CHAPITRE 3 : Le procès
THOR
L’adolescent frappé par la foudre percuta un vieil engin agricole. L’impact fut d’une telle violence que l’appareil se retourna dans plusieurs tonneaux. La colère et la peur passée, les éclairs se calmèrent tout autour du fils d’Odin. Il s’agenouilla auprès de son cadet, pour l’aider à se redresser en position assise.
— Loki, ça va ?
— T… Thor… Je… Excuse-moi… Je… Je voulais…
L’enfant haletait, comme s’il s’étouffait, une main autour de sa gorge. Thor lui attrapa doucement le menton pour observer les dégâts. Du sang recouvrait son visage contusionné, même si cela semblait superficiel.
— Bon sang, mon frère ! Pourquoi as-tu quitté la ville tout seul ?
Loki se plia en deux, encerclant ses côtes d’un bras. Il fallait l’emmener se faire soigner rapidement, en espérant qu’il n’ait rien de cassé. Son corps humain était si fragile, qui savait ce que…
— Thor !
Le tracteur se mit à trembler, avant de glisser sur le sol dans un grondement. Le gamin, celui qui avait agressé Loki, émergea alors. Il essuya d’une main le filet de sang qui coulait sur son nez, et dressa devant lui un sabre. Son regard était noir. Haineux.
— Te voilà ! Bien, ça va rendre les choses plus intéressantes ! Espérons que tu seras moins fragile que ton avorton de frère !
Thor l’observa un temps. En silence. Cette posture, cette insolence… puis son attention revint à Loki, toujours en train de suffoquer, et une vague de colère l’envahit. Ses doigts se resserrèrent si fort autour de Mjöllnir que ses jointures craquèrent.
— Reste là, dit-il à son frère, avant de se relever pour marcher en direction du jeune épéiste.
À chacun de ses pas, des éclairs jaillissaient. Le ciel s’assombrit d’un coup : le temps virait à l’orage.
— Habituellement, je n'aime pas affronter des enfants, mais pour toi, je ferais une exception.
Thor tendit son marteau en avant et un éclair frappa le sol, à mi-distance entre eux deux. De la terre calcinée s’éleva un écran de fumée noire.
— Tu n’aurais jamais dû toucher à mon frère, petit !
Au-dessus de leur tête tournaient d’épais nuages noirs, et l’écho du Tonnerre raisonnait jusque dans leur cage thoracique. Face à ce déchaînement de la nature, l’adolescent sembla d’un coup bien moins sûr de lui.
— Stop ! Stop !
Trois silhouettes traversèrent l’entrepôt au pas de course, et Thor reconnut sans mal la fameuse « journaliste » qui avait osé infiltrer la Nouvelle Asgard. Bien entendu… il aurait dû s’en douter.
— Il me semblait vous avoir fortement conseillé de ne plus croiser ma route ! menaça Thor.
La femme se plaça entre lui et l’adolescent, tandis que ses collègues forçaient leur jeune acolyte à reculer.
— Nous ne voulons pas vous affronter, Thor.
— Il aurait fallu y penser avant de molester mon frère !
Un homme vêtu d’un gros manteau rouge s’avança d’un pas :
— Techniquement, c’est lui qui nous a molesté.
— Il a eu de la chance, grogna le troisième lascar aux allures de bikers, visiblement vexé.
— Thor ! reprit la femme. Je vous en prie : n’agissez pas stupidement. Vous m’avez demandé de respecter vos lois l’autre soir, et j’ai accepté. À vous d’en faire autant. Loki est désormais sur le territoire de la Norvège. À ce compte, il peut tout à fait être jugé pour ses crimes.
— Vous parlez d’un enfant innocent ! gronda Thor, toujours aussi menaçant.
— Vous savez très bien qu’il n’est pas ce qu’il semble être. Votre frère a plus de mille ans, Thor ! C’est un usurpateur d’identité, un illusionniste hors pair. Il se joue de vous. Et de toute manière, même si vous refusez d’entendre raison, soyez réaliste : vous êtes seul face à la loi et à l’humanité tout entière.
— Erreur ! Il n’est pas seul.
Thor se retourna. Warsong fendit l’air d’un galop aérien. Le cheval ailé se posa à ses côtés, et ses passagères mirent pied à terre. Brunehilde attrapa sa hache, et Sif dégaina son épée. Thor leur adressa un regard surpris, mais reconnaissant.
— Merci d’être venue, Sif.
— Je suis la seule à avoir le droit de coller une raclée à ce morveux ! répondit-elle dans un signe de tête.
Un bruit de moteur résonna alors, et dans les cieux, apparut un vaisseau asgardien. L’engin, aux allures de drakkar futuriste, atterrit au milieu de la cour, et une dizaine de personnes en descendit. Dagmar, Elin, Falk, Dagfinn… ils étaient tous venus pour prêter main-forte au fils d’Odin. Même Miek et Korg, qui se positionnèrent en bouclier devant Loki, toujours au sol. Face à ce regroupement inattendu, les agents de Fury reculèrent de plusieurs pas. Mais passé la surprise, leur leader reprit avec conviction :
— En agissant ainsi, vous vous opposez à la justice terrienne ! indiqua-t-elle.
— Techniquement, c’est vous qui méritez d’être puni pour vos actes, la coupa froidement Brunehilde. Vous venez d’agresser un mineur asgardien. C’est une faute très lourde.
— Puisque vous voulez jouer à ça, j’ai également étudié le dossier, riposta l’agente.
Elle pointa Loki du doigt avant d’ajouter :
— Techniquement, cet enfant est né sur terre, le 12 octobre 2013, ce qui fait de lui un humain. De ce fait, il n’est pas couvert pas la justice asgardienne. Vous n’avez aucune légitimité pour interférer avec la justice terrienne à son sujet, et…
— Tiens, donc… C’est intéressant, ça ! Dîtes moi, madame la « justicière », puisque cet enfant est né en 2013, et que les attaques de New York ont eu lieu en 2014... Pourriez-vous me dire comment il a fait pour lancer une armée extraterrestre sur la ville, du haut de ses un an ? Vos arguments sont bidon…
— De toute manière, enchaîna Sif, Loki est l’un des nôtres. Or s’en prendre à l’un d’entre nous, c’est s’attaquer à tout notre peuple. Vos longs discours et vos « lois » n’y changeront rien…
L’espionne ne répondit pas. Elle n’était clairement pas en position de force et elle le savait. Si elle persistait, alors la seule issue serait le conflit, et elle n’avait aucun intérêt à en déclencher un.
— Ça suffit ! coupa une voix.
Une voix que Thor reconnut aussitôt. L’air sembla comme se brouiller, entre les deux factions opposées, et une silhouette s’étira dans un grésillement strident. Celle de Fury. L’hologramme de l’ancien directeur du SHIELD les fixa et Thor sentit à nouveau la colère s’emparer de lui. Tout ça, c’était de sa faute ! C’était lui qui avait tout orchestré.
— Fury ! tonna le fils d’Odin. Vous envoyez vos larbins faire le sale boulot, mais vous, vous restez bien à l’abri derrière vos machines, à ce que je vois.
Le directeur ne cilla pas. Il se contenta de l’observer approcher, les mains tranquillement croisées dans le dos.
— Résumons la situation, Thor : vous prétendez que ce Loki – il désigna l’enfant du menton – n’a plus le moindre souvenir de son passé, et qu’il est en quelque sorte, une autre personne. Vous affirmez qu’il s’est construit sa propre personnalité, et n’a rien à voir avec l’homme qui a attaqué New York, il y a dix ans. C’est bien ça ?
— C’est exactement ça… Mais vous, vous n’y croyez pas.
— Oh, mais je veux bien vous croire, Thor ! Je ne demande que ça… Mais alors, dis-moi, si vous êtes à ce point persuadé de son innocence, pourquoi ne pas être venu me le dire ? Pourquoi vous êtes-vous enfui, sans donner la moindre explication ?
Le malaise… Thor ne pouvait le contredire. Fury l’avait aidé et, dès quand la situation s’était complexifiée, il avait préféré fuir plutôt que de s’expliquer. C’était lâche, quelque part. Ou bien égoïste. Ou peut-être même, les deux.
— Je veux bien reconnaitre mes torts... Je n’aurais pas dû agir de la sorte, surtout que j’ai appris récemment que la communication est parfois le meilleur moyen pour résoudre un problème. Mais sur le coup, j’ai écouté mon instinct. Je vous connais, Fury. Je sais que vous ne lâchez jamais rien, et que de simples paroles ne vous auraient pas suffi.
— Là-dessus, je ne peux pas vous contredire. Mais je voudrais vous poser une question, Thor. Et j’aimerais que vous me répondiez en toute franchise.
— Je vous écoute.
— Que se passerait-il si ce jeune garçon que vous défendez, bec et ongles, retrouvait la mémoire ? Et s’il redevenait le monstre qu’il était avant, en même temps qu’il regagnait ses souvenirs ? pouvez-vous me jurer, Thor, que cela ne se produira jamais ?
Un frisson lui remonta dans le dos et ses poings se serrèrent. Thor se retourna vers Loki : l’enfant observait la scène, le regard vitreux. Sa mémoire… car c’était peut-être le seul rempart qui le séparait du Loki qu’il était avant.
— Thor, vous…
— Je m’en porte garant ! Je ferais ce qu’il faut pour que cela ne se produise jamais.
Fury soupira. Il devait avoir senti son hésitation. Bien entendu… elle était palpable.
— Je vous apprécie, Thor. Et le monde vous doit beaucoup. Malheureusement, vous êtes en train de jouer la sécurité de la Terre sur une promesse en laquelle vous-même, vous doutez.
— Non, je vous assure que…
— Nous parlons de la vie de milliards d’individus. Je sais qu’après tout ce que vous avez traversé, retrouver votre frère, une partie de votre famille… cela doit être comme un nouveau souffle. Mais vous ne pouvez pas jouer l’avenir du monde à la roulette russe. Et cet enfant… — il pointa à nouveau Loki — …est une bombe qui menace d’exploser à tout moment.
Thor se crispa. Le monde ou son frère… C’était une pensée effrayante, qu’il ne se sentait pas apte à affronter. Par encore… pas aussi tôt... Mieux valait alors partir ? Quitter la Terre ? Trouver une autre planète, qui l’accueillerait ? Oui, mais laquelle ? À travers toute la galaxie, Loki n’avait jamais su que se faire des ennemis.
Thor finit par soupirer et libéra un peu la tension qui le crispait. Si même ici, sur Midgard, on refusait de l’aider… alors qui le ferait ?
— Fury, vous avez dit que le monde me devait beaucoup.
— Et c’est vrai.
— J’ai beaucoup… sacrifié pour la protection de ses habitants.
— En effet.
— Alors oui, j’ai peut-être commis des erreurs, j’ai peut-être… agi trop vite, mais j’aurais au moins espéré avoir le droit à un minimum de confiance de votre part après tout ce que j’ai fait pour vous et vos compatriotes.
Fury garda le silence. Son œil unique le fixa, l’air grave, comme s’il cherchait à lire en lui, à fouiller son âme.
— Très bien, Thor.
Ces trois mots laissèrent le fils d’Odin sans voix. Il acceptait ? Aussi vite ?
— Vous avez raison, vous méritez bien qu’on vous accorde un minimum de confiance. Loki repart avec vous, mais au moindre faux pas…
— Je veillerai à ce qu’il se comporte convenablement, répondit précipitamment Thor, comme s’il craignait que Fury ne fasse marche arrière.
— Oui, et moi aussi.
Il se retourna vers son équipe :
— Vous, vous restez ici afin de surveiller que tout se passe bien. Et je veux un rapport chaque soir.
Plusieurs de ses agents se mirent à grogner ou à protester, mais le directeur coupa leurs plaintes d’une main levée :
— Dois-je vous rappeler le carnage que vous avez causé dans cette jardinerie ?
— Quoi ? Mais ce n’est pas nous, c’est le gosse qui a…
— Le débat est clos.
Fury fit à nouveau face à Thor.
— Soyez quand même conscient que, pour vous couvrir, je vais devoir cacher le retour de Loki aux gouvernements de cette planète, ce qui est une trahison extrêmement grave…
— Vous n’êtes plus à ça prêt, Fury, non ?
La blague ne sembla pas amuser l’ancien directeur, qui se contenta de le toiser, la mine grave :
— Je vous conseille de prendre ce sujet très au sérieux, Thor. Si cette affaire venait à se savoir, alors les retombées politiques seraient bien plus catastrophiques que vous ne le soupçonnez.
— J’en ai conscience…
— Votre frère met en péril à lui seul la relation de la Nouvelle Asgard avec le reste du monde. Je garderai pour moi son retour, comme je vous l’ai promis, mais je compte sur vous pour faire ce qu’il faut afin de le maitriser, car si un jour, il venait à retrouver ses souvenirs…
— Je vous assure que cela n’arrivera pas.
— Je préfère quand même vous garder à l’œil.
Et il coupa la communication, abandonnant sur place ses quatre agents, au milieu de la horde asgardienne. Un silence lourd de tension s’étendit, avant que les hommes de Fury décident enfin de tourner les talons. Seul l’adolescent continua un temps à toiser Thor, dans une expression emplie de défiance.
— Phobos ! l’appela la leader du petit groupe, avant qu’elle n’adresse un dernier regard au fils d’Odin : Je crois que nous serons amenés à nous revoir.
— Je ne l’espère pas, non…
Et ils disparurent. Le calme revint. Dans le ciel, les nuages se dispersèrent, mais Thor était toujours à cran. Son angoisse en découvrant la disparition de Loki, suivit de sa colère foudroyante… tout cela se mélangeait aux paroles de Fury. À ses mises en garde pleines de menaces. Thor le sentait : les problèmes ne faisaient que commencer.
Il revint vers le groupe, où plus personne n’osait piper mot. Les asgardiens l’observaient, la mine tendue. Il avait beau se montrer accessible et très amical avec son peuple, aucun n’oubliait qu’il était le fils d’Odin. Tous savaient que ses réelles colères pouvaient entrainer bien pire qu’un simple orage.