Après mon absence d'hier, j'ai été légèrement réprimandée par mon père mais la crise est vite passée. Aujourd'hui, nous avons quartier libre: le lycée fait une journée porte ouverte aux étrangers pour le nouveau programme d'échange scolaire. Théoriquement je devrais avoir cours ce matin mais pour deux petites heures d'EPS, mon père a fait un geste, malgré mon comportement d'hier. J'avoue qu'il m'a surpris lorsqu'il a accepté, enfin, tant mieux pour moi !
Je dois aller au essayages pour les robes de demoiselles d'honneur du mariage de la mère de Kessy et de son futur beau-père. Kessy est bien sûr une de celle qui accompagnera la mariée, et j'ai eu la surprise de savoir que moi aussi. Kessy a supplié sa mère qui a vite cédé: elle est comme ma seconde mère. Et ma merveilleuse meilleure amie a eu la bonne idée de convier la bande à la cérémonie ainsi qu'à la fête qui la suivra.
Je passe dans le salon où je vois mon père en train de lire un livre d'économie. Je soupire et m'apprête à passer devant mais je me souviens de ma promesse à Mason.
Je vais essayer.
Je m'approche vers mon géniteur et m'assieds dans un fauteuil en face du canapé. Il ne remarque pas ma présence et tourne une page de son livre.
—Papa ?
Ma voix paraît nerveuse et faible.
—Oui ? dit-il sans lever le regard de son livre.
—Où est maman ?
—Dans sa chambre, elle dort.
Je souffle et l'interroge:
—Tu ne penses pas qu'elle devrait voir quelqu'un ?
Il daigne enfin poser son livre et m'accorder son attention. Son regard est indéchiffrable. Je ne sais pas si je l'ai mis en colère ou non.
—À quel sujet trésor ?
Mes nerfs se relâchent: il n'est pas vexé de ma proposition. Le connaissant, il aurait pu l'être, mais visiblement il est d'humeur vivable aujourd'hui. Je continue sur ma lancée:
—Tu sais bien. Depuis que Jeremy n'est plus là, elle se saoule. Combien de fois as-tu appelé son travail en prétextant une maladie car elle n'avait pas décuvé ?
Son expression change. Il porte sa main à son front qu'il gratte, agacé que j'aborde enfin le sujet. Ses traits se tendent et il me répond durement:
—Ta mère gère comme elle peut.
La colère et la frustration montant de mon côté, je réponds:
—Non elle ne gère pas ! Elle fuit la réalité ! Tout comme toi...
—Qu'est-ce-que tu essayes de me dire Olympe ?
Son ton est autoritaire, insensible. Mes émotions prennent le dessus et je lâche enfin ce que je garde en moi depuis des mois:
—Que j'en ai assez de la voir se bourrer la gueule, de te voir la réconforter comme si de rien n'était, de vous voir vivre comme des fantômes ! J'en ai marre d'avoir peur de rentrer le soir car ma mère est probablement déjà en train de finir une deuxième bouteille, j'en ai marre de devoir demander à Kessy de m'héberger quand elle devient violente !
Ma voix se brise, les larmes montent. C'était trop.
—J'en ai marre d'avoir l'impression d'avoir perdu mon frère et mes deux parents !
J'éclate en sanglots. Mon père décontenancé vient me prendre dans ses bras. C'est la première fois depuis si longtemps qu'il a un geste affectif. C'est la première fois depuis... l'accident. Je me souviens avoir pleuré toutes les larmes de mon corps dans ses bras à l'hôpital, mais depuis, nous n'avons échangé que des banalités sans importance. Son parfum remplit mes narines et mon détend, comme un remède miraculeux. Je pleure et renifle dans sa chemise. Ses mains caressent mon dos pour me calmer.
—Je suis désolé de ne pas avoir vu que tu n'allais pas bien, dit-il d'une voix faible et blanche.
Ses sentiments sortent enfin, je n'ose pas relever la tête de peur qu'il remette son masque de père insensible.
—Il faut aider maman.
—Je vais m'en occuper, je te le promets.
Il me serre un peu plus fort avant de me lâcher. J'essuie mes larmes et lui fais un faible sourire avant de déclarer:
—Je dois y aller, Kessy va me tuer si j'arrive en retard pour l'essayage.
Il hoche la tête. Je vois à travers ses yeux rouges la tristesse et la culpabilité. Je me lève et pars dans le hall enfiler mes chaussures et ma veste avant de sortir. Mes yeux sont gonflés mais je souris. J'ai enfin réussi à me défaire de ce silence que j'avais depuis l'accident. Je n'ai plus qu'à faire confiance à mon père, je sais qu'il a eu un déclic.
Dans le bus, je prends le temps de nettoyer le mascara qui a coulé et de remettre en ordre mes cheveux. J'arrive rapidement dans la rue où la boutique de robes de cérémonies est grande ouverte.
***
—Et celle-ci ? me demande ma meilleure amie en me montrant une robe bouffante jaune poussin.
Je lui fais une grimace. Je n'ai pas envie de ressembler à Titi de Titi et Grosminet. Cela fait quelques minutes que sa mère est partie essayer un lot de robes de mariée. J'effleure une robe de demoiselle couleur lavande lorsque ma meilleure amie remet la robe jaune à sa place.
—Chérie, je pense que celle-ci est pas trop mal... dit la voix de sa mère derrière le paravent.
Nous nous approchons. Elle sort vêtue d'une longue robe en forme de sirène fluide. Un voile de dentelle qui lui sert de cape est accroché à ses épaules. Le haut a un large décolleté masqué avec la même dentelle orné de quelques paillettes. Les bretelles sont assez fines mais la cape recouvre une bonne partie des épaules. Elle s'avance vers le miroir et sourit en voyant son reflet avant de se retourner vers nous. Kee a les larmes aux yeux et hoche la tête.
—C'est la bonne.
—Oh ma chérie... dit-elle avant de venir la prendre dans ses bras.
Je leur laisse de l'intimité et me dirige vers la vendeuse qui regarde à présent une robe pour moi et Kessy. Elle m'en montre une bleu ciel, courte devant et longue derrière, avec de la dentelle sur le haut qui est en corset avec de petites manches qui doivent sûrement laisser voir les épaules.
—Mettez-en deux de côté s'il vous-plaît, nous allons les essayer.
Elle hoche la tête et je m'approche de ma meilleure amie. Tout en rompant ce moment d'émotion, je fais un sourire à Kareen et attrape Kessy par les épaules.
—Allez la chialeuse ! C'est notre tour !
Elle rigole en essuyant ses yeux délicatement. Nous partons nous changer tandis que la future mariée s'observe dans le miroir.
J'enfile la robe et sors après ma meilleure amie qui a eu le droit à l'aide de la vendeuse pour fermer l'arrière. Je la regarde, elle fait de même. Nous allons vers un miroir et explosons de rire. Le vendeuse ne comprend pas et la mère de Kessy qui est en train de se changer lance à travers le rideau de sa cabine:
—Ne vous inquiétez pas ! Ça veut juste dire qu'elles adorent !
Nous arrêtons de rire un instant et Kessy déclare:
—On les prend !
Sa mère ressort habillée en tenue de ville et nous observe un moment avant de confirmer à la vendeuse. Je m'apprête à partir me changer quand ma meilleure amie attrape mon bras.
—Attends, il t'en manque encore une !
—Pardon ?
Je suis perdue. Sa mère vient m'expliquer:
—Pour la cérémonie tu as celle-ci, que nous t'offrons. Et pour la fête, j'ai parlé avec ton père et il m'a dit qu'il t'offrirait une seconde robe.
L'évocation de mon père me remet en mémoire ce matin, je chasse ces souvenirs.
—Vous lui avez parlé ? Quand ? l'interroge-je déconcertée.
—Il y a quelques jours.
Je souris de toutes mes dents. Il ne m'avait pas totalement ignoré quand je lui avais parlé des essayages ! Kessy continue:
—Donc, il te faut une robe pour la fête du soir... Et je crois que tu sais déjà laquelle essayer !
—Non, tu n'es pas sérieuse ?
En arrivant j'ai contemplé les robes de demoiselles d'honneur mais j'ai aussi remarqué une magnifique robe bleu nuit, avec une doublure parsemée de petites paillettes. La coupe est simple: bretelles fines et décolleté en V pas trop révélateur.
Je vois la vendeuse me l'apporter. Je la prends comme un trésor et pars l'essayer. Je suis aux anges ! Je l'enfile et fais appelle à l'employée pour m'aider à fermer la longue fermeture à l'arrière. Je lâche mes cheveux et sors de la cabine.
Les yeux de Mme. Farnic et de sa fille s'écarquillent. Je m'approche du miroir et ne retiens pas mon sourire: elle est magnifique. Ma meilleure amie me prend en photo pour l'envoyer à mon père. Je m'admire quelques minutes avant d'hocher la tête en direction de la vendeuse.
Nous partons une vingtaine de minutes après, le temps de régler le tout et de prendre rendez-vous pour récupérer les robes. Le mariage a lieu dans deux semaines, et heureusement pour nous, la vendeuse nous affirme qu'elle aura nos robes d'ici là. Nous partons ravies, nous installer à une terrasse non-loin pour boire quelque chose. Je sors mon téléphone et remarque un message de mon père accompagné de la photo où je figure avec la robe.
Tu es magnifique ! <3