Hela qui me l’a remis. J’ai dû marchander, mais nous avons fini par trouver un arrangement : elle me laisse inscrire ton nom dans le livre des morts et en échange, elle prend ta place en tant que reine des enfers.
— Tu n’y songe pas ?
— Si. Après tout, elle a beau avoir massacré mes amis et tenté de conquérir Asgard, elle reste de la famille. Et il y a toujours un moyen de s’arranger, avec la famille. Bon… Où est-ce que je l’ai mis, déjà ? Je suis certain de l’avoir pris…
Le dieu fouilla chaque poche et repli de sa tenue, avant d’en sortir un stylo quatre couleurs, décoré de petits motifs fleuris. Un cadeau de la fille de Stark. Kitch, mais pratique. Surtout à cet instant.
Quand il ouvrit le grand livre de Hel, Méphisto s’agita :
— Non ! Attends une minute ! hurla-t-il.
Le démon essaya de se relever, mais ses blessures étaient telles qu’il resta cloué au sol. Thor fit celui qui n’entendait rien :
— Voyons voir. Je n’ai qu’à inscrire ton nom ici pour que ton âme perde son immortalité, c’est bien ça ? Méphisto, Méphisto… Tu l’écris comment ? Il y a un H quelque part, non ?
Il commençait à dessiner les premières courbes d’un M quand dans la panique, Méphisto joua le tout pour le tout :
— Ne fais pas ça ! Je peux… je peux te proposer un marché ! Je peux te rendre quelque chose que tu as perdu ! Quelque chose qui te manque !
— Je ne veux rien de toi, Mephisto, rétorqua Thor en traçant la première barre du E.
— Pas même ton frère ?
Le stylo dérapa et la lettre se finit en une rature. Le puissant dieu du tonnerre quitta enfin le livre des yeux pour dévisager le démon. Un mélange de sentiments contradictoires se mit à bouillir en lui, et une colère sourde remonta le long de ses veines. Comme c’était bas…
— Loki est mort !
— Que tu crois.
— Continue à jouer à ça et je demande à Hela de te…
— Je ne joue pas, fils d’Odin ! Je te dis la vérité. La nature même de ton frère est de survivre, même à sa propre mort. Loki est en vie, je te l’assure !
— Mensonge que tout cela !
Comme pour répondre à la colère de son maître, Mjöllnir se mit à trembler sur le sol et plusieurs éclairs transpercèrent la couche nuageuse au-dessus de leurs têtes.
— Tu veux une preuve ? Alors, tourne les pages de ce livre, roi d’Asgard, et regarde par toi-même.
Après un instant d’hésitation, Thor s’y appliqua. Il ne se faisait guère d’illusion : Méphisto se moquait de lui. C’était une évidence. Loki avait disparu. Comme sa mère et son père avant lui. Thanos avait annihilé tout ce qui lui restait de famille. Tout ce qui lui restait de son enfance et de sa jeunesse. Tu es le pire des frères, Loki… Voilà les derniers mots que Thor avait jeté au dieu de la malice, avant que le titan violet ne lui écrase la gorge. Thor avait beau ne pas en parler, mais plus que la disparation d’Asgard, c’était bien celle de Loki qui le tourmentait.
Alors, sans réellement y croire, Thor tourna les pages. Il remonta, encore et encore. Les noms s’alignaient les uns en dessous des autres. Ceux des mortels qui avaient été, ou qui seront un jour, appelés dans le trépas. Et là, sur les pages du registre mortuaire, son attention s’arrêta. Un nom y était barré. Sans doute le seul nom raturé de l’ouvrage, car on ne se défile pas aussi facilement du livre des morts. Quatre lettres que Thor connaissait par cœur. Loki.
— Qu'est-ce que cela signifie ? demanda le dieu sans pouvoir détacher les yeux de cette écriture maudite.
— Voilà des années, bien avant le Ragnarök, Loki est venu me voir, expliqua Méphisto. La mort, il l’avait déjà mille fois simulée, mais il savait que tôt ou tard, le trépas finirait par s’abattre sur lui. Alors nous avons passé un marché, car c’est encore ce que je fais de mieux.
— Lequel ? gronda Thor en se saisissant de son marteau. Parle ! Qu’as-tu promis à mon félon de frère en échange de…
— Une broutille, se défendit le démon. Rien qui n’a plus d’importance aujourd’hui. La seule chose que tu dois savoir, fils d’Odin, c’est que Loki est en vie. Voilà donc ce que je te propose : laisse-moi repartir aux enfers. N’inscris pas mon nom dans le livre de Hel, et je te dirais comment le retrouver.
— Si Loki était en vie, je le saurais. Il est incapable de rester plus de deux jours sans tenter de me poignarder.
— Oui. C’est vrai. Du moins, ça l’était. Mais il se trouve que j’ai légèrement… Comment dire ? Changé les règles de notre accord.
— Comment ça ?
Thor sauta dans le gouffre pour s’avancer en direction de Méphisto, puis il leva son marteau au-dessus de la tête du démon.
— Parle ! Ou tu subiras mon courroux.
Méphisto laissa passer un grincement lugubre, à mi-chemin entre le ricanement et le grognement.
— Loki vit, mais il a oublié qui il était. Il ne se souvient ni de toi, ni d’Asgard, ni de tout ce qu’il a vécu. Il voulait échapper au trépas… soit ! J’ai juste ajouté quelques conditions.
Le dieu du tonnerre était abasourdi. Ses gestes se figèrent. Loki… en vie ? Et dépourvu de mémoire ?
— Où est-il ?
— Hin, hin, répondit le démon en agitant le doigt dans la négative. Si tu veux que je te le révèle, il me faudra une promesse, fils d’Odin. Et tu sais laquelle…
Thor se retrouva pris entre deux feux. Son esprit fut plongé dans les flammes d’un conflit ardent : celui de la morale. S’il n’inscrivait pas le nom de Méphisto dans ce livre, ce dernier pourra alors revenir et causer un nouveau cataclysme. D’un autre côté, on lui offrait une chance de retrouver un peu de ce qu’on lui avait arraché, voilà déjà six ans. Accepter de marchander avec ce démon était un choix des plus égoïste, certes. Des plus risqué. Mais malgré tout, Thor fut tenté. Car il en avait assez. Assez de se sacrifier pour le reste du monde. À être celui qui perd pour gagner. Et pour une fois, n’avait-il pas le droit, lui aussi, à une bonne nouvelle ?
— Tu repartiras aux Enfers dans tous les cas, déclara le dieu du tonnerre. Et tu as intérêt à te tenir à carreau. Au moindre faux pas, au plus petit signe de rébellion, je t’enverrai moisir pour l’éternité dans le néant. Est-ce clair ?
— Limpide.
Thor referma le livre dans un claquement sec et Méphisto laissa retomber sa tête cornue en arrière dans un soupir de soulagement.
— Je t’écoute, insista Thor.
— Ta promesse, d’abord.
— Bien, bien : je te promets de ne pas inscrire ton nom dans le livre de Hel, à condition que tu me révèles où et comment je peux retrouver mon frère.
— Très bien !
Méphisto usa de tout ce qui lui restait de force pour se redresser, puis il s’ébroua afin de chasser la terre qui recouvrait sa chevelure ardente.
— Ton frère a été renvoyé sur Midgard, dans le corps d’un jeune mortel, décédé au moment du grand effacement.
Thor ne put dissimuler sa surprise. Sur Midgard ? Le grand effacement ? Parlait-il de l’évènement connu sous le nom de Snap ?
— Mais Loki a été tué avant que Thanos n’annihile la moitié de la population de l’univers.
— Tu sais, dans la mort, le temps, ça va, ça vient… On n’est pas à quelques jours près !
— Et donc ! insista le dieu du tonnerre. Où est-il, maintenant ?
— Je ne saurais te le dire avec exactitude, malheureusement.
Face à la menace du marteau, le démon leva les bras en guise de bouclier et s’empressa d’ajouter :
— Mais tu découvriras le nom du garçon dont il a pris le corps à l’intérieur du livre, juste en dessous du sien…
Thor abaissa son arme et ouvrit à nouveau le registre pour lire à haute voix :
— Lucas Lannot ?
— Oui. Voilà. En retrouvant ce Lucas, tu retrouveras ton frère.
— Midgard est vaste, Méphisto ! Combien d’humains portent ce nom ?
— Je l’ignore. Mais tu as bien quelques connaissances qui seront prêtes à t’aider dans ta quête, non ?
— Je trouve ta participation à notre marché un peu légère, démon. Je devrais peut-être en faire de même, et ne tenir qu’à moitié ma parole ?
— Non, attends… je peux t’en dire davantage ! Je peux te donner le nom de la contrée dans laquelle il est réapparu !
Thor laissa passer un souffle avant de refermer le livre. Quelle journée… Que de révélations. Jamais il n’aurait imaginé se lancer sur les traces d’un frère décédé en se levant, ce matin. Mais, même si cela lui prenait une éternité, pouvait-il refuser un cadeau du destin ?
— Je t’écoute ! Dans quel royaume mon fripon de frère a-t-il été envoyé ?
Sympa ce début !