CHAPITRE 1

RAT DES VILLES

France – Paris - 2024

Serrure

La foule se pressait dans les ruelles de Montmartre. Des cars entiers de touristes se déversaient afin d’arpenter le quartier, de flâner le long des terrasses ou d’admirer les galeries d’art. Peintres de rue et vendeurs à la sauvette se côtoyaient, dans un méli-mélo urbain, où la fragrance du lilas se mélangeait à celle des viennoiseries.

Le terrain de jeu parfait ! « The place to be » pour chaque petit truand des rues, pickpocket en devenir ou arnaqueur débutant.

— Approchez ! N’ayez crainte ! Venez donc tenter votre chance, vous ne le regretterez pas !

Serrure battit ses cartes avec l’habilité d’un maitre. Les gens, curieux, ne pouvaient s’empêcher de l’observer. On le trouvait charmant. So Cute, comme avait dit cette touriste américaine, un peu plus tôt dans la journée. Voilà bien le seul avantage de son jeune âge : on ne se méfiait pas de lui. Qui aurait pu penser que ce gringalet d’à peine onze ans, au visage encore poupin, maniait l’art de la manipulation et du détournement bien mieux que le grand Houdini ? Pour Serrure, la prestidigitation était une seconde nature. Un don inné. L’une des rares choses qui lui paraissaient encore familières, dans ce monde d’hostilité et de perdition.

— Mesdemoiselles, je vous en prie… je suis certain que de belles fleurs comme vous ne manqueront pas de chance !

Les filles, deux touristes allemandes, gloussèrent dans leurs langues natales, avant de s’approcher. Voilà un autre don que le jeune garçon s’était découvert, il y a peu : français, anglais, allemand, italien, ou même cambodgien… qu’importe ! Aucune langue ne lui était indéchiffrable. Ils les comprenaient toutes, et quand il s’exprimait, tout le monde le comprenait. Un talent des plus utiles, surtout quand votre business plan reposait sur l’arnaque touristique.

— Tirez une carte, engagea-t-il en dépliant son jeu en éventail. N’importe laquelle. Allez-y, montrez là à votre amie. Bien, maintenant regardez-moi dans les yeux !

Autre talent inné, quoique plus naturel celui-ci : Serrure était un comédien né. Il mima à merveille la concentration, puis la réflexion. Il bégaya, fit mine d’hésiter…

— Le sept de carreau ? finit-il par demander.

Les deux amies laissèrent passer une exclamation de surprise.

— Comment fais-tu ? demanda la première.

— Il y a un truc ! insista la seconde. C’est sûr !

Pour preuve de sa bonne foi, Serrure retourna le jeu. Un jeu parfaitement normal, avec des as, des cœurs, des trèfles… Les deux victimes ne remarquèrent pas l’entourloupe. Serrure était devenu si bon dans sa maitrise, que plus personne ne percevait la lueur verte entre ses doigts lorsqu’il permutait la face des cartes. La magie… Il n’était pas le seul enfant mutant à en user dans les rues de Paris, mais son talent pour l’illusion était tel que cela lui avait permis de gagner la protection de Big Tomy. Et tous les garnements ne pouvaient pas en dire autant. À force de larmes et de travail, Serrure avait réussi à se créer un monde supportable, à défaut d’être agréable. Une vie dans laquelle il pouvait s’endormir le soir avec un toit sur la tête et le ventre pas trop vide.

— C’est fantastique ! s’exclama l’une des deux Allemandes. Tu es très fort, petit.

Il répondit d’un sourire charmeur : elles adoraient toutes ça, les touristes. Le charme à la française, même quand il ne mesurait qu’un mètre trente-cinq, ça faisait toujours son petit effet. Serrure fit apparaitre des roses dans son dos, avant de les tendre à ses spectatrices.

— Mais enfin…, répondit-il avec une assurance trop mature pour son âge. C’est vous, qui êtes fantastiques, mesdemoiselles !

Tout en jouant son rôle, il ne perdait rien des agissements de son complice. Gregory zigzaguait dans la foule qui s’était amassée autour de leur petit stand. Le gamin blond, un peu plus petit que son complice, se faufilait sans que personne ne le remarque, détroussant les curieux et les curieuses à tout va. Serrure retint un sourire : trop facile ! Vu le nombre de pigeons agglutinés autour de lui ce soir, la pêche serait bonne. Il y aurait même de quoi s’offrir une gaufre. Un pari risqué, mais si Big Tomy venait à remarquer quoi que ce soit, Serrure pourrait toujours accuser Gregory. Il ne l’avait jamais aimé, de toute manière…

Soudain, une silhouette attira son attention. Bien plus massif que les autres, l’individu dépassait le reste de la foule d’une bonne tête et ses épaules, trop carrées, trahissaient un abonnement dans une salle de sport. Sans qu’il le comprenne, un mauvais pressentiment plongea Serrure dans le malaise. L’homme resta là, statique, proche, mais pas trop. Contrairement aux autres pigeons, ce n’était pas son jeu de cartes qu’il observait. Non. C’était lui.

Serrure redressa les yeux jusqu’à croiser ceux de l’individu. Ce fut une rencontre étrange et déroutante. Presque malaisante. Un temps, il eut l’impression de perdre l’équilibre et son esprit se rembrunit. Ce regard bleu azur… cela lui semblait étrangement familier. Comme s’il l’avait déjà croisé par le passé... Le sourire du petit briguant s’envola et, un instant, Montmartre sembla se figer. Quelque chose n’allait pas. Cet homme-là… Il n’était pas normal. Il n’était pas un simple touriste. Un signal s’alluma au fin fond de son crâne : Danger ! Mais avant qu’il ne réussisse à faire le moindre mouvement, Gregory commit l’irréparable : il plongea sa main dans la besace en cuir de l’homme. Comme s’il l’avait prédit, ce dernier se retourna et se saisit du poignet du jeune pickpocket. Gregory se mit à couiner, puis à se débattre. Autour d’eux, la foule de pigeons se retourna avec inquiétude. Merde !

— Je vois ! déclara l’homme blond sans lâcher le poignet du petit voleur. Il y a des choses qui ne changeront jamais, hein, Loki ?

 Loki ? Alors que Serrure pensait qu’il s’adressait à Gregory, ce fut bien sur lui que l’homme leva le regard. Aussitôt, il se raidit. Loki… Il avait déjà entendu ça quelque part. Oui ! Mais où ?

Profitant de la distraction de son agresseur, Gregory envoya un puissant coup de pied dans son tibia. Sous la surprise, l’homme le lâcha et le pickpocket s’enfuit en hurlant :

— Cours Serrure ! Vite !

Voilà un conseil des plus avisé. Déjà, les gens s’agitaient sur la place. Quelques uniformes bleus apparurent même dans son champ de vision :  des policiers.

— Merde !

Serrure fourra son jeu de cartes dans ses poches, attrapa ce qu’il put, et se mit à courir.

— Eh ! cria l’une des deux Allemandes. Où est passé mon bracelet ? On m’a volé mon bracelet !

Serrure abandonna table et matériel sur place. Bon sang ! jura-t-il intérieurement. Big Tomy va me tuer ! Ça, tu vas me le payer, Grégory ! Mais il verrait plus tard pour les détails : pour l’heure, il devait fuir. Il remonta la ruelle à grandes foulées. Avec sa petite taille, il pouvait passer dans la foule la plus dense, mais une voix hurla derrière lui :

— Loki ! Reviens !

Il tourna la tête : le grand homme blond s’était lancé à sa poursuite, bousculant quelques badauds au passage. Serrure avala de travers. C’est quoi son problème, à lui ? Il accéléra le pas pour prendre la direction de la bouche de métro, descendit les marches quatre à quatre, et sauta par-dessus les barrières avec l’agilité d’un écureuil. Serrure connaissait Paris par cœur, aussi bien en surface que dans les sous-sols.

Le jeune voyou remonta plusieurs allées, passant d’un quai à un autre, avant de s’arrêter enfin, le cœur au bord des lèvres. Ses poumons en feu criaient grâce. Il n’avait rien mangé depuis la veille au soir, et ses forces commençaient à lui manquer. 

Plié en deux à cause d’un point de côté, l’enfant se retourna. Personne ! Cette galerie était très peu fréquentée, surtout le soir. Bien, maintenant je dois…

— Tu es moins endurant qu’avant, on dirait ? Cela doit te faire tout drôle d’avoir de si petites jambes.

Un glaçon lui glissa dans l’estomac, mais avant qu’il ne puisse se retourner, on l’empoignait déjà par le bras. Serrure se débâtit comme un diable, mais l’homme raffermit sa prise jusqu’à lui faire mal.

— Lâchez-moi ! s’époumona-t-il en frappant le gros poing qui le maintenait prisonnier.

— Mais… aïe. Arrête ! Tu vas te calmer, oui ?

Plus le choix : il devait user de sa magie. Serrure leva donc sa main en direction de son agresseur, paume ouverte. Les lèvres de l’étranger s’étirèrent dans un sourire moqueur :

— Et que comptes-tu faire av…

La lumière verte frappa le colosse qui lâcha enfin prise. Serrure profita de l’effet de surprise pour lui crocheter les jambes, et l’inconnu bascula en arrière dans un long cri.

— Par les Neufs Royaumes ! C’est nouveau, ça !

Serrure ne se fit pas prier pour prendre ses jambes à son cou. Il revint dans les zones plus animées du métro, et manqua même de percuter un mur dans sa panique. C’est qui, lui ? Qu’est-ce qu’il me veut, à la fin ?

Il remonta le quai pour s’engager dans l’ombre d’un tunnel et longer les voies. En passant, il nota la présence d’un panneau : Zone interdite. Danger ! Risque d’électrocution. Bon… Tant qu’il ne marchait pas sur les rails, tout irait bien, et l’abruti qui le pourchassait ne le suivrait jamais jusqu’ici.

Les ténèbres ne tardèrent pas à l’engloutir, et Serrure fit apparaitre une petite boule verte lumineuse pour les chasser. Les cris des rats résonnèrent contre les parois concaves et bien vite, le jeune garçon se retrouva isolé, errant dans l’humidité du Paris troglodyte. Seul le ronron de la ventilation venait briser l’aura angoissante des lieux. Serrure se retourna. Du noir. Devant derrière… et pas la moindre trace de ce type bizarre. Il en profita pour reprendre son souffle alors qu’un frisson le traversa de part en part. Ce type… il était apparu derrière lui, comme ça. Comme par magie. Mais… comment ? Alors qu’il allait reprendre sa progression, un grésillement résonna jusque dans ses oreilles, puis un éclat attira son regard. Au sol, les railles électrifiés émettaient de petites déchargent blanches, comme de mini-éclairs. Serrure recula pour se coller à la paroi. Que… C’est quoi enco…

— Loki ! Reviens, tu vas te faire mal !

Ses jambes faillirent céder sous la surprise. Non ! Impossible. Il l’avait retrouvé !

Au bout du tunnel, la lumière blanche devenait plus vive. Plus intense. Le grésillement se changea en une symphonie trop aiguë, à la limite du supportable. Dans ce halo électrique, une silhouette se dessina. Celle de son poursuivant !

Sans plus réfléchir, Serrure se remit à courir, mais tout autour de lui prenait une aura irréelle. Dans sa panique, il n’étendit rien. Ni le souffle, ni le grondement qui ébranla les murs du tunnel. Ce ne fut que lorsque la lumière jaune des phares l’aveugla qu’il comprit : la rame de métro arrivait à contresens. Il dressa un bras pour se protéger les yeux, mais son pied dérapa alors sur un pavé mal aligné. Serrure chuta. Son estomac se retourna. L’arrière de son crâne fut le premier à percuter le sol, puis son corps tout entier s’écrasa dans la poussière. Sa vue se brouilla et un gémissement lui échappa.

— Loki ! Ne reste pas là !

Malgré ses sens brouillés, le jeune vandale prit conscience d’un détail. Une toute petite information qui le tétanisa : Je… je suis sur la voie. Je vais me faire écraser ! Il écarquilla les yeux alors que le bruit du métro envahissait l’espace tout autour de lui. Serrure releva la tête, pour baigner dans le halo aveuglant des phares. Il allait mourir. Ce n’était qu’une question de seconde. Trois, deux, un…

On l’attrapa par le col et Serrure se sentit soulevé, avant d’être violemment projeté en arrière. Une masse le couvrit tout entier, et la lueur insoutenable du métro fut coupé. Les ténèbres l’enveloppèrent. Perdu, le cœur battant à tout rompre, il ne sentit que le contact du tissu sur sa joue, et une chaleur étrange. Qu’est-ce que… Encore sous le choc, l’enfant ne comprit la situation que quand l’homme le libéra de son étreinte.

— Tu vas bien ? Tu n’es pas blessé ?

L’étranger l’avait relevé, puis plaqué contre le mur, avant de le recouvrir comme un bouclier. En résumé, il venait de lui sauver la vie. Serrure ne répondit pas. Il en était incapable. Son cœur battait si fort qu’il menaçait de s’échapper de sa poitrine et chacun de ses muscles s’était changé en béton. De l’autre côté du tunnel, le métro s’éloignait déjà, emportant avec lui le fracas assourdissant.

— Je ne vais pas te courir après toute la journée, Loki. On peut parler, maintenant ?

Soudain, la luminosité se raréfia. Sa vision se rétrécit jusqu’à n’être plus qu’un point entouré de ténèbres. Le sol se déroba sous ses pieds. Serrure chuta. Il tomba en avant la dernière chose qu’il perçut avant que la réalité ne le quitte, ce fut cet étranger qui se précipitait afin de le rattraper. Ça, et les deux mots qu’il prononça : Mon frère !

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ANECDOTES

Méphisto :

Méphisto est un personnage des la MCU, ennemi récurrent et apparraissant dans de nombreux Comics. Il travaille plus ou moins en collaboration avec Hela, dans la gestion des morts et des Enfers (de base, tous deux dirigent des royaumes infernaux, destinés respectivement aux âmes des asgardiens et des mortels humains).

Réincanation en Kid Loki - Serrure

Cette réincanation est pour le coup tout à fait vrai dans les Comics, même si la cause de la mort de Loki diffère de celle des films. Ainsi, dans la BD, Loki a bel et bien fait retirer son nom du livre des morts en manipulant Hela. Après s’être sacrifié pour sauver Asgard (alors qu’il était lui même responsable de l’attaque), Loki meurt.

Mais, sans son nom dans le Livre de Hel, il est renvoyé sur Midgard, en France, dans la peau d’un jeune voyou des rues se faisant appelé Serrure (il porte vraiment ce nom ! ), et qui survie en arnaquant les touristes aux cartes. Jusque là, la fanfiction respecte grandement donc le scénario des Comics : même rencontre avec Thor dans la rue, même course poursuite dans le métro. En revanche, la mémoire de Kid Loki dans les Comics lui revient beaucoup plus rapidement. Pour cette fanfiction et pour la tension narrative, j’ai volontairement fait durer la phase amnésique de Loki, et jouer sur son côté «borderline» en le montrant capable de manipuler les autres, même dans le corps d’un jeune garçon innocent