Chapitre 2 : Sigurd
THOR
Ils étaient six. Thor, Sif, Brunehilde, Banner, Dakmar et Arvid, l’aîné du fils de Volstag. Ils avaient pris un drakkar asgardien pour rejoindre les côtes islandaises, comme on le leur avait indiqué. Ils atterrirent sur plaine vierge, aux hautes herbes balayées par les vents. Tout ici n’était que vert, roche et collines.
— Tu es sûr de toi, Valkyrie ? avait questionné Thor.
— Certaine. Attends, et tu verras.
Ils parcoururent les vastes étendus et, au bout d’une longue marche, une voix les somma de s’arrêter :
— Arrière ! Vous entrez sur le domaine libre d’Asgardia.
Une troupe de soldats, vêtus de la traditionnelle tenue de l’armée d’Asgard, apparut devant eux. Des guerriers fiers, mais farouches, qui pointèrent aussitôt leurs armes pour arrêter la petite bande de visiteurs qui osait pénétrer sur leurs terres.
— Nous ne cherchons point querelle, tenta de les amadouer Thor. Nous sommes venus ici pour parler à votre chef, frères asgardiens.
— Frères, nous l’étions autrefois, répondit l’homme de tête. Mais depuis, les choses ont bien changé.
— Je crois que vous ne saisissez pas. Je suis le fils d’Odin, héritier des rois d’Asgard et…
— Nous savons très bien qui tu es, Thor.
Un autre homme venait d’apparaître par magie. Grand, et fort, à la peau sombre et au visage carré. Sa chevelure était tressée, et ses yeux arboraient un doré qui ne provenait pas de ce monde. Thor l’avait déjà rencontré, il y a fort longtemps. Et à l’époque, le fils d’Odin n’était qu’un enfant jouant dans les couloirs du palais, car Sigurd était un lointain guerrier de son royaume. Le premier héros d’Asgard, comme on aimait l’appeler.
— Excuse-nous pour cet accueil, poursuivit Sigurd en lui faisant face. Mais par les temps qui courent, nous devons nous montrer prudents. Avec la haine anti-alien instaurée par le président des États-Unis, nous ne sommes plus en sécurité nulle part.
— Sigurd… C’est donc toi qui diriges cet endroit ?
— Cet endroit se nomme Asgardia, fils d’Odin. Et oui. J’en suis le bâtisseur.
Il se retourna et fit signe à ses hommes. Ces derniers tournèrent les talons pour disparaître comme ils étaient arrivés. Leur silhouette s’évapora. Sigurd les invita à le suivre, et ils emboitèrent le pas du Héros. Thor eut l’impression de franchir une cascade d’eau froide au moment où il traversa la barrière d’invisibilité dissimulant Asgardia. La plaine, autrefois vide, se remplit alors de maisons, de chemins de terre ou de pierre, de huttes en bois, de temples et de commerces. Asgardia, comme l’avait nommé Sigurd, ne ressemblait en rien à la Nouvelle Asgard. Ici, pas d’inspiration midgardienne. Les habitants revêtaient les habits traditionnels. Pas de voiture, pas d’enseigne publicitaire, pas de chaînes de fast food… la seule technologie était bien de chez eux, mis à part ce dôme protecteur qui dissimulait la cité. Thor aurait d’ailleurs parié que cette diablerie provenait du royaume du Wokanda.
— Vous êtes plus nombreux que je ne l’imaginais, observa Thor alors qu’il remontait l’allée en direction de la plus grande des huttes.
— Près de quatre cents. Certains habitaient ici, bien avant le Ragnarök. Des exilés, envoyés par Odin sur Midgard, ou des émigrés ayant fui la justice asgardienne. Je les ai aidé à se dissimuler. Puis, quand Valkyrie a accepté de se soumettre à la loi terrienne, une vague d’Asgardiens, désireux de conserver leur liberté et leur culture, a afflué ici. Je leur ai offert la protection et la possibilité de vivre, comme ils l’ont toujours fait, loin des regards et de l’autorité humaine.
— C’est noble de vouloir aider les tiens, mais tu vis dans l’illégalité de la loi de ce monde, Sigurd.
Alors qu’il atteignait la porte de la bâtisse, le Héros d’Asgard se retourna.
— Oui. Je sais…
Et il entra. Thor lui emboita le pas. A l’intérieur, il faisait sombre, mais de grands feux crépitants faisaient danser des langues orangées sur les murs en rondins ou les tapisseries peintes.
— Avec le décret de la loi anti-aliens, notre situation est devenue encore plus précaire, mais chaque habitant d’Asgardia te dira qu’il est préférable de vivre caché que de vivre dans la honte.
— Il n’y a pas de honte à accepter les conditions de nos hôtes afin de pouvoir coexister.
— Comme tu le dis, fils d’Odin, les humains sont nos hôtes, et nous ne sommes que de précaires convives, qu’ils pourraient jeter à la porte de leur monde dès qu’ils en auraient assez. Et tu n’es pas sans savoir que les Asgardiens sont des êtres fiers, et que cette fierté est source de nombreux conflits. Il ne faut pas être un génie pour comprendre qu’une coexistence entre humains et asgardiens est vouée à l’échec sur le long terme.
Sigurd alla s’asseoir sur un trône recouvert de peaux de bête, avant d’inviter tout le monde à en faire autant, mais Thor préféra rester debout. Il était temps d’aborder le sujet qui fâche.
— Alors, quoi ? Tu tentes de t’abroger de la loi des hommes en commettant des attentats sournois, comme celui de Bruxelles ?
Sigurd se figea aussitôt. Son air neutre prit l’aura du courroux.
— Es-tu en train de me soupçonner d’avoir commis cette attaque ?
— Tu viens de dire qu’aucune coexistence n’était viable sur le long terme avec les humains, mais qu’aucun des tiens n’accepterait jamais de se soumettre à leur autorité. Simple déduction…
Sigurd se leva pour lui faire face. Du haut de son estrade, il dépassait Thor d’une tête, mais cela n’impressionna nullement le fils d’Odin : héros ou pas, il en avait maté d’autre.
— Je connais ton amour pour Midgard, Thor. Je sais que tu te places en défenseur de ce monde. Mais sache une chose : je vis ici et je côtoie les humains depuis bien plus longtemps que toi. Je les ai vus grandir et évoluer depuis plus d’un millénaire. Je connais la subtilité de leur espèce et leur réaction face au danger. Et je suis également, bien plus attaché à eux que tu ne pourras jamais l’être. Je ne désire aucunement la guerre ni le moindre mal aux habitants de cette planète. Alors, ne m’accuse pas de vouloir troubler cette terre, car tu as été bien plus exemplaire que moi sur ce point, en à peine une décennie.
Thor voulut répliquer, mais… techniquement, Sigurd avait raison. Et en effet, le héros d’Asgard sillonnait Midgard depuis de nombreux siècles. S’il avait voulu dominer les hommes, cela serait déjà fait.
— Si ce n’est pas toi qui as organisé cette attaque, alors cela peut-il être l’un des habitants de ton Asgardia ? Un réseau rebelle s’est monté, et son seul but est de semer la discorde, afin d’enclencher une guerre entre nos deux peuples. Cela, je ne peux le tolérer. Si toi aussi, tu es un défenseur de Midgard, comme tu le prétends, alors aide nous à les arrêter.
Sigurd le fixa en silence. Longtemps. Longuement. Comme s’il le sondait, comme si son esprit balançait entre deux choix cornéliens. Finalement, il s’en retourna à son trône.
— Je doute fortement que tu trouves ton coupable à Asgardia. J’ai été très claire avec chaque nouvel arrivant : nous vivons heureux, mais cachés. Pas de guerre, pas de revanche, pas de domination… À dire vrai, je suis même en train de réfléchir à une solution pour quitter Midgard, sans perdre tout ce que nous avons construit.
— Quelle est-elle ? s’enquit Thor, que cette nouvelle information interpella.
— Il s’agit d’un sortilège vieux comme le monde, permettant de couper Asgardia du reste de Midgard, et l’élever dans les cieux, hors des territoires terrestres. Mais je suis encore loin d’avoir mis cela en pratique, comme tu peux le constater.
— Donc, si je résume : tu nous certifies que ni toi ni aucun des habitants d’Asgardia n’a à voir avec le réseau rebelle souhaitant l’annihilation des humains ?
— Thor…, ricana Sigurd. Si c’était la guerre que je voulais, je n’aurais qu’à répandre la nouvelle du retour de ton frère…
Comme un réflexe instinctif, le poing du dieu du tonnerre se resserra autour de son marteau, et quelques éclairs en jaillirent pour lécher le sol.
— Comment sais-tu qu…
— Tout doux… je n’ai menacé personne. Mais les rumeurs vont vite. Certains des habitants d’Asgardia ont encore des proches et des contacts à la Nouvelle Asgard. À dire vrai, je suis même surpris que les humains ne soient pas déjà au courant du retour de Loki : après tout, ton frère se balade librement dans la ville et y sème déjà le chaos, à ce que j’ai entendu.
Ce problème avait longtemps travaillé Thor. Inconscient des tensions entre humains et asgardiens, il avait laissé Loki arpenter la Nouvelle Asgard sans le dissimuler. Pour ce qui était des asgardiens côtoyant le jeune garçon, il n’y avait pas d’inquiétude à avoir : ils ne trahiraient jamais l’un des leurs, même si celui-ci avait mis le feu à leur grange en invoquant les flammes de l’Enfer. Pour ce qui était des humains vivants ou travaillant au cœur de la ville… cela avait été plus complexe. Fury évitait au possible les fuites et le scandale depuis l’extérieur, tandis qu’on avait présenté le jeune Loki comme un tout autre frère, entièrement dissocié de l’ancien, portant le même nom par pure tradition. Pas d’histoire de réincarnation ni d’amnésie… S’il n’était plus la même personne, alors le débat était clos. Mais les asgardiens comme Sigurd n’étaient pas dupes. Il avait très bien reconnu le dieu de la malice.
— Loki n’est pas le problème qui m’amène aujourd’hui. N’essaye pas de changer de sujet, héros d’Asgard. Tu assures que tu ne veux que la paix, et que les membres d’Asgardia désirent la même chose. Soit ! Alors, pour la paix, m’aideras-tu à retrouver ceux qui veulent faire basculer ce monde dans le chaos ?
Sigurd pianota sur l’accoudoir de son trône et les observa un à un.
— Je n’ai aucune envie de voir s’ouvrir un affrontement entre les terriens et les asgardiens. Alors soit, je t’aiderai, mais à une condition.
— Laquelle ?
— Que tu m’aides à ton tour, afin de permettre à Asgardia de se séparer de Midgard. Seul, je ne peux y arriver. Ta puissance et tes pouvoirs seront les bienvenues.
— Ma foi, si cela ne blesse personne, je veux bien y consentir.
— Voici une affaire conclue, alors.
Sigurd se leva pour tendre un bras, que Thor empoigna. Le fils d’Odin chercha à déceler le moindre signe suspect derrière le sourire du grand Héros d’Asgard, mais de toute évidence, Sigurd aurait pu concurrencer Loki au Poker.
— Alors, dis-moi, frère d’armes, reprit Thor. As-tu une idée pour nous aiguiller dans nos recherches ?
— Peut-être bien, répondit Sigurd. À dire vrai, voilà un moment que j’ai des soupçons sur quelqu’un en particulier… Mais c’est un maître de la dissimulation. Pour la retrouver, il nous faudra ruser.
— La ? répéta Thor. De qui parles-tu ?
Sigurd lui adressa un sourire, un brin moqueur, avant d’enrouler son bras autour de ses épaules.
— Ah, Thor… Je vais tout te dire. Mais pour l’heure, conduis-moi à la Nouvelle Asgard. Ce soir, nous festoierons pour notre alliance, et je te révèlerais tout.
ANECDOTES
sigurd
Sigurd est un personnage que croise Loki à plusieurs reprises dans les Comics et que j’aime beaucoup. Ici, j’ai du le changer pour l’intégrer à mon intrigue. On va dire qu’il est plus «mature» et moins funky.
Dans les Comics, Sigurd errent sur Midgard, notemment pour échapper à la colère de Bor, puis des Dises, les terribles Walkyries qu’il à trahit. C’est un personnage en nuance de gris, qui n’hésite pas à commettre des actes immoraux, pour des raisons égoïstes. En tout cas, il est ainsi lorsqu’il rencontre Kid et Ikol, dans un crossover avec les Nouveaux Mutants (Très drôle, ce comics, en passant. Je vous le conseil. Il prouve que même humain, Loki reste Loki, et Thor reste Thor).
Sigurd revient dans «Loki, Agent d’Asgard», bien plus tard. Un peu plus mature et moins égoïste.
Bref, ici, si vous le connaissez dans les Comics, il faudra vous en détacher un peu, car je dois le modeler pour faire avancer mon intrigue.