Après notre conversation d'hier soir, nous avons été réquisitionnées pour aider à mettre la table. Je repense beaucoup à ses paroles.

'Il essaye juste de te réparer'

Cette phrase tourne en boucle dans ma tête. Je me concentre sur la route. Aujourd'hui nous avons notre course d'orientation annuelle. Elle se déroule juste avant l'arrivée totale de l'hiver. Le bus se stoppe à l'entrée d'une forêt. Cette année, les professeurs ont eu la bonne idée de la transformer en une chasse au trésor écologique. Plus nous ramenons de déchets, plus nous avons de points. Et les grands gagnants auront probablement accès à des lots comme des ballons de sport, des coupons pour la médiathèque ou d'autres choses dans ce genre.

Nous nous mettons en rang, nos professeurs nous rappellent les règles: ne pas dépasser les limites des fanions rouges disposés autour de la forêt, revenir ici à la fin du temps imparti et faire attention à ne pas nous blesser. J'observe Kessy, qui a déjà pris les dossards oranges. Elle en donne un à Ayden et s'avance pour m'en donner un lorsque Stella, une fille de notre classe lui demande de faire équipe avec elle. Kessy lui donne le dossard à contre-coeur et me mime un 'désolé'. Je lui fais un sourire pour lui faire comprendre que ce n'est pas grave et pars à la recherche d'une équipe en manque d'un joueur. Toutes les équipes de trois sont visiblement complètes, étant un nombre de 32 élèves, il y en aura forcément une de deux.

Une main m'attrape le poignet. Evidemment, il s'agit du brun que je m'efforce de tenir à distance.

Pourquoi Univers, pourquoi ?

Il me tend un dossard turquoise que je prends. Soudain, je regrette de ne pas avoir bataillé contre Stella pour pouvoir être avec mes meilleurs amis. Sans un mot, nous nous avançons vers notre professeur de sport, qui nous donne le départ. Mason me fait signe de le suivre. Nous nous mettons à courir vers un sentier. Une fois éloignés des autres, Mason déplie le sac plastique fourni avant le départ. J'enfile les gants en plastique et me mets à la recherche de mégots et de détritus. Le silence ne dure pas longtemps:

—Oly, on peut se parler ?

—Non.

Je continue mes recherches et me penche pour attraper un paquet de chips vide. Je sursaute lorsque je vois Mason à côté de moi en me relevant. Je mets le déchet dans le sac qu'il tient et repars comme si de rien n'était. Il me retient par la main. La chaleur de sa paume se répand dans la mienne malgré les gants.

—Je n'ai rien à te dire, dis-je en enlevant ma main de la sienne.

Nous avançons dans la forêt. Au travers des buissons, je remarque un objet brillant. Mason reprend son monologue:

—Je ne veux pas te faire souffrir Oly, c'est vraiment pas ce que je-

—Tiens moi ça.

Je lui tends ma veste accrochée jusque-là à ma taille et commence à m'engouffrer dans les buissons.

—Oly, qu'est-ce-que tu fais ?

Je rampe à quatre pattes jusqu'à un énorme fossé, pas très profond mais très large. J'essaye de fuir Mason, et ma fuite pourrait bien fonctionner: l'immense trou est rempli de déchets, probablement jetés ou ramenés ici par le vent.

—Viens, apporte le sac, j'ai trouvé le jackpot.

Je m'assois sur le bord de la pente et me laisse glisser jusqu'en bas. La terre tâche à présent mon legging noir, mais j'avoue que je m'en fiche. Mason arrive, après avoir poussé les buissons, près du bord.

—Bordel, qu'est-ce-que tu fous ?

—Je chevauche une licorne, ça se voit pas ? Donne- moi le sac s'il-te-plait.

Il s'exécute et commence à descendre mais je l'arrête.

—Non, reste en haut, tu m'aideras à remonter après.

Il hoche la tête mais ne semble pas vouloir se taire:

—Oly, arrête de me fuir, j'aimerai qu'on discute sérieusement.

—Il n'y a rien à dire.

'Il essaye juste de te réparer'

Je secoue la tête et ramasse toutes les ordures que je trouve. Cette course ne m'intéresse vraiment pas, mais j'ai espoir que le temps passe plus si je m'occupe.

—Olympe...

Mon prénom sonne bizarrement dans sa bouche. J'en ai un léger frisson que je réprime. Soudain, j'entends les feuilles mortes craquelées à quelques mètres de moi. Je fixe l'endroit où elles bougent. Un doux sifflement se fait entendre. La tête se montre enfin.

—Un serpent, souffle-je.

—Oly attention ! dit Mason, paniqué.

—Ne descend pas !

Il s'arrête dans son mouvement. Je me mets à taper des pieds sur le sol, espérant le faire fuir. Mason lui lance une poignée de poussière et de caillou, ce qui ne semble pas plaire au reptile qui s'approche dangereusement de moi. Je recule, en tapant des pieds. Je me retrouve contre la pente. Je lance un regard vers celle-ci. Des cailloux et des racines dépassent par endroit. J'ôte mes gants en plastique que je fourre dans une poche de mon legging. J'essaye de faire reculer la menace, sans succès et me tourne vers ma seule issue : la pente. Mason me tend déjà la main, mais je n'arriverai pas à l'attraper du bas du fossé. Je saisis une racine avec mes deux mains et commence à grimper. Mes pieds se posent sur des recoins où je trouve un minimum d'appui et mes mains continuent de me tirer. J'attrape une pierre avec la main gauche et une autre racine avec la main droite et me tire vers le haut. La pierre entaille ma main mais je n'ai que faire de la douleur. Le reptile est en bas de la pente: si je lâche, je prend le risque de me faire mordre. Je pousse sur mes bras et pose mon pied droit sur un rocher. Ce dernier glisse, mais j'y prends appui pour me propulser vers la main de Mason que j'attrape. Mon pied quitte la pierre et je me retrouve accroché à la seule force de mes deux bras, dont un accroché à Mason. Ce dernier me tire vers l'arrière et j'arrive peu à peu à remonter jusqu'en haut.

Le brun est assis, et je suis à genoux devant lui. Ma main est toujours dans la sienne.

—Bordel, Oly. T'es vraiment une idiote !

Je soupire, l'adrénaline redescend et un frisson me parcourt. Mason attrape ma veste et la met sur mes épaules. Il prend ensuite ma main et l'examine.

—Tu as un joli bobo, on devrait retourner au départ pour te le faire soigner.

J'hoche la tête. Mason se lève et me tend la main pour que je fasse de même. Je l'attrape avec ma main valide et me remets sur pieds. Ma tête vacille et je murmure:

—Je me suis levée trop vite...

Je tangue. Mason me retient avant que je ne tombe. Il met une main sur ma hanche et fait passer mon bras par-dessus ses épaules. Il se penche pour être à ma hauteur.

—Là, prends ton temps.

Je soupire et reprends mon souffle. Une fois que ma tête ne tourne plus, je commence à marcher. Mason écarte les buissons sur notre route et nous partons vers le départ.

Sur le chemin je me perds dans mes pensées: pourquoi mes émotions sont-elles aussi en désordre lorsque je suis avec lui ? Pourquoi est-ce-que je me sens en sécurité dans ses bras ? Et si Kessy avait raison ? Et s' il essayait juste de me réparer ?

Mes pensées dérivent ensuite sur Joshua. Et si c'était juste un moyen pour moi de fuir Mason ?