Nous arrivons chez lui en peu de temps. Nous ne nous parlons pas avant d'être dans le hall, où nous enlevons nos manteaux et chaussures et déposons nos sacs. Mason m'indique simplement:
—Tout est à la salle de bain, suis-moi.
Nous montons à l'étage et rejoignons donc cette pièce. Je prends le temps de la détailler, chose que je n'avais pas fait la première fois que j'y étais venue, et j'y avais d'ailleurs laissé couler quelques larmes. À gauche un lavabo et des toilettes et à droite une douche séparée du reste avec un mur. Tout est propre comme dans un magazine de décoration: pas une tâche sur les carreaux effet marbré gris qu'il y a au sol, où sur ceux des murs qui sont plus gros et blanc. Le tapis bleu turquoise est impeccable, l'évier est propre...
—Ma mère est un peu maniaque, dit le brun, me sortant de mon observation.
—Je vois ça...
—Assieds toi là, je vais prendre la trousse de secours.
Il désigne les toilettes immaculées, dont la cuvette est baissée. Je m'assieds donc et le voit fouiller dans le placard au-dessus du lavabo. En levant les bras, son t-shirt se relève aussi, dévoilant une mince partie de ses abdos. Je me surprends à fixer sa peau. Mon ventre se tord joyeusement, je détourne le regard. Il trouve enfin la boîte métallique blanche et rouge et il la pose sur le rebord de l'évier. Il prend une compresse et l'imbibe de désinfectant puis s'avance vers moi.
—Tu es toute rouge, tu veux de la glace ?
—Heu... non merci, je bafouille.
Je suis pratiquement sûre que mes rougeurs ne sont pas totalement dues au direct que m'a mis Royce. J'aurais bien riposté, si je n'avais pas été assommée, et puis je me devais de retenir Mason qui semblait prêt à se jeter sur le blond.
Je tends la main pour prendre la compresse mais il se contente de me l'attraper avec sa main droite tandis que la gauche s'approche de mon visage.
—Je peux le faire toute seule.
—Je sais.
C'est la seule réponse qu'il me donne avant de presser le tissu contre ma tempe. Je grimace. Mon ventre se tord à la sensation de ses doigts sur mon visage.
—Elle résiste à un coup de poing mais grimace quand ça pique... J'y crois pas.
—Moques toi !
Il rit.
—Mais c'est ce que je fais Lyly !
Je boude tandis qu'il nettoie plus doucement ma plaie. Son pouce caresse ma main pour me réconforter.
Lyly...
Ça fait bizarre de l'entendre me surnommer. Mais c'est agréable. Très agréable. Il finit son travail d'infirmier en mettant de la crème sur l'endroit de l'impact. Je le remercie et pars à mon tour chercher de quoi le soigner.
—Laisse, c'est ma connerie. Vas m'attendre dans ma chambre.
Au moins il admet son erreur, cela atténue la petite partie de moi qui était en colère. À présent, celle qui veut depuis toujours prendre soin de ce brun un peu casse-cou ressort et je réponds:
—Non.
Il est résigné rapidement par mon regard qui prouve que je lâcherai pas l'affaire. Il s'assoit à la place que j'occupais auparavant en soufflant. Il a une petite plaie au menton que je désinfecte. Je mets de la crème apaisante sur sa main gauche, dont l'articulation du pouce à gonfler, probablement à cause des coups qu'il a donné, puis je finis par nettoyer son arcade droite qui a une petite éraflure.
—Pourquoi ?
Les mots sortent tout seuls, j'ai trop de questions en tête. Les maigres justifications qu'il m'a donné ne suffisent pas.
—Pourquoi as- tu fait ça ?
—Je te l'ai déjà dit...
Son regard se baisse, comme honteux. Je continue mon interrogatoire:
—Pourquoi tu poses toujours des questions sur ma vie ? Pourquoi tu cherches à connaître mes soucis ? Pourquoi tu fais tout ça ?
Mes sentiments parlent pour moi. Il se lève et passe à côté de moi pour sortir de la petite pièce. Je jette la compresse que j'avais dans la main et le suis dans sa chambre. Il est debout, fait les cent pas et se tient la tête avec les deux mains. Cette scène me rappelle quelque chose... Mais cette fois-ci c'est différent.
—Mason ?
Il sait que j'ai besoin de réponses.
—Tu es... commence-t-il, tu es très forte Lyly... Mais, tout ce que tu gardes en toi c'est... trop. Même si tu penses pouvoir le contrôler, un jour tu vas déborder et...
Il s'arrête, sa voix est tremblante. Il s'assied sur son lit.
—Je ne suis pas sûre de pouvoir te sauver.
Il lève son regard vers moi. Ses yeux sont rouges, au bord des larmes. Même en pleure, il garde son air froid et distant. Comme si il me suppliait de le laisser là et de partir, mais je ne ferai pas cette erreur.
—Mason...
Je m'assieds à côté de lui et passe mon bras dans son dos pour l'attirer à moi. Il garde son regard dans le mien et poursuit:
—Je ne veux pas que tu débordes. Je ne peux pas.
—Mason...
Il se lève, pris par ses émotions et dit d'une voix forte mais étranglé par les sanglots.
—Je ne peux pas te perdre !
Les larmes coulent, il les essuie furieusement.
—Merde ! jure-t-il.
Il se tourne pour ne pas avoir à me faire face. Je me lève et vais vers lui. Je passe mes bras autour de sa taille et pose ma tête contre son dos.
—Mason, tu ne me perdras pas, je te le promets.
Il pose ses mains sur les miennes pour me maintenir près de lui.
—Raconte-moi, dis-je doucement.
Je sais qu'il y a quelque chose derrière ce flot d'émotions, quelque chose de plus profond, quelque chose qu'il garde en lui depuis trop longtemps. Il soupir et raconte:
—Avant, nous étions trois avec Vincent. Il y avait lui, moi et Marco. Marco était... incroyable.
Il rit en le disant.
—Il était le plus drôle de nous trois, et savait nous faire rire même dans les pires situations.
Il marque une pause et se retourne pour me prendre dans ses bras, sans croiser mon regard. Je me blottie contre lui et passe une main sur sa nuque que je caresse du pouce pour l'inviter à continuer. L'oreille sur son cœur, j'entends son rythme s'accélérer au fur et à mesure.
—Mais, il avait des problèmes chez lui et au collège, c'était en cinquième puis en quatrième. Vincent ne savait rien mais moi je voyais bien les rires, les mots qu'il recevait dans son casier, les fois où ses parents l'oubliaient au soutien du soir... J'essayais de lui parler mais il a tout garder pour lui et, un jour, on a appris qu'il était mort d'un suicide. Vincent a découvert le harcèlement, mais n'a jamais su pour les problèmes familiaux. C'est sûrement pour ça qu'il t'ait autant reconnaissant d'avoir aider sa sœur. Nous avons assisté à l'enterrement, puis l'année d'après nous avons déménagé et sommes venus ici, à quelques kilomètres même pas de notre ancien chez-nous: ma mère et ses parents travaillent ensemble et ont fait en sorte de ne pas nous séparer après ça... Puis mon père est parti au Brésil pour le travail et ma tante est venue vivre ici.
Je le serre un peu plus contre moi. Il enfouit sa tête dans mon cou. Je l'entends murmurer:
—Par pitié ne me laisse pas...
Je m'écarte légèrement et plante mon regard dans le sien.
—Jamais, c'est promis.
Mes mains viennent sur ses joues pour essuyer les traces de larmes restantes. Je comprends maintenant. Je comprends beaucoup de choses.
—-Tu devrais parler à Kessy et Ayden, ils souffrent de te voir endurer autant de choses, et pareil pour la bande. On est tous inquiets, vraiment.
Je fais un sourire triste.
—Je vais m'en occuper. Je vais essayer.
—Lyly ?
Il met un doigt sous mon menton et relève ma tête qui s'était baissée.
—Hm ?
Nous sommes à peine à quelques centimètres, j'ai tellement envie de poser mes lèvres sur les siennes mais je m'abstiens, ce n'est pas le moment. Son regard dérive aussi sur les miennes mais il se retient et déclare avec une voix tendre:
—Merci et... Appuie toi sur moi dorénavant.
Je hoche doucement la tête. Il dépose un baiser sur mon front et me reprend contre lui. Nous restons comme ça longtemps. Blottis l'un contre l'autre, comme si nous avions enfin tout lâché. Comme si nos chaînes respectives s'étaient brisées.